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Histoire du- Piano
et des Pianistes
PAR
EUGÈNE RAPIN
Privat-Docent à l'Université de Lausanne.
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PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE AUG. BERTOUT
• o,' Ruo de rEchaudëi et Rue de Seine, 46.
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LAUSANNE
GEORGES BRIDEL & C" ÉDITEURS
♦904
• •
HISTOIRE DU PIANO
et des Pianistes
— 2 —
ment d'un archet sur la corde, la justesse du son dépend
beaucoup du sens musical de l'exécutant, dans les instru-
ments où le son est produit par le choc d'un marteau contre
la corde, la justesse du son dépend uniquement du contact
mécanique des doigts de l'exécutant avec les touches du cla-
vier. Il suffira donc d'associer à la connaissance de celui-ci^
ce qui est affaire de mémoire et d'habitude, certaine agilité
des doigts, laquelle s'acquiert par l'exercice aussi aisément
que l'art de manier les pédales d'u^e bicyclette, pour être en
mesure d'entraîner des valseurs, d'accompagner des solistes,
même d'exécuter une fantaisie brillante, bref, de jouer son
rôle dans les soirées ou réunions intimes ou mondaines aux->
quelles on peut être convié.
En ce qui concerne spécialement l'accompagnement, le
piano, en raison du pouvoir qu'il a de faire entendre simul-
tanément l'harmonie et la mélodie, rend de précieux ser-
vices. On n'accompagne pas une romance avec une flûte ou
un violon, et quant à la guitare dont nos ancêtres se con-
tentaient, elle est un auxiliaire bien insuffisant de nos mo-
dernes chanteurs. Ceux-ci trouvent par contre dans le piano
une réduction de l'orchestre dont on ne saurait trop appré-
cier la valeur.
Précisément parce qu'il est une réduction de l'orchestre,,
le piano offre d'inépuisables ressources au musicien qui
entreprend de consciencieuses recherches d'histoire ou d'es-
thétique musicale. Les œuvres vocales, instrumentales les
plus grandioses: opéras, oratorios, symphonies, etc., peu-
vent être reproduites par le piano, non pas, il est vrai, avec
la variété de timbres qu'elles présentent, mais cependant
d'une façon assez complète, assez vivante pour que l'on
puisse se former une opinion sur leur valeur artistique, sur
l'école à laquelle elles appartiennent, sur la place qu'il con-
vient de leur attribuer dans l'histoire de la musique.
Non seulement le piaiio est le meilleur instrument d'ac-
compagnement qui existe, mais il a cet immense avantage
de pouvoir se passer d'auxiliaire, de se suffire à lui-même^
— 3 —
Le concours d'un trio ou d'un quatuor à cordes sera toujours
une source de pures jouissances, mais ce concours n'est pas
indispensable au pianiste qui, s'il est vraiment artiste, peut,
avec le piano seul, procurer à ses auditeurs d'exquises sen-
sations.
Si Ton ajoute enfin que la littérature du piano est excep-
tionnellement riche, que depuis les anciens clavecinistes jus-
qu'à nos jours presque tous les compositeurs ont écrit pour
le piano, on se convaincra que la popularité dont cet instru-
ment jouit actuellement ne dépend pas d'un caprice de la
mode, qu'elle repose sur des bases solides et l'on souscrira
volontiers à ce jugement enthousiaste porté sur le piano par
M. RoMEu: c II est l'âme du foyer, la joie de la famille, la
brillante distraction des visiteurs ; c'est un ami docile qui,
à notre gré, prend la parole ou garde le silence, en nous
faisant toutefois sentir notre dédain ou simplement nos
oublis.... Pour l'artiste qui parvient à en approfondir les
secrets, c'est tout un monde de sensations : les larmes? il en
tarit la source; les grandes douleurs? il les apaise en leur
prodiguant, comme un baume souverain, l'effluve de ses
puissantes harmonies; dans l'infortune? il commence par
être une consolation pour devenir un refuge et un appui. »
Malheureusement toute médaille a son revers ; le piano
n'échappe pas à cette loi ; s'il favorise l'essor du génie, il
favorise aussi le règne de la virtuosité et de la médiocrité.
De la virtuosité, parce qu'il se prête à la production d'effets
susceptibles de mettre en évidence la force et l'habileté de
l'exécutant. Un certain degré de virtuosité est évidemment
nécessaire à l'interprétation correcte des œuvres des maîtres,
il importe seulement d'observer que dans ce cas la virtuo-
sité n'est qu'un moyen dont l'utilité ne saurait être discutée.
Mais aussitôt que la virtuosité est considérée comme un but,
comme la fin de l'art, elle constitue un sérieux danger parce
qu'en de telles conditions, elle ne tend à rien moins qu'à
l'amoindrissement du sentiment artistique dans les âmes.
Le règne de la médiocrité n'est pas moins à redouter. Le
— ii —
piano contribue à son avènement et à son extension, en per-
mettant de faire de la musique passable sans posséder un
sens musical particulièrement développé. Pourvu que Ton
possède un bon accordeur et dix doigts suffisamment déliés^
on peut, sans trop d'effort, faire les délices de la société qui
préfère généralement ce qui flatte agréablement Toreille à
ce qui, pour être compris et senti, exige une culture supé-
rieure de Tesprit.
A l'heure présente, le péril de la virtuosité est moins à re-
douter que celui de la médiocrité. Le temps n'est plus où
W. DE Lenz pouvait écrire : « Aujourd'hui on ne joue plus
du piano, on le monte. Devenu cheval de cirque, de fougueux
et intrépides cavaliers promènent ce pauvre piano aux yeux
d'un public ébahi, à tant de notes par minutes, et tous d'ap-
plaudir. On monte le piano sellé ou non sellé. Le non sellé,
c'est la fantaisie, le sellé la transcription, la romance sans
paroles, le plus souvent sans rien du tout.... » Une réaction
salutaire s'est opérée et se poursuit de nos jours avec succès ;
de la musique bruyante, tapageuse, on revient avec bonheur
à la simplicité, à la sobriété, qui est un caractère distinctif
de toute production réellement artistique.
Par contre, il est urgent de lutter contre les progrès de la
médiocrité favorisés par l'énorme extension que la pratique
du piano a prise à notre époque. A cet effet, il est avant tout
nécessaire de relever le niveau des études musicales en s'at-
tachant à former non seulement le mécanisme, mais aussi le
goût des élèves. Le côté technique dans l'enseignement du
piano est essentiel, cela va sans dire; il est toutefois insuffi-
sant si l'élève n'apprend pas simultanément à jouer correc-
tement un morceau et à se former une opinion personnelle
sur la valeur des compositions qui tombent sous ses yeux,
à opérer un triage intelligent dans le vaste champ de la litté-
rature pianistique, à s'approprier le style de tel ou tel com-
positeur, afin de faire revivre son œuvre dans l'esprit où il
l'a conçue.
Parmi les auxiliaires susceptibles de concourir à ce ré-
— 5 —
sultat, rHistoire du piano et des pianistes nous parait occuper
la première place, car seule elle procure aux musiciens qui
apportent à l'étude du pianoforte la conscience claire et vive
de la dignité de l'art, le moyen de s'orienter au milieu des
diverses écoles, de saisir nettement les principales phases de
l'évolution de la musique à travers les âges, enfin de sur-
prendre les relations de dépendance qui existent entre toute
composition musicale et le génie du compositeur. L'histoire
de la musique est inscrite au programme de la plupart des
conservatoires, mais nous ne pensons pas nous tromper en
disant que cet enseignement se maintient trop dans les géné-
ralités pour être directement utile aux élèves qui font du
piano l'objet à peu près unique de leurs études. Ce qu'il faut
à ces derniers, c'est, dans un cadre restreint, un exposé de
tout ce qui a trait à l'histoire et à la littérature du piano,
un livre qui introduise les esprits sincèrement épris de l'idéal
dans l'intimité des maîtres auxquels ils rendent un culte
empreint d'une poétique et religieuse ferveur.
Ce livre n'existe pas en langue française. Nous possédons
sans doute d'excellents ouvrages parmi lesquels nous place-
rons au premier rang les intéressantes études sur le piano
et sur les virtuoses (silhouettes et médaillons) de Marmon-
TEL, le vénéré doyen des pianistes français ; la superbe publi-
cation de MÉREAi'X (Amédée) sur Les clavecinistes de d637
à il90; les pages très suggestives consacrées par F. Le
COUPPEY à U enseignement du piano; le plan d'études,
intelligemment conçu par M. C. Eschmann-Dumur, profes-
seur à l'Institut de musique de Lausanne et qui, sous le titre
modeste de Guide du jeune pianiste, renferme, outre un
catalogue comprenant plusieurs milliers de compositions de
tout genre, classées méthodiquement, un nombre considé-
rable de notes biographiques, d'observations sur le style des
compositeurs, de directions que maîtres et élèves peuvent
méditer avec fruit; enfin les curieux essais de psychophysio-
logie musicale de M™« Marie Jaell. Ces divers ouvrages, ainsi
que les nombreuses monographies signées de noms juste-
— 6 —
ment réputés, tels que ceux de Barbedette, O. Wilde,
A. JuLUEN, A. PouGiN, F. CLÉMENT, H. Imbert, ctc, Consti-
tuent une mine abondante de précieux renseignements, mais
ni les uns ni les autres ne remplacent ce qui nous manque :
une histoire du piano et des pianistes présentée dans son
développement organique depuis les anciens clavecinistes
jusqu'à nos jours.
C'est dans l'espoir de combler cette lacune que nous avons
tenté de doter la littérature française du piano d'un livre
analogue à celui que C.-F. Weitzmann a écrit pour l'Alle-
magne. Non pas que l'ouvrage dont nous avons entrepris la
publication soit une traduction servile de celui de l'hono-
rable musicographe allemand. Le plan adopté par Weitz-
mann nous ayant paru judicieux, nous l'avons conservé, du
moins dans ses traits généraux et, surtout en ce qui con-
cerne le mouvement musical au delà du Rhin, nous avons
fait de fréquents emprunts à l'auteur de la Geschichie des
Clavierspiels und der Clavier litteTratur. D'autre part, nous
avons éliminé les noms de musiciens dont les œuvres sont
complètement tombées dans l'oubli pour accorder une plus
grande place à la caractéristique des maîtres qui dominent
leur époque par l'éclat de leurs talents et par la puissance
de leur génie.
En outre, écrivant pour un public français, nous avons
donné un peu plus d'ampleur que ne l'a fait Weitzmann aux
chapitres traitant de l'école française. Enfin, au lieu de relé-
guer à la fin du volume les citations destinées à justifier ou
préciser nos jugements, nous les avons intercalées dans le
texte, disposition qui nous semble à tous égards avantageuse.
Quant à nos appréciations sur la valeur artistique des
œuvres qui seront analysées au cours de cette esquisse his-
torique, elles sont le fruit de nos études persoimelles ; nous
en acceptons par conséquent d'avance toute la responsa-
bilité.
Une relation de dépendance existant entre le génie du
compositeur et les ressources qui lui sont offertes par les
— 7 —
instruments dont il dispose, nous avons placé en tête de
chacune des trois parties principales dont se compose
notre ouvrage un chapitre relatif à la construction et aux
perfectionnements des instruments à cordes et à clavier de-
puis l'humble épinette qui fit la joie de nos grand'mères
jusqu'aux magnifiques pianos à queue qui sortent des ateliers
de Pleyel ou Ërard, en France, de Blûthner ou Bechstein, en
Allemagne, de Steinway ou Chickering, en Amérique.
Bien que nous ne nous fassions aucune illusion sur les
lacunes et les défauts de notre travail, nous le livrons cepen-
dant à la publicité avec le ferme espoir que, tel qu'il est, il
rendra quelques services non seulement à ceux qui font de
la musique leur vocation, mais à tous ceux qui la cultivent
avec amour.
Lausanne, janvier 1904.
PREMIÈRE PARTIE
LES GRANDS CLAVECINISTES
CHAPITRE PREMIER
Les ancêtres du piano.
Le clavicorde. — Le clavicymbalum. — La symphonia et le clavicîlbe-
rium. — L'ëpinette. — Le clavecin. — Le pantalon.
Ils étaient de proportions bien modestes, les ancêtres du
piano ; on ne saurait s'en étonner ; à une époque où les lois
de l'acoustique étaient peu ou mal connues, où l'on ignorait
totalement la vraie nature du timbre des voix et des instru-
ments, où l'on n'avait aucun pressentiment des améliorations
que d'habiles facteurs devaient apporter plus tard au méca-
nisme du piano, la construction d'instruments à cordes et à
clavier devait, par la force des choses, être excessivement
élémentaire.
Dans nos recherches sur les origines du piano, nous ne
remonterons pas jusqu'à certains instruments employés par
les Grecs, les Romains, les Hébreux, pas même jusqu'au
monocorde dont on s'est longtemps servi pour des démons-
trations théoriques ; nous nous arrêterons au .clavicorde, qui
nous paratt être le type primitif et authentique des instru-
ments devenus, par des transformations successives, le piano-
forte que nous connaissons tous.
- 10 —
Ainsi que son nom l'indique, le dayicorde appartient à la
classe des instruments à cordes dans lesquels la corde est
mise en vibration, non parle frottement d'un archet (violon,
violoncelle), pas davantage par pincement au moyen des
doigts ou d'un crochet (guitare, mandoline), mais par le
choc d'une languette, d'une pointe, d'un marteau, dont le
mouvement est déterminé par la pression des doigts de l'exé-
cutant sur les touches d'un clavier.
Le mot de clavier vient du latin c lavis y clé. Les touches de
l'orgue servent à ouvrir les soupapes qui donnent accès à l'air
dans les tuyaux, elles fonctionnent à la façon d'une clé. De là le
nom de clavier donné à l'ensemble des touches de l'orgue et par
extension à l'ensemble de touches d'un instrument quelconque.
Inventé vers le commencement du quinzième siècle le cla-
vicorde consistait en une sorte de caisse en bois, ayant la
forme d'un carré long, au-dessus de laquelle des cordes
étaient tendues dans le sens longitudinal. Voici la descrip-
tion que Hullmandel fait de cet instrument : c La forme est
carrée ; il n'y a qu'une corde pour chaque son, et sa seule
mécanique est une languette de cuivre attachée à l'extrémité
de chaque touche, au-dessous de la corde qu'elle doit frapper.
L'avantage de cette languette est d'augmenter ou d'adoucir
le son en appuyant plus ou moins fort sur la touche, et son
inconvénient est de le hausser ou de le baisser en môme
temps ^ »
Au commencement, le clavicorde, qui ne mesurait qu'un
mètre de longueur, n'avait pas plus de vingt touches avec
lesquelles on ne pouvait jouer que dans le mode diatonique ;
dès le quinzième siècle, la série des sons produits était dis-
posée comme suit :
Fa Sol La Si b Si Do Ré Mi Fa Sol La
Si b Si Do Ré Mi Fa Sol La Si 6,
de telle sorte que pour chaque octave il n'y avait que trois
^ Cité par Méreaux, Le» davecinixtei, p. 5.
- 11 —
demi-tons. Les demi-tons chromatiques furent introduits
plus tard ^
Dans les anciens clavicordes, les cordes avaient toutes la
même longueur ; elles différaient par la grosseur et par le
degré de tension.
La même corde étant mise en vibration par plusieurs tou-
ches, dont Tune la faisait vibrer dans toute sa longueur,
tandis que les autres ne la faisaient vibrer que dans une
partie de sa longueur, sept cordes suffisaient pour produire
les vingt ou vingt*deux tons correspondant aux vingt ou
vingt-deux touches du clavicorde.
La première touche produisait le Sol en faisant vibrer la corde
dans toute sa longueur ; la seconde touche donnait le La en rac-
courcissant la corde d'un neuvième de sa longueur ; la troisième
touche donnait le Si en raccourcissant la corde du cinquième de
sa longueur ; la quatrième touche donnait le Do en raccourcissaot
la seconde corde du quart de sa longueur, etc. Par suite de cette
disposition, les tons de Sol, La, Si ne pouvaient retentir simulta-
nément; le premier accord était formé des tons de Sol et Do.
On reconnut bientôt la nécessité d'augmenter le nombre
des cordes de telle sorte qu'au moins toutes les conson-
nances adoptées par l'Eglise pussent être produites. Cepen-
dant même après que l'on eût construit des clavicordes dont
les touches faisaient entendre les sons par ordre chroma-
tique, et sur le clavier desquels les touches blanches et
noires alternaient comme dans nos pianos modernes, on con-
tinua à employer plusieurs touches pour une seule et même
corde.
Les languettes qui frappaient les cordes avaient pour
efiet de hausser ou baisser le ton suivant que l'on pesait
plus ou moins fortement sur la touche. Afin de remédier à
cet inconvénient, on imagina de faire pincer les cordes par
de petites pointes fixées à des languettes à ressort enchâssées
dans la partie supérieure de pièces en bois, plates et minces,
appelées sautereaux. On utilisait pour cela des plumes d'oie,
^ Cf. Paul, Oscar, Geschichte de$ Claviers, p. 52, 53.
— 12 —
de corbeau ou des arêtes de poisson. Quant aux sautereaux,
Hullmandel explique qu'il y en avait un à côté de chaque
corde et que chacun était pourvu d'un morceau de drap*
destiné à arrêter la vibration des cordes aussitôt que le doigt
de l'exécutant quittait la touche.
Un progrès sensible dans la construction des instruments^
à clavier fut réalisé quand on remplaça les cordes de même
longueur par des cordes de longueur inégale. Cette innova-
tion apparaît pour la première fois dans un instrument en
usage dès le seizième siècle et que, par suite de son analogie
avec le cymbalum (cymbale, en allemand : Hachbrett) on dé-
signa sous le nom de clavicymbalam. A ses débuts, le clavi-
cymbalum avait, comme le clavicorde, la forme d'un carré
long. A partir du dix-septième siècle, on lui donna la forme
d'une harpe et, comme cette forme ressemble à l'aile d'un
oiseau, on l'appela, en Allemagne Flûgel ou Kielflûgel.
Voici la description que PRiETORius donne de cet instru-
ment : a Le clavicymbalum ou grave cymbalum est un ins-
trument allongé nommé par quelques-uns Flûgel parce qu'il
a la forme d'une aile. D'autres le désignent à tort sous le
nom de Tête de porc (Schweinkopf) parce qu'à son extrémité
il est pointu comme une tête de porc sauvage. Grâce à ses
cordes doublées, triplées, quadruplées même, il a un son
clair et fort, presque plus agréable que celui des autres ins-
trument ^ T) Par sa configuration, sinon par ses dimensions,,
le clavicymbalum ressemblait un peu à notre piano à queue.
On appelait symphonia ou symphonei, soit un instrument
qui ne différait pas sensiblement du clavicymbalum, soit
aussi d'autres instruments au moyen desquels on pouvait
obtenir certains accords.
Le clavicitherium ne s'éloignait du clavicymbalum que
par la position verticale des cordes et de la table de réson-
nance formant angle droit avec le clavier.
L'Epinette ou Espinette, inventée par le vénitien SPINETTI»
était un instrument de forme carrée ou triangulaire, facile-
^ Paul, Oscar, Gesehichte des Claviers, p. 54.
" — 13 —
nient transportable. Pour en jouer, on le plaçait sur une
table ou sur tout autre meuble quelconque. En perfection-
nant cet instrument, qui n'avait que les octaves supérieures
•du'Glavicymbalum, on le monta sur quatre pieds, ainsi que
l'atteste Tépinette construite par F. de Portalupis, qui appar-
tint à François I^^* et qui est déposée au musée du Conserva-
toire de musique, à Paris.
Très appréciée à la cour d'Elisabeth, reine d'Angleterre, la
Tirginale ne différait de l'épinette que par sa configuration
•extérieure ; le mécanisme, les dimensions étaient à peu près
identiques. Le musée du Conservatoire de Paris possède une
virginale ornée de dessins attribués au Poussin.
L'épinette et la virginale jouirent d'une popularité extraor-
•dijDaire, mais ne purent soutenir la concurrence avec le Cla-
vicymbalum, appelé en Italie CembalOy ClavicemhalOy Gram-
^emhalo, en Angleterre Harpicorde et en France Clavecin ou
dlavessin.
La supériorité du clavecin s'affirma d'autant plus rapide-
ment que de nombreux perfectionnements furent introduits
dans la construction de cet instrument. Les anciennes cordes
furent remplacées par des cordes de cuivre, d'acier ou de
boyau; on agrandit la table de résonnance; on attribua à
42haque ton deux, trois, même quatre cordes accordées à
l'unisson ; on substitua aux plumes de corbeau et aux arêtes
■de poisson des pointes en métal, en baleine, en cuir. En
outre, on pourvut les clavecins de plusieurs claviers qui
pouvaient être employés réunis ou isolés. Enfin, on ajouta
vecins, moitié en cordes de cuivre pour les sons graves^
moitié en cordes de fer pour les sons aigus. Il fit, à l'imita*
tion de l'orgue, un second rang de touches, dont l'objet fut
de produire des nuances en faisant entendre trois cordes sur
un clavier et une seule sur l'autre. Il porta l'étendue du cla-
vier à quatre octaves, d'ut à ut, en ajoutant quatre sons
graves aux quarante-cinq dont il était composé avant lui. Ce
qui a surtout distingué cet habile facteur, c'est la qualité, la
plénitude et l'égalité du son qu'il a donnés à ses clavecins par
d'heureuses proportions, par un soin extrême dans le choix
du bois. dont il formait les tables de ses instruments, par
l'attention avec laquelle il rapportait les fils du bois de ces
tables pour que rien n'interceptât la vibration et par la gra-
dation qu'il observait dans leur épaisseur, proportionnée aux
différents nombres de vibrations entre les sons graves et
aigus * 1 1>
Le musée du Conservatoire de Paris possède deux clavecins,,
l'un (No 221) de Hans Rûckers « le vieux» et l'autre (N<> 222) de
Hans Rûckers «le jeune». F.-J. Fétis possédait de H. Rûckers
« le vieux » une épinette à deux claviers, dont le clavier supérieur
était accordé une octave plus haut que le clavier inférieur. Les
deux claviers pouvaient être joués séparés ou simultanément. Cet
instrument porte l'inscription suivante : Hans Rûckers me feeit
Antverpiae, 16 10.
Trois fils du fondateur de la maison : François, né en 1576.
Hans « le jeune, » né en 1578 et André, baptisé en 1579,
maintinrent l'éclat du nom paternel. Le troisième des fils,
< Méreaux, Les Clavecinistes, p. 6.
— 15 —
André, ajouta à son nom Tépithète de ce le vieux » pour se
distinguer de son fils, connu sous le nom d'André « le jeune ».
Les instruments construits par ce dernier remportèrent sur
tous leurs devanciers par la richesse du son et par la perfec-
tion du mécanisme, Les meilleurs peintres d'Anvers orné-
rent les clavecins d'André Rûckers junior de fines peintures
qui leur furent payées jusqu'à 3000 francs. Les clavecins
d'Anvers conservèrent leur réputation jusqu'à la fin du dix-
huitième siècle.
Parmi les facteurs de clavecin établis en France, il faut
citer le Belge PASCAL Taskih, qui se fixa à Paris où il épousa
une fille de François-Etienne Blânchet, < maître facteur de
clavecins. » Taskin succéda à son beau-père dans la direc-
tion de la maison que celui-ci avait fondée en 1-750 ; c'est lui
qui inventa en 1768 des instruments appelés clavecins à
buffleSy parce que les becs de plumes y étaient partiellement
remplacés par des fragments de peau de buffle. Caractérisant
l'effet produit par cette innovation, un journal français de
l'époque disait: a On ne pince plus, mais on caresse la
corde, » et il ajoutait que par la pression de la main sur la
touche, l'exécutant pouvait renforcer à volonté des sons na-
turellement pleins de douceur ; le prix de ces instruments
variait de 1500 à 3000 livres.
Des clavecins pourvus de lamelles de cuir furent construits
à Berlin par J.-Ch. Œsterlein ; ils eurent beaucoup de vogue,
ainsi que le Cemhalo angelico, inventé en 1778, à' Rome, par
un facteur italien qui garnissait les lamelles de cuir avec
des bandes de velours afin de rendre le son aussi moelleux
que possible.
Les clavecins avec lamelles de peau de buffle furent très
répandus au milieu du dix-huitième siècle. La maison Pleyel
a employé ce système dans son essai de reconstitution d'un
clavecin à deux claviers et six pédales.
En 1775, J.-G. Wagner, à Dresde, exhiba un Clavecin royal
pourvu de quatre pédales qui rendaient les sons forts ou
faibles et permettaient d'imiter la harpe, le luth, etc.
— 16 —
Dans un clavecin construit par Ch.-S. Wagner^ fils et col*
laborateur du précédent, le son du basson était obtenu au
moyen d'une feuille de papier glissant sous les cordes infé-
rieures.
Dans les premières années du dix-huitième siècle, le fac-
teur français Marius construisit un clavecin hriséy instrument
qui pouvait se décomposer en trois parties, puis, en 1716 un
clavecin à maillets qui peut avoir suggéré à d'autres facteurs
ridée de remplacer les becs de plumes par des marteaux. Le
<^lavecin de Marius serait ainsi le précurseur immédiat du
piano.
Pendant le dix-huitième siècle, l'effort des constructeurs
de clavecins tendit surtout à multiplier les combinaisons de
pédales et registres, afin d'obtenir des imitations plus ou
moins heureuses d'instruments de tout genre. Nulles au
point de vue artistique, ces inventions ne sont pas sans
intérêt au point de vue historique. Voici les principales
d'après le livre de Weitzmann sur l'histoire du piano et des
pianistes.
En 1708, Jean-Christophe Fleisgher, à Hambourg, inventa le
Theorben-Flagel et le claoecin-lutk^ un instrument dont le
prix oscillait entre 60 et 1600 thalers.
En 1761, François-Jacob Spath, à Ratisbonne, offrit à l'élec-
teur de Bonn un clavecin sans becs de plumes capable de trente
changements; en 1770, il en contruisit un à cinquante chan-
gements obtenus par des pédales produisant des sons doux ou
forts, des sons de flûte, de harpe, etc.
En 1771, le Parisien Virbès dota le monde musical d'un c/a-
vecin acoustiquCy puis d'un clavecin céleste. Ces deux instru-
ments avaient la prétention de produire autant d'effet qu'un
orchestre complet. Ils furent cependant dépassés par le clavecin à
cinq pédales de JOrgensen (1788,) parles clavecins doubles (dits
vis-à-vis) de Andréas Stein, par le Flitgel mécanique à trois
claviers et 260 (?) changements de J.-P. Milchmayer (1781),
enfin par un clavecin du mécanicien Mergia, à Londres (1783),
dont on disait qu'il ébranlait le tympan par ses sons de trompette
et de tjmbale.
Cependant toutes ces merveilles étaient peu de chose com^parées
— 17 —
au chef-d'œuvre artistique entrepris par un fondeur de cloches de
Prague et achevé par un autre habitant de la même ville, V. de
Blaha, docteur es philosophie et es sciences pharmaceutiques,
professeur à Tuniversité. L'instrument dont Blaha termina la
•construction en 1796 renfermait, cachée derrière un rideau, une
^ musique turque '» composée de tambours et de triangles. Quand
Blaha exhiba ce singulier produit de son génie, il fit aussi en-
tendre des tambours et des fifres seuls ; en même temps l'artiste
chantait et, par un petit tuyau introduit dans sa bouche, il faisait
entendre des sons imitant le haut^bois. Au-dessus du clavecin un
clavier spécial correspondait à deux séries de tuyaux d'orgue.
Blaha savait aussi imiter le chalumeau, les castagnettes et sur-
tout le vent, la grêle, le tonnerre ; il se plaisait à représenter une
tempête épouvantable à laquelle succédait un calme qui, selon le
témoignage du compositeur lui-même, agissait d'une manière
véritablement rafraîchissante sur les auditeurs.
Des essais plus sérieux furent tentés dans le but de pro-
longer les sons du clavecin en mettant les cordes en vibra-
tion non par choc, mais par frottement. La vielle^ très
répandue en Allemagne, en France, en Angleterre, servit de
modèle. En 1600, l'organiste Jean Heiden, à Nuremberg,
inventa un instrument dans lequel l'action des touches avait
pour effet de presser les coraea correspondantes contre des
roues garnies de colophane. Ces roues étaient actionnées par
-des pédales ; frottant les cordes à la façon d'un archet, elles
produiss^ient des sons prolongés.
Le clavecin de Heiden fut perfectionné par divers facteurs
^RiscH, à Ilmenau, Hohlfeld, à Berlin, Greiner, à Wetzlar,
etc.) qui lui conservèrent sa disposition générale. En 4801,
J--Ch. HûBNER, à Moscou, construisit un clavecin harmo-
nique qui reproduisait assez exactement les sons d'un quatuor
d'instruments à cordes. En France, le constructeur Pouleau
>donna le nom d*orchesirine à un instrument du même genre
sur lequel il se fit entendre avec succès à Paris et à Bruxelles.
I^ CelestinOy de Walker, le Sostenuto-PianOy de Mott (Lon-
dres) et le Xànorphica ou Orphica, de Rôlug (Vienne) ap-
partiennent à la même classe d'instruments dont aucun n'a
fourni ane longue carrière.
HIST. DU PIANO â
— 18 —
Parmi les instruments qui contribuèrent à préparer Tavè-
nement du clavier à marteaux, il reste à mentionner un
cymhalum perfectionné dont les origines sont assez cu-
rieuses.
Vers 1660 naissait à Eisleben PANTALON HEBENSTREIT ; od
ne sait rien de son enfance; les renseignements sur cet
étrange personnage ne commencent à se préciser qu*à
répoque où, criblé de dettes, il est obligé de s'enfuir de
Leipzig pour échapper à ses créanciers. Réfugié au pays de
Mersebourg, Hebenstreit trouva un asile hospitalier auprès
d'un pasteur de campagne qui lui confia l'éducation musi-
cale de ses enfants. Passant volontiers ses soirées dans le ca-
baret du village, il eut fréquemment l'occasion d'y entendre
jouer du cymhalum, instrument très primitif, sur les cordes
duquel l'exécutant frappait avec un marteau ou maillet en
bois qu'il tenait entre ses mains. Hebenstreit acheta un de
ces cymbalum déjà perfectionné, il le perfectionna à son
tour et parvint à en jouer avec une habileté tellement extra-
ordinaire qu'il ne tarda pas à devenir un des musiciens les
plus célèbres de son temps.
Le cymbalum construit par Hebenstreit était quatre fois
plus grand que ceux dont on se servait habituellement; il
avait la forme d'un carré long et possédait deux tables de
résonnances juxtaposées et correspondant à des cordes dont
les unes, en acier ou en laiton, produisaient les sons forts, et
dont les autres, en boyau, produisaient les sons doux. Au
moyen de ses deux marteaux qu'il maniait avec une dextérité
étonnante, Hebenstreit frappait tantôt d'un côté, tantôt de
l'autre. Le chiffre total des cordes était de 185.
Dans le but de faire connaître son cymbalum, Hebenstreit
se rendit en 1705 à Paris ; il joua à la cour où son jeu fut
très apprécié; Louis XIV le combla de ses faveurs et l'auto-
risa à donner son prénom à l'instrument qu'il avait inventé,
d'où le nom de PANTALON ou Pa^TALEON sous lequel il est
connu. Hebenstreit n'eut pas moins de succès quand il se
produisit dans les salons de Ninon de Lenclos; l'abbé Chà^
— 19 —
teauneuf, qui l'entendit, loua l'esprit lumineux et les apti*
tudes exceptionnelles de Tartiste. En 1706, Hebenstreit se fixa
à Eisenach où il remplit simultanément les fonctions de
maître de chapelle, de soliste sur le Pantalon et de professeur
de danse à la cour. A Vienne, où il se fit entendre devant la
famille impériale, il reçut de splendides cadeaux, entre autres
une chaîne d'or à laquelle le portrait de l'empereur était sus-
pendu. A Dresde, le triomphe fut plus éclatant encore; He-
benstreit joua à la cour en présence de nombreux virtuoses
italiens et allemands ; aussitôt qu'il eût commencé à jouer^
raconte Forkel a toute la cour s'enthousiasma pour cette mu-
sique si neuve et si merveilleuse ; même les Welsches envieux
durent convenir qu'ils n'avaient jamais entendu sur aucun
autre instrument quelque chose d'aussi grande ni d'aussi
admirable, t^ Le roi Auguste engagea immédiatement Hebens-
treit à son service et paya toutes ses dettes ; en outre, il lui
fit de superbes étrennes en espèces sonnantes et lui assura
un traitement fixe de 2000 thalers par an.
Hebenstreit mourut probablement à Dresde, à une date
inconnue ; l'instrument qu'il avait inventé disparut avec lui.
La plus grande gloire de l'inventeur est d'avoir préparé l'avè-
nement du piano en employant des marteaux dans la cons-
truction des instruments à cordes et à clavier.
Si, faisant abstraction des procédés au moyen desquels on
cherchait à obtenir des efifets curieux plutôt que réellement
artistiques, on se demande quelles étaient les qualités posi-
tives des clavecins sortis des meilleurs ateliers de l'époque^
on se convaincra facilement qu'elles devaient résider essen-
tiellement dans la netteté du son. Quand la corde était mise
en vibration non par un marteau gamii de feutre, mais par
un bec de plume, par une arête de poisson ou par une lan-
guette de métal, le son devait manquer de mœlleux, mais il
devait, par contre, se détacher avec une remarquable préci-
sion. Le clavecin, en raison de son mécanisme, avait ses dé-
fauts : « Sécheresse du son, impossibilité de le prolonger ou
de l'enfler, manque de vibration, y> fait observer Méreaux ;
— 20 —
cet instrument ne se prêtait donc pas au jeu large, tour h
tour tendre ou passionné que l'on aime à rencontrer chez
les pianistes au di.x.-neuvième siècle, mais bien au jeu net,
brillant, spirituel, pittoresque, que les grands clavecinistes
portèrent à son plus haut point de perfection. C'est pour
cela que dans l'étude du piano les œuvres écrites pour cla-
vecin serviront utilement à former l'élève à cette délicatesse
de toucher, à cette grâce légère, à cette verve étincelante qui
ne sont pas l'art tout entier, mais qui sont cependant des
conditions importantes d'iine bonne exécution.
CHAPITRE II
Les clavecinistes en Italie.
Ecole vénitieDoe. — Ecole florentine. — Ecole romaine. — Ecole napo-
litaine.
Dès le quatorzième siècle, Venise posséda des organistes
distingués qui, suivant toute probabilité, furent en même
temps d'habiles clavecinistes. Ce n'est toutefois que depuis
le seizième siècle que l'histoire du clavecin cesse de se con-
fondre avec celle de l'orgue et devient une branche spéciale
de l'histoire de la musique. Deux circonstances expliquent
la place qu'à cette époque le clavecin prend dans le mouve-
ment musical en Italie.
C'est d'abord la popularité croissante dont cet instrument
est l'objet; chacun veut apprendre à en jouer et l'on con-
sacre beaucoup de temps à son étude. L'art de jouer du cla-
vecin, comme dé nos jours l'art déjouer du piano, était con-
sidéré par les jeunes allés comme un élément nécessaire de
leur éducation. On a un curieux indice de cet état des esprits
dans la lettre que le célèbre poète et érudit (plus tard, car-
dinal) Bembo adressa à sa fille Hélène lorsque celle-ci solli-
cita de son père l'autorisation de prendre des leçons de cla-
vecin. « En ce qui concerne ta demande, écrit Bembo, je te
réponds (ce que tu ne peux savoir à cause de ton jeune âge)
que le jeu de cet instrument ne convient qu'à des femmes
frivoles et dissipées (dona vana e leggiera) ; moi, je souhaite
que tu sois la jeune fille la plus aimable et la plus pure de
la terre (la più gentile e la più casta e pudica dona che viva.)
En outre, si tu jouais mal, cela te procurerait peu de satis-
faction et peu de gloire. Or, pour apprendre à bien jouer (du
09
*^^ ^kj^ ^^^"
monocorde ou clavecin), tu devrais consacrer à cette étude
dix à douze ans, sans pouvoir penser à autre chose. Consi-
dère maintenant toi-même si cela peut te convenir. Si tes
amies désirent que tu joues de cet instrument pour leur pro-
curer du plaisir, dis-leur que tu ne veux pas te rendre ridi-
cule à leurs yeux et contente-toi des sciences et des travaux
manuels, i»
Une seconde cause de Timpulsion donnée à l'étude du cla-
vecin à cette époque réside dans la constitution de TEcole
vénitienne sous la direction du musicien belge A. Willaert.
Né en 1490 à Bruges, ADRIEN WILLAERT (Villaert, Vui-
gliaert, Vuillaert, Vuyllaert) s'établit en 1516 à Rome, puis
dès 1527, à Venise, où il remplit les fonctions de maître de
chapelle de l'église de Saint-Marc et où il mourut en 1563.
Les œuvres de Willaert appartiennent surtout à la musique
d'Eglise, mais son influence s'est étendue à toutes les bran-
ches de l'art musical. En ce qui concerne spécialement le
clavecin, on lui doit la création d'un style instrumental plus
vivant et plus artistique que celui de ses prédécesseurs ainsi
que la composition de Ricercari^ pièces écrites pour le chant
ou pour l'orgue, mais qui pouvaient être exécutées sur d'au-
tres instruments.
Parmi les organistes qui illustrèrent l'Ecole vénitienne, un
des plus célèbres fut CLAUDE Merulo ou Merula, né en 1533
àCorragio. Organiste à Brescia, à Venise (dès 1557), à Parme,
Merulo a écrit un grand nombre de morceaux pour orgue,
sonates, madrigaux; ses compositions de musique vocale,
messes, motets, se distinguent par leur harmonie et leur
douceur. Merulo mourut le 4 mai 1604 ; on peut se faire une
idée du genre de ce compositeur par les premières mesures
d'une Toccata publiée par Weitzmann :
— 23 —
m
^^^^
i
^
J. ^
îJÛS
Deux compositeurs de mérite: ANDREA Gabrielli, né en
i520 à Venise, et GIOVANNI GABRIELLI, neveu du précédent,
né également à Venise en 4540, contribuèrent avec Merulo à
donner une salutaire impulsion au mouvement musical. Les
<:anzoniy sonate, intonazioni, reçurent des maîtres vénitiens
un cachet éminemment artistique.
La canzone pour instruments, accompagnée de la désignation
« per sonar », afin de la distinguer de la canzone destinée à être
<;hantée, se composait d'une phrase mélodique principale reprise
en diffcrents rythmes. Quant à la sonaiey Praetorius dit qu'elle
porte ce nom parce qu'elle est exécutée non par des voix hu-
maines, mais seulement par des instruments, et il ajoute : « De
très belles compositions de ce genre se trouvent chez G. Gabrielli
et autres auteurs de canzones et de symphonies ; mais il y a cette
différence que les sonates sont écrites avec gravité et magnifi-
67 et
mort dans la même ville le 5 juin 1740. Auteur de composi-
tions dramatiques ou religieuses, de madrigaux, Lotti n'a pas
laissé d'œuvre importante pour le clavecin, mais un de ses
élèves, Baldassare Galuppi, dit le Buranello, a écrit pour
cet instrument des morceaux que l'on joue encore avec
plaisir. Né en 1703, maître de chapelle successivement à
Venise, Londres, Pétersbourg, puis de nouveau à Venise où
il mourut en 1785, Galuppi appartient à la période de tran-
sition entre le clavecin et le pianoforte, mais son style le rat-
tache à l'école des grands clavecinistes. Le célèbre pianiste
et éditeur de musique ancienne, E. Pauer, a publié dans sa
belle collection : Alte Claviermusik in chronologischer Folge,
une intéressante sonate de Galuppi. La disposition générale
de celle-ci est conforme au cadre classique de la sonate à
cette différence près que les trois morceaux dont elle se com-
pose sont écrits dans la même tonalité. Le premier morceau
commence par quinze mesure adagio auxquelles succède un
allegro à ^ qui ne manque ni de verve ni d'élégance :
— 20 —
Le second morceau : Spirituoso e staccato ii*est point banal ;
le début :
a de la décision et la cadence finale a de Tampieur et de la
majesté. L'œuvre entière se termine par une gigue qui doit
être prestement enlevée et qui peut être étudiée avec fruit
au point de vue de Tagilité des doigts et de la finesse du
toucher.
Outre Touvrag'e cité plus haut: Alte Claviermasik (douze
cahiers), chez Senff, à Leipzig*, Pauer a publié sous le titre de :
Alte Meister, vingt compositions de clavecinistes des dix-^sep-
tième et dix-huitième siècles, chez Breitkopf et Hârtel, à Leipzig,
et enfin, chez le même éditeur, une collection de vingt-cinq ga-
vottes. La plupart de nos exemples de musique pour clavecin
sont empruntés à l'un ou l'autre de ces trois recueils.
Tandis que l'Ecole vénitienne cultivait surtout la musique
instrumentale l'Ecole florentine dirigeait ses efforts plutôt
sur la création et le développement du drame musical. Il
résulte de ce fait que les noms d'ailleurs illustres de LUDO-
- 27 —
TIGO VIÀDANA, CAGGINI, PERI, GaLILEI sont relégués au
second plan dans une histoire spéciale du clavecin. Par
•contre l'on doit compter au nombre des clavecinistes floren-
tins le célèbre LuUi bien que, par suite du long séjour que
<^ musicien fit en France TEcole française le revendique
parfois comme lui appartenant.
Né à Florence en 1633, GIOVANNI BaTTISTB LuLLI fit ses
premières études auprès d'un moine qui lui apprit à lire, à
écrire et à jouer de la guitare. Conduit en France à l'âge de
treize ans, il entra comme simple marmiton au service de
M"* de Montpensier, nièce de Louis XIV. Le jeune garçon
profitant de ses moments de loisir pour jouer du violon, on s'in-
téressa à lui et on le confia aux soins d'un maître de musique
qui le mit promptement à même de faire partie des « vingt-
quatre violons du roi. i D'après Marcillac (Histoire de la
must^tce, p. 242) Lulli aurait appartenu à une autre « bande »
de musiciens. Ce qui, dans tous les cas, est certain, c'est que
les symphonies, trios, qu'il écrivit pour la « chapelle » qu'il
dirigeait, eurent un succès si éclatant que le roi le nomma
intendant général de sa musique. En 1658 Lulli composa la
musique d'un ballet dans lequel Louis XIV lui-même jouait
un rôle. Dès 1664, lié avec Molière, Lulli écrivit la musique
de La princesse d'Elide, de L'amour médecin, du Bourgeois
gentilhommcy etc., mais c'est surtout grâce à la collaboration
de Quinault qu'il remporta ses plus beaux triomphes sur la
scène de l'opéra. Après avoir donné à la France son chef-
d'œuvre Armide, Lulli mourut en 1687 des suites d'une bles-
sure qu'il s'était faite au pied en maniant avec trop de viva-
cité son bâton de directeur.
Lulli a écrit quelques œuvres pour l'Eglise ; quant à ses
compositions pour clavecin, on peut juger de leur valeur par
une Suite en mi mineur. Cette suite, qui se trouve dans le
premier cahier de Pauer, Alte Claviermu^ik, comprend une
« allemande -» en mi mineur, une «c sarabande j> en do ma-
jeur et une c gigue » en mi mineur, qui exécutée dans le
mouvement voulu, doit être fort entraînante.
Le second morceau : »^'
le début :
/ *
'j^ies dont il vient d'être ques-
jfi'^^sB^ '^ progrès du clavecin en
,,^rjj|/^ ^'^flipositions d'une haute valeur
''^ ^0(^^ 0ÇS que parfaitement adaptées aux
^^K^^^ ^ site^^ ^^^^ ^®s œuvres portent ce double
^'^Ç/â^ ^'^/itionner en premier lieu le célèbre orga-
^^et ^^^\^ en i^^ <>» 1588 selon les uns, en 1591 selon
^f/é^^^'^QjjiOlAUO Fresgobaldi reçut dans son enfance les
ies ^'''^'deiix maîtres distingués : Luzzasco Luzzaschi et
y^"^ .^ Hfii^LEViLLE, tous deux, comme lui, natifs de Fer-
"^'^ Après un séjour de quelques années dans les Pays-Bas,
'*'^' ^jdi se rendit d'Anvers à Milan et, en 1614, précédé
, 0 jm'nôwse réputation, il se fixa à Rome. On prétend que
' -sqa'il se produisit pour la première fois comme organiste,
rjviron 30000 auditeurs envahirent le dôme de Saint-Pierre.
L'année suivante, il fut nommé organiste de la même église ;
,1 conserva ses fonctions jusque vers 1654, époque présumée
(le sa mort.
Homme de génie, contrepointiste savant, virtuose incom-
parable, compositeur distingué, Frescobaldi a beaucoup
écrit, de la musique d'Eglise, de la musique de chambre et^
en particulier, pour l'orgue ou le clavecin, des fugues, ca-
prices, canzones, courantes, passacailles, chacones, etc., et
ces œuvres, d'allures si diverses, il les a toutes marquées du
sceau de sa personnalité. Les unes et les autres se distin-
guent, ainsi que le fait observer A. Méreaux, « par la science
et l'invention, par le sentiment mélodique, l'élégance de
l'harmonie et l'ordonnance des idées. » Ce qui est surtout
caractéristique, c'est l'effort visible chez Frescobaldi pour
échapper à la tyrannie des tons ecclésiastiques et pour se
rapprocher de nos tonalités modernes. On doit en outre à
Frescobaldi un essai de notation spécialement destinée à la
— 29 —
musique pour instruments à clavier ; les notes de la main
droite sont écrites sur six lignes, celles de la main gauche
sur huit lignes.
Parmi les compositions de Frescobaldi pour clavecin, on peut
citer: « Il primo libro di Fantasie à 2, 3 e 4 vocî, in Milano,
1608; 5^ — 4i Ricercare, Canzoni francesi, fatti sopra diversi
obblig'hi, in partitura, Roma, 161 5;)^ — «Il seconde libro di
Toccate, Correnti ed altre partite d'intavolatura di cembalo e
organo, in Roma, 1616; >► — ^ Capricci sopra diverti sogetti,
in Roma, 1624;» — «H primo libro di Capricci , Canzoni
francesi e Ricercariy fatti sopra diversi sogetti ed arie, in parti-
tura, in Venezia, 1626 ; )> — « Il primo libro délie Canzoni a i,
2, 3, 4 voci, per sonare o per cantare con ogni sorte di stromenti,
in Roma, 1628; » — « Fiori musical! di Toccate^ Kyrie, Can-
zoni, Capricci e Ricercari in partitura per sonatori con basso
per orjsrano, in Roma, i635 ; >► — « Toccate d*intavolatura di
cembalo ed organo, Fartite di diverse Arie, Correnti, Balletti,
Ciacone, Passagli, etc., in Roma, 1637. »
Le premier cahier de Pauer, Alte Claviermusik^ renferme
une Corrente en La mineur et une Canzone en Fa majeur de
Frescobaldi. Le second de ces morceaux est intéressant parce
que Ton y surprend le style fugué dans sa forme élémen-
taire. Le thème fort simple :
Moderato.
^nrôflfTrffSEg^gg^t^^
ne reparaît pas seulement à la quinte, ce qui est le cas habi-
tuel dans la fugue, mais il se prête à diverses combinaisons
rythmiques et harmoniques qui attestent l'art et la science
du compositeur.
Dans ses conseils sur la manière de jouer les œuvres de
Frescobaldi, A. Méreaux remarque entre autres que le mou-
vement doit être modéré, que dans le cours d*un morceau
on doit éviter les altérations de mesure, que le jeu lié con-
vient essentiellement à ce genre de compositions, que la
musique du maître italien doit être rendue avec expression,
- 30 -
mais avec une expression naturelle, noble, magistrale et
surtout dégagée de toutes nuances maniérées. i>
Un disciple de Frescobaldi, né en 1637 à Ferrare, Bernardo
Pasquini, remplit les fonctions d'organiste à l'église Santa-
Maria à Rome et s'acquit une si grande réputation par sa
virtuosité que l'empereur Léopold lui confia ré.ducation de
nombreux élèves et lui fit cadeau de son portrait suspendu
à une chaîne d'or. Pasquini, qui mourut à Rome en 1710, eut
pour élève FRâNGESGO GâSPERINI, auteur d'un traité de
Basse générale, qui, de 1683 à 1802, n'eut pas moins de sept
éditions. Comme celui de Frescobaldi le style de Gasperini
trahit l'intention de substituer à l'ancien style sévère un
style nouveau, plus libre et bien adapté aux ressources du
clavecin. Les Toccates de Gasperini ne sont plus traitées
selon les règles strictes du contrepoint; le compositeur
s'abandonne volontiers à Tessor spontané de son imagination.
Si parfaites qu'elles fussent au point de vue de la forme
les compositions pour clavecin se rattachant à l'Ecole ro-
maine présentaient une grave lacune; écrites surtout pour
l'agrément de l'oreille, elles ne parvenaient pas à exprimer
les sentiments intimes de l'âme humaine ; il leur manquait
le souffle qui seul communique la vie à l'œuvre d'art. Dans
le cadre éblouissant sculpté par les Frescobaldi et les Gaspe-
rini, il restait à introduire un contenu spirituel; c'est à
l'Ecole napolitaine que revint l'honneur de s'acquitter de ce
glorieux mandat.
Unissant à la phrase correcte de l'Ecole romaine le sens^
artistique délicat de l'Ecole vénitienne rEcole napolitaine
s'éleva au premier rang parmi les écoles musicales en Italie.
Ses grands clavecinistes : Dominico Scarlatti, Durante, Para-
disi dépassèrent tous leurs devanciers ou contemporains par
l'éclat de leur talent et par la valeur de leurs compositions.
Le père de Dominico Scarlatti, ALESSANDRO SCARLATTI, né
à Trapani en 1669, mortà Naples le 24 octobre 1759 est connu
\
~ 31 -
surtout par ses opéras et ses oratorios ; la littérature du cla-
vecin ne lui doit qu'un petit nombre de pièces dans lesquelles
l'observation des règles du contrepoint s'allie aisément aux
élans d'une vive imagination. Ce fut surtout son fils DOMINIGO
SGARLâTTI, né à Naples en 1683, qui porta fort loin l'art de
jouer du clavecin et qui composa pour cet instrument une
foule de morceaux dont quelques-uns sont encore joués avec
succès sur le pianoforte. Elève de son père et de Gasperini^
D. Scarlatti eut la faveur d'accompagner Hândel à Rome et
d'étudier les œuvres du maître allemand sous sa propre direc-
tion. Après avoir rempli les fonctions de directeur de mu-
sique au Vatican^ Scarlatti habita successivement Naples,
Rome, Madrid où il mourut en 1757 laissant à la postérité le
souvenir d'avoir été le virtuose le plus étonnant et le com-
positeur le plus fécond de son époque. L'abbé Santini, à
Rome, possédait 349 pièces de D. Scarlatti pour orgue ou cla-
vecin, œuvres qui, par leurs qualités brillantes, assurent au
compositeur napolitain une place éminente dans l'histoire
de la musique.
L'éditeur Riedl, à Vienne, a publié une édition complète des œu-
vres de Scarlatti. Une autre édition, publiée sous la direction de
Czerny, comprenant 120 morceaux en i5 livraisons, a paru chez
Haslingper, à Vienne. Pauer a inséré dans son Alie Claviermusik
trois Etudes de D. Scarlatti et une Fugue d'Alessandro Scarlatti.
On trouvera aussi dans la collection de musique ancienne pour
clavecin éditée par Ferdinand Roïtzsch un Allegro (sol mineur),
une Sonate (la majeur), et la fameuse Kafzenfuge (sol mineur)
de D. Scarlatti. Enfin Hans de Bûlow a publié dix-huit morceaux
choisis de D. Scarlatti, publication dont on ne saurait trop re-
commander l'étude aux amateurs de musique ancienne et qui
servira de base à nos appréciations sur le style du compositeur
napolitain. En France, A. Méreaux a publié une vingtaine de
morceaux de Scarlatti. (Nos g2 à loi de la collection des classi-
ques de Marmontel.) Les commentaires dont il accompagne
chaque numéro dans son ouvrage sur les clavecinistes sont inté-
ressants. L'anthologie de Bulow renferme sous la forme de suites
2. sonates, 2 gigues, 2 courantes, 2 capriccios, i prélude, i fuguo
(attribuée par Pauer à A. Scarlatti), i loccate, i sarabande^
— 32 —
I burlesca, i mînuetto, i siciliano, i scherzo, i bourrée, i g'a-
votte.
Les Sonates de Scarlatti n'ont qu'un seul morceau, mais
coupé par quelques mesures d'un rythme différent. La sonate
en Fa mineur a un seul morceau en deux parties rappelant
la structure du premier morceau de la sonate moderne; la
première partie débute dans la tonalité de l'œuvre entière/
Fa mineur, la seconde en La b majeur et ces deux parties à
^, allegro con brio, sont séparées par cinq mesures à ^
quasi andante. C'est le germe de la sonate classique com-
posée d'un morceau lent entre deux morceaux rapides, seu-
lement ce germe se présente sous la forme réduite d'une
concentration de trois morceaux en un seul. A propos du
et il ajoute : « La
basse est toujours chantante, et d'une harmonie aussi riche
que correcte; les parties réelles concertent avec une élé-
gance parfaite. Ces pièces sont, de nos jours encore,. excel-
lentes à jouer, très intéressantes à travailler et délicieuses à
entendre*. »
Les oeuvres complètes de F. Couperin comprennent: quatre
livres de pièces pour clavecin, le troisième renfermant en outre
<}uatre concerts à l'usage de toutes sortes d'instruments; — les
Goûts réunis ou Nouveaux concerts y augmentés de l'apothéose de
Corellîy en trio; — Apothéose de T incomparable Lully; —
Trios pour deux dessus de violon et basse d'archet avec basse chif-
frée ; — Leçons de ténèbres à une et deux voix ; — Motets, dont
douze pour grand chœur; — enfin un ouvrage théorique sur
L'art de Jouer du clavecin, dont on a dit qu'il ouvrait des voies,
nouvelles.
Un contemporain de Couperin, dont ni Pauer, ni Méreaux
n'ont rien conservé, a cependant droit à une mention. C'est
Louis Marchand, né en 1669 à Lyon. Organiste de la cathé-
drale de Nevers dès l'âge de quatorze ans. Marchand, après
un séjour de dix ans dans cette ville, se rendit à Auxerre,
puis à Paris où il remplit les fonctions d'organiste dans plu-
sieurs églises. Louis XIV qui admirait son talent le nomma
organiste de cour à Versailles et chevalier de l'ordre Saint-
Michel. La gloire de Marchand grandissait de jour en jour,,
^ Méreaux, Le$ clavecinistes, p. 33.
— 45 —
niais ce qui grandissait aussi c'était, avec la gloire, Tarro-
gance du musicien ; on en a .une preuve assez piquante. Très
dépensier, Marchand laissait souvent sa femme dans le dénû-
ment le plus complet. Informé de la chose, Louis XIV ordonna
de retenir la moitié du traitement de Marchand et d'en faire
bénéficier sa malheureuse épouse. Marchand accepta la sen-
tence sans murmurer, mais un jour quUl jouait pour la
messe à Versailles, en présence de la cour, il quitta brusque-
ment son instrument au milieu d'un l'émo-
tion fut grande, car l'on pensa que l'artiste était tombé gra-
vement malade ; la surprise ne le fut pas moins quand, après
l'office divin, le roi, se promenant aux abords du château,
rencontra son musicien favori, frais et dispos. Louis XIV
«'étant informé des causes de l'interruption insolite qui ve-
nait de se produire, Marchand répondit d'un air effronté:
< Sire, puisque ma femme tire la moitié de mon traitement,
eWe peut aussi jouer la moitié de la messe. y> Cette réponse
impertinente eut pour conséquence l'exil de Marchand qui
se rendit à Dresde où il remporta des succès extraordinaires.
Le roi de Pologne lui fit cadeau de quelques mille thalers.
C'est à cette époque (1717) que l'organiste français eut l'occa-
sion de se mesurer avec le plus grand musicien de l'Alle-
magne, Jean-Sébastien Bach. Rentré en grâce auprès de
son souverain, Marchand s'empressa de revenir à Paris où il
reconquit bientôt la position qu'il avait momentanément
perdue. Malgré la vogue dont il jouit. Marchand, qui don-
nait neuf à dix leçons par jour, au prix fabuleux de un louis
d'or par heure, ne parvint jamais à nouer les deux bouts ; il
mourut en 1732 dans la plus extrême misère.
En 1705, Marchand avait publié chez Ballard, à Paris, un
livre de pièces pour clavecin, auquel succédèrent en 1718
deux collections semblables dédiées au roi. Si l'on en juge
par la gavotte en Ré mineur que Weitzman a introduite dans
son histoire du piano, les compositions de Marchand, sans
•égaler celles de Couperin, devaient cependant avoir de la
grâce, de la finesse et de la verve.
- 46 —
Il nous reste à parler d'un musicien qui, par ses ouvrages
théoriques aiûsi que par ses compositions magistrales, appar-
tient à l'histoire générale de la musique, mais dont les œu-
vres pour clavecin ont une valeur telle que Ton ne saurait en
faire abstraction dans une histoire spéciale de cet instru-
ment. Il s'agit de Jean-Philippe RAMEAU» le plus illustre
représentant de l'Ecole française au dix-huitième siècle.
Né le 25 septembre 4683, à Dijon, J.-Ph. Rameau manifesta
dès sa plus tendre enfance un penchant irrésistible pour la
musique, disposition qui se développa d'autant plus rapide-
ment que les parents du jeune musicien en favorisèrent réclu-
sion. On aurait désiré, il est vrai, qu'il entrât dans la magis-
trature et qu'il ne cultivât l'art musical qu'en dilettante. Se
conformant au vœu paternel, Rameau entra au collège des
jésuites de Dijon, mais au bout de peu de temps, les révérends
pères rendirent à sa famille cet écolier qui n ne pensait qu'à
la musique et ne se souciait pas le moins du monde du grec
et du latin. x>
Sous l'unique direction de son père, Rameau étudia simul-
tanément le clavecin, l'orgue et le violon. A l'âge de dix-sept
ans, il partit pour l'Italie où il fit la connaissance d'un chef
d'orchestre nomade qui l'engagea en qualité de premier
violon et en compagnie duquel il visita Marseille, Nîmes,
Montpellier. Après quelques années de voyages, le jeune
virtuose revint dans sa ville natale d'où, en 4747, à l'âge de
trente-quatre ans, ce inconnu, mais fort de son travail per-
sonnel, » il se rendit à Paris.
A Paris, Rameau fit la connaissance de Marchand qui, au
début, l'accueillit avec bienveillance et môme lui donna
quelques leçons. Malheureusement ces bonnes dispositions
ne furent pas de longue durée; ayant pris connaissance de
quelques compositions de Rameau, Marchand en conçut une
jalousie extrême et l'ami de la veille devint l'ennemi du len-
demain. Un concours ayant été ouvert pour la repourvue
des fonctions d'organiste à l'église de Saint-Paul, Marchand
fit pencher la balance en faveur, non de Rameau, mais de
— 47 —
son rival, l'organiste Daquin. Il est juste d'ajouter que jusqu'à
Tâge de soixante-dix-huit ans Daquin remplit ses devoirs
d'une façon parfaitement honorable.
Peu de temps après cet échec, Rameau fut nommé orga-
niste à Clermont, en Auvergne, c Dans cette résidence calme^
écrit A. Méreaux, au milieu d'un pays presque sauvage, Ra-
meau trouva beaucoup de temps à consacrer au travail et
put réaliser un grand ouvrage dont la pensée le préoccupait
depuis longtemps, un système d'harmonie pour lequel il
n'avait pas d'antécédents à. suivre ni de modèle à consulter. >
Toutefois, au bout de quatre ans, Ran^eau éprouva le be-
soin de se produire sur un plus grand théâtre et de nouveau
ses regards se tournèrent vers Paris. Les engagements qu'il
avait signés avec le chapitre de Qermont en Auvergne, fai-
sant obstacle à la réalisation de ses désirs, Rameau recourut
à un moyen héroïque pour trancher le nœud gordien de la
situation, « il se mit à jouer de l'orgue d'une si pitoyable
façon, que chaque office était l'occasion d'un véritable scan-
dale et d'une cacophonie très peu liturgique. j> De guerre
lasse l'évêque et le chapitre lui rendirent sa liberté. Cepen-
dant € l'organiste démissionnaire ne voulut pas que sa répu-
tation souffrit de sa ruse, et, au dernier office qu'il joua, il
fit des merveilles de mélodie, d'harmonie et d'improvisation,
et transporta son pieux auditoire; mais le cygne avait chanté
pour la dernière fois... à Clermont^ »
Arrivé à Paris, Rameau publia plusieurs ouvrages théo-
riques à propos desquels on lit ce qui suit dans les Elément»
de musique de d'Alembert : « Il (Rameau) a trouvé dans la
résonnance du corps sonore l'origine la plus vraisemblable
de l'harmonie et du plaisir qu'elle nous cause ; il a développé
ce principe, et montré comment les phénomènes de la mu-
sique en naissent ; il a réduit tous les accords à un petit
nombre d'accords simples et fondamentaux, dont les autres
ne sont que des combinaisons et des renversements. Il a su
1 Méreaax, Les daveciniites, p. 62.
— 48 —
enfin apercevoir et faire sentir la dépendance mutuelle de la
mélodie et de Tharmonie. »
Rameau avait cinquante ans lorsqu'il aborda la scène ; ses
premiers essais furent fort discutés mais les Indes galantes
en 1735 et Castor et Pollux en 1737 eurent un immense
succès. Rameau a écrit pour la scène vingt-deux ouvrages;
le dernier, les Paladins^ à Tàge de soixante-dix-sept ans. Ce
grand musicien mourut en 1764 ; en apprenant sa mort, la
<;élèbre comédienne Sophie Arnould s'écria : « Nos lauriers
ont perdu leur plus beau rameau, i» On fit au chef de l'Ëcole
française de magnifiques funérailles dans l'église Saiut-Eus-
tache.
a Rameau était d'une taille très élevée et d'une extrême
maigreur. Il ne fut jamais malade ; une grande sobriété et
un régime sévère lui permirent de supporter de très grands
«t incessants travaux jusqu'à un âge où, d'ordinaire, les
facultés morales suivent l'abaissement des forces physiques.
Il était d'un caractère sombre et peu communicatif. Il aimait
peu la société, et dans sa famille même, il était silencieux.
A la promenade, il était toujours seul, et paraissait absorbé
dans une rêverie extatique, d'où il ne sortait que très diffici-
lement, pour reconnaître ceux qu'il rencontrait et qui ve-
naient l'aborder. Il semblait que pendant que son corps agis-
sait, son cerveau se reposât pour fonctionner après avec
plus de vigueur ^ »
Exécutant de premier ordre. Rameau a introduit dans ses
•compositions pour clavecin des traits nouveaux dont l'exé-
cution présente de réelles difficultés, ainsi dans la quatrième
variation de sa gavotte en La mineur le passage que voici :
p. loggiero •
^^
5
E
î
^ Méreaux, Les clavecinisten, p. 63.
— 49 —
Les passages en tierces de la même variation sont encore
plus difficiles à exécuter avec une parfaite précision et dans
le mouvement voulu :
Avec les six variations qui 'raccompagnent, la gavotte en
La mineur faisait partie du programme des concerts donnés
il y a quelques années par la pianiste russe Annette Essipoff.
Où Rameau s'est encore montré novateur c'est dans la
-composition de musique imitative pour clavecin ; deux mor-
ceaux, en particulier, appartiennent à cette tendance: Le
Rappel des oiseaux et surtout La poule où le passage suivant
doit imiter le cri de ce volatile :
Le Tambourin pourrait être rattaché au même genre mu-
sical, Rameau cherchant à reproduire dans cette boutade
musicale la sonorité bruyante et le rythme cadencé du tam-
bourin.
Il est évident que si Rameau n'avait pas fait autre chose
•que d'introduire dans la musique de clavecin des traits dif-
*
ficiles à exécuter ou des procédés d'imitation coudoyant le
baroque, il ne mériterait pas de figurer parmi les grands
'Clavecinistes ; mais il a des titres plus sérieux à l'estime et &
la vénération des musiciens de tous les temps.
Les deux Gigues en rondeaux publiées par Pauer (cin-
BIST. DD PIANO 4
quième cahier de Alte Claviermusik) sont chacune dans son
genre des compositions exquises à placer à côté, des meil-
leures, non seulement de Couperin, mais de J.-S. Bach lui-
môme.
La première en Mi mineur (allegretto) se distingue par
l'accent mélancolique du thème principal et par le charme
d'un accompagnement simple et gracieux :
ten. Un,
La seconde, en Mi majeur, a tout Téclat, le brillant qui
caractérisent habituellement ce genre de morceaux. On voit
par la citation ci-dessous :
— 51 —
que l'exécution de ce morceau exige un mélange de force et
de légèreté qu'il n'est pas toujours facile d'obtenir.
. Les Tendres plaintes^ rondeau en Ré mineur, ont, comme
la première gigue un accent mélancolique tandis que les
deux Menuets sont pétillants d'esprit et de gaîté. C^ sont, dit
A. Méreaux, a des bijoux de grâce et de sentiment. 3 La mé-
lodie du premier (Sol majeur) :
est une adaptation au clavecin d'un des plus beaux chœurs
de Cckstor et PoIUlx, le chef-d'œuvre de Rameau.
Comme tous les clavecinistes, Rameau a beaucoup usé des
« agréments i>, mais il Ta fait avec goût, de telle sorte que les
ornements qu'il emploie, rehaussent véritablement l'attrait
de ses compositions.
D'une manière générale on peut souscrire au jugement de
Méreaux déclarant que le style du compositeur français est
«t tout individuel, » qu'il n'a pas « de rapport avec celui de
J.-S. Bach ou de Handel. » S'il présente à un moindre degré
certaines qualités spéciales qui sont caractéristiques du
génie italien et du génie allemand, il a en partage des qua-
lités essentielles, la sobriété, la clarté, qui, pour être émi-
nemment françaises, ne sont point à dédaigner. La faveur
dont Bach jouit de nos jours dans le monde musical pourrait
avec autant de raison s'attacher à Rameau dont les œuvres
parfaitement limpides reposent agréablement des complica-
tions savantes, mais souvent peu intelligibles, dans lesquelles
certains compositeurs modernes d'outre-Rhin se complaisent.
A la liste des clavecinistes français, nous ajouterons le
— 58 —
belge Henri Dumont, né à Liège en 1010, mort en 1684. Orga-
niste de réglise Saint-Paul, à Paris, puis maître de chapelle
du roi, Dumont a composé des mes^esy des cantiques sacrés,
des motets et divers morceaux pour oi^e et clavecin. Pauer
a publié de lui une Allemande en Ré mineur qui ne manque
ni de charme ni d'originalité.
CHAPITRE IV
Les clavecinistes en Allemagne.
Avant Bach* — Hflndel et Bach. — Après Bach.
En Allemagne, comme en France et en Italie, l'art de Jouer
du clavecin se développa parallèlement avec Tart déjouer de
l'orgue. Souvent les morceaux pour clavecin n'étaient qu'une
reproduction, dans un cadre plus restreint, de pièces primi-
tivement écrites pour l'orgue ; ce n'est guère que depuis la
seconde moitié du seizième siècle que les compositions pour
clavecin eurent une individualité en rapport avec les res-
sources de cet instrument.
Parmi les organistes du quinzième siècle qui préparèrent
l'avènement de la musique de clavecin, on cite: BERNARD
L'Allemand (1445); le Nûrembergeois CONRAD PAOLMANN,
musicien aveugle dont la célébrité fut très grande et qui
mourut à Munich en 1473; ARNOLD SCHLIGK, auteur d'un cu-
rieux recueil de compositions pour l'orgue et pour le luth ;
PaïïL HOFHAIHER, mort en 1537, dont quelques fragments
pour le luth sont parvenus jusqu'à nous.
Vers le milieu du seizième siècle, le luth fut supplanté
par le clavecin. En 1560, S. GORLIER, à Lyon, publia un pre-
mier livre de Tablature (TEspinette. En Allemagne, des ou-
vrages du même genre furent publiés par Ahmerbagh, orga-
niste à Leipzig, en 1575, et par B. SCHHID, organiste à
Strasbourg, en 1577.
A la fin du seizième siècle, la musique instrumentale en
Allemagne eut un représentant qualifié en la personne de
- 54 —
LBO Hasler, auteur de nombreuses compositions toutes pé-
nétrées d'un souffle profondément religieux. Né en 1564 à
Nuremberg, Hasler se rendit en 4584 à Venise, afin d'y pour-
suivre ses études sous la direction d'André Gabrieu. Après
un séjour d'une année seulement en Italie, Hasler revint
dans sa patrie où on lui offrit immédiatement une place d'or-
ganiste à Augsbourg. En 1601, Hasler se fixa à Vienne et
entra dans la maison de l'empereur Rodolphe II, qui apprécia
hautement ses services et lui marqua son amitié en lui con-
férant des titres de noblesse. En 1609, l'éminent organiste
accepta des offres très honorables de la èour de Saxe. Hasler
mourut en 1612, pendant un voyage qu'il faisait avec l'élec-
teur.
Léo Hasler fut le créateur du style mélodique en Alle-
magne. Parmi ses compositions pour clavecin on peut men-
tionner son Lustgarten newerteutscher Gesàng, Ballètti^ Gai-
liarden und Introden mit 4, 5, 6 und 8 Stimmen. (Nuremberg,
Kaufmann, 1601.) Le style du compositeur nûrembergeois
eut des imitateurs dont les principaux sont: Christian Er-
BAGH, de Augsbourg, Hiéronymus Prâtorius, de Hambourg,
GuMPELTZHAiMER, Mclchior FRANCK et Samuel Scheidt, de
Halle.
Au point de vue de la virtuosité, tous les musiciens dont
les noms précèdent furent dépassés par le claveciniste Jean-
Jaques Froberger, né en 1635 à Halle.
Peu de temps après le rétablissement de la paix en Alle-
magne, l'ambassadeur de Suède, de passage à Halle, entendit
Froberger et fut tellement impressionné par cette audition
qu'il engagea le jeune artiste à l'accompagner à Vienne; Fro-
berger accepta avec reconnaissance ; charmé par son jeu,
l'empereur Ferdinand III le prit sous sa protection et l'en-
voya à Rome afin d'y poursuivre ses études avec Fresco-
BALDi. Après avoir séjourné trois ans en Italie, Froberger
se rendit à Paris où on le proclama le plus grand claveci-
niste de l'Allemagne. A Dresde, où il se fit entendre à la
cour, l'électeur lui offrit un chaîne d'or et lui remit une
— OD —
lettre pour Tempereur qui Taccueillit avec une extrême bien-
veillance et le nomma claveciniste de la cour. L'ambition
grandissant avec le succès, Froberger prit en 1662 la résolu-
tion de conquérir de nouveaux lauriers en visitant des pays
lointains. Ce voyage fut fécond en incidents extraordinaires;
en France, le malheureux Froberger fut assailli par des bri-
gands qui le dépouillèrent à tel point qu'il arriva à Calais
n'ayant plus que quelques ducats en poche. Toutefois il s'em-
barqua sur un bateau qui devait le transporter en Angle-
terre. Mais par surcroît de malheur, au moment où on allait
parvenir au terme de la traversée, le bâtiment fut capturé par
des pirates. Froberger se jeta à la mer, et comme il était bon na-
geur, il atteignit le rivage sans trop de difficulté. Des pêcheurs
^compatissants le recueillirent et lui donnèrent un vêtement
de matelot, costume sous lequel il fit son entrée à Londres.
•Etranger, sans appui, « le premier claveciniste de l'Alle-
magne n^ erra longtemps dans les rues de la capitale, cherchant
vainement un abri. Ses pérégrinations l'ayant conduit devant
l'abbaye de Westminster, il entra dans l'immense nef et là,
fléchissant les genoux, il remercia Dieu de l'avoir miracu-
leusement sauvé du danger. Gomme il était absorbé dans ses
réflexions, une voix qui disait: « Ecoutez donc, mon ami,
c'est le moment de vous retirer, » le rappela à la réalité. Son
interlocuteur inconnu ayant ajouté : a Vous paraissez bien
malheureux, » Froberger s'écria : « En efi'et, je ne suis cer-
tainement pas un enfant du bonheur ; des pirates et des bri-
gands m'ont mis dans un tel état que je ne sais ni comment
apaiser ma faim ni où reposer ma tête. » A l'ouïe de ces pa-
roles, le vieillard, qui se disposait à fermer les portes de
l'église dont il était organiste, proposa à Froberger de rem-
plir auprès de lui les modestes fonctions de souffleur, lui
promettant en échange le vivre et le couvert. Froberger
accepta avec empressement et s'acquitta de ses obligations
avec d'autant de plus de zèle qu'au fond de son cœur il
nourrissait l'espoir de sortir tôt ou tard de sa position obs-
cure sans perdre la faveur de son aimable protecteur. L'oc-
— 56 —
casion ne tarda pas à se présenter, mais sous une forme sin-
gulièrement imprévue. C'était à propos de la célébration du
mariage de Charles II avec Catherine de Portugal. Ebloui
par les splendeurs qui s'étalent à ses yeux, Froberger néglige
la manœuvre du soufflet et, à l'instant même où l'organiste
va se livrer à un superbe élan, les sons se dérobent sous ses
doigts ; furieux, il se précipite sur son souffleur ; il l'injurie
et le maltraite, puis, honteux, il se réfugie dans une pièce
adjacente. Profitant de la stupéfaction générale, Frobei^r
tente un coup de maître ; vivement, il remplit d'air les souf-
flets, s'élance à l'orgue et, par quelques dissonnances heu-
reusement résolues, il réussit à éveiller l'attention de l'audi-
toire. Une dame de la cour croit reconnaître la manière du
maître dont elle a jadis pris des leçons à Vienne. Froberger
est Introduit auprès du souverain à qui il raconte ses étranges
aventures. On apporte un clavecin et, pendant plus d'une
heure, le claveciniste allemand éiectrise ses auditeurs.
Le succès fut décisif. Charles II enleva une chaîne d'or
qu'il portait à son cou et en fit hommage à l'heureux triom-
phateur devenu, par un brusque retour de la fortune, le
héros du jour et le favori de tous les grands du royaume.
Cependant les dernières années de Froberger furent lamen-
tables ; quand il rentra dans sa patrie, celle-ci se montra
ingrate et ne lui ménagea pas les déceptions. Pendant sa
longue absence, ses adversaires avaient mis en circulation
des bruits calomnieux sur son compte ; tombé en disgrâce,
le musicien naguère adulé ne fut pas même autorisé à s'ap<^
procher du trône impérial, afin de se justifier. Dépité, Fro-
berger donna sa démission d'organiste de la cour et se retira
à Mayence. où, mécontent de lui-même et des autres, il
mourut en 1695, à l'âge de soixante ans.
Comme Rameau, Froberger s'essaya dans la musique imi-
tative ; c'est ainsi qu'il écrivit une allemande destinée à dé-
peindre un « périlleux voyage > du compositeur sur le Rhin.
« La musique, dit à ce sujet Mattheson, représente comment
un personnage tend son épée au marinier et tombe à l'eau,...
— 57 —
comment le marinier donne à un pauvre diable un affreux
coup avec une longue perche, -!> etc.
Il convient d'ajouter à la décharge de Froberger qu'eu
écrivant de la musique soi-disant imitative il ne faisait que
se conformer au goût de son époque.
Pauer et Weitzmann ont publié, le premier une Fantaisie^ le
second une Toccata de Froberger ; ces deux exemples prouvent
qu'il cultivait de préférence la musique fuguée. On cite encore du
même compositeur : Fantaisie pour clavicembalo et Diverse eu-
riose e rarissimo partite di ToccatCj BicercatCy Capriccio^
Fantasia dalVEccelentissimo et Famosissimq organista Gio^
vanni Giacomo Froberger^ per gli amatori di Cimbali^ Or-
gani e Instrument i. (Mayence, Burgeat, 1696.)
Comme exécutant et comme compositeur Froberger fut
dépassé par son contemporain JBAN-6ASPARD Kerl, né en
i6S55, en Saxe. D'abord, élève de Valentini, à Vienne, Kerl
continua plus tard ses études à Rome, sous la direction de
Carissimi. Lors du couronnement de l'empereur Léopold à
Francfort (1658), il se rendit dans cette ville où il fut pré-
senté à son souverain qui le reçut avec bonté. Quelque
temps après, Léopold envoya à son protégé un thème en l'in-
vitant à le traiter le lendemain sur l'orgue. Kerl exprima le
désir de ne prendre connaissance du thème qu'au moment
de s'asseoir devant son instrument ; on déféra volontiers à
ce vœu. Quand l'empereur et les plus hauts personnages de
la cour eurent envahi la vaste nef de l'église l'organiste
exécuta d'abord un majestueux prélude, puis s'emparant du
thème qui venait de lui être remis, il le traita à 2, 3, '4 voix
et, avec le secours des pédales, à 5 voix ; à l'extrême surprise
des assistants, il introduisit dans son improvisation un
contre-thème qu'il traita avec non moins d'habileté que le
thème proprement dit; enfin, il termina le tout par une
double-fugue supérieurement exécutée. Outre cela, Kerl joua
une messe de sa composition qui lui valut l'admiration de
tous les» assistants. L'empereur lui conféra des titres de no-
blesse et l'électeur de Bavière le nomma maître de chapelle
- 58 —
à sa cour. Kerl remplit ces fonctions jusqu'à ce que, exas-
péré par les cabales des chanteurs italiens, il se fixa à Vienne
où la place d'organiste de l'église de Saint-Etienne lui était
offerte. Dans ce grand centre musical, Kerl fut très recherché,
non seulement comme organiste et compositeur, mais aussi
comme professeur de clavecin. Au bout de quelques années,
Kerl revint à Munich où il mourut en 1690.
Bien qu'elles soient écrites dans les anciens tons ecclé-
siastiques, les compositions de Kerl ont cependant certains
caractères propres à nos tonalités modernes.
On étudiera non sans profit la Toccata tutta de salti (troi-
sième cahier de Pauer, Alte Claviermusik) ; les passages que
voici ne manquent ni de charme, ni d'originalité :
Moïto allegro.
a)
f>)
Allegro.
^^^ f jj J^-^
:œ?
s
^
±
t
c)
Allegro viuace.
^^^Eà
I ^ 5
y ttaccato ^^
É
m
DrfE
î
p=r'' Luf LJ
— 59 —
En outre, il y a dans ces diverses formes musicales autant
d'éléments d'excellentes études, que Clementi ou Czerny ne
désavoueraient certainement pas.
Lorsque Kerl était organiste à Vienne, il avait pour sup-
pléant Jean Paghelbel, de Nuremberg. Né en 1653, ce mu-
sicien de talent s'efforça de marcher sur les traces de Kerl
et, par son travail opiniâtre, il parvint à se créer un nom
illustre comme organiste et comme claveciniste. Les compo-
sitions de Pachelbel pour clavecin n'étant pas parvenues jus-
qu'à nous^ tandis que ses cfiorals sont encore populaires, ce
maître appartient à l'histoire de la musique religieuse en
Allemagne.
Vers la fin du dix-huitième siècle, les deux Muffat (père
et fils) brillèrent d'un vif éclat. Le premier, GEORGES HUFFAT,
élève de Lulli, fut organiste à Strasbourg et à Salzbourg et,
dès 1695, maître de chapelle à Passau. On a de lui douze
Toccates parues en 1690, à Augsbourg. Muffat introduisit en
Allemagne quelques-uns des ornements popularisés en France
par Couperin.
GOTTLIEB Muffat étudia le contrepoint sous la direction
de son père et du théoricien J.- J. Fux. Organiste à la cour
de Charles VI, Gottlieb Muffat enseigna le clavecin à plu-
sieurs membres de la famille impériale. Weitzmann cite de
ce compositeur une Sarabande et une Fugue; Pauer, deux
menuets et une courante. Le premier menuet en Si b majeur
dont voici les premières mesures :
— 60 —
est bien dans le caractère de cette danse, et quant à la Cou-
rante, si elle n'a pas le coloris des compositions appartenant
à l'Ecole italienne, elle a cependant de la grâce et de la vie.
Dès le début :
on a le sentiment que l'on se trouve en présence d'un musi-
cien original remarquablement doué.
Si l'on dirige ses pas vers l'Allemagne du nord, on y ren*
contre en premier lieu l'organiste de l'église Sainte-Marie, à
Lubeck, DiETRIGH BUXTEHUDE. Né en 1635 à Helsingôr (Da*
nemark), mort en 1707 à Lubeck, Buxtehude fut un des pré-
curseurs de J.-S. Bach qui, dans sa jeunesse, fit plus d'une
fois à pied le voyage de Arnstadt à Lubeck pour entendre le
maître dont il admirait la science et la virtuosité. Un petit
nombre de compositions de ce musicien distingué ont été
livrées à l'impression, entre autres : deux trios pour violon,
« viola di gamba, cembalo » et sept suites pour clavecin dans
lesquelles le compositeur m décrit la constitution et les pro-
priétés des planètes. i>
Un contemporain de Buxtehude qui, sous certains rap-
ports, appartient à la nouvelle école des clavecinistes alle-
mands, Jean Kuhnau, occupe une place importante dans
l'histoire du clavecin. Né en 1667, à Gysing, en Saxe, Kuhnau
étudia simultanément et avec un égal succès la jurispru-
dence et la musique. Cantor à la Thomasschule, à Leipzig
immédiatement avant J.-S. Bach, Kuhnau a beaucoup écrit
pour le clavecin. On lui doit : Nouveaux exercices pour cla-
veciriy première partie, comprenant 7 sections (Leipzig, 1689
à 1695); une seconde série de Nouveaux exerciceSy compre-
nant comme la première 7 sections ; une sonate en Si h ma-
— 61 —
jeur ; les € Fruit du clavecin en sept sonates de bonne inven-
tion et méthode pour jouer sur le clavecin ; :» une série de
morceaux portant le curieux titre que voici : Représentation
musicale de quelques histoires bibliqvres en six sonates pour
jouer 9ur le clavecin (Leipzig, J. Tietzen, 1700). Dans la pré-
£ace de la seconde partie des Nouveaux exercices pour cla-
vecin^ Kuhnau s'exprime comme suit ; ^ J'ai ajouté une
sonate en Si b qui plaira aux amateurs. Pourquoi, alors que
pas un seul instrument n'a jamais disputé la place au cla-
vecin, pourquoi ne pourrait-on pas traiter des choses sem-
blables sur cet instrument aussi bien que sur les autres ? i^
Cette sonate en Si b majeur est particulièrement intéressante,
parce que l'on y surprend l'effort dans le but de créer un
style nouveau, bien approprié aux ressources du clavecin,
sans toutefois s'affranchir complètement des règles tradi-
tionnelles du contrepoint. Les sonates de 1696 intitulées:
Fruits du claveciny réalisent un progrès sensible sur la so-
nate en Si b majeur ; on peut supposer que dans l'intervalle
Kuhnau s'est fanûliarisé avec les procédés de TEcole ita-
lienne bien que, dans une préface, il combatte énergique-
ment la tendance à attacher plus de prix à ce qui vient de
l'étranger qu'aux productions du pays et déclare formelle-
ment qu'en Allemagne '■ I I I i-
Considéré isolément, ce prélude est un beau spécimen de
la musique de clavecin à la fin du dix-huitième siècle ; au
point de vue technique, il peut en outre être étudié avec
fruit par les pianistes de notre temps.
Un autre contemporain de Hiindel et de Bach, JEAN HAT-
THESON^ fit beaucoup parler de lui, non seulement comme
musicien, mais aussi comme diplomate. Né le 28 septembre
1681 à Hambourg, Mattheson se fit applaudir, dès 1696, sur le
théâtre de Kiel où il jouait les rôles de femmes ; plus tard,
engagé comme ténor. au théâtre de Hambourg, il y chanta
les premiers rôles dans des opéras de sa composition. La
— 63 —
banqueroute du théâtre, et peut-être plus encore, la re-
nommée grandissante de Hândel déterminèrent Mattheson à
renoncer momentanément à la musique; en 1705, il entra au
service de l'ambassadeur de la Grande-Bretagne, et après la
mort de celui-ci, il dirigea les affaires de l'ambassade avec
une grande habileté. Sa nomination de directeur de musique
au Dôme de Hambourg (1745) le rendit à la carrière musi-
cale à laquelle il demeura fidèle jusqu'à sa mort (17 avril
1764).
Mattheson s'est essayé dans tous les. genres ; il a abordé
avec succès la musique religieuse et l'opéra ; virtuose ac-
compli, il a écrit pour le clavecin des choses charmantes
dont on trouvera quelques spécimens : Allemande, CourantCy
Gigue^ Sarabande avec variations, dans le recueil de Pauer,
Alte claviermusik. Le style de ces diverses compositions est
élégant et pur ; la Gigue en La majeur, au mouvement très
alerte (molto vivace), se distingue par l'originalité du rythme r
Dans une variation (Schweizerweisen, op. 60, N<> 8), J. RafT
a adopté une allure rythmique à peu près pareille:
LdL Sarabande en Fa mineur a l'accent grave qui convient
à cet air de danse; le thème en est simple et les variations^
qui l'accompagnent le développent sans le surcharger.
Mattheson ne s'est pas moins illustré comme écrivain que
— 04 —
comme compositeur; critique musicale, histoire, théorie,
esthétique, dans tous ces domaines, il a révélé l'étonnante
souplesse de son esprit.
Le catalog'ue des ouvrages de Matlheson comprend entre autres
les publications suivantes dont il suffit de donner les titres : Essai
d'un exposé systématique de la musique, — Réflexions sur
l'éclaircissement d'un problème musical. — Le parfait
maître de chapelle, — De eruditione musica. — Fondements
d'une porte d'honneur, — Explication du mot SelaK —
Affirmation de la musique céleste sur la base de la raison^
de la doctrine de l'Eglise et de l'Ecriture sainte, — Vie de
G.' F, Hàndel, — La défense de l'orchestre, — Le patriote
musical. — Sept entretiens sur la sagesse et la musique, etc.
Au nom de Mattheson il est permis d'associer celui de
GOTTFRIED-HENRI STOEUBL, né en 1690, mort en 1749. Par
ses Passions^ Stoelzel relève de l'histoire de la musique reli-
gieuse, mais il appartient aussi à l'histoire du clavecin par
la publication d'une Sonate enharmonique qui fut insérée
après la mort du compositeur dans le journal musical Mu-
sikalischea Allerleyy de 1761.
Les musiciens dont il vient d'être question occupent une
place estimable dans les annales de l'art musical ; ils furent
cependant totalement éclipsés par les deux hommes de génie,
Hândel et Bach, dont nous avons maintenant à esquisser le
portrait.
G.- F. HÂNDEL
GBORGE-FRiBÉRIG HÂNDEL est né le 24 février 16S5 à Halle.
Son grand-père paternel, un honorable orfèvre de Breslau,
persécuté pour cause de religion, était venu chercher à Halle
un refuge où il ne fût pas inquiété dans sa foi protestante;
son arrière-grand-père maternel était un de ces pieux ecclé-
siastiques de la Bohême expulsés de leur pays en 1625 & cause
de leur attachement à la religion réformée. Par ses ascen-
dants Hândel appartenait donc à une race vaillante, héroïque,
un trait qui marquera de son empreinte les épopées musi-
- es-
cales du maître et aussi, quoique dans un cadre plus mo-
deste, ses compositions pour clavecin.
Le père du grand compositeur, Georges Hândel, chirur-
gien du bailliage de Gibichenstein, s'était fixé à Halle et avait
épousé en secondes noces la fille du pasteur de Gibichen-
stein ; il avait eu six enfants de son premier mariage, il en
eut deux du second, l'un qui mourut jeune et Tautre qui
illustra le nom de sa famille en donnant au monde des œu-
vres immortelles.
Georges Hândel était un homme sérieux, très travailleur ;
sa femme joignait à un esprit affiné une piété profonde, sin-
cère. L'auteur du Messie hérita de son père l'indomptable
cnergie du caractère et de sa mère les dispositions sereines
qui le maintinrent à égale distance du plat rationalisme et
de l'exaltation sectaire de son époque.
Dans une position aisée, la famille Hândel donnait le forti-
fiant exemple d'une existence bourgeoise marquée du sceau
de la plus scrupuleuse probité. Des traditions de large hos-
pitalité régnaient au N<> 4 de la Schlammgasse.
Dès sa plus tendre enfance, George-Frédéric Hândel révéla
un penchant irrésistible pour la musique ; ayant reçu comme
étrennes de Noël divers instruments à l'usage des enfants, il
remplit bientôt la maison de sonorités plus ou moins agréa-
bles ; le père qui voulait faire de son fils, non un musicien,
mais mit promptement un terme
à des productions artistiques de ce genre.
Cependant une tante de Hândel lui procura secrètement
un clavicorde dont il jouait discrètement pendant la nuit,
alors que tout le monde était plongé dans un profond som-
meil. Ce qui poussait le jeune Hândel à sacrifier ses heures
de repos à l'étude du clavecin, ce n'était pas l'intention rat-
ionnée de se consacrer à la pratique de l'art musical, mais
uniquement le plaisir qu'il éprouvait à faire de la musique
•et à en entendre.
Au reste, (îeorge Hândel, qui, dans son for intérieur, cons-
tatait avec bonheur les talents de son fils, ne tarda pas à se
■18T. DU PIANO 5
— 66 —
départir de sa sévérité ; non seulement il permit à son enfant
de jouer librement du clavecin, mais, sur les conseils de
rélecteur de Saxe, il le confia à Torganiste Zachau, sous la
direction duquel, il se familiarisa avec la science du contre-
point.
En 1702, George-Frédéric Hândel fut immatriculé à l'Uni-
versité de Halle; se conformant au désir de son père, il
apporta beaucoup de zèle à l'étude de la jurisprudence, ce
qui ne l'empêcha pas de réserver une place au culte des
beaux-arts. Chaque après-midi de vacance, il réunissait chez
lui quelques amis avec lesquels il faisait de la musique.
Une circonstance fortuite, la mise au concours des fonc-
tions d'organiste de l'Eglise réformée, eut à cette époque des
conséquences décisives au point de vue de la carrière que
Hândel devait parcourir. Le titulaire de la place ayant emporté
dans sa retraite toute la musique d'orgue, on dut chercher,,
pour le remplacer, un musicien possédant des aptitudes ex-
ceptionnelles, capable, en tous cas, de composer, à peu près
pour chaque dimanche, de nouveaux morceaux. Hândel^
bien qu'il n'eût que dix-huit ans, était désigné pour cet
office; il l'accepta, et l'activité à laquelle il se livra détermina
chez lui la résolution de se vouer définitivement à la mu-
sique; d'autre part, les succès remportés par le jeune orga-
niste lui acquirent le consentement unanime de ses parents
à la réalisation de ses vœux ; en 1703, Hândel se rendit à.
Hambourg afin d'y poursuivre ses études musicales.
A Hambourg, Hândel trouva un milieu éminemment favo-
rable à son développement artistique ; en effet, à l'aurore du
dix-huitième siècle, la vieille cité hanséatique était un centre
de vie musicale. Tandis que des organistes célèbres conser-
vaient religieusement les traditions du grand style ecclésias-
tique, au théâtre du Gànsemarcky les tendances nouvelles
étaient brillamment représentées par Keyser et MATTHESONi.
Des concerts très fréquentés avaient lieu dans une salle
richement décorée.
Captivé par le genre sérieux de Hândel, le poète Postel,
— G7 -
écrivit pour lui une Passion qu'il mit en musique en 1704.
Cette œuvre de jeunesse n'eut qu'un succès d'estime. Il n'en
fut pas de même d'un opéra, il imira, qui fit du compositeur
le lion du jour, mais qui souleva contre lui la jalousie de
Keyser et de Matlheson. Ce dernier provoqua même Hàndel en
duel ; <î les deux amis, devenus instantanément adversaires
acharnés, raconte M. Félix Clément, mirent flamberge au
vent et se battirent comme de vrais soudards au milieu d'un
grand concours de spectateurs qui faisaient cercle autour
d'eux. » Mattheson fondit impétueusement sur son rival et
il l'eût certainement blessé à mort si son épée n'était pas
venue se briser contre un bouton de métal que Hàndel por-
tait à sa redingote.
Encouragé par le succès, Hàndel composa d'autres opéras,
puis, en 1707, il partit pour l'Italie.
€ Ce fut, écrit Kôstlïn, une bonne étoile qui conduisit
Hàndel en Italie. » Le sens de la forme était très développé
chez les Italiens ; la mesure, la beauté du son passaient à
leurs yeux comme la condition première de toute œuvre
d'art. « A l'école des Durante, Corelli, Scarlatti, sous
l'influence de chanteurs et de cantatrices qui, possédant une
haute culture intellectuelle, ne cherchaient pas seulement
Veffety mais surtout V accent dramatique^ Hàndel apprit à ap-
précier la pureté des lignes et à tenir compte dans ses com-
positions du caractère spécial de chaque voix. D'un autre côté,
les Italiens accueillirent avec sympathie les œuvres du com-
positeur allemand ; la phrase musicale du c< grand saxon, »
bien qu'il la comparassent à un bloc de granit, excita leur
enthousiasme. Les prodigieux succès que Hàndel remporta
projetèrent sur lui-même de lumineux rayons; une joie juvé-
nile, ensoleillée est répandue sur les compositions écrites en
Italie. Celles-ci constituent sinon le fruit le plus mûr, du
moins la plus belle floraison de son génie, i»
Durant un séjour qu'il fît à Venise, Hàndel entra en rela-
tions avec l'électeur Ernest-Auguste qui attira le grand
musicien à Hanovre et lui remit la direction de sa chapelle.
— 68 —
Suivant les conseils de son noble protecteur, Hândel entre-
prit un voyage en Angleterre qui fut pour le compositeur
allemand une tournée triomphale. Ernest-Auguste étant
monté sur le trône d'Angleterre en 1714, il fonda une aca-
démie royale de musique et en confia la direction à Hândel.
Malheureusement, l'inflexibilité du maître provoqua le mé-
contentement des chanteurs italiens en vogue ; la noblesse
prit fait et cause pour ces derniers et c l'intraitable Allemand b
perdit sa place et sa fortune.
Une perte qui l'afTecia davantage encore, ce fut celle de la
vue. Il n'en composa pas moins jusqu'à la fin de sa carrière,
dictant la musique qu'il ne pouvait plus écrire. Le vœu qu'il
avait formulé de mourir le jour anniversaire de la mort de
son divin Sauveur fut exaucé, il expira le 13 avril 1759, jour
du Vendredi saint. La dépouille mortelle de l'auteur du
Messie fut déposée dans l'abbaye de Westminster au milieu
des grands de la nation anglaise.
Le caractère dominant de la personnalité de Hândel, c'est
la forcey au point de vue moral comme au point de vue phy-
sique. De taille élevée, avec quelque chose d'athlétique dans
la structure du corps, Hândel était imposant ; il possédait en
outre une vigueur musculaire peu commune. Un jour que la
CuzzoNi (cantatrice célèbre) ne chantait pas comme le maître
voulait qu'elle chantât, il s'écria : c Je sais que vous êtes
une diablesse, mais moi, je suis le prince des démons, i puis,
la saisissant à bras-le-corps, il la porta devant une fenêtre
ouverte, la tint suspendue dans l'espace et la menaça de la
précipiter sur le sol si elle ne s'exécutait pas. Historique ou
légendaire ce récit est un indice significatif de l'impression
que Hândel fit sur ses contemporains. L'énergie était égale-
ment le trait fondamental de sa personnalité morale ; dans la
défense de ses convictions, Hândel allait jusqu'au fanatisme.
Dans les questions artistiques, il se montra toujours d'une
absolue intransigeance vis-à-vis des œuvres portant le cachet
de la vulgarité. Se faisant de l'art une idée très élevée, il se
considéra comme revêtu d'un sacerdoce, et ce sacerdoce il
— 69 —
s'en acquitta constamment au plus près de sa conscience.
L'intraitable Saxon avait une âme de héros ; son style est
celui de l'épopée.
Le bagage musical de Hâodel est considérable; l'édition an-
glaise de ses œuvres ne comprend pas moins de 4o volumes in-
folio ; 42 opéras^ 28 oratorios, 200 cantates avec accompagne^
ment de clavecin,, 63 motets^ 20 grandes antiennes, des
Psaumes allemands avec orchestre, 36 concertos pour divers
instruments (violon, flûte, haut-bois), 18 concertos pour orgue,
des suites et « tessons » pour clavecin, des sonates pour violon
et clavecin, un certain nombre de morceaux isolés, telles sont les
principales publications de Hândel, et dans toutes on retrouve les
mêmes qualités de style, force, grandeur, éclat. Ces qualités ap-
paraissent en traits de feu dans le Messie, le plus populaire de
ses oratorios^ mais ce n'est pas là que nous devons les chercher :
lanalyse des grandes compositions du maître n'appartient pas à
notre cadre ; c'est uniquement dans les œuvres pour clavecin que
nous avons à mettre en lumière les caractères distinctif's de son
génie.
L'édition des Compositions de Hàndel pour le clavecin seul,
publiée par G.- F. Peters, à Leipzig, renferme 16 suites^
3 lessons, 1 chacone avec 62 variations, 7 pièces diverses et
8 grandes fugues.
Les suites se composent généralement de quatre morceaux
dont le premier est un prélude et le dernier une gigue ; les
autres morceaux sont des allemandes, des courantes, des
sarabandes, des fugues, des passacailles, des airs variés, etc.
Les variations, appelées aussi doubles^ sont intéressantes
par la manière dont le thème est traité ; celui-ci, ordinaire-
ment très simple, ne disparaît jamais sous la multitude des
notes, mais chaque variation le présente avec un développe-
ment nouveau et progressif; ce n'est pas la forme musicale
seule qui s'enrichit, c'est la pensée même du maître qui suit
une marche ascendante ; de telles variations ne sont pas une
simple occasion offerte à l'exécutant de faire montre de sa
virtuosité, elles ont une valeur réellement artistique. Ces
observations s'appliquent non seulement aux variations en
— 70 —
Mi majeur qui terminent la cinquième suite et qui sont très
connues en Angleterre sous le nom de The harmonious
blacksmithy mais aussi aux variations de la passacaille en
Sol mineur de la septième suite ainsi qu'aux variations de
la chacune en Sol majeur qui forme la troisième e lesson i».
Dans cette composition, on peut admirer le mélange de grâce
et d'énergie qui caractérise le style de Hândel. Avec ses
passages en octaves à la main gauche et ses accords plaqués
à la main droite, la seconde variation a beaucoup de vigueur:
ajii_,MiiJ-i
^^m
Tin rfuirriiTi
^^
La dix-septième variation, légère, vive, spirituelle, est
entraînante :
— 71 -
La dernière enfin, la vingtième, en arpèges, a de la puis-
sance ; elle forme, pour l'oreille et pour le sens artistique,
une conclusion très heureuse de l'œuvre entière.
Les accents austères ne sont point étrangers aux œuvres
de Hàndel pour clavecin ; on en jugera par les premières
mesures de la sarabande en Ré mineur (onzième suite) :
^^m
^
1^=^^?^
€
es:
t
t
D'autres fois, la pensée du maître prend un tour éminem-
ment gracieux; ainsi dans les deux menuets en Fa majeur;
voici les premières mesures du second :
tr
p^^
% îr ^ f
d:
i
t=i
^m
m
t
e*
tr
tr
i
^
^
S
^
e
ï
t
^^
V=t
^
m
î
t
Ailleurs le compositeur s'exprime en un style tout à la
fois pittoresque et élégant ; ainsi dans un prélude en Sol
majeur, dans Vallemande et dans Vallegro de la quatorzième
- 72 —
suite en Sol majeur; le début de ce dernier morceau est
brillant :
ou bien encore il semble vouloir entonner un chant de vic-
toire comme dans sa fantaisie en Do majeur ou dans sa
chacune en Fa majeur, dont le commencement fait penser à
certains chœurs du Messie ou de Judas Maccabée.
Au reste, on peut se faire une idée suffisamment exacte
et complète des divers aspects sous lesquels le génie de
Hândel apparaît dans ses compositions pour clavecin en
étudiant avec soin la leçon (lesson) en Si b majeur que Pe-
ters a publiée dans son recueil ; le premier morceau dont
les accords arpégiés se suivent majestueusement, ressemble
— 78 —
au portique monumental d'une cathédrale ; le second mor-
ceau, vigoureusement rythmé, sonne comme une fanfare ; le
troisième, un air varié, est original et les cinq variations qui
l'accompagnent laissent les esprits sous une excellente
impression.
Un auteur déjà fréquemment cité, A. Méreaux, s'exprime
comme suit sur les œuvres de Hândel pour clavecin : a: Les
pièces de Hândel sont toutes remarquables par le naturel et
l'élévation des idées, par la carrure mélodique, la coupe
régulière, le coloris vrai, la distinction, la clarté qui en ren-
dent l'étude si séduisante. Dans les savantes combinaisons que
Hândel emprunte souvent au contrepoint et au genre fugué,
il fait concerter les parties dialoguées avec une aisance par-
faite ; il enlace et met en relief les imitations avec une pu-
reté d'harmonie et une simplicité d'agencement qui permet-
tent de faire chanter et se répondre toutes les parties avec
un intérêt égal et soutenu, qu'aucune aspérité possible pour
l'exécutant ou pour l'auditeur ne vient jamais altérer. Hândel
parle toujours la langue divine des sons ; il en a la révélation
et le sens intime.
» Aussi quel choix d'intervalles I quel bonheur d'intona-
tions! Ck)mme tout est musical I II fait, quand il veut, et il
l'a fait en maître, de la musique compliquée, mais c'est tou-
jours, et avant tout, de la musique. Pour lui, la complica-
tion des sons sans l'effet musical n'existe pas ; c'est qu'il pos-
sède également lés mystères du sensualisme {sic) et de la
philosophie de son art. Voilà la raison de l'impression sou-
daine et sympathique que produisent toujours, et sur tous,
ses œuvres bien interprétées ^ »
Il n'est guère possible de poser des règles quant à l'inter-
prétation des œuvres des grands musiciens en général, et de
Hândel en particulier. A cet égard, c'est à l'intelligence mu-
sicale du maître qu'il appartient de diriger l'élève dans la
bonne voie. Voici cependant sur ce sujet quelques o^serva-
* Méreaux, Les davecinistes, p. 54.
— 74 —
lions de Méreaux qui peuvent avoir leur utilité : a II faut
d'abord, dit-il, apporter dans l'exécution de cette musique
tout ce qui constitue la grandeur, qui en est le caractère
distinctif. Ainsi, la modération dans le mouvement, la me-
sure pleine et soutenue, la diction large, la sonorité puis-
sante, la correction, les nuances bien tranchées, sans affé-
terie,... et quant à l'expression, il la faut subordonner au
cachet grandiose du maître ; les éléments de cette expression
sont la noblesse, l'énergie, une certaine chaleur, tempérée
toutefois et contenue par la gravité qui convient à la largeur
de ces compositions ', »
Outre rédition de PeierSy dont il a été question plus haut, îl
existe un recueil des compositions de Hândel pour clavecin, pu-
blié par H, Litolffy à Brunsv^rick, et un choix des mêmes compo-
sitions dans les publications de la Deutsche Hàndelgesellschajt
(première année, seconde livraison, Leipzig, Breitkopf et Hârtel,
i858). Enfin le dix-huitième volume de la Bibliothèque classique
des pianistes^ éditée par la maison Schônenberger, sous la direc-
tion de F.-J. Fétis, est entièrement consacré à Hândel qui s'y
trouve représenté par ses compositions les plus typiques pour
clavecin.
J.-S. BACH
Jean-Sébastien Bach est né le 16 mai 1685 à Eisenachy en
Thuringe; il comptait parmi ses parents toute une tribu
d'organistes distingués et lui-même devait faire souche d'une
longue série de musiciens du plus grand mérite.
Parmi les ancêtres de J.-S. Bach, le plus ancien sur lequel on
possède des renseignements un peu précis, c'est Veit Bach qui,
chassé de Presbourg par la persécution, se fixa à Wechlar. Meu-
nier de son état, il cultivait la musique à ses heures de loisir ; il
eut deux fils, Hans Bach et Jean Bach ; le second, tapissier,
n'hérita pas des goûts artistiques de son père ; il n'en fut pas de
môme du premier qui, après avoir été boulanger, se voua complè-
tement à la musique.
* Méreaux, Les clavecinistes^ p. M.
— 70 —
HaDs Bach, le boulanger-artiste de VVechlar» eut trois fils:
Jean Bach, né en i6o4, organiste à Erfurth, mort à Gotha, chef
de la branche des Bach d'Ërfurth ; Christophe Bach, né en i6i3 à
Wechlar, pais établi à Ëisenach, chef de la branche des Bach de
Thûringe ; enfin, Henri Bach, chef de la branche des Bach de
Weimar.
Christophe Bach, le chef de la branche thuring-ienne eut à son
tour trois fils: George-Christophe (1641-1697), cantor à Schwein-
furth; Jean-Ambroise (1643-1696), directeur de musique à Er-
furth, puis à Ëisenach, père de Jean-Sébastien ; enfin, Jean-
Christophe (1645- 1694), directeur de musique à Arnstadt.
Jean-Ambroise Bach eut six fils: Jean-Valentin, Jean-Chris-
tian, Jean-George, Jean-Christophe, Jean-Jacob, et, le plus' cé-
lèbre de tous: JEAN-SËBASTIEN. Jean-Jacob fut hautboïste à la
cour de Suède ; Jean-Christophe, organiste à OhrdrufT, eut l'hon-
neur d'être le premier maître de clavecin de Jean-Sébastien ; les
autres frères du grand compositeur sont beaucoup moins connus.
Fils, petit-fils, arrière-petit-fils, neveu de musicien, Jean-
Sébaçtien Bach apporta en naissant des prédispositions tout
à fait exceptionnelles pour l'art qu'un si grand nombre de
ses ascendants avaient illustré. Ce que Bach hérita aussi de
ses devanciers, c'est, comme Hândel, l'énergie morale dont
Veit Bach avait donné l'exemple quand il avait pris le chemin
de l'exil plutôt que de renier sa foi, puis aussi l'habitude du
travail et enfin une piété sereine qui, pour être très vivante,
n'excluait aucunement la jovialité, la bonne humeur.
Le pays où s'écoulèrent les années d'enfance du futur com-
positeur dut aussi*exercer une certaine influence sur la for-
mation de son caractère. Lorsque Jean-Ambroise Bach par-
courait les belles campagnes de la Thuringe, il prenait
souvent pour compagnon de route son petit Jean-Sébastien,
à qui il parlait avec amour de Martin Luther, de la Wart-
bourg et de ses héros.
Ce que fut l'influence de la mère, née Lâmmerhirt, sur
son enfant, on ne saurait le dire, car Jean-Sébastien était
fort jeune quand elle mourut ; il perdit également son père
de bonne heure (en 1695), circonstance qui détermina Jean-
— 76 —
Christophe Bach, l'organiste d'ObrdrufT à le recueillir dan»
sa maison, afin de lui enseigner les éléments de la musique.
Jean-Christophe se montra bon mais sévère pédagogue. Ayant
découvert dans la bibliothèque de son frère aîné un cahier
contenant des morceaux de Froberger, Kerl, Pachelbel, etc^
Jean-Sébastien exprima le désir de pouvoir en disposer afin
d^en étudier le contenu. Jean-Christophe, qui avait son sys-
tème de pédagogie musicale nettement arrêté, refusa. Jean*
Sébastien parvint toutefois à s'emparer du cahier si ardem-
ment convoité et, en moins de six mois, aux pâles rayons de
la lune, il le copia et le logea presqu'en entier dans sa mé-
moire. La supercherie ayant été découverte, Jean-Christophe
séquestra les copies qui, après sa mort, retombèrent entre
les mains de celui qui avait passé tant de nuits blanches
pour les achever.
Malheureusement le dernier soutien qui restât au jeune
musicien ne devait pas tarder à lui manquer; effectivement,
quatre ans après la mort du père, Jean-Christophe le suivit
dans la tombe, laissant son frère cadet, à Tâge de quatorze
ans, complètement seul au monde. En cette triste occurence
la belle voix de Jean-Sébastien lui fut d'un précieux secours;
comme il s'était rendu avec un de ses camarades à Lune-
bourg y il fut immédiatement engagé en qualité d'enfant de
chœur au collège Saint-Michel. Cet avantage fut de courte
durée : au bout de peu de temps la perte de sa voix rendit
sa position plus critique, plus désespérée que jamais. « On ne
comprend pas, dit un biographe de J.-S.*Bach, comment il
pourvut à son entretien durant son séjour de trois années à
Liinebourg ; dès ses jeunes années, ajoute-t-il, Bach dut cer-
tainement déployer une volonté de fer, un trait dans lequel,
comme dans plus d'un autre, il ressemble à Luther. »
Malgré ce que sa situation avait de précaire, Bach fit sou-
vent, à pied, le voyage de Lûnebourg à Hambourg, afin d'en-
tendre le vieux et célèbre organiste Reinken. L'art de jouer
de l'orgue étant à cette époque environné de mystère, Jean-
Sébastien dut recourir à un déguisement pour pénétrer dans
l'église Sainte-Catherine, se blottir dans un angle et, de là,
observer le jeu du maître sans éveiller ses soupçons.
Les progrès du jeune musicien durent être rapides, car,
dès 1703, il appartient, comme violoniste, à la chapelle du-
<^e à Weimar.
L'année suivante, nommé organiste à Arnstadt, Bach
passa trois années dans cette ville. C'est pendant cette pé-
riode de sa vie que, pour se familiariser avec l'emploi du
clavecin, il transcrivit seize concertos de violon de Vivaldi,
<^omposa des préludes de chorals, des variations,, une cantate
-et quelques pièces de circonstance. Au sujet de ces dernières
il faut observer que tout ce qui causait à Bach une émotion
<|uelconque était immédiatement traduit dans le langage des
sons.
Organiste hors de pair, avec cela, esprit très indépendant,
Sach introduisait dans l'exécution des chorals des innova-
tions qui se justifiaient au point de vue de l'art, mais qui
Jetaient le trouble dans la congrégation. De là certains mé*
contentements dont les registres du consistoire d' Arnstadt
renferment de curieux échos. A ces sujets de plaintes, d'au-
tres s'ajoutèrent ; Bach invita une cantatrice étrangère à se
produire dans un concert, afin « d'apprendre à chanter aux
dames d'Arnstadt; i> il prolongea d'un mois un congé qui lui
•avait été accordé pour se rendre à Lûbeck. En conflit avec
ies autorités d'Arnstadt, Jean-Sébastien accepta les offres
•qui lui furent faites de prendre à Mulhausen la succession
de l'organiste Ahle, compositeur de mérite à qui l'on doit
des cantiques de belle facture et d'inspiration franchement
religieuse.
A MulhaiLsen, cité impériale de la Thurînge, située sur les
l>ords de l'Unstrut, Jean-Sébastien Bach épousa sa cousine,
Maria-Barbara Bach dont il eut quatre fils : Wilhelm-Friede*
mann, Charles-Philippe-Emmanuel, Jean-Gottfried, Léopold-
Auguste. On sait peu de chose sur la vie intérieure de la
famille Bach, mais, ainsi que l'observe Kôstlin^ pour qui-
conque s'entend à c lire entre les tons, i bien des grands ou
— 78 —
petits préludes parlent clairement des joies et des tristesses
d'une existence riche en sentiments intimes ; en dépit de son
apparente sécheresse le Clavecin bien tempéré lui-même ra-
conte plus d'une scène tendre et enfantine.
Des tiraillements analogues à ceux qui avaient motivé le
départ de Bach d'Arnstadt motivèrent son départ de Mul-
hausen ; il donna sa démission le 25 juin 1708 et la même
année il fut nommé organiste de cour du duc Wilhelm-
Ernest de Saxe-Weimar.
Les neuf années que Bach passa à Weimar sont entre les
plus heureuses de sa vie. Les œuvres écrites à cette époque
ont une fraîcheur toute juvénile. C'est à la fin du séjour à
Weimar, en 1717, que Bach se rencontra à Dresde avec l'or-
ganiste français Marchand ; voici en quels termes Marpurg
raconte ce curieux épisode d'une vie d'artiste : « Pendant son
exil de France, Marchand vint en 1717 à Dresde ; il joua avec
un succès projdigieux devant le roi de Pologne qui lui fit un
cadeau royal de quelques mille thalers. Le directeur de la
musique de ce prince était alors un Français nommé Volu-
MiER qui, soit qu'il commençât à être jaloux du bonheur de
son compatriote, soit que celui-ci l'eût indisposé en quelque
manière, exposa aux musiciens de la chapelle que Marchand
se moquait de tous les clavecinistes allemands et les engagea
à rechercher par quel moyen on pourrait abattre l'orgueil
de ce Goliath dans le cas où il ne serait pas possible d'ob-
tenir son éloignement de la cour. Sur l'assurance qui lui fut
donnée que l'organiste de la cour, à Weimar, Sébastien Bach,,
était un homme capable, sinon de surpasser l'organiste fran-
çais, du moins de se mesurer avec lui, Volumier écrivit à
Weimar et invita M. Bach à se rendre immédiatement à
Dresde, afin d'y rompre une lance avec le célèbre M. Mar-
chand. Bach vint et, à l'insu de Marchand, mais avec l'assen-
timent du roi, il assista comme auditeur à un concert de la
cour. Après que le claveciniste français se fut produit, entre
autres dans une chanson variée et qu'il eut été vivement ap-
plaudi soit à cause de ses innovations dans l'art de jouer du
— 79 —
clavecin, soit à cause de la perfection de son jeu très net et
plein de feu, Bach fut invité à essayer à son tour le clavecin.
Répondant à cette invitation, il préluda brièvement mais ma-
gistralement; reprenant ensuite la chanson de Marchand, il
l'accompagna d'une douzaine de variations improvisées avec
un art tellement surprenant que jamais encore on n'avait en-
tendu chose pareille. » Marchand, qui avait jusqu'alors défié
tous les organistes les plus réputés, n'eut pas de peine à re-
connaître la supériorité de son émule, aussi se déroba-t-il pru-
demment lorsque Bach lui proposa de poursuivre sur l'orgue
le duel musical entrepris sur le clavecin.
A la fin de 1717, Bach fut nommé organiste à Kœthen.
C'est dans cette ville qu'il commença la rédaction d'un ou-
vrage d'importance capitale pour l'étude du piano, le Cla-
vecin bien tempéré. C'est également à Kœthen qu'il écrivit
des inventions, des sonates, des symphonies, des concertosy
des suites, etc., autant d'œuvres remarquables à divers
titres.
Un douloureux événement assombrit le séjour de Jean-Sé-
bastien à Kœthen ; en 1720, il perdit la compagne fidèle et dé-
vouée qui éclairait son modeste intérieur d'un joyeux rayon.
L'éducation des enfants rendant la présence d'une femme
indispensable dans la maison, Bach épousa en secondes noces
Ânna-Magdalena Wûlcken, musicienne distinguée qui porta
un grand intérêt aux compositions de son mari et qui lui fut
un précieux appui dans les dures épreuves que l'avenir lui
tenait en réserve. Bach écrivit pour elle le Petit cahier de
piano de AnnorMagdalena Bach, recueil de vingt-quatre
morceaux faciles dont quelques-uns sont de véritables perles
musicales.
Pendant son séjour à Kœthen, Bach composa en outre des
préludes, des concertos, des sonates, pour clavecin, des trios,
des morceaux d'orgue, compositions qui portent toutes le
sceau d'une parfaite maîtrise ; au point de vue de l'habileté
technique, Bach n'avait plus de progrès à réaliser.
En 1723, le maître vint occuper la dernière étape de sa
— 80 —
vie en succédant à Kuhnau dans les fonctions de cantor et
organiste de la Thomasschule, à Leipi^ig.
Fondée au treizième siècle, l'Ecole de Saint-Thomas faisait
primitivement partie d'un couvent d'augustins. Lors de la
■Réformation, elle fut adjugée à la ville de Leipzig à la con-
dition que l'on y cultivât la musique religieuse. En échange
«de l'éducation qu'ils y recevaient, les élèves devaient chanter
dans les églises. Les fondations dont l'école retirait le béné-
fice lui permettaient de recevoir de cinquante à soixante
internes. Au moment où Bach en franchit le seuil, cet éta-
blisssement était dans un état de décadence épouvantable ;
sales et ignorants, les élèves donnaient en outre le triste
•exemple de la plus complète indiscipline.
Les fonctions de cantor n'avaient pour Bach aucun attrait ;
•elles comprenaient, outre sept leçons de chant par semaine,
l'enseignement du latin, de la grammaire et du catéchisme
Ae Luther (en latin). Heureusement le grand musicien trouva
une compensation aux désenchantements d'un travail pénible
^t fort mal rétribué (87 thalers, 46 boisseaux de blé et 13 tha-
1ers pour le bois et la lumière) dans les devoirs auxquels
l'astreignit son titre de directeur de musique. Ck)mme tel,
Bach avait non seulement à exercer une surveillance géné-
rale sur le chant religieux, mais aussi à diriger chaque
dimanche Texécution de motets ou de cantates dans les
églises de Saint-Thonïas et de Saint-Nicolas, office qui n'était
point une sinécure à cause de l'extrême complication du
«ervice divin.
Heureux dans ses créations artistiques, Bach rencontra
dans l'accomplissement de ses fonctions et dans les circons-
tances intimes de sa vie de famille bien des causes de décou-
ragement et de tristesse. Les conflits qui avaient éclaté à
Arnstadt et à Mûlhausen se renouvelèrent et s'accentuèrent
à Leipzig, conflits avec l'Université à propos de direction
musicale, conflits avec la ville à propos de restauration de
la musique religieuse, conflits avec les autorités scolaires à
propos de la nomination des moniteurs du chœur, enfin, de
— 81 —
tous les conflits, le plus terrible, le conflit avec l'esprit du
temps qui menace tous ceux qui dépassent le niveau de leur
époque et les isole au milieu de leurs contemporains. Mais
plus que tout cela, la mort de douze enfants enlevés à la
fleur de Tâge, l'inconduite d'un fils tendrement aimé furent
pour le noble vieillard une croix lourde à porter. Enfin, à
ces diverses causes de tristesse s'en ajouta une dernière, la
cécité. Des opérations plusieurs fois répétées n'eurent d'au-
tres résultats que de briser les forces du maître qui, dans
l'angoisse de son âme, dicta à son neveu un admirable can-
tique, son < chant du cygne, i» Peu de temps avant la fin,
Bach recouvra pour quelques intants la vue ; encore une fois
il put contempler les splendeurs de la nature, les visages
aimés des siens, puis il s'endormit en paix ; c'était le 20
juillet 1750, à neuf heures du soir. Peu de personnes compri-
rent l'étendue de la perte que l'on venait de faire. Les mé-
rites du modeste cantor n'étaient pas appréciés de la foule ;
ils étaient ignorés à l'étranger. A peine l'école pour laquelle
durant bien des années, Bach avait dépensé le meilleur de
ses forces et de son temps se montra-t-elle émue de sa mort.
Le successeur de Bach attendait en soupirant la place que
le comte de Brûhl lui avait depuis longtemps promise.
Le cimetière dans lequel fut déposée la dépouille mortelle
du compositeur ayant été bouleversé, on a pendant plus
d'un siècle ignoré la place exacte où se trouvaient les cendres
de Jean-Sébastien Bach. Grâce aux recherches faites en 1894
et 1895 par le D»" W. Hiss, professeur d'anatomie, avec l'as-
sistance du sculpteur Seffner, on est aujourd'hui définiti-
vement fixé à cet égard.
Si l'on réunit en un faisceau les traits les plus significatifs
de la vie de J.- S. Bach, afin d'en dégager une reconstitution
de sa personnalité morale, on dira qu'au tréfond de son carac-
tère il y a un souffle puissant de religiosité vraie aussi éloi-
gnée d'un formalisme sans vie que d'un piétisme exubérant.
Celui qui intitulait un morceau de musique: c Pensées édi-
fiantes d'un fumeur de pipe, i» ne devait pas s'envelopper du
mST. DU PIANO 6
con-
uypocriiB et, d'autre part, la
, ^,^ ^^'^^^j^git biea vivante chez Thomme dont
pidff^^" féi^ ^^ igré ses épreuves il avait toujours été
^^^^ dir^ ^"^>^ton^^^ ^^^^ P*^ ^^ ^^^ se sentit porté
'^^'reuX' ^^ ^^fi'égii^ plutôt que vers Topera, et si le choral
gfsl» ^'^^'^. i'0xpression la plus pure et la plus parfaite de
gop ^"'fjyojis pas à caractériser ici la musique religieuse
i^^^^ mais uniquement les compositions du maître
^^. p^ur clavecin. Celles-ci, très nombreuses, compren
t outre le clavecin bien tempéré, des Suites, des Sym-
honies, des Concertos, des Inventions, des Fantaisies, des-
Variations, etc.
C*est à Kœthen que Bach composa la première partie du
Clavecin bien tempéré^ ouvrage qu'il termina, en 1740, à
Leipzig* Devenu le bréviaire des pianistes, le Clavecin bien
tempéré est une collection de quarante-huit préludes et
fugues embrassant toutes les tonalités usitées dans la mu-
sique de piano. Tous ces morceaux appartenant au style
fugué, il semble qu'une incurable monotonie devrait planer
sur le recueil ; or, il n'en est rien tant est grande la variété
que le compositeur a su introduire dans des formes inva-
riables. Bach a misia vie avec la diversité de ses manifesta-
tions, joie et tristesse, regret et espérance, plainte résignée,,
accent de triomphe, dans un moule qui est mort pour nous
parce que nous ne nous en servons plus. « Chacune de ces
quatre-vingt-seize pièces, écrit M. W. Cart, un très intelli-
gent biographe et commentateur de Bach, est elle-même une
individualité bien marquée.... Chacune d'elles a sa physio-
nomie propre, caractéristique comme un profil de médaille.
Dans l'ensemble de ce recueil, nous voyons se refléter tout
entière la grande âme du maître, b et Rûbinstein, de son
côté, constate que dans le Clavecin bien tempéré on trouve
a des fugues de caractère religieux, héroïque, mélancolique,
majestueux, plaintif, humoristique, pastoral et dramatique. >
€ Toutes ces fugues, ajoute-t-il, n'ont qu'un point de com-
— 8â —
mun, la beauté. En outre, les préludes sont d'une splendeur,
d'une perfection et d'une diversité étonnantes, i»
Il est difficile de faire un choix dans les quatre-vingt-seize
morceaux dont se compose le Clavecin bien tempéré ; en dé-
tachant les meilleures pièces du recueil, on finirait par le
parcourir en entier. On peut toutefois relever, dans la pre-
mière partie, la majesté de la fugi^ en Ré majeur (N® 5),
l'heureux mélange de grâce et de finesse du prélude qui lui
sert d'introduction, le caractère dramatique du prélude en
Mi b mineur (N® 8).
i
^^'±
l'éclat du prélude et de la fugue en Sol majeur (N«> 45), le
charme intime du prélude en La b majeur (N« 17), la gravité
solennelle du prélude et de la fug\ie en Si mineur^ et dans
la seconde partie : l'élan des préludes et fugues en Ré mxijeur
et en Ré mineur (N<>« 5 et 6), la grâce exquise du prélude en
Mi b majeur dont voici les premières mesures :
— 84 —
La fugue qui suit ce prélude laisse l'auditeur comme Texé-
cutant sous une impression de calme et d'apaisement.
Il serait superflu de multiplier les exemples ; au reste,
l'étude personnelle et consciencieuse du Clavecin bien tem-
péré est indispensable à quiconque veut s'approprier les
trésors contenus dans ce recueil. Il importe seulement que
les jeunes pianistes qui entreprennent ce travail se persua-
dent bien que Bach n'écrit pas pour l'unique plaisir des
oreilles ; il importe également qu'ils ne se rebutent pas dès
le début devant l'apparente aridité des compositions en style
fugué, ainsi que devant les difficultés d'exécution qu'elles
présentent.
Les fugues de Bach sont difficiles à jouer, surtout celles
qui appartiennent à des tonalités peu employées ; on ne s'en
rendra maître qu'en les étudiant lentement et en ne s'appro-
chant que peu à peu, par degré, du mouvement voulu. C'est
bien à ce propos que l'on peut dire avec le fabuliste :
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
L'étude du Clavecin bien tempéré exige une forte tension
d'esprit et de volonté, mais une fois la difficulté vaincue, ou
éprouve une jouissance artistique d'ordre supérieur à la-
quelle se môle la satisfaction moralement bienfaisante que
procure la conscience d'une victoire remportée, d'une posi-
tion vaillamment conquise, au prix, s'il le faut, de quelques
sacrifices.
Au point de vue technique la pratique du Clavecin bien
tempéré est éminemment profitable, car elle favorise l'indé-
pendance des doigts, l'égalité du toucher.
Le Clavecin bien tempéré n'est pas le seul recueil de Bach
— 85 —
dans lequel on rencontre des préludes et des fugues. Ainsi
la collection publiée par F. Kullak (édition Steingrâber,
N^ 110) contient entre autres une fugue et six petits pré-
ludes ; parmi ces derniers le numéro % en Do mineur :
Con moto, — M* M» J = 92.
^^
a un charme tout particulier fait de grâce et de mélancolie ;
la même phrase musicale persiste jusqu'à la fin, mais les
modulations heureusement préparées, les crescendo et les
decrescendo habilement ménagés introduisent un élément
important de variété dans le morceau, très vivant, sous son
apparente uniformité.
Les inventions à deux ou à trois voix renferment dans un
cadre restreint de précieux trésors non seulement d'harmonie
et de mélodie, mais aussi de sentiments tour à tour tristes
ou enjoués ; l'émotion contenue coudoie la note gaie, humo-
ristique même. Le numéro 3, en Fa majeur (page 14 de la
collection Kullak), un allegro scherzando est un badinage
où la science du contrepointiste s'unit sans effort au sourire
aimable du bienveillant cantor ; voici les premières mesures
de cette page charmante :
— 86 —
P=*
3
Eî
É^
dim.
Les inventions à trois voix aussi désignées sous le nom de
symphonies sont un peu plus compliquées que celles à deux
voix, mais elles présentent les mêmes caractères et les
mêmes qualités. On en trouvera un grand nombre dans la
collection de Kôhler ainsi que dans l'ouvrage italien publié
sous ce titre : Invcnzionx a 2 e 3 parti per pianoforte de
Joh.'Seb, Bach rivedute da Giuseppe Buonamici. (Florence et
Rome.)
— 87 —
Les concertos de Bach ne ressemblent que par le cadre
général aux compositions que nous désignons habituelle-
ment sous ce nom ; ainsi le Concerto italien dont Kôhler
•donne la première et la troisième parties, comprend, comme
notre Concerto, un morceau lent entre deux morceaux ra-
pides. 11 en est de même pour le Concerto en Do majeur à
deux pianos dont les deux allégros sont pétillants d'esprit,
tandis que Tadagio en La mineur est d'une indicible mélan-
colie. Reprise à tour de rôle par chacun des deux instru-
ments cette phrase :
a l'accent d'une douleur résignée ; on dirait un duo entre
deux personnes se plaisant à confondre leurs larmes et leurs
soupirs.
Kôhler a admis dans sa collection deux fantaisies de Bach,
celle en Do mineur et la Fantaisie chromatique en Ré mineur,
deux compositions très originales dont la seconde surtout
est plus difficile à interpréter qu'à exécuter.
Les suites se divisent en deux séries de six numéros cha-
cune, les Grandes suites ou Suites anglaises et les Petites
suites ou Suites françaises. A la première série appartient
un Prélude en Sol mineur (Kôhler, II, 213) et à la seconde
appartiennent les compositions publiées par Kullak c alle-
mande, courante, gavotte, bourrée, gigue. Les Suites fran-
çaises, faciles à jouer, sont charmantes ; « elles ont, dit
M. Cart, le goût, le sourire discret, le langage doux et dé-
licat de gens bien nés qui se comprennent à demi mot. ))
Bach ne fut pas moins remarquable comme exécutant que
comme compositeur. D'après le témoignage de son propre
fils Philippe-Emmanuel, voici comment il jouait du clavecin:
- 8ÎJ —
< Les cinq doigts recourbés de manière à faire tomber per-
pendiculairement leur extrémité sur le clavier, au-dessus-
duquel ils formaient une ligne parallèle, toujours prêts à
obéir. Le doigt ne se levait pas perpendiculairement en quit*
tant la touche, mais se repliait plutôt en glissant vers la
paume de la main ; dans le passage d'une touche à l'autre^
le glissement servait à communiquer au doigt voisin la
quantité exacte de pression employée par le doigt précédent ;.
de là, une grande égalité, un toucher ni empâté ni sec. »-
Après avoir cité ce passage d'un ouvrage de Phil.- Emma-
nuel Bach, le célèbre organiste et pianiste-compositeur
C.-M. WiDOR ajoute : a Bach avait la main relativement fort
petite ; le mouvement de ses doigts était à peine perceptible,,
les premières phalanges remuant seules. Sa main conservait
la forme arrondie, même dans les passages les plus difficiles,,
dit Forkel ; les doigts s'élevaient fort peu au-dessus du cla-
vier, à peine un peu plus que dans le trille ; dès qu'un doigt
cessait d'être employé, il avait soin de le replacer dans la
position élémentaire. Le3 autres parties de son corps ne pre-
naient aucune part à son exécution, contrairement à ce qui
arrive à beaucoup de gens dont la main n'a point une agilité
suffisante ^]»
Le doigter anciennement employé ne suffisant pas à l'exé-
cution des œuvres souvent compliquées de Bach, le maître-
en inventa un nouveau dans lequel le pouce et le petit doigt
jadis négligés. eurent leur rôle à jouer et dans lequel en
outre la touche correspondant à un son prolongé était fré-.
quemment tenue par plusieurs doigts se relayant les uns les-
autres.
Bach exécutait ses compositions les plus difficiles avec
aisance et une finesse incomparables, généralement dans un
mouvement vif.
Entre les mains de J.-S. Bach, l'art de la fugue est par-
venu à son point culminant et comme la presque totalité des
œuvres du maître sont écrites en style fugué l'étude de ses
* A. Pîrro, L'orgue de J*-S. Bach, p. 17.
- 89 -
compositions constitue un élément, très spécial si Ton veut,
mais cependant très important de l'éducation musicale du
pianiste. Lorsque Chopin se préparait à donner un concert,
pendant quinze jours il ne jouait que de la musique de
Bach. « Par elle, écrit M^« Jaêll, l'exécutant apprend à se
dominer, à être à la fois impassible et vivant, à s'assimiler
cette force d'arrêt contre la sensibilité inutile, cette contem-
piation muette de la vie qui semble nous mettre à l'abri de
certaines surprises, de certains regrets, de certains désirs.
Sans l'œuvre de Bach qui ne suggère pas l'inactivité, mais
semble la réprouver, notre conscience artistique serait incom-
plète,..* c'est que Bach a dû exister pour que Beethoven puisse
naître ^ -»
Il est permis d'ajouter qu'à n'envisager les choses qu'au
seul point de vue technique l'étude de Bach est une prépa-
ration nécessaire non seulement à celle de Beethoven, mais
aussi de tous les compositeurs qui ont enrichi de leurs pro-
duits la littérature du piano. En cultivant la musique de
Bach, on s'arme contre les écarts du sentimentalisme aux-
quels le romantisme ouvre aisément la porte, et l'on acquiert
ce mélange de force et de grâce qui est une condition fonda-
mentale de l'exécution pianistique comme de l'art lui-même.
Pour obtenir un jeu parfaitement correct, sobre, mais viril,
il n'y a pas de meilleure école que celle de Jean-Sébastien
Bach.
L'édition complète des œuvres de Bach, publiée |à Leipzig par
la maison PeterSy renferme les compositions suivantes pour cla-
vecin : première et seconde livraison, Le clavecin bien tempéré ;
troisième livraison , L'art de la fugae (avec explications de
Hauptmann) ; quatrième et neuvième livraisons, Préludes, toc^
eateSf Janiaisies eijugues ; cinquième livraison, Six exercices
en Suites pour clavecin, op. i ; sixième livraison, Concerto
italien. Ouverture française, petites compositions; huitième
livraison, Six grandes suites anglaises ; dixième livraison. Six
grandes sonates pour clavecin et violon ; onzième et quatorzième
* M"* Jaëll, La musique et la piychophysiologie, p. 106.
- go-
livraison, concertos pour trois clavecins avec accompagcnement
de quatuor d'intruments à cordes; quinzième livraison, seize
concertos pour violon de Vivaldi, trancrits pour clavecin ; sei-
zième livraison, concerto pour clavecin et deux flûtes avec qua-
tuor d'instruments à cordes; dix-sepUème à vingt -deuxième
livraison, concertos pour clavecin avec quatuor d'instruments à
cordes ; ving't-troisième livraison, concerto pour clavecin, flûte
«t violon avec quatuor d'instruments à cordes.
Une « collection de compositions pour clavecin de J.-S. Bach, )»
en quatre volumes, a paru chez L. Ifi^LLE à Wolfenbûttel.
L'édition de la SOCIÉTÉ DE BACH (Breitkopf et Hârtel, 35 vol.
g'r. in-folio, 37 fr. 50 le volume broché) renferme dans les tomes
III, IX, XIII (seconde livraison), XIV, XV, XVII, XXI (seconde
livraison) les œuvres pour clavecin de J.-S. Bach.
La même maison Breitkopf et Hârtel a publié les œuvres
de J.-S. Bach pour clavecin avec doigler et indications touchant
l'exécution, à Tusag'e du Conservatoire de Leipzig-, par C. Rei-
necke, sept volumes cartonnés en rouge.
Enfin la collection Litolff réunit les œuvres pour clavecin de
J.-S. Bach en deux volumes ou en quarante et un numéros sé-
parés.
*
L'influence de J.-S. Bach se fit sentir non seulement par
ses compositions, mais aussi par les élèves qu'il forma ; au
nombre de ces derniers, quelques-uns acquirent une réputa-
tion parfaitement justifiée ; nous les passerons rapidement
en revue et, au risque d'altérer parfois Tordre chronologique,
nous nous occuperons d'abord des fils de l'illustre cantor,
héritiers les plus directs de son génie.
L'aîné, le mieux doué, mais aussi le plus malheureux de
tous, Wilhelm-FRIEDEMANN Bach, naquit à WTeimar en
1740. Fondant sur lui les plus belles espérances, son père ne
recula devant aucun sacrifice pour lui faire donner la meil-
leure éducation possible. Il lui enseigna lui-môme l'orgue,
le clavecin, le contrepoint et le confia à Graun pour l'étude
du violon dans laquelle il fit de rapides progrès. L'affection
de Jean-Sébastien pour son premier-né était si grande qu'il
ne s'en séparait presque jamais.
— 91 —
Dès 1722, Wilhelm-Friedemann suivit des cours de droit
à l'Université de Leipzig sans négliger ses études musicales.
Bientôt considéré comme le premier organiste de son temps,
il fut attaché à l'église de Sainte-Sophie, à Dresde (1733).
C'est pendant son séjour dans cette ville qu'il composa pour
le clavecin six sonates et douze polonaises.
En juillet 1746, Wilhelm-Friedemann se fixa à Halle où
s'écoulèrent les vingt années les plus fécondes de sa carrière
artistique, d'où le nom de Bach de Halle sous lequel il est
habituellement désigné.
Les fonctions auxquelles Wilhelm-Friedemann fut appelé à
Halle l'obligèrent à beaucoup composer pour l'église, aussi
la plupart de ses œuvres appartenant à cette époque ont-
elles un caractère religieux.
En 1764, Friedemann Bach quitta Halle où il n'apportait
plus dans l'accomplissement de ses devoirs toute la régula-
rité désirable ; dès lors il mena une vie passablement errante,
cherchant à pourvoir à sa subsistance par des leçons, des
concerts, et par ses compositions. Après un séjour assez
prolongé à Brunswick, puis à Gœttingue, il se fixa à Berlin
où il mourut misérablement le i^^ juillet 1784.
Lorsque Friedemann arriva à Berlin (1774), il débuta par
un concert d'orgue et, quoiqu'il fût âgé et physiquement usé,
il produisit une impression considérable.
De temps en temps la flamme de l'inspiration se ranimait
dans son cœur ; il faisait des plans pour la composition d'un
opéra, il écrivait quelques morceaux de musique instru-
mentale, il donnait un certain nombre de leçons ; avec un
peu plus de régularité, il eût eu une foule d'élèves. Malheu-
reusement son penchant à la boisson le rendait incapable
d'un travail sérieux et persévérant. On a toutefois conservé
le nom d'une de ses élèves qui lui resta fidèle jusqu'à la fin ;
c'était M"e Sarah Lévy, née Itzig, grand'mère de Félix Men-
delssohn-Bartholdy.
Les dernières années de Friedemann Bach furent absolu-
ment lamentables; abruti par l'alcoolisme, il était devenu
— 92 —
grossier, dur envers les membres de sa propre famille qu'il
laissait dans le dénûment le plus complet.
En 1754, Wilhelm-Friedemann Bach avait épousé Dorothée-
Elisabeth Georgi. Il en eut trois enfants: Wilhelm-Adolphe,.
Wilhelm-Friederich, Frédérique-Sophie. Les deux garçons
moururent jeunes ; seule la pauvre Sophie vécut assez long-
temps pour prendre sa part des épreuves de son infortunée
mère. La destinée de Wilhelm-Friedemann Bach est d'autant
plus navrante que de tous les fils de J.-S. Bach, c'était celui
qui avait le plus de génie et qui était demeuré le plus fidèle
à la tradition paternelle.
Les principales œuvres écrites pour le clavecin par
Wilhelm-Friedmann Bach sont, outre les sonates et polo-^^
naises déjà mentionnées, une sonate pour deux clavecins,
huit fugues dédiées à la princesse Amélie, dix concertos^ dix
soncUeSy des fantaisies et un certain nombre de morceaux de
moindre envergure.
On trouvera des compositions pour clavecin de Wilhelm-
Friedemann Bach dans les deux collections de musique
ancienne de Pauer et dans un recueil de fugues et polo-
naises édité par Peters.
Moins remarquable que son frère aîné au point de vue du
génie musical, le troisième fils de Jean-Sébastien, CHARLES-
Philippe-Emmanuel Bach, présente au point de vue de
l'histoire de la musique un plus grand intérêt parce qu'en
ce domaine il joiia le rôle de novateur.
Charles-Philippe-Emmanuel Bach est né le 14 mars 1714 à
Weimar. Il avait dix ans quand son père s'établit à Leipzig.
Après avoir terminé le cycle des études à la Thomasschule,.
il étudia le droit à Leipzig et à Francfort. Pour le clavecin
et la composition, il déclare lui-même n'avoir jamais eu
d'autre maître que son père. Si l'on tient compte du milieu
artistique dans lequel il grandit, on ne sera certainement
pas surpris que l'amour de la musique l'ait promptement
emporté chez lui sur lés préoccupations juridiques. Les dis-
positions artistiques de Philippe-Emmanuel se révélèrent dès
— 93 —
ses jeunes années par la composition de sonates et sona-
tines pour clavecin, puis à Francfort, par l'organisation et
4a direction de grandes solennités musicales.
£n 1740^ Philippe-Emmanuel Bach entra au service de
Frédéric II. Ses fonctions consistaient à accompagner le roi
dans les concerts privés, ce qui n'était point chose facile, le
souverain se permettant de nombreuses libertés vis-à-vis de
ia mesure. Bach occupa cette place jusqu'en 1767, époque à
laquelle il répondit à un appel qui lui était adressé de Ham-
bourg.
Durant son séjour de vingt-sept ans à la cour de Frédéric
le Grand, Philippe-Emmanuel Bach écrivit un nombre con-
-sidérable de morceaux pour orgue, de cantates, d'ouvrages
théoriques et pour le clavecin seul pas moins de 237 compo-
sitions telles que sonates, concertos, fantaisies, menuets, po-
lonaises, airs variés, fugues, etc., avec ou sans accompagne-
ments de divers instruments. C'est toutefois à Hambourg
que son génie musical prit tout son essor. Le nombre et
l'importance des œuvres qu'il composa pendant cette der-
nière période de sa vie sont la meilleure preuve de son acti-
vité. Outre 200 compositions pour clavecin, des oratorios,
des cantates, des chorals attestent là prodigieuse activité du
maître.
Dès les premiers temps de son séjour à Hambourg, Phi-
lippe-Emmanuel Bach organisa des séries de concerts. A cet
égard, le communiqué suivant inséré en 1768 dans un
journal hambourgeois, est instructif: a Avec l'autorisation
des magistrats de la ville et sur le désir exprimé par de
nombreux amateurs de musique, M. le maître de chapelle
Bach dirigera cet automne et cet hiver un concert public qui
aura lieu tous les lundis de 5 à 8 heures du soir si le nombre
des souscripteurs est suffisant. Le chiffre des concerts est
fixé à vingt et le prix de souscription à 10 thalers. Le pre-
mier concert aura lieu le 31 octobre si l'entreprise réussit.
Pour renseignements plus détaillés sur l'organisation de ces
concerts, on est prié de s'adresser à M. Bach, Bôhmerstrasse,
— 94 —
etc. -» Les concerts durèrent quelques années, puis le maitre
en abandonna la direction ; une correspondance adressée à un
journal de Tépoque fournit quelques indices sur les motifs
de cette retraite. Voici ce qu'on écrivait en 1784 au Magazxn
fur Musik : (l En été, tout ce qui s'appelle le beau monde vit
dans les jardins et, en hiver, les clubs, les assemblées, les
loteries, les pique-niques, les banquets se renouvellent si
fréquemment que ce n'est qu'avec une peine extrême qu'un
concert peut trouver quelques heures libres, afin de s'y fau-
filer. Le dimanche, il ne peut y avoir de concert, car cela
serait contre l'orthodoxie. Trois ou quatre jours par semaine
sont jours de poste (Posttage) et en ces jours-là aucun com-
merçant, employé de biif*eau, commis, n'a le temps de songer
à des concerts. Les autres jours, il y a comédie ; il ne reste
donc que le samedi, jour durant lequel chacun tâche de se
remettre des mauvaises affaires, des pertes de jeu ou de trop
plantureux soupers, d Telles étant les' circonstances, on con-
çoit que Philippe-Emmanuel Bach ait renoncé à pourvoir aux
besoins artistiques des Hambourgeois.
En 4778, une terrible épreuve, la mort d'un fils passioné-
ment aimé, assombrit le soir de la vie du grand artiste. Dix
ans plus tard, il suivit son enfant dans la tombe. Philippe-
Emmanuel Bach mourut en effet à Hambourg le 15 décembre
1788, à l'âge de soixante-quinze ans.
Désigné tantôt sous le nom de Bach le Berlinois, tantôt
sous celui de Bach le Hambourgeois, Philippe-Emmanuel a
énormément écrit ; en ce qui concerne la littérature du
piano, on lui doit, outre plus de 400 compositions pour cla-
vecin, un ouvrage théorique sur l'art de jouer de cet instru-
ment.
Voici une analyse de ce curieux traité qui a pour titre : Essai
sur la véritable manière déjouer du clavecin , avec exemples
et dix-huit pièces de conviction en six sonates par Charles-Phi-
lippe-Emanuel Bach, musicien de chambre à la cour royale de
Prusse, Berlin, 1788.
Dans la préface, l'auteur annonce que son intention est^ avec
— 95 —
rassentiment de connaisseurs intelligents, de montrer la véritable
manière de jouer du clavecin ; il ajoute qu'il a en vue, non seule-
ment les élèves, mais aussi ceux des maîtres qui n'enseignent pas
suivant les principes fondamentaux de Tart.
U introduction mentionne comme principaux objets de l'expo-
sition qui suivra : le doigter correct, la bonne tenue, la bonne
exécution. L'auteur relèvera les défauts des exécutants, ainsi
que ceux des professeurs dans leurs méthodes d'enseignement ; il
indiquera les particularités distinctives du clavecin et du clavi-
corde en supposant toujours que l'exécutant possède un bon ins-
trument.
L'ouvrage proprement dit se partage en sections, chapitres,,
paragraphes.
La première section traite du doigter, de la position des mains
et des doigts devant le clavier. Cette première section se termine
par des considérations sur l'emploi du pouce et sur le remplace-
ment d'un doigt par un autre.
La seconde section se divise en neuf chapitres, dont le premier
traite des ornements en générsJ. L'auteur parle de leur néces-
sité ; il distingue entre bons et mauvais ornements et les partage
en deux classes :
a) ceux qui sont indiqués par des signes particuliers ;
b) ceux qui sont indiqués par des petites notes.
Le second chapitre traite de l'appoggiatura (petite note non
contenue dans l'harmonie ni dans la mesure).
Le troisième chapitre traite des trilles ordinaires, demi-trilles,
trilles prolongés, de leurs défauts et de la manière de les exécuter.
Le quatrième chapitre traite des gruppetti (groupe de plusieui's
petites notes précédant l'attaque d'une autre note dont la durée est
plus longue),
Ex.
de leurs variétés, de leur emploi, de leur association avec les
trilles, des signes par lesquels on les indique.
Le cinquième chapitre traite du mordant, le sixième de l'agré-
ment ; le septième d'une forme particulière d'agrément, composé
de deux ou trois notes :
'e.. hjr-à-H-H °"t=^T#n
de son emploi dans les adagios et dans les dissonances.
— 96 —
Le huitième chapitre traite d'un agrément formé de deux notes,
dont la première est sur le même degré que la note principale, et
la seconde d'un degré plus élevé.
Le neuvième chapitre traite de tous les ornements qui se ratta-
chent à la cadenco, le point d'orgue, etc.
Bach consacre la troisième section de son ouvrage à ce qui
concerne l'exécution ; après avoir montré que le savoir et l'agilité
ne suffisent pas à constituer un bon exécutant, l'auteur met en
relief les caractères auxquels on reconnaît une exécution pleine-
ment satisfaisante ; il insiste sur la difficulté qu'il y a à chanter
un adagio avec les instruments en usage et sur le devoir d'adapter
l'exécution au contenu du morceau.
L'ouvrage entier se termine par des considérations sur l'expres-
sion et sur l'emploi des ornements et des cadences.
Les compositions de Charles-Philippe-Emmanuel Bach
pour clavecin ont un intérêt essentiellement historique ; le
grand mérite de ce compositeur est d'avoir ouvert des hori-
zons nouveaux à la musique de piano et, en particulier,
d'avoir créé le cadre classique de la sonate tel que, dans ses
traits généraux, il s'est conservé jusqu'à nos jours.
Si l'on veut se faire une idée personnelle des caractères
distinctifs des compositions de Philippe-Emmanuel Bach, il
ne sera pas nécessaire de toutes les jouer; il suffira d'étudier
les œuvres réunies dans le quatorzième volume de la Biblio-
thèque des pianistes (Paris, Schônenberger) ; on y trouvera
onze sonatesy deux fugues^ une courante^ une sarabande, trois
menuetSy une gigue^ une fantaisie et deux rondos^ le tout pré-
cédé d'une notice biographique par F.-J. Fétis. Les six so--
notes publiées par H. de Bûlow sont également très instruc-
tives. Un allegro en La majeur emprunté à la seconde de ces
sonates se trouve dans les AUe Meister de Pauer ; ce morceau,
de belle facture, a beaucoup d'élan ; il peut servir d'intro-
duction à l'étude de la musique moderne de piano.
Jean-CHRISTOPHE-FRÉDÉRIG Bach, surnommé le Bach de
BûCKEBOURG, né en 1732, mort en 1795, est peu connu. On
lui doit quelques compositions pour clavecin ; Pauer cite de
lui un rondo en Do majeur. Le même éditeur a publié une
— 97 —
admirable sonate de Jean-ChréTIEN BacH, dit le Milanais,
né en 1735, mort en 1782, après avoir été organiste à Milan
et maître de chapelle à Londres. La première et la troisième
parties de sa sonate en Si 6 majeur sont remarquables à
divers titres ; la grâce et l'énergie s'y associent sans effort, et
quant à la seconde partie, en Mi b majeur, c'est un pur chef-
d'œuvre. Le début :
' pi-r ^iJ I
est d'une exquise tendresse, tandis que le formidable cres-
cendo des sixtes et des tierces^
BIST. DU PIANO
— 98 -
qui prépare la cadence finale, est d'un grandiose et irrésis-
tible effet.
La collection de Pauer, AUe Claviermusiky contient enfin
une Fantaisie et Fugue de WILHELM-FRËDËRIG-ERNEST BACH,
fils aîné de Jean-Christophe-Frédéric, le Bûckebourgeois. Né
le 27 mai 4759, ce dernier rejeton de l'illustre famille vécut
d*abord à Londres, auprès de son oncle ; dès 1798, il remplit
les fonctions de maître de chapelle à la cour de Prusse où il
dirigea l'éducation musicale de tous les enfants de Frédéric-
Guillaume III. Ses compositions lui acquirent une grande
considération auprès de la famille royale. F.-E. Bach est
mort à Berlin le 25 décembre 1845.
En dehors de la famille Bach, quelques musiciens qui,
sans s'élever à la hauteur du maître, appartiennent cepen-
dant à son école ont écrit pour le clavecin des œuvres esti-
mables. 11 nous reste à leur consacrer une brève notice.
Né en 1721 à Jungbunzlau (Bohême) GEORGE Benda rem-
plit avec distinction les fonctions de maître de chapelle et
de directeur de musique successivement à Berlin, Gotha,
Hambourg. Il mourut à Kôstritz le 6 novembre 1795. Violo-
niste, hautboïste et claveciniste de premier ordre, Benda
composa des opéras, des mélodrames, des morceaux de cla-
vecin, entre autres une Sonate en Sol mineur que Pauer a
introduite dans son Alte Claviermusik. Le thème principal
de l'andante en Mi^ majeur
^^^;j^^^=T^i^\^^^
— 99 —
a beaucoup de charme ; les deux premières mesures de cet
andante semblent avoir voltigé autour des oreilles de Hum-
mel quand il écrivait le début de son trio en Mi b majeur,
op. 12.
La sonate de Benda se termine par un Tempo di minuetto
de très vive allure.
En 1757 parurent chez Winter, à Berlin: a Sei Sonate per
il cembalo solo:» de Benda. On a aussi publié du même com-
positeur : a Six collections de morceaux pour clavecin et
pour chant » (Ettinger, à Gotha, 1781), deux « Concerii per
il cembalo, » avec accompagnement d'un quatuor d'instru-
ments à cordes (Schwickert, Leipzig, 1779). « Les œuvres de
Benda pour clavecin, écrit Weitzmann, révèlent d'une façon
réjouissante l'effort accompli par le .créateur du mélodrame
en Allemagne pour attribuer à la musique instrumentale
une expression bien déterminée et facilement intelligible. »
Le maître de chapelle de la cour de Saxe-Weimar, Ernest-
WlLHELM WOLF (1735-1762), est considéré comme un des
musiciens les plus originaux de son temps. Ce compositeur
a écrit des opéras, des opérettes, des concertos, des sonates
et, en particulier, une des plus anciennes sonates à quatre
mains qui ait été composée en Allemagne. Un an seule-
ment auparavant, en 1783, un recueil de «Trois sonates pour
clavecin en double morceau pour deux personnes, à quatre
mains, » avait paru à Dessau ; l'auteur de ces trois sonates
était Christian-Henri Muller, né à Halberstadt le 10 oc-
tobre 1734. Organiste de grand talent, Muller fut longtemps
attaché au dôme de sa ville natale où il mourut le 29 août
1782.
Un élève de Jean-Sébastien Bach et de son fils Friedemann,
Christophe NICHELMANN (1707-1762), second claveciniste à
la cour de Frédéric II, composa douze sonates éditées à Nu-
remberg. Quand, en 175(5, il résilia ses fonctions, il fut rem-
placé par Charles-Frédéric-Chrétien Fasch, théoricien et
— 100 —
compositeur de réel mérite. Né le 18 novembre 1736 à Zerbst
(Anhalt), Fasch fut le fondateur de la célèbre Singakademie
de Berlin. Quatre sonates pour clavecin publiées dans des
recueils du temps attestent l'babileté et le goût musical du
compositeur.
Le célèbre historien et théoricien de la musique FRÉDÉRIC-
Guillaume HARPURG, né le 1«>' octobre 1718 à Seehausen,
mort à Berlin le 22 mai 1795, n'appartient à la littérature du
clavecin que par un petit nombre de compositions d'impor-
tance secondaire. Cependant Pauer a inséré dans son Alte
Claviermusik un prélude et un caprice en Do majeur dédié
par Marpurg à Philippe-Emmanuel Bach.
Un autre théoricien célèbre, Jean-Philippe KIRNBERGER, a
laissé des œuvres pour clavecin qui ne sont pas sans intérêt.
Né le 24 avril 1721, Kirnberger se rendit en 1739 à Leipzig,
afin d'y terminer son éducation musicale sous la direction
de Jean-Sébastien Bach. Sur la recommandation de Graun,
il fut nommé maître de chapelle à la cour de la princesse
Amélie de Prusse, fonctions qu'il conserva jusqu'à sa mort
(27 juillet 1783). Kirnberger publia dans divers recueils des
menuets, des polonaises, des airs variés pour clavecin. Au
nombre des œuvres de ce compositeur éditées par Pauer, on
trouvera: a) dans Alte Claviermusik une courante en Lab
majeur, une gavotte en Ré mineur, une gigue en Mi b ma-
jeur et un allegro en La b majeur ; b) dans Alte Meister, une
fugue à trois voix en Ré mineur et une fugue à deux voix
en Ré majeur, celle-ci écrite avec humour et point trop dif-
ficile à exécuter. Le style de Kirnberger est strictement con-
forme aux règles du contrepoint.
Un élève de Jean-Sébastien Bach qui passa pour le plus
grand organiste de son temps, Jean-LOUIS KREES, a composé
pour le clavecin des œuvres d'une valeur inestimable. Né le
10 octobre 1713 à Buttelstâdt (Saxe-Weimar) où son père
remplissait les fonctions de cantor, J.-L. Krebs fut appelé dès
1751 à tenir les orgues à Allenbourg. Deux PaHita de sa com-
position figurent dans les Alte Mexster de Pauer. La première
— 101 —
en Si b majeur comprend dix morceaux, parmi lesquels une
corrente écrite dans un rythme original, piquant :
La cadence majestueuse de la seconde Partita en Mi b ma-
jeur:
Arpeggio.
AU^ro.
Hem moêio.
Allegro motto.
— 102 —
Andante.
rappelle Hândel tandis que tel autre passage du même mor-
ceau, d*une extrême suavité,
eon più aprestione
a un caractère éminemment expressif dont l'empreinte se
rencontre rarement aussi fortement marquée dans les com-
positions des clavecinistes.
La seconde Partita contient entre autres une polonaise en
Mi b majeur curieuse à étudier parce qu'elle présente sous
son aspect le plus primitif, le plus élémentaire, ce genre de
morceaux que Chopin a porté à son plus haut point de per-
fection artistique.
Deux élèves de Philippe-Emmanuel Bach méritent d'être
mentionnés; ce sont: JEAN- GUILLAUME HASSLER, né le 29
mars 1747 à Erfurt, mort à Moscou le 25 mars 1822 et NlGOLAS-
JOSEPH HULLMANDEL, né en 1751 à Strasbourg, mort à Lon-
dres en 1823. Dans \esAlte Meister, Pauera publié une sonate
en La mineur de Hàssler, et dans l'appendice de son Histoire
du piano, Weitzmann donne un divertissement en Do mineur
— 103 —
de HûUraandel. Esprit très cultivé, ce compositeur s'était
fixé à Paris d'où la Révolution le chassa ; c'est alors qu'il se
rendit à Londres où il termina sa carrière entouré de la con-
sidération de tous ceux qui eurent l'occasion d'apprécier la
beauté de ses œuvres et la noblesse de son cœur.
A l'époque où nous sommes parvenus, le mouvement
artistique s'accentuait dans le sud de l'Allemagne, tandis
qu'en Autriche, Vienne se préparait à devenir le centre de
la vie musicale en Europe.
Le fondateur de VEcole viennoise fut JEAN FUX, théoricien
et compositeur. Son principal ouvrage a pour titre: Gràdus
ad Pamassum sive Manductio ad compositionem musicœ re-
gularem; on le traduisit en allemand, en italien, en français,
en anglais. Né en 1660, Fux mourut le 14 février 1741.
Outre Gottlieb Muffat dont il a été parlé plus haut, Fux
eut pour élève GEORGE - CHRISTOPHE WAGENSEIL dont les
« Symphonies pour clavecin avec deux violons et basse »
furent très appréciées. Né en 1668, mort en 1779, Wagenseil
fut directeur de musique à la cour; on raconte qu'à l'âge de
quatre-vingt-quatre ans il donnait encore des leçons et jouait
du clavecin avec beaucoup de feu. Wagenseil a composé des
sonatesy des divertissements et un recueil intitulé : « Suavis
artificiose elaboratus Conventus musicus, continens VI par-
thias selectas et clavicymbalum compositas. » Une sonate en
Fa majeur de Wagenseil figure dans les Alte Meister de
Pauer.
Un compositeur fécond, JEAN Wanhall (Van Hall, Vanhall)
fut de 1760 à 1780 un des clavecinistes des plus à la mode à
Vienne. Né le 12 mai 1739 à Neu-Rechanitz (Bohême), Wan-
hall fit jouer à Rome deux opéras de sa composition. Dans
ses œuvres pour clavecin, ce maître recourt à des procédés
nouveaux qui produisirent sur les auditeurs un effet extra-
ordinaire. On lui doit de nombreuses contributions à la lit-
térature du piano; entre autres: Trois caprices (op. 14),
36 morceaux progressifs de clavecin (op. 41, Leipzig, Peters),
12 fugues, une sonate militaire, une sonate caractéristique et
— 104 —
environ 70 cahiers de variations. Wanhall, dont les compo-
sitions appartiennent, du moins pour la forme, à la période
suivante, mourut le 26 août 1813.
Né le 25 novembre 1752 à Kœnigsberg, Jean-FRÉDÉRIC
REIGHARDT, successivement maître de chapelle à Berlin et
inspecteur des salines à Halle, écrivit des opéras, des ora-
torios, des cantates, des symphonies et quelques ouvrages
sur la musique. Ses œuvres pour clavecin trahissent ua
effort persévérant dans le but de les adapter aussi exacte-
ment que possible aux ressources de l'instrument; comme
les compositions de Wanhall, celles de Reichardt servent de
transition à l'histoire moderne du piano.
Avant de quitter le sol de rAUemagne, nous devons ajouter
quelques mots sur un certain nombre d'ouvrages théoriques rela-
tifs à l'art déjouer du clavecin, sur l'apparition du pianoforte et
enfin sur quelques éditions des clavecinistes allemands parues à
une époque relativement récente. Sur ces divers sujets, nous nous
bornons à reproduire les renseig'nements fournis par Weitzmann
dans son Histoire du piano.
En 1788, François-Antoine MAICHELBUCK, directeur de mu-
sique à Freiberg, publia un ouvrage dans lequel il donne de
bonnes directions sur la manière d'établir et de jouer les parti-
tions à trois ou quatre voix. Son livre renferme aussi des règ-les
pour composer soit dans le style sévère, soit dans le style libre
d'église et de théâtre ; son exposé est accompagné de nombreux
exemples parmi lesquels huit chorals, ainsi que des morceaux
destinés à exercer la main. L'ouvrage de Maichelbuck se divise
en trois parties: i» De clavibus, mensuris et notarum valore ;
2» De fundamentis partiturœ ; 3® Exempla lonorum et versuum.
En 1753 parut l'ouvrage de PHILIPPE-EMMANUEL BACH qui a
été précédemment analysé.
Les importants ouvrages théoriques et historiques de FRËDËRIG-
GUILLAUME MARPURG, parmi lesquels L'art de Jouer du cla-
vecirij parurent de 1753 à 1776.
En 1765, George -Simon LOHLEIN, maître de chapelle à
Danzîg, fit paraître une méthode de clavecin sous le titre de:
Courte et fondamentale théorie de la mélodie et de rhar^
monie expliquée par des exemples pratiques. Le second volume
ne parut qu'en 1781,
— 105 —
En 1767, on signale Tapparition d'une Introduction à la mU'
sique pratique de JEAN-SAMUEL PETRI, cantor à Bautzen. L'au*
tenr de cet ouvrage parle de la musique en général, de la basse
chiffrée, de l'orgue, du clavecin et de tous les autres instruments
à clavier, ainsi que de la manière d'en jouer.
De 1766 à 181 3, le compositeur DANIEL-GOTTLOB TURK, orga-
niste à Halle et professeur à l'université de la même ville rédigea
quelques ouvrages théoriques sur la musique, entre autres une
Méthode de clavecin éditée en 178g à Halle et à Leipzig*.
Une publication analog'ue parue en i8o4 a pour auteur AU-
GUSTÊ-EBERHARD HiJLLER, musicien distingué qui remplit les
fonctions d'org'aniste à Magdebourg' et à Leipzig, celles de cantor
à la Thomasschule et enfin celles de maître de chapelle à la cour
de Weimar où il mourut en 17 17, à l'âg^ de cinquante-deux ans.
Mûller a écrit des concertos, des sonates, des caprices, àesfan--
taisies pour clavecin et une méthode pour cet instrument, qui a
ceci de particulier que l'on y rencontre pour la première fois le
nom àià pianoforte à côté de celui de clavecin. Dans sa méthode,
Tûrk, qui connaissait le pianoforte, se prononçait nettement en
faveur du clavicorde ou clavecin proprement dit, car, écrivait-il,
4c sur aucun autre instrument à clavier on ne peut obtenir une
pareille finesse dans l'exécution, » et, ajoutait-il, « un bon clavi*
corde doit avoir un son fort, plein, mais en même temps agréable,
chantant et qui ne cesse pas immédiatement après la pression des
doigts sur les touches, qui se prolonge au contraire des sons les
plus bas aux sons intermédiaires de telle sorte que l'on puisse
entendre le balancement, ornement inexécutable sur le piano-
forte. » Ce balancement ou tremblement était produit dans les
clavecins au moyen d'une pointe en métal que la pression' de la
touche dirigeait contre la corde et qui ne se retirait que quand
les doigts quittaient la touche K G. -F. WOLF, qui s'exprime plus
nettement encore que Marpurg sur le balancement, prétend que
cet agrément produisait des sons pleins de douceur.
Quant au nom de pianoforte employé pour la première fois
par Mûller dans une méthode de clavecin, la plus ancienne com-
position où il figure est un Duetto pour deux clavecins, deux
pianofortes ou Aent pianos à queue, de Jean-Gottfried MOthel*
Elève de J.-S. Bach, organiste à Riga, Mûthel a écrit àîissonatesy
des ariosi avec variations pour clavessin^ deux Concerti per il
^ Sur le pianoforte le balancemenl est remplacé par le trémolo.
— 106 —
cembalo, etc. Le style de ce compositeur se rapproche de celui de
Philippe-Emmanuel Bach. Burney trouvait ses œuvres plus diffi-
ciles à exécuter que celles de Hàndel, Scarlatti, Schobert, Philippe-
Emmanuel Bach, mais si remplies d'idées nouvelles, si gracieuses,
si parfaites qu'il les considérait comme les produits les plus admi-
rables de l'époque.
Jusqu'à sa mort Philippe-Emmanuel Bach se servit d'un clavi-
corde de Silbermann. Il trouvait que le piano à queue de Kiel
avec ses sons bruyants n'était pas approprié à un jeu fin, délicat ;
quant au pianoforte, voici en quels termes Philippe-Emmanuel
Bach parlait de cet instrument : « Lorsqu'ils sont construits avec
soin de façon à être durables, les nouveaux pianofortes ont bien
des avantages abstraction faite de leur maniement auquel on ne
peut se familiariser sans difficulté. Ils produisent un effet agréable
quand ils sont joués seuls et que la musique n'est pas trop com-
pliquée ; je crois cependant qu'un bon clavicorde^ à la seule ré-
serve du son qui est plus faible, a en commun avec le pianoforte
tous les genres de beauté que présente cet instrument et en sur-
plus, le balancement, le prolongement dc^s sons, puisque, après
le contact avec la touche, je puis encore exercer une pression sur
chaque note. Le clavicorde est donc l'instrument avec lequel on
peut le mieux juger des aptitudes et capacités d'un claveciniste. »
Les méthodes pour clavecin et autres ouvrages théoriques ou
historiques ne contribuèrent pas seuls à favoriser le mouvement
musical en Allemagne ; la publication de journaux périodiques
hebdomadaires ou mensuels concourut efficacement au même
résultat. Parmi les plus remarquables de ces publications dans
lesquelles on admettait des compositions inédites pour clavecin, il
faut mentionner le Musikalisches Alleriey, par différents com-
positeurs (Editeurs, F.-W. Marpurg, Berlin, 1760 à 1768); le
Musikalisches Mancherley (Berlin, Winter, 1762 à 1766); le
Musikalisches Vielerley, édité par Charles-Phi lippe-Emmanuel
Bach (Hambourg, Bock, 1770); la Blumenlese fur Clavier-
Liebhaber (Speyev, Bossler, 1782 a 1787); le Clavier-Magazin
far Kenner und Liebhaber, édité par Rellstab (1787 à 1788) ;
la Neue musikalische Zeiischrift (Halle, Hendel, 1792); des
Collections de divers morceaux pour clavecin (Hanovre, Schmidt,
1782 et 1783 ; une Raccolla délie piû nuove composizioni di Gla-
vicembalo, 2 fomi, ouvrage édité par Marpurg (Breitkopf et
Hartel, 175G et 1757); le Wôchentlicher musikalischer Zeit-
vertrieb en quatres parties (1760 et 1761) et enfin les Œuvres
— 107 —
jnêlées, ouvrag-e dont le titre est en français ; les douze parties
Outre les fragments recueillis par Pauer, on trouvera un
certain nombre de spécimens des œuvres des clavecinistes
1 k. Méreaux, Les clavecinistes, p. 30.
— 111 —
anglais dans la collection intitulée Parthenia, laquelle a été
rééditée et précédée d*une substantielle étude sur l'histoire
ancienne du clavecin par le célèbre musicographe Edward
RiMBAULT. Le même auteur a publié en 1860, à Londres,
sous le titre de : The pianoforte, un important ouvrage dans
lequel il étudie l'origine et les progrès de cet instrument. Le
livre de Rimbault est accompagné de nombreux exemples de
musique de clavecin empruntés aux meilleurs maîtres.
CHAPITRE VI
Principaux airs de danse employés par les
anciens clavecinistes.
Dans la musique des anciens clavecinistes^ les composi-
tions désignées sous le nom de Suites ou Parfîtes occupent
une place considérable; il est par conséquent nécessaire
d'indiquer les caractères distinctifs des airs de danse qui
entraient dans la structure de ces compositions, lesquelles,
sous leur forme primitive, comprenaient une série de quatre
à cinq morceaux. Entre ces fragments divers, il y avait une
unité extérieure fondée sur le fait que tous appartenaient à
la même tonalité et une unité intérieure reposant sur la dis-
position triste ou joyeuse, paisible ou animée qui régnait du
commencement à la fin de Tœuvre entière.
Voici maintenant, par ordre alphabétique, les principaux
airs de danse qui figurent dans les compositions des anciens
clavecinistes :
1. Allemande. Ce nom s'applique à trois sortes de compo-
sitions ; il désigne : a) La mélodie d'une danse nationale au
caractère joyeux et dont la mesure est à ^; 6) un morceau à
4 temps d'origine allemande qui occupe le premier rang
dans les suites pour clavecin ou pour d'autres instruments ;
c) enfin une danse nationale souabe à^. Déjà mentionnée
dans un ouvrage de Tielmann Susato (Amsterdam, 1550),
V Allemande à 4 temps introduite dans les suites ne servait
pas à accompagner les danseurs ; chez la plupart des clave-
cinistes français ou allemands cette pièce que Hândel et
Bach portèrent à un haut point de perfection comprenait
— 113 —
deux reprises de longueur à peu près égale et devait oflfrir
l'image du contentement d'esprit.
Les Allemandes de Bach sont harmonisées avec beaucoup
de soin ; on en jugera par les deux premières mesures d'une
Allemande qui appartient à la série des Suites française's :
Comodo, — M. M. ^ = 88.
La première partie, qui se termine en Ré majeur, com-
prend 12 mesures ; la seconde partie, également de 12 me-
sures, commence en Ré majeur pour se terminer par un
retour au ton fondamental de Sol majeur.
Les Allemandes de Hàndel sont construites sur le même
plan que celles de Bach, mais présentent de grandes diver-
sités au point de vue des dimensions générales de Toeuvre ;
tandis que les deux parties de V Allemande placée en tête de
la quatorzième suite :
OîH i". s
^^
HIST. DU PlàMO
8
— 114 —
n'ont que 8 mesures la première et 10 mesures la seconde^
V Allemande qui ouvre la neuvième suite n'a pas moins de-
24 mesures à la première partie contre 28 à la seconde.
Les Allemandes des clavecinistes français diffèrent des.
précédentes par le style plutôt que par la structure du mor-
ceau. Les pièces de ce genre mentionnées par Pauer {Alle-
mande de Henri Dumonty en Ré mineur et Allemande de Ja-
ques Champion de ChambonnièreSy en La mineur) présentent
les mêmes proportions entre la première et la seconde re-
prise, mais les combinaisons harmoniques sont plus simples
et le mode mineur dans lequel ces compositions sont écrites
leur imprime un caractère particulièrement mélancolique.
2. Bourrée. Ancienne danse française au caractère joyeux
à 2 ou 4 temps ; elle se divisait en deux parties chacune de-
8 mesures et commençait toujours sur un temps levé ainsi
qu'on peut le voir par l'exemple suivant emprunté à un&
Bourrée dli compositeur allemand Krebs :
Artistiquement la Bourrée pouvait prendre un développe-
ment considérable. H.^ de Biilow a publié une Bourrée de
ScARLATTi, dont la première partie a 48 mesures, la seconde
45. Composée en 1754 à Aranjuez, dans une maison de plai-
sance du roi, cette œuvre du compositeur italien a beaucoup
de grâce et de brillant.
— 115 —
3. Branle. Danse française qui se dansait en rond comme
le rondo dont elle terminait chaque couplet; la mélodie en
était courte et populaire.
4. CA9ARIE ou Canario (en italien). On désignait sous ce
nom une sorte de gigue qui se jouait dans un mouvement
très vif et sautillant. On l'écrivait à ^, ^, rarement à ^^.
5. CHAGONE ou CHAGONNE; en italien ClAGONA; nom î'une
danse très goûtée en Italie et en Espagne et, par extension,
d'un morceau de musique instrumentale à J ayant cela de
particulier qu'un thème de 4 à 8 mesures, joué par la basse
se répète constamment, tandis que les voix supérieures
accompagnent chacune de ses répétitions de variations aussi
appelées couplets.
La comparaison du thème, de la première et de la troi-
sième variation (deux premières mesures) d'une chacone
de Hândel montrera clairement comment les anciens maîtres
traitaient ce genre de morceaux.
Thème.
V^ variation. 8» variation.
en
a)
2
a>
09
E
Des variations pouvaient aussi être introduites à la basse ;
un intermédiaire mélodique était souvent placé entre deux
variations.
— IIG —
Les chacones des maîtres sont des modèles du genre; celle
de J.- S. Bach pour violon seul est bien connue ; Mendels-
sohn en a publié une édition avec accompagnement de piano,
mais les violonistes préfèrent la jouer telle qu'elle a été
écrite.
6. Gaillarde ou Gagliarde, ancienne danse italienne d'un
caractère joyeux ; on l'écrivait à ^ o^ à * en deux reprises
d'inégale longueur. Souvent la Gaillarde succédait à la Pa-
vane avec le caractère solennel de laquelle elle faisait un
heureux contraste.
7. Gavotte, air de danse qui paraît tirer son nom des
« Gavots, » montagnards habitant une contrée montagneuse
près de Gap en Dauphiné. Cette danse comprend deux re-
prises de longueur inégale dont chacune commence avec le
second temps et finit sur le premier. Le ton dominant de la
Gavotte est celui de la joie, de la gaîté ; selon Mattheson, il
est dans son caractère non de marcher, mais de sautiller.
Toutefois Rousseau prétend que le mouvement de la Ga-
votte peut être n tendre et lent. >
Quelques Gavottes ont en guise de Trio une MusetiCy mor-
ceau à 2 temps qui, comme la Gavotte, comprend deux re-
prises commençant chacune sur le deuxième temps pour
finir sur le premier. Quand la Gavotte est en mineur, la
musette est dans le ton relatif majeur. La particularité de la
Musette consiste en ceci que la basse fondamentale reste tou-
jours la même ce qui produit un effet de monotonie pareil à
celui qui résulte de l'emploi de l'instrument connu sous le
nom de musette ou cornemuse.
De bonne heure la Gavotte fut introduite dans les Suites
et les Sonates, la seconde reprise recevant généralement des
développements plus ou moins étendus, au gré du composi-
teur. La Gavotte dansée flgure également dans un certain
nombre d'opéras. Quelques maîtres contemporains se sont
essayé avec bonheur dans ce genre, ainsi /. Raff dont la Ga-
votte en La mineur est une œuvre pour piano de beaucoup
de valeur.
— 117 —
Pauer a réuni en un cahier (Volksausgabe, Breitkopf et
Hârtel, N^ 361) 25 gavottes appartenant aux écoles allemande,
italienne, française; on y rencontre les noms de Bach,
Hîindel, Gluck pour l'Allemagne ; ceux de Gorelli et Martini
pour l'Italie; ceux enfin de Couperin, Rameau, Leclair,
Lœillet, Exaudet pour la France. Il suffira de parcourir cette
intéressante collection pour se faire une exacte idée de ce
qu'est la Gavotte,
Parmi les Gavottes des clavecinistes italiens une des plus
célèbres est celle de Martini dont voici les premières me-
sures :
ten.
Allegro. — J = 152-160.
^Htr-^
^
J_X^
^
M-^^^
é
i
e
i Û
^
3=t
^^
Les Gavottes de Bach sont artistiquement travaillées ; entre
autres celle en Ré mineur :
Allegro. - J = 152.
t- !^ jj
dont la musette en Ré majeur a beaucoup de charme :
— 118 -
w^
più dolce
-^j ^
n^-m
Les Gavottes de Couperin ont volontiers un accent mélan-
colique, à l'exception toutefois de la gavotte en Sol majeur
connue sous le nom de Bourbonnaise; la mélodie a de la
grâce et du piquant :
Gai ment. — J = 1«'>2.
I
P^^^
^^
■À
^^m
i-j— i-i
3
f
î
±z&.
più dolce
hJ-t4
^
t
i
^
^^
r
Une Gavotte empruntée à l'opéra Paris et Hélène de Gluck
a été transcrite pour piano par F. Planté et pour deux pianos
avec variations par G. Reinecke.
— 119 —
8. Gigue (Giga) ; danse dont la mesure est à # et dont le
mouvement est très accéléré. Scarlatti a écrit des gigues à
ï qui sont fort brillantes. Hândel et Bach terminent volon-
tiers leurs Suites par une gigue qui pour être exécutée con-
venablement exige une habileté technique peu commune.
F. Kullak indique le mouvement d'une gigue de J.-S. Bach
par le chiffre métronomique de 168 correspondant à une
croche pointée; la mesure est à j-y ; un coup d'œil jeté
sur les premières mesures permettra de se rendre compte de
l'effet produit :
Moito vivace. — M. M. é ss i68.
PP
^^
Con tomma Uggere%»a.
^-jia
I ?- -S S-g
D'après J.-J. Rousseau les opéras français contenaient
i>eaucoup de Gigues dans la composition desquelles Corelli
se distinguait.
- 120 —
9. LOURE. Nom d'un instrument qui ressemblait à une cor-
nemuse et d'une danse à J Qui se jouait sur cet instrument;
le mouvement en était modéré.
10. Marches. Les marches ne sont pas des airs de danse^
mais comme elles figurent dans les œuvres de quelques an-
ciens clavecinistes, il convient de les mentionner ici. Elle&
étaient écrites à 4 temps dans un mouvement tantôt grave et
solennel, tantôt résolu et triomphant. La marche pouvait
avoir un accent rustique, mais jamais frivole ou badin.
11. Menuet. Cette danse jouit sous le règne de Louis XfV
d'une faveur qui dura jusqu'à la Révolution française. Elle
comprenait une série de tours et détours que faisaient l'un
après l'autre à pas menus (d'où le nom de menuet) la dame
et le cavalier. Cette danse avait pour caractère la noblesse et
la grâce, aussi la musique en était-elle tout à la fois grave et
élégante.
Le menuet, dont la mesure est à î, se compose de deux
reprises ayant chacune 8 mesures ou, par la répétition de
celles-ci, 16 mesures ; ainsi le menuet de Don Jtiaji, de Mo-
zart :
Répétition de la l""*» reprise, 8 mesures.
limki
2* reprise,
^^ô^'-^f^^^H^f Hf l^nmi-F-^^^J-4
— 121
8 mesures.
r77rr I fj M4^;^gg
Hépétilion de la 2* reprise,
I cyî,t^|rjrf]f uii'f Lir-Jiffî^
8 mesures.
I r i^lcf r Mfe^^^^
h-t/ r rK
i^
Dans son développement artistique, le cadre du Me^iuet
s'est élargi ; un Minuetto en Sol majeur de Scarlatti n*a pas
moins de 38 mesures à la première reprise. La proportion
entre les deux reprises n'existe pas toujours; ainsi, certains
menuets de Hândel ont 8 mesures à la première reprise, 16
à la seconde. En outre, dans le but d'introduire un élément
de variété dans des compositions de ce genre, on ajouta au
menuet primitif un second, parfois même un troisième me-
nuet appelés Minuetto //, Minuetto III, AlternativOy ou encore
DoublCy quand les morceaux secondaires n'étaient que des
variations du morceau principal. Enfin, dès la seconde moitié
du dix-huitième siècle, on compléta le Menuet pair un TriOy
expression dont M. Lavignac explique comme suit l'origine:
« Dans nombre de répons de Palestrina et Vittoria (seizième
siècle) écrits à quatre ou cinq voix réelles, la partie du milieu
ou verset est confiée à trois voix seules, souvent même avec
cette mention ; verset en trio. Une disposition analogue se
retrouve dans le Kyrie ou le Credo des messes des mêmes
maîtres, ou d'autres de la même époque, dans le but évident
de donner plus de richesse à la reprise de l'ensemble ; elle a
— 122 —
*été introduite par la suite dans des pièces instrumentales,
des airs de danse et le nom de trio est resté attaché au milieu
de ces petites pièces, même lorsqu'il n*est plus justifié par le
nombre d'instruments ou de voix mis en jeu ^ »
Une sonate pour piano et violon de Haydn renferme un
menuet avec la mention de : Minuetio al rovescioj ce qui veut
xiire qu'après avoir été joué tel qu'il est écrit, il doit être
répété à rebours; on donnait aux œuvres présentant cette
particularité le nom de Krebs-Menuet ; c'était un badinage
•musical dont on rencontre de nombreux exemples chez les
•anciens contrepointistes.
L'abbé Brossard parle d'un menuet venu du Poitou dont
l'allure devait être gaie et rapide ; ce mouvement a été
adopté par les compositeurs pour le menuet instrumental
non dansé fréquemment introduit dans les sonates ; toutefois
les mots: Tempo di minuetio indiquent habituellement le
-mouvement modéré que l'on attribuait au menuet lorsqu'il
^tait dansé dans les fêtes populaires.
12. MORESGA^ danse des Maures, dont Kiesevetter mentionne
4in spécimen emprunté au final d'Orphée, opéra de Monte-
verde. La mesure était à ^ et la mélodie, exécutée par une
voix supérieure, était soutenue par quatre voix d'accompa-
gnement.
13. HORISQUE, très différente de la Moresca, cette danse
n'est guère connue que par un fragment cité par Tielmann
SusATO (1551). La mélodie, qui présentait la forme que voici :
i|i <- fi i •
i
i^^'4^
infl-J-^^a
^^
1 — r
»était accompagnée note contre note par des accords très
simples.
-1 À. Lavignac, La musique et les musiciens, p. 407.
— 123 —
14. MURSKT, morceau de clavecin ou de chant à J dont
l'invention est attribuée au musicien prussien Sydow (1720).
Ces compositions étaient d'un bout à l'autre accompagnées
par des accords brisés, forme d'accompagnement qui a con-
servé le nom de Mursky -Basse.
15. Passagaille, Passagaglio, danse française à J à la-
quelle les clavecinistes ont emprunté des morceaux dont le
caractère est doux et dont le mouvement est lent. Une basse
continue (basso obstinato) constitue le fondement de ces com-
positions; la mélodie, parfois empruntée à la muse popu-
laire était placée soit dans une voix supérieure, soit dans
=une voix intermédiaire. On trouvera dans un belle suite de
Hândel en Sol mineur une Passacaille à 4 temps suivie de
variations dont l'intérêt grandit jusqu'à la fin du morceau.
La Passacaille s'écrivait toujours dans un ton mineur.
16. Passahezzo. Mélodie paisible, fréquemment suivie d'un
morceau faisant contraste et appelé Furia à cause de son
rythme fortement accentué et de ses mordantes dissonances.
17. Passepied. Air analogue au menuet, mais qui se dan-
sait sur un mouvement beaucoup plus vif.
18. Pavane. Originaire d'Italie ou d'Espagne d'où elle fut
importée en France au seizième siècle, la Pavane était une
danse pompeuse, grave, propre à faire valoir les avantages
de la taille et de la démarche. « Ce nom de Pavane lui fut
donné, écrit J.- J. Rousseau, parce que les figurants faisaient
en se regardant, une espèce de roue à la manière des paons ;
l'homme se servait, pour cette roue, de sa cape et de son
épée qu'il gardait dans cette danse, et c'est par allusion à la
vanité de cette attitude qu'on a fait le verbe réciproque se
pavaner. »
19. Polonaise. Cette danse au caractère solennel et cheva-
leresque fut très répandue en Allemagne jusqu'à la seconde
moitié du dix-huitième siècle. Au point de vue musical, la
«m
Polonaise est un morceau à J comprenant deux reprises de
longueur indéterminée ; le trio, quand il y en a un, présente
Je même caractère ; ce qu'il y a de caractéristique, c'est que
— 124 —
chaque membre de phrase se termine sur un temps faible.
L'allure typique de la Polonaise est clairement révélée dans
la forme de l'accompagnement qui revêt presque toujours
Tallure que voici :
La cadence finale de chaque reprise et du trio présente
fréquemment un aspect analogue à celui indiqué dans le&
exemples ci-dessous :
On se tromperait toutefois si Ton pensait trouver chez les-
anciens clavecinistes des Polonaises rappelant même de loin
les compositions modernes publiées sous ce nom. Si Ton en
juge par une Polonaise en Mi 6 majeur qui appartient à la
Partita N® 6 de Krebs (Pauer, Alte Meister), ces morceaux
qui ne comptaient qu'un petit nombre de mesures ne se dis-
tinguaient ni par la beauté de la mélodie, ni par la richesse
de l'harmonie ; on verra même par les quatre premières me-
sures de la Polonaise de Krebs
p\ î rJFF=
fr
^EfeSl
«
Staccato
m
^
fj f/ fj'
— 125 —
•que l'œuvre de ce maître ne répondait que d'une manière
incomplète à la conception restée classique de ce genre de
-compositions.
Les Polonaises de Wilhelm-Friedemann Bach représentent
un travail artistique beaucoup plus important. Elle n'ont
pas de trio, mais l'inspiration, tour à tour grave ou auda-
cieuse^ en est toujours ori^i^inale ; les combinaisons harmo-
niques de l'accompagnement trahissent le compositeur rompu
-à toutes les difficultés du contrej^oint.
20. Rigaudon. Air de danse à l'allure vive et gaie; la me-
sure se bat à deux temps. Le morceau comprend 3 ou 4
reprises; l'avant-dernière, plus courte que les autres^ n'a
pas de résolution correcte, afin que la dernière, strictement
<5onforme aux règles de l'art ait quelque chose de plus frap-
pant.
21. ROMANESGA. Nom primitif de la Gaillarde; cette danse
:serait originaire sinon de Rome du moins de l'Italie; elle
semble avoir disparu dès la fin du dix-huitième siècle.
22. Rondo ou rondeau. Ce nom qui vient de l'expression :
Danser en rond désigne des morceaux de musique destinés
à accompagner des danses .(rondes) populaires, des jeux (Il
•était un'bergère), des couplets. Sous sa forme artistique le
RondOj qui sert souvent de conclusion à la sonate, est une
•composition dans laquelle le thème principal reparaît un
-certain nombre de fois dans des tonalités diverses et toujours
alternant avec un second motif qui joue le rôle de couplet,
dont le premier motif qui termine l'œuvre entière serait le
refrain.
Parmi les compositions des anciens clavecinistes Pauer
-cite un Rondo de Jean-Christophe-Frédéric Bach, dont le
thème fondamental, très simple, offre des développements
intéressants.
23. SARABANDE. Cette danse, au caractère grave, solennel,
a fourni un cadre à des compositions musicales d'une haute
valeur artistique. Ecrite à trois temps, la Sarabande com-
mence toujours sur un temps fort et comprend deux reprises,
— 126 —
chacune de huit mesures. La mélodie brève, expressive, ne
parcourant qu'un petit nombre de tonalités, se prête volon-
tiers à des variations.
24. Sicilienne ou SigIliano ; danse de bergers à $ et mor-
ceau de musique ayant un caractère pastoral, simple et gra-
cieux. Une Siciliano en Fa majeur, à ^^, de Scarlatti, peut
être considérée comme modèle du genre.
25. Tambourin. Air de danse analogue à la musette; la
tonique ou la dominante forment un point d'orgue à la basse,,
lequel, exécuté par la main gauche, imite le bruit du tam-
bour. Quelques mesures d'un Tambourin de Rameau donne-
ront une juste idée de l'effet produit par cette danse :
26. Tarentelle. Originaire d'Italie, très populaire à Na-
pies, cette danse entraînante, au rythme fortement accentué^
ne parait pas avoir fourni l'étoffe de compositions musicales
aux anciens clavecinistes. Ecrite dans un ton mineur, à ff,
la Tarentelle commence par des tons exprimant l'excitation
et le désir; le mouvement prend une allure toujours plus
vive et passionnée et se termine par une bacchanale éche-
velée dont l'éclat bruyant est augmenté par les sonorités
gaies du tambourin.. Lorsque, ce qui est fréquemment le
cas en Italie, la Tarentelle est simultanément chantée et
dansée par des jeune filles, cette danse prend un caractère
gracieux, léger, empreint d'une juvénile fraîcheur.
— 127 —
On ne doit pas confondre la Tarentelle avec la TarentoUiy^
danse avec accompagnement de musique à laquelle, au
moyen âge, on attribuait la vertu de guérir les piqûres de la
tarentule.
Plusieurs compositeurs modernes ont écrit des Tarentelles
pour piano ; celle de Chopin^ en La h majeur, est bien connue,
et l'on sait les étourdissants succès remportés par le pianiste
français F, Planté, quand, avec une virtuosité incomparable,
il enlevait la Tarentelle de Gottschalk pour piano avec
orchestre.
27. La ViLANELLA, comme la Pastorale était une danse po-
pulaire à $, dont la mélodie facile exprimait la joie, le con-
tentement.
28. La VOLTA, variété de la Gaillarde s'écrivait à ^ et se
jouait très vivement.
Les Valses et Mazurkas sont d'origine trop récente pour
que l'on en trouve des exemples chez les anciens claveci-
nistes. Nous aurons l'occasion de parler de ces danses à.*
propos de quelques compositeurs appartenant à l'Ecole mo-
derne du piano.
CHAPITRE VII
Caractéristique générale de la musique
pour clavecin.
Traits communs aux difFérentes écoles de clavecinistes; le style fugué
et les ornements. — Elude du clavecin dans ses rapports avec l'étude
du pianoforte. — Place qui appartient aux anciens clavecinistes dans
rhistoire de la musique.
Les grandes écoles de clavecinistes dont nous venons d'es-
quisser le développement historique ont chacune leurs
caractères distinctifs en rapport avec le milieu au sein du-
quel leur activité s'est déployée ; elles ont aussi leurs traits
communs, ceux-ci en rapport avec la structure du clavecin
qui est tout à la fois un instrument à clavier et un instru-
ment à cordes. , .
Pourvu d'un ou de plusieurs claviers, le clavecin présentait
-de ce fait certaine analogie avec l'orgue; aussi bien la plupart
des grands clavecinistes allemands, français, italiens, ont-ils
été en même temps de grands organistes. Cela est si vrai que
pendant longtemps la littérature de l'orgue et celle du cla-
vecin se confondent. Ecrivant simultanément pour les deux
intruments, les organistes-clavecinistes ont dû nécessaire-
ment appliquer à leurs compositions pour clavecin les mêmes
procédés de style qu'à leurs compositions pour l'orgue. Le
style fugué étant celui qui s'adapte le mieux à la musique
d'orgue, c'est aussi celui dont on retrouve la constante et
forte empreinte dans la musique de clavecin. Couperin en
France, Scarlatti en Italie, Froberger en Allemagne,
.tous organistes habiles et savants, ont cultivé la fugue et
— 129 —
Tont introduite dans leurs compositions poUr clavecin. Le
plus grand de tous les compositeurs pour cet instrument,
J.-S. Bach est le maître de la fugue. On est en droit d'affir-
mer que le style fugué est caractéristique de toutes les écoles
■de clavecin.
D'autre part, le clavecin est un instrument à cordes, mais
•dans lequel les cordes sont agrippées par un bec de plume,
par une lamelle ou par une pointe en métal au lieu d'être
mises en vibration par le frottement d'un archet ou par le
-choc d'un marteau soigneusement garni de feutre. De là ré-
sulte que le son du clavecin est d'une extrême sécheresse. Cet
instrument n'étant pas capable de produire des sons larges,
soutenus, prolongés, on comprend que l'effort des claveci-
nistes se soit porté essentiellement sur les éléments de l'ex-
pression artistique susceptibles de mettre en évidence le
mécanisme de l'exécutant, l'agilité des doigts, la finesse du
toucher et que, dans leurs compositions, ils aient attribué
un rôle prépondérant aux ornements ou agréments tels que
Aalancemenis, trilles, gruppettis, etc. Cette prédominance de
procédés auxquels nous ne sommes pas accoutumés et qui,
•dans notre musique moderne de piano constituerait un ana-
<;bronisme non moins qu'une faute de goût, dépendant de
la structure du clavecin beaucoup plus que de la volonté du
-claveciniste, elle nous apparaît, non comme un caprice de la
mode, mais comme une nécessité logique à laquelle il n'était
pas possible d'échapper. Dès lors la connaissance des orne-
ments est inséparable de l'interprétation correcte dés œuvres
des anciens clavecinistes.
Malheureusement cette étude présente de sérieuses difficul-
tés ; la tradition, relativement à l'exécution des ornements, est
en partie perdue ; les clavecinistes eux-mêmes n'étaient pas
d'accord sur le sens à attribuer aux agréments dont ils
ornaient leur mélodie; la détermination de la valeur des
signes employés ne rend pas sensible à l'oreille l'effet produit.
En présence de ces divers éléments d'incertitude le plus
sage est de s'en tenir aux grandes lignes. C'est ce que nous
HIST. DU PIANO 9
— 130 —
ferons ici et afin de ne pas nous égarer dans le labyrinthe
des hypothèses plus ou moins plausibles, nous nous borne-
rons à résumer les pages substantielles que M. Méreaux a
consacrées à la question des ornements, abandonnant à la
sagacité des professeurs de piano le soin de livrer à leur»
élèves le secret d'une science qui ne peut guère s'enseigner
autrement que par la pratique.
D'après Méreaux, l'histoire du stjle orné peut se diviser en trois
périodes dont les principaux représentants sont : pour la première «
Champion de Chamboxnières, les Couperin, Rameau ; pour la
seconde, J.-S. Bach, Hândel, Philippe-Emmanuel Bach, Mar-
cello et ScARLATTi ; pour la troisième (dont nous n'avons pas à
nous occuper en ce moment), Haydn, Mozart, Clementi quî
réduisirent à trois le nombre beaucoup plus considérable des orne-
ments utilisés par leurs prédécesseurs.
Le théoricien de la première période, F. Couperin, distingue
sept classes d'ornements, chacune se divisant à son tour en un
certain nombre de variétés. Nous allons les passer rapidement en
revue en plaçant en regard du nom de l'ornement le signe le plus
habituellement employé pour l'indiquer et Y effet produit sur le
piano.
V^ classe. Les pinces^ dans lesquels la petite note prise en
dessous doit toujours être chromatique, c'est-à-dire à la distance
d'un demi-ton de la note essentielle. Il y a trois variétés de pinces i
a) Pincé simple :
^
EgJZJ
b) Pincé double :
m
c) Pincé continu :
— 131 —
ll«"fi classe. Ports de voix. Trois variétés :
a) Port de voix simple :
^^m
b) Port de voix double:
CI9
m
c) Port de voix coulé :
CT=:
U
[Ilmo classe. Le coulé. Deux variétés :
a) En montant :
b) En descendant :
^^
Ces deux ornements ne se rencontrent que chez l'anglais Pur-
cell ; on peut j rattacher les doublés que l'on rencontre chez tous
les clavecinistes de l'époque sous des formes diverses, entre autres
sous celle-ci adoptée par Rameau :
i
ce
x=x
IVme classe. Tremblements. Cet ornement correspondait à notre
trille. Couperin conseillait de l'exercer avec tous les doigts en
vue des passages dans lesquels il devait être soutenu tandis
qu'une partie était chantée par les autres doigts de la même
main. « Dans la règle, dit Couperin, les tremblements les plus
usités de la main droite se font du troisième doigt avec le deuxième
et du quatrième doigt avec le troisième et ceux de la main gauche
— 130
ferons ici et afin de ne P"
des hypothèses plus
rons à résumer
consacrées à
sagacité deF
élèves le f
autreme
'yiiie doigt ou avec le troi-
. ^blements :
# ." v
"^O'-'-
.^^
D'à
péri*'
ff^niblement lié^ non appuyé :
e)
Tremblement détaché:
^^mm
f) Tremblement continu:
g) Tremblement lié avec un doublé :
i"lrw^7n
Cette dernière forme du tremblement était particulière au
compositeur Purcell.
V"»® classe. Tierces coulées :
a) En montant:
^^
133 —
b) En descendant :
VI™« classe. Cadences (Ornements particuliers à Rameau)
a) Cadence appuyée :
i
b) Cadence double :
m
Parmi les ornements particuliers à Rameau, on cite en outre la
Aote liée à une cadence et le Pincé lié au Port de voix.
Ylfmo classe. Arpèges. Ces ornements présentent quatre va-
riétés : a) L'arpège montant, b) Tarpège descendant, c) l'arpège
simple, et d) l'arpège y?^ar^. Le signe et l'effet produit sont ana-
logues à nos accords arpégiés.
Quelques ornements sont, les uns communs à Rameau et à Cou-
perin et les autres particuliers soit à l'un, soit à l'autre de ces
deux compositeurs ; ce sont : La liaison sur un accord, le son
coupé f la liaison simple, l'aspiration, la suspension.
Les fonctions mélodiques des agréments étaient moins de
simuler la durée du son que de caractériser et orner le chant.
Le théoricien de la seconde période est Marpurg ; il distingue
neuf classes d'ornements dont la plupart appartiennent également
à Couperin ; nous ne mentionnerons que ceux qui sont particuliers
au musicien allemand. Ce sont :
I . Le Balancement :
• • • •
moyen artificiel de prolonger le son en répétant la même note sur
la même touche et du même doigt. Cet artifice était encore em-
ployé par Mozart et par Steibelt.
2. Le flatté, coulé de trois notes par degrés conjoints soit en
descendant d'une tierce supérieure à la note essentielle de la mé-
— 134 —
lodie, soit en montant d'une tierce inférieure à cette note essen-
tielle. '
hà flatté s'indiquait tantôt par un signe :
^^
en descendant :
^^
.ML
en montant, ou bien :
^^m
en descendant et
i
en montant ; tantdt par des notes postiches :
en descendant ;
i
3^
en montant; dans Tun et l'autre cas, l'effet produit
était le môme.
Il est à remarquer que les clavecinistes allemands substituent
fréquemment l'emploi de notes postiches (petites notes) à l'em-
ploi de signes spéciaux ; c'est le cas pour le port de voix (appog^-
giatura), pour Vaspiration^ pour le doublé (Gircolo Mezzo, Gru-
petto), pour le pincé ou mordant, etc. Ce qu'il importe, enfin
d'observer, c'est que, comme Gouperin, Marpurg* admet plusieurs
variétés de tremblements (trilles) dont chacune a son signe spé-
cial et produit son effet particulier.
Si l'on tient à faire de l'étude des ornements l'objet de recher-
— 135 —
ches miautieuses, on consultera avec frait le tableau publié par
A. MÉREAUX auquel sont empruntés les rensei/o^nements qui pré*
cèdent, la Table dressée par Weitzmann à la fin de son ouvrag-e
sur l'histoire du piano, puis aussi certaines éditions des œuvres
de J.-S. Bach qui renferment d'utiles indications touchant la ma-
nière d'exécuter les agréments. Parmi les dernières, il faut citer :
J.-S. Bach. Aaswahl leichter Clavier compositionen fur den
Unterricht herausgegeben von Franz Knllak (Sieingrâber
Verlag^, Leipzig*) ; Reinecke, J. S. Bach's Klavierwerke mit
Fingersatz, etc. Bibliothek altérer und neuerer Klavier-
musik, ouvrag'e édité par KroU, 28® cahier.
Les conseils donnés par de bons professeurs et le sentiment
artistique personnel de l'exécutant g'uideront celui-ci dans le choix
à faire entre les divers modes d'exécution proposés par les com-
mentateurs des maîtres.
En résumé, style fugué, style orné, ce* sont là les deux
traits dominants de la musique des anciens clavecinistes ;
c'est ce qui donne à leurs compositions cet accent légèrement
vieillot qui les distingue et qui n'est certainement pas sans
charme, et c'est aussi ce qui leur assure un rôle important
dans l'éducation musicale des jeunes pianistes.
D'abord, au point de vue du mécanisme, on n'étudiera
jamais sans profit, nous ne dirons pas toutes les œuvres,
mais un choix judicieux des œuvres des clavecinistes fran-
çais, italiens et allemands. Ne pouvant tirer de leurs instru-
ments des sons larges et prolongés, les clavecinistes ont dû
concentrer leur attention sur les procédés susceptibles de
révéler à l'auditeur l'habileté technique de l'exécutant, la
souplesse plutôt que la vigueur du poignet, l'indépendance
et l'agilité des doigts, la finesse, la délicatesse du toucher en
même temps que l'impeccable sûreté de l'attaque; aussi
trouve-t-on dans leurs compositions de nombreux passages
dont l'exercice est propre à développer chez le futur pianiste
les qualités que l'on vient d'énumérer. Deux ou trois exem-
— 136 —
pies suffiront à préciser notre pensée sur ce point capital de
pédagogie pianistique.
Veut-on s'exercer au croisement des mains'? on ne saurait
mieux le faire qu'en étudiant jusqu'à ce que Ton en soit
absolument maître le passage d'une sonate de Scarlatii qui a
été cité plus haut (voir p. 32).
Veut-on une étude de vélocité à mettre à côté des œuvres
du môme genre de Czerny ? on n'aura qu'à choisir le Sol"
feggio en Do mineur de Philippe-Emmanuel Bach dont voici
les premières mesures, à jouer prestissimo :
Veut-on acquérir ce mélange de force et de légèreté qui est
un élément essentiel de toute bonne exécution musicale,
on n'aura que l'embarras du choix entre une c Gigue » de
Hàndel, une « Etude » de Durante, un « Air varié » de
Rameau.
Il serait superflu de multiplier les exemples ; il convient
seulement de considérer que l'étude des passages difficiles
qui appartiennent à l'ancienne musique de clavecin est d'au-
tant plus. profitable que pour les grands clavecinistes la diffi-
culté vaincue n'est jamais le but de l'art, mais uniquement
un moyen destiné à rendre plus complète l'impression artis-
tique que l'œuvre doit produire. Non seulement dans l'inter-
prétation des compositions des anciens maîtres il n'est pas
— 137 —
possible de déguiser les lacunes d'une technique insuffisante
par Tusage abusif de la pédale, mais le moindre trille, le
moindre grupetto ayant leur raison d'être demandent à être
rendus d'une manière exacte. Au point de vue de la correction
du jeu, l'étude de quelques morceaux pour clavecin constitue
une excellente école.
D'un autre côté, rien autant que le style fugué ne contribue
à favoriser l'égalité du jeu ainsi qu'à procurer à l'exécutant
cette possession de soi-même, cette maîtrise dont on ne sau-
rait trop apprécier la valeur. Sous ce rapport, la pratique du
Clavecin bien tempéré de J.-S. Bach s'impose à quiconque
aspire à jouer du piano en virtuose et en artiste. Les fugues
de Bach étant difficiles à exécuter, on s'initiera à ce genre
de compositions par l'étude d'autres œuvres moins compli-
quées, mais écrites en style fugué ou par l'étude de fugues
plus aisément accessibles de Kirnberger ou de Porpora.
Au reste, ce n'est pas seulement au point de vue du méca-
nisme, c'est aussi au point de vue de l'éducation intellectuelle
du musicien que la pratique de la fugue est à recommander.
Rien, dans la fugue, qui soit abandonné au hasard; ces
motifs qui se fuient, se poursuivent, se combinent, s'entre-
croisent, obéissent à des règles fixes de telle sorte que par
l'analyse d'une fugue on peut surprendre quelques-uns des
principes fondamentaux de la composition musicale. Il y a
plus: telle fugue de Bach, en dépit d'une sécheresse appa-
rente, atteste un effort si puissant de la pensée, une concep-
tion si élevée de l'œuvre d'art qu'en présence de pareils
monuments du génie humain, on ne peut se défendre d*une
émotion semblable à celle que l'on ressent devant certaines
merveilles de l'architecture, dans la nef grandiose d'une
antique cathédrale.
Mais la musique ne parle pas seulement à l'intelligence ;
elle parle davantage encore à l'imagination, à la sensibilité.
Dans les limites que la structure du clavecin lui impose, le
claveciniste ne peut évidemment pas exprimer les émotions
tendres ou passionnées du cœur humain comme Mozart,
— 138 —
Beethoven pourront le faire, mais on se méprendrait toute-
fois en lui refusant 1^ faculté de communiquer à ses compo-
sitions le parfum de la poésie et d*éveiller dans les âmes des
impressions artistiques. Par le souci constant qu'ils ont de
la forme ciselée avec amour, les maîtres du clavecin sont, au
point de vue du goût musical, du sentiment du beau, des
guides éclairés, des arbitres dont la voix mérite d'être en-
tendue. Surtout si Ton met en relief les traits qui différen-
cient les grandes écoles, on verra clairement les rapports
qui existent entre l'étude des clavecinistes et l'éducation
musicale de l'artiste.
Initiés à tous les secrets de la science du contrepoint, les
clavecinistes allemands se distinguent par la richesse de
leurs combinaisons harmoniques, ainsi que par l'accent
grave qu'ils donnent à la plupart de leurs compositions. Ils
n'ont pas l'éclat des clavecinistes italiens, mais ils les dépas-
sent par la profondeur de l'inspiration. On peut facilement
vérifier la chose en comparant des sonates de Scarlatti, de
Paradisi avec des sonates de Hasse, de Jean-Chrétien Bach.
Quelques compositeurs allemands furent, il est vrai, les dis-
ciples de maîtres italiens, mais l'influence italienne à laquelle
ils ne purent échapper n'alla pas jusqu'à effacer chez eux le
sceau du génie national.
Les clavecinistes italiens ont à leur actif la mélodie qui,
toujours séduisante, est un véritable enchantement pour
l'oreille. Avec cela, ils ont beaucoup de brillant, une fougue
toute méridionale. Il leur manque la robustesse qui est un
privilège de la race germanique, mais ils possèdent en
échange ces tons chauds qui ne peuvent éclore que sous les
rayons du soleil d'Italie. Les demi-teintes, les clairs-obscurs
leur répugnent; tout est lumineux dans les créations de leur
esprit; la fugue elle-même prend un aspect riant, elle de-
vieixt aimable sous la plume d'un Porpora.
L'ÉCOLE française enfin, moins nuageuse que l'école
allemande, moins éblouissante que l'école italienne, semble
s'être fait une loi d'observer en toute chose la juste mesure.
— 139 —
Elle a en partage la parfaite correction d'un style dont la
clarté, la limpidité semblent inaltérables. Si Ton peut repro-
cher à Rameau de s'être égaré en de puérils essais de mu-
sique imitative, on ne saurait trop admirer Tart accompli
avec lequel il a traité certaines formes musicales (le menuet
par exemple). En outre, et comme Couperin, il a su mettre
dans de petites pièces pour clavecin (Les tendres plaintes,
par exemple) un sentiment poétique d'une délicieuse fraî-
cheur.
On voit d'ici le profit que l'on peut, au point de vue du
sens artistique, retirer d'une étude intelligente et conscien-
cieuse de l'œuvre des clavecinistes. En se familiarisant avec
les pages étincelantes de Scarlatti, avec les pensées tour à
tour sérieuses ou riantes de J.-S. Bach, avec la phrase tou-
jours correcte de Rameau, on apprend non seulement à jouer
proprement du piano, mais aussi à apprécier la valeur d'un
style clair, lumineux, à rechercher la sobriété dans l'expres-
sion, la perfection classique de la forme, qualités rares mais
précieuses et qui constituent autant d'éléments fondamen-
taux de l'éducation musicale, dans l'acception la plus vraie,
la plus artistique de ce mot.
Nous pouvons maintenant et en dernière analyse préciser
le rôle qui appartient aux anciens clavecinistes dans l'his-
toire générale du piano ; ce rôle est celui de précurseurs. De
même que le clavecin avec ses becs de plume, ses pointes de
métal, a préparé les voies au pianoforte, de même les clave-
cinistes italiens, allemands, français ont préparé les voies
dans lesquelles Haydn, Mozart, Beethoven devaient marcher
en triomphateurs. Avec les instruments dont ils disposaient,
les maîtres du clavecin ne pouvaient introduire dans leurs
compositions des accents lyriques ou dramatiques, mais ce'
qu'ils pouvaient faire et ce qu'ils ont fait, c'est de créer un
cadre admirablement approprié à l'expression artistique des
M I
— 140 —
sentiments les plus intimes, comme des mouvements les plus
désordonnés du cœur humain.
Pour être modeste, le rôle qu'il convient d'attribuer aux
vénérés ancêtres du piano n'en est pas moins des plus glo-
rieux. Il importe en effet d'observer que si leurs œuvres dif-
fèrent sous bien des rapports de celles qui, de nos jours,
jouissent de la faveur du public, elles ont cependant leur
valeur intrinsèque ; ce sont des pierres dattente si l'on veut^
mais taillées dans le marbre le plus pur. Dans le cadre res-
treint où la structure du clavecin les contraignait à se ren-
fermer, les anciens clavecinistes ne pouvaient sortir de
l'humble position d'un précurseur, mais, dans cette humble
position, on ne saurait l'oublier sans ingratitude, ils ont écrit
des œuvres achevées, des œuvres que l'on étudie encore avec
profit et que l'on écoute avec plaisir, des œuvres, en un mot,
qui ont droit à l'immortalité, parce que, pénétrées d'un souffle
vraiment poétique, elles sont, dans le domaine de la musique,
un reflet de l'idéal.
SECONDE PARTIE
LES MAITRES DU PIANOFORTE
DB BATDN A M1BNDBX.SS0HN
CHAPITRE PREMIER
Le pianoforte.
Cristofori^ Marius^ Schrœter et Silbermann. — Le pianoforte en Alle-
magne^ en Ang^leterre, en France, en Suisse, en Italie, en Russie et
en Amérique.
Des essais tendant à la substitution de marteaux aux becs
de plume des anciens clavecins paraissent avoir été tentés
simultanément en France, en Italie, en Allemagne. Bien que
ces diverses tentatives soient restées à Tétat d*ébauche, il est
nécessaire de les mentionner, car elles marquent le passage
du clavecin au pianoforte.
Né le 4 mai 1653 à Padoue, Bartolomeo CRISTOFORI s'ac-
quit promptement une si grande réputation comme facteur
de clavecins, que le prince Ferdinand de Médicis, dilettante
remarquablement doué, l'attira à Florence et l'engagea à son
service à titre de constructeur des clavecins de la cour et de
gardien de sa riche collection d'instruments de musique.
En 1711, un journal vénitien signalait l'invention d'un
Gtavecemhalo col piano e forte et l'attribuait au cembaliste
du prince de Toscane, Bartolomeo Cristofali (sic). Un auteur
— 142 —
du temps, Marchese Scïpione Mafei, de Vérone, observait
que dans cet instrument les cordes étaient mises en vibration
non plus par des becs de plume, mais par « une série de
petits marteaiLx qui frappaient la corde de bas en haut. 9^
D'après la description que MafTei a donnée de l'instrument
inventé par Cristofori, la tête des marteaux ressemblait à de
petits dés garnis de peau de cerf dans leur partie supérieure.
L'extrémité inférieure de la tige du marteau s'engageait dans
une rainure arrondie, ce qui lui permettait de se mouvoir avec
aisance. Quand on pesait sur la touche, un tampon poussait
avec plus ou moins de force le marteau contre la corde. Une
pointe de laiton fixée au tampon jouait le rôle attribué à
V échappement dans nos pianos modernes ; il ramenait le.
marteau à l'état de repos immédiatement après le choc contre
la corde. Le marteau retombait sur deux fils de soie croisés.
Un étouffoir garni de drap ne laissait résonner la corde que
quand la touche correspondante fléchissait sous le doigt de
l'exécutant.
Cristofori fit de constants efforts pour perfectionner les
instruments qu'il avait inventés ; on peut s'en convaincre en
comparant les spécimens datés de 1720 et 1726 qui furent
exposés à Florence à l'occasion du centenaire de l'inventeur.
A cette époque, les pianofortes de Cristofori ne se répan-
dirent ni en Italie ni à l'étranger ; on leur préférait le Kiel-
flûgel que les artistes jugeaient plus facile à manier.
En France, le facteur Harius, inventeur du clavecin brisé,
présenta en 1716, à l'Académie royale de Paris, la description
acccompagnée de dessins de quatre modèles diflFérents offrant
cette particularité que les becs de plumes des anciens clave-
cins y étaient remplacés par des maillets en bois. Grâce à
ce procédé, dit le rapport de l'Académie royale de Paris,
Marins évite les continuelles réparations qu'exigeait le Kiel-
flûgel ordinaire, il obtient un son plus fort et plus beau et
par l'attaque forte ou faible de la touche, il procure à son
instrument la possibilité jadis ignorée d'un jeu expressif.
Après avoir constaté que le clavier à maillets pouvait s'adapter
— 143 —
aux anciens clavecins, le rapporteur ajoute : « Tout cela a
paru très bien pensé. ^
Malgré les hommages rendus par TAcadémie à l'invention
de Marins, celle-ci ne tarda pas à tomber dans l'oubli le plus
complet.
Les tentatives faites en Allemagne par CH.-G. SGHROter pour
construire un clavecin sur lequel on pouvait produire tous
les degrés d'intensité du son depuis le piano jusqu'au forte
n'eurent guère plus de succès. Organiste à Nordhausen,
Schrôter exhiba en 4721 à la cour de Dresde deux modèles
de clavecins à marteaux, mais faute de ressources, il ne put
traduire dans la pratique les plans qu'il avait conçus.
On n'en a pas moins et pendant longtemps considéré
Schrôter comme l'inventeur du pianoforte, et lui-même a
revendiqué les droits de la priorité dans l'invention de cet
instrument. Les documents précis que l'on possède aujour-
d'hui permettent d'établir que ces prétentions ne sont pas
fondées et que c'est à Silbermann que revient l'honneur
d'avoir déûnitivement substitué le piano au clavecin.
Né en 1683 à Frauenstein (Saxe), GOTTFRIED SILBERMANN
était le second fils d'un simple menuisier. Malgré les dispo-
sitions exceptionnetles pour la musique qu'il révéla dès ses
jeunes années, il apprit le métier de son père. Son caractère
très vif ne tarda pas à l'entraîner loin de la maison pater-
nelle, et les divers patrons chez qui il travailla ne le gardè-
rent pas longtemps au nombre de leurs ouvriers.' De folles
escapades eurent pour épilogue la prison. Silbermann s'évada
et, pour échapper au châtiment qui le menaçait, il s'enfuit
à Einsiedel, en Bohème, chez des parents qui lui fournirent
les moyens de se rendre à Strasbourg où son frère André
Silbermann l'accueillit avec beaucoup de sympathie. Cons-
tructeur de l'orgue de la cathédrale de Strasbourg, André
Silbermann enseigna à son frère cadet l'art de construire de
tels instruments, et après trois années d'études, il lui confia
rétablissement d'un orgue dans l'église d'un couvent de
nonnes. Travaillant seul, Gottfried eut l'occasion d'entrer en
— 144 —
relations avec une jeune Française que l*on avait contrainte à
prendre le voile et qui ne demandait qu'à reconquérir sa
liberté. Une tentative d'évasion fut bientôt combinée. Déjà la
fugitive était sur le mur du couvent quand, au moment
même où Silbermann lui tendait une échelle de cordes, soa
absence fut remarquée ; on la réintégra de vive force dans sa
cellule, tandis que son libérateur cherchait un asile chez un
de ses parents, puis rentrait dans sa ville natale.'
De retour à Frauenstein, Gottfried Silbermann établit un
orgue dont la réputation fut si grande que l'habile facteur
fut chargé de la construction d'un orgue pour le dôme de
Freiberg. Dès lors, il passa pour le premier constructeur
d'orgues de la Saxe, et cela avec raison, ainsi que l'attestent
les nombreux instruments sortis de ses mains.
A la longue, le caractère de Gottfried Silbermann s'était
assagi et, de son séjour chez son frère André, il avait con-
servé cette force de volonté, cette opiniâtreté qui ne recule
devant aucun obstacle et qui pousse à l'action aussi long-
temps que le but entrevu n'est pas atteint. Ce trait est visible
dans les efforts accomplis par Silbermann pour construire
un pianoforte aussi parfait que possible. « Jamais, raconte un
de ses biographes, Silbermarm ne travailla pour l'apparence
et souvent il détruisit à coups de hache des ouvrages qu'il
jugeait insuffisants, même des pianos complètement ter-
minés. »
Un ancien auteur, Agricola, fournit sur les pianos de Sil-
bermann les curieuses indications que voici :
a M. Gottfried Silbermann avait d'abord construit deux de
ces instruments. L'un d'entre eux avait été joué par le bien-
heureux maître de chapelle Jean-Sébastien Bach qui en avait
admiré et loué le son, mais qui avait formulé quelques ré-
serves quant aux octaves supérieures auxquelles il reprochait
de manquer de sonorité. M. Silbermann, qui ne supportait
pas la critique prit en mauvaise part l'observation et en
garda longtemps rancune à M. Bach. Toutefois sa conscience
lui disant que M. Bach n'avait pas tort, M. Silbermann estima
— 145 —
que ce qu'il avait de mieux à faire, c'était de corriger les
défauts auxquels il avait été rendu attentif. Il travailla à la
chose pendant plusieurs années. Enfin, ayant réalisé d'im-
portantes améliorations, il vendit un de ses instruments à la
cour princière de Rudolstadt.... Peu de temps après, Leurs
Majestés de Prusse commandèrent à M. Silbermann un piano,
puis, le succès ayant été décisif, plusieurs autres instruments
de môme facture. Ceux qui, comme moi, ont vu et entendu
les anciens et les nouveaux instruments de M. Silbermann
peuvent juger du zèle avec lequel il a travaillé à leur perfec-
tionnement. M. Silbermann ayant présenté un de ses nou-
veaux pianos au bienheureux maître de chapelle M. Bach, il
en avait reçu une complète approbation. »
Les renseignements fournis par Agricola, qui connut per-
sonnellement Silbermann, ne laissent subsister aucun doute ;
le célèbre facteur d'orgues de Frauenstein a pu, il est vrai,
profiter des travaux de ses devanciers, mais le premier il a
construit des instruments d'un maniement pratique et sus-
ceptibles de prendre une grande extension ; Gottfried Sil-
bermann est bien l'inventeur de notre pianoforte.
J.-S. Bach, en 1737, Mozart, en 1777, proclamèrent la su-
périorité du pianoforte; cependant, bien des années s'écoulè-
rent encore avant que cet instrument occupât dans le monde
musical le rang auquel il avait droit. Sur ce terrain comme
sur tous les autres, la lutte entre l'esprit conservateur et
l'esprit progressif fut longue et acharnée. Même en 1782,
FoRKEL persistait à placer le clavicorde au-dessus du piano-
forte et, en 1785, le poète-musicien Ch.-Fr.- Daniel Schubart
relevait dans un langage dithyrambique les avantages du
premier sur le second.
Malgré l'opposition faite par la routine aux progrès du
piano, quelques facteurs entrèrent résolument dans les voies
ouvertes par Silbermann ; ce furent : CH.-E. Frederici, mort
en 1779 à Géra, Jean-ADAM Spath, mort en 1796, à Ratis-
bonne, et surtout Jean-ANDRË Stein, mort en 1792, à Augs-
i>ourg. Quand Mozart eut fait connaissance avec les pianos
HIST. DU PIANO - 10
— 146 -
de Stein, il les choisit pour ses concerts et contribua ainsi à
les répandre. Voici en quels termes l'illustre compositeur se
prononce sur le compte de ces instruments dans une lettre
adressée à son père et datée d'Augsbourg, 17 octobre 1777 :
« Je vais donc commencer par les pianos-fortés de Stein*
Avant d'avoir vu un de ces instruments, je préférais à tout
les clavecins de Ratisbonne ; désormais, je dois préférer
ceux de Stein, car ils adoucissent beaucoup mieux le son q\ie
ceux-là. Si j'attaque fortement, que je laisse le doigt sur la
touche ou que je l'enlève, le son s'évanouit sur-le-champ.
J'ai beau toucher le clavier comme je veux, le son est tou-
jours égal, il ne clapote pas, il ne devient ni plus faible, ni
plus fort, il ne manque jamais, en un mot, tout est parfaite-
ment égal. Il est vrai qu'il ne donne pas un pareil piano-
forte à moins de 300 florins.
» Mais la peine et les soins qu'il y met ne sont pas payés et
ne peuvent l'être. Ses instruments ont cela de particulier,
qu'ils sont faits avec des étoufîoirs, ce dont pas un facteur
sur cent ne s'occupe; or, sans étoufToir, il est impossible
qu'un piano-forte ne clapote ou ne résonne pas. Les mar-
teaux, dès qu'on met le doigt sur les touches, retombent à
l'instant même où ils ont frappé la corde, qu'on maintienne
ou non la touche. Lorsqu'il a terminé un pareil clavecin (il
me l'a dit lui-même), il s'y met, essaie toutes sortes de pas-
sages, de gammes, d'écarts, et il travaille, et frotte, et rabote
jusqu'à ce que l'instrument rende tout ce qu'on lui demande ;
car il ne travaille que dans l'intérêt de la musique; si c'était
pour son profit seulement, il aurait bientôt terminé un ins-
trument. Il dit souvent : « Si je n'étais pas moi-même un
> amateur si passionné de musique, et si je ne savais pas
» jouer un peu du clavecin, certes il y a longtemps que j'au-
» rais perdu patience à ce travail ; mais que voulez-vous, je
» suis un amateur, j'aime les instruments qui ne trompent
» pas l'exécutant et qui ont de la durée. »
> Et, en effet, ses clavecins durent. Il garantit que ses tables
d'harmonie ne se fendent ni ne se brisent. Lorsqu'il en a
— 147 —
terminé une, il la place à Taîr, à la pluie, à la neige, au soleil,
à tous les diables, aûn qu'elle se fende, puis il y introduit
des lamelles, les colle pour la rendre forte et solide. 11 est
enchanté quand elle se fend, car, une fois recollée, on est
certain qu'il ne peut plus survenir d'accidents. Il lui arrive
même de la couper, de la recoller et de la consolider de cette
façon. Il a trois pianos-fortés de prêts, et j'y ai joué de nou-
veau aujourd'hui même. La pédale qu'on presse avec les ge-
noux est aussi mieux faite chez lui que chez les autres. Je la
touche à peine, qu'elle marche, et dès qu'on retire le genou,
il n'y a plus la moindre résonnance. >
Le facteur Jean-André Stein, dont le jeune Mozart admi-
rait les produits, est né en 1728 ; élève de Silbermann, il se
fit connaître par plusieurs inventions concernant le clavecin,
Torgue et autres instruments de même famille. Son plus
grand mérite est d'avoir imaginé un nouveau système de
marteaux pour le pianoforte. Dans le mécanisme italien de
Cristofori, les marteaux étaient indépendants des touches ;
par contre, dans le mécanisme allemand de Stein, ils étaient
en contact direct avec elles. Cette disposition prit le nom de
mécanisme viennois quand les enfants de Stein, André et
Nanette, transportèrent à Vienne (1794) le siège de la maison
dont leur père défunt avait été le fondateur.
De nouveaux perfectionnements furent apportés à la cons-
truction du piano par ANDRË StreigHER, dont les relations,
soit avec le poète Fr. Schiller, soit avec la famille Stein, mé-
ritent d'être rappelées en peu de mots.
Né en 1761 à Stuttgart, André Streicher conçut dans sa
jeunesse le projet de se vouer à la musique pour laquelle il
avait des aptitudes exceptionnelles. Il se disposait à se rendre
à Hambourg, afin d'y poursuivre ses études sous la direction
de Philippe-Emmanuel Bach, quand un événement littéraire,
qui fit en Allemagne une immense sensation, la première
représentation des Brigands de Schiller, imprima une autre
direction à ses pensées. Comme beaucoup de ses compatriotes,
Streicher fut fasciné, et dès lors son unique désir fut de faire
— 148 -
la connaissance de Schiller. Celui-ci accueillit avec une
extrême bienveillance Tenfant de la Souabe et tous deux
■
conclurent immédiatement un lien d'amitié dont le sérieux,
eut bientôt Toccasion de s'affirmer. En effet, lorsque menacé
dans son indépendance Schiller prit la résolution de quitter
secrètement Stuttgart, André Streicher fit tous les prépa-
ratifs du départ, fermement décidé à ajourner son voyage à
Hambourg jusqu'au moment où il sentirait son ami en par-
faite sécurité. Le 17 septembre 1782, les deux fugitifs quittè-
rent ensemble la jolie capitale du Wurtemberg ; ils visitèrent
successivement Mannheim, Francfort, Mayence. L'épuise-
ment de leurs ressources contraignit Streicher à a laisser
seul dans l'infortune le plus noble poète de l'Allemagne. »
Le plan d'études auprès de Philippe-Emmanuel Bach dut
naturellement être abandonné ; Streicher se fixa à Mannheim
dans l'espoir de pourvoir à son entretien par des leçons de
piano ; le succès dépassa ses espérances ; il en fut de même
à Munich où Streicher fut très apprécié comme virtuose,
professeur, compositeur.
Au cours de ses voyages, l'heureux musicien fit, à Augs-
bourg, la connaissance de Nanette Stein, fille d'André Stein,
pianiste distinguée dont on admirait le jeu plein d'expres-
sion. Streicher, dont la physionomie ouverte, sympathique,
inspirait la confiance, conquit promptement le cœur de Na-
nette. Les enfants de J.- A. Stein ayant transporté le siège de
leur maison à Vienne, les époux Streicher s'établirent égale-
ment dans cette ville. La manufacture de pianos, toujours
plus prospère, prit, dès 1802, pour raison commerciale :
FRÈRES Stein & Nanette Streicher née Stein, à quoi l'on
ajouta plus tard : ET FILS. Doué d'une vive intelligence, Strei-
cher devint un habile facteur; il inventa un mécanisme grâce
auquel le marteau frappait la corde par-dessus au lieu de la
frapper par-dessous. La maison Streicher à Vienne ne se
contenta pas de lancer dans la circulation des instruments
perfectionnés, elle fut aussi un centre où les plus illustres
artistes du pays et de l'étranger se plaisaient à se rencontrer.
— 149 —
Nanette Streicher était Tàme de ces réunions. Pianiste
accomplie, personne de haute culture en même temps que
femme de cœur, ce fut elle qui, avec une patience admirable,
entoura de soins dévoués le grand Beethoven à une époque
où le maître était devenu à peu près inabordable. Nanette
Streicher mourut en janvier 1832, universellement regrettée ;
quatre mois après, son mari la suivait dans la tombe. Leur
fils, Jean-Baptiste Streicher, maintint la réputation de la
maison qui, actuellement encore, est en bon rang parmi les
manufactures de pianos en Allemagne.
Deux noms cependant se partagent ajourd'hui la faveur des
pianistes; ce sont ceux de BEGHSTEIN, à Berlin, et de Bluth-
NER, à Leipzig. Les instruments construits par le premier
ont été les objets des témoignages les plus flatteurs de la
part de Liszt, H. de Biilow, Rubinstein, Tausig, et quant à
ceux qui sortent des ateliers du second, ils se distinguent
également par des qualités de son tout à fait remarquables.
Auteur d'une savante étude sur la construction du piano,
Julius Blûthner tient rigoureusement compte dans la fac-
ture de ses instruments des résultats obtenus sur le terrain
de Tacoustique par des physiciens tels que Tyndall, Helm-
holtz, etc.
A côté de ces deux noms dont la réputation a dépassé les
limites de l'Allemagne, on peut citer les noms moins connus
mais cependant estimables de: Ch.-H. Eisting, un des plus
anciens facteurs de Berlin, dont la maison a subsisté jusqu'en
1855; de TH. StOCKER, dont les pianos à queue furent très
répandus, surtout en Russie; de J.-L. DRUTSEN, dont les
produits connus par leur solidité parvinrent jusque dans
l'Amérique du Sud ; de W. BlESE, dont les pianinos ont
une grande sonorité; en 1879, cet habile facteur pouvait
offrir à ses ouvriers une brillante fêle à l'occasion de l'a-
chèvement de son dix millième piano. Les instruments de
WesteRHANN & C**, à Berlin, sont encore recherchés de nos
jours.
A Leipzig, les manufactures BREITKOPF & HÂRTEL, IMLER,
— 150 —
Feurich, FRANKE sont estimées sans pouvoir toutefois riva-
liser avec Blùthner.
A Hambourg, les pianos de C.-H. SGHROder sont très
appréciés. A Brunswick, une importante maison fut fondée
par Henri Steinwat ; après le départ de celui-ci pour les
Etats-Unis, la manufacture passa entre les mains de son fils
qui en garda la direction jusqu'en 1865. Dans la même ville,
on cite avec éloge les noms de Zeitter et WINKELHANN.
Les instruments de KAPS, RONISGH, ROSENKRANZ, ThurNER,
à Dresde, Mand, à Coblenz, et IBAGH, à Barmen, sont estimés.
Dans l'Allemagne du sud, les pianos de SCHIEDMATER &
FILS, de LIPP, à Stuttgart, de BiBER et de BERDUX, à Munich,
jouissent d'une juste célébrité. Ces derniers sont très ré-
pandus.
Enfin les facteurs CHARLES Stein, Ernest STREIGHER,
Conrad graf, Louis BOsendorfer, Veuve Sghweitzhofer
ont conservé à la fabrication viennoise la réputation fondée
par la maison Streicher et Stein.
En Angleterre, la première manufacture de pianos fut
fondée en 1680 par un ancien ouvrier de la maison Rûckers,
à Anvers, nommé Tabel. Celui-ci eut pour successeur Bern-
HARD TSGHUDT, originaire de la Suisse, qui s'établit à Lon-
dres en 1732. Dès 1763, Tschudy (connu en Angleterre sous
le nom de Shudi) s'assura la précieuse collaboration de
l'Ecossais JOHN BROADWOOD, qui se fit remarquer par d'intel-
ligentes innovations non moins que par le soin qu'il appor-
tait à son travail. Broadwood épousa la fille de Tschudy et,
après la mort de son beau-père, prit définitivement la direc-
tion de la maison.
En 1766, le facteur allemand JEAN ZUMPE transplanta à
son tour à Londres la merveilleuse a invention de Silber-
mann. d Ses pianos eurent un retentissement extraordinaire.
Une puissante impulsion fut donnée à la construction des
pianoforte en Angleterre quand, dès 1775, MUZIO CleHENTI
— 151 —
commença à écrire de brillantes compositions spécialement
adaptées aux ressources de cet instrument. Le mécanisme in-
venté par Silbermann fut perfectionné par Bagkers, Stodart,
BROADWOOD et prit le nom de mécanisme anglais. A partir de
1808, la maison Broadwood and Sons prit une extension
considérable; en 1856, elle occupait environ 500 ouvriers et
vers la fin de 1865, le nombre des pianos sortis de ses ateliers
ascendait au cbifîre respectable de 130 504. Suivant leur
forme et leurs dimensions, les instruments de Broadwood se
divisent en : Squares^ pianos carrés, Cottages, pianos à queue
verticaux, Cabinets, pianinos. Grands, pianos à queue de
concert, et Semi-GrandSy pianos à queue pour accompagne-
ment.
Longtemps la France fut, en ce qui concerne la fabrica-
tion des pianos, tributaire de T Allemagne et de l'Angleterre.
C'est à Sébastien Erard, «c artisan de génie » suivant l'heu-
reuse expression de Marmontel, que la France doit, d'occuper
en ce dpmaine un rang que l'étranger ne saurait sérieusement
lui disputer.
Né en 1754 à Strasbourg, SÉBASTIEN ERARD s'établit en
1768 à Paris. D'abord simple ouvrier dans les ateliers d'un
facteur parisien, il donna, au bout de peu de temps, des
preuves si convaincantes d'intelligence et de savoir-faire que
son nom fut bientôt sur toutes les bouches. Aussi bon ma-
thématicien qu'habile mécanicien, Erard inventa en 1776 le
clavecin mécanique (un « Flugel y> avec registres) et cons-
truisit en 1777 son premier piano dont les succès dans les
soirées de la duchesse de Villeroy furent étourdissants.
A la même époque, un frère de Sébastien, Jean-Baptiste
ERARD, se fixa à Paris. En s'associant, les deux frères fondè-
rent l'importante maison qui porte toujours et glorieusement
leur nom.
Constamment à la recherche de procédés nouveaux, Sébas-
tien Erard construisit, pour la reine Marie-Antoinette, un
— 152 —
piaiio organisé comprenant deux claviers dont Tun faisait
entendre les sons du pianoforte et dont Tautre actionnait un
jeu d'orgue.
La révolution française obligea Sébastien Erard à chercher
un refuge à Londres où il fonda une niaison pour la fabri-
cation des harpes et des pianos qui ne fut pas moins floris-
santé que celle de Paris restée sous la direction de son frère
Jean-Baptiste. De retour à Paris en 1796, Sébastien construisit
un grand piano à queue de concert, d'après le système anglais
perfectionné. Le maniement de l'instrument ayant été jugé
difficile, Erard appliqua son esprit inventif à la réalisation
de progrès nouveaux ; ses efforts furent couronnés de succès;
aussi quand, en 1808, le pianiste-compositeur Dussek se fit
entendre sur un piano d'Erard, l'instrument sorti des ate-
liers du facteur français remporta-t-il un éclatant triomphe.
Au point de vue de la facture du piano, le principal mérite
de Sébastien Erard consiste dans le mode d'échappement
des marteaux qu'il inventa en 1823, système qui a l'avantage
de donner aux touches du clavier une extrême sensibilité et
de rendre les marteaux prompts à faire résonner les cordes
sous la plus délicate pression des doigts.
Sébastien Erard est mort en 1831 dans son château de la
Muette où il s'était retiré depuis un certain nombre d'années.
Son neveu, PIERRE ERARD, directeur de la maison de Lon-
dres, vint alors s'établir à Paris ; il conserva la direction des
deux maisons jusqu'en 1855, année de sa mort.
A l'époque où Sébastien Erard dirigeait encore la fabrique
de Londres, en 1795, un compositeur, qui jouissait alors
d'une immense popularité et qui venait de traverser l'Alle-
magne, l'Italie, l'Angleterre en triomphateur, IGNACE Pletel,
vint demander à Paris la consécration de sa gloire. Le succès
de ses symphonies, de ses quatuors, de ses sonates pour
piano fut si caractéristique que Pleyel se décida à créer une
maison pour l'édition de ses propres œuvres. En 1809, Pleyel
ajouta à son commerce de musique une fabrique de pianos
et devint ainsi le fondateur d'une maison qui, sous la direc-
tion de son fils CAMILLE Pletel avec Kalkbrenner pour
— 153 —
associé, fut pour Erard une rivale redoutable. Les pianos de
Pleyel ont des qualités spéciales ; ils se distinguent par un
timbre sympathique et permettent à l'exécutant de rendre
les nuances les plus délicates. Chopin a caractérisé les ins-
truments des deux maisons également célèbres en ces mots :
« Quand je suis mal disposé, je joue sur un piano d'Erard et
j'y trouve facilement un son fait. Mais quand je me sens en
verve et assez fort, pour trouver mon propre son à moi, il
me faut un piano de Pleyel. » Après la mort de C. Pleyel
(1855), Auguste WOLF a continué la facture des pianos en y
introduisant de nouveaux perfectionnements.
Durant quelques années, la maison Pleyel eut à sa tète
un facteur de pianos originaire de la Souabe, HENRI PAPE.
Estimant que les cordes de pianoforte donnent un son plus
clair quand la table de résonnance est complètement fermée.
Pape, qui, dès 1815, s'établit pour son compte, appliqua à
ses instruments la disposition adoptée par Streicher, en
vertu de laquelle les marteaux frappaient les cordes par-
dessus, disposition qui se généralisa dans les pianos droits.
En outre. Pape s'était attaché à varier les formes du piano,
lui donnant l'apparence tantôt d'un meuble de salon, tantôt
d'un secrétaire, d'une console, tantôt enfin d'un bureau à
cylindre. « De tous ces essais plus ou moins excentriques,
dit Marmontel, il ne reste plus actuellement que les pianos
droits à cordes obliques, petit format, format moyen, grand
fornnat, et le piano à queue ayant la forme d'un grand cla-
vecin monté sur trois pieds. »
Avantageusement connue d^s le commencement du dix-
neuvième siècle la maison Herz a conquis un rang distingué
dans la facture française sous la direction du célèbre pianiste
Henri Herz. Secondé par ses frères Jacques et Charles,
Henri Herz s'est efTorcé d'obtenir toutes les garanties d'une
excellente facture: solidité, qualité de sons, perfection du
mécanisme, élégance de la forme, aussi Marmontel a-t-il pu
porter sur ses pianos le jugement favorable que voici : a Les
instruments de la maison Herz se distinguent par leur belle
qualité de son, par leur voix chantante, moelleuse, claire.
— 154 -
argentine. L'échelle sonore est d'une homogénéité parfaite,
et le clavier très docile parle avec une grande facilité, tout
en conservant une résistance suffisante pour répondre avec
justesse et précision à la pression intelligente des doigts. »
Aux grands noms de Pleyel, Erard, Herz, d'autres pour-
raient s'ajouter, entre autres ceux de Kriegestein, Roller
et Blanchet, Souffletot, Monta l. Bord, Aucher, Ga-
vEAux, Gaidon, Pedzol, Pfeiffer, Martin, Flaxland,
MussARD, BoissELOT, ctc. ; le cadre que nous avons adopté
ne nous permettant pas de caractériser les produits de ces
diverses maisons, nous nous bornerons à constater que par
le nombre et la valeur de ses représentants, la facture du
piano en France occupe une place d'honneur dans l'histoire
de cet instrument.
Sans rivaliser avec la France, l'Angleterre, l'Allemagne, la
Suisse a cependant fourni de bons instruments ; les pianos
de HiJNI, ROHRDORF & C^^", SUTER, GaisserT, à Zurich, de
BURGER ET Jagobi, à Bienne, de SGHMITT-Flohr, à Berne,
sont appréciés. L'exposition nationale de 4896, à Genève, a
montré ce qu'un, petit pays peut accomplir au point de vue
de la construction des instruments de musique en général,
des pianos en particulier.
En Italie, on doit mentionner la manufacture Rœseler, à
Turin, qui fournit environ 400 pianos par an ; dans la même
ville les instruments a sistema prussiano de GIOVANNI Berra
et de Giaginto ATMONIMO sont très recherchés. La maison
Colomba E GRIMM, à Milan, construit d'excellents pianos par-
ticulièrement solides, grâce aux fortes barres de fer dont ils
sont pourvus. En outre, Vicence, Padoue, Naples possèdent
des facteurs justement réputés.
A Saint-Pétersbourg, la construction des pianos est com-
plètement entre les mains des maîtres allemands, ainsi que
— 155 —
l'attestent les noms de FiSGHNER, WiRTH, Begker, Lighten-
THAL ; les virtuoses qui se font entendre sur les rives de la
Neva parlent avec éloges des pianos de ces divers facteurs.
Enfin, en Amérique, les pianoforte de CHIGKERING AND SONS
provoquèrent, dès 1823, une telle admiration par la beauté
de leurs sons et par la solidité de leur facture qu'ils ne tar-
dèrent pas à se répandre dans toutes les villes de TAmérique
du Nord. La réputation de cette maison s'est vaillamment
maintenue jusqu'à nos jours, malgré la terrible lutte que,
depuis 1855, elle a à soutenir avec la maison Steinway and
Sons, à New- York.
Le fondateur de cette manufacture, aujourd'hui célèbre,
Henri Steinwat ou Steinweg, est né en 1797, à Brunswick.
Ses aptitudes innées pour la musique le poussèrent à cons-
truire d'abord des zithers et des guitares, puis des pianos à
queue, des pianinos ; en 1850, il se transporta avec sa famille
à New- York, laissant à son frère Théodore la direction de la
maison qu'il avait fondée dans sa ville natale. Après avoir
travaillé pendant trois ans chez divers facteurs, il s'établit
pour son propre compte ; les débuts, dans une petite rue de
New- York, furent excessivement modestes, mais, dès 1855,
sa manufacture passa pour une des premières des deux
mondes. Les pianos de Steinway ont obtenu les plus hautes
récompenses à Londres comme à New-York. Les ateliers de
ce facteur sont si vastes et si admirablement outillés qu'ils
peuvent livrer 2400 pianos par an et que la maison peut,
ainsi que ce fut le cas en 1872, réaliser un bénéfice annuel
de plus d'un million de dollars.
Sans atteindre à de pareilles proportions, quelques autres
maisons déploient une activité féconde ; ce sont celles des
Frères Haines, d'EsxEY, de Needham, à New-York, de
W.-P. Emerson, à Boston, et de W. KNABE & €*•, à Balti-
more.
CHAPITRE II
Haydn et Mozart.
Tandis que Jean-Sébastien Bach renfermait l'expression
de sa pensée musicale de préférence dans le cadre de la
fugue, son fils Charles-Philippe-Emmanuel, le puissant ini-
tiateur des idées nouvelles, cultiva surtout la sonate qui se
prêtait à une beaucoup plus grande liberté d'allures. En
donnant à la sonate sa forme classique (un morceau lent
entre deux morceaux rapides), Philippe-Emmanuel Bach a
exercé une influence énorme sur le développement progressif
de Tart musical, car il est aisé d'observer que non seulement
c'est dans le monde de la sonate que des compositeurs tels
que Haydn, Mozart, Beethoven ont répandu le précieux par-
fum de leurs inspirations les plus sublimes, mais aussi que
le cadre de la sonate pour piano seul ou pour piano avec
accompagnement d'un autre instrument (violon, violoncelle,
flûte) est devenu le cadre des formes les plus compliquées,
les plus grandioses de la musique instrumentale (trio, qua-
tuor, quintette, etc., sans excepter la symphonie à grand
orchestre). Effectivement la plupart de ces compositions se
divisent en trois parties dont l'une, celle du milieu, a un
mouvement lent et les deux autres un mouvement rapide,
de telle sorte que l'on a pu dire avec raison que le quatuor
est une sonate pour quatre instruments, que la symphonie
est une sonate pour orchestre.
Nous ne rechercherons pas ici quelles sont les raisons pro-
fondes pour lesquelles la succession d'un andante à un
allegro et d'un allegro ou d'un presto à un andante produit
~ 157 —
sur l'auditeur une impression particulièrement satisfaisante;
en relevant l'importance de la sonate et non seulement de la
sonate, mais aussi du concerto écrit sur le même plan, nous
avons simplement voulu préciser le rôle qui appartient à
Philippe-Emmanuel Bach dans l'évolution de l'art musical et
justifier, en même temps, d'un côté la prédilection visible des
classiques du piano pour ce genre de compositions et, d'un
autre côté, la place dominante que nous leur attribuons dans
notre caractéristique de l'œuvre des grands compositeurs ;
quanta la question des rapports qui existent entre la struc-
ture d'un morceau de musique et la sensation agréable qu'il
procure à ceux qui l'écoutent ou qui l'exécutent, elle ressort
non de l'histoire, mais de l'esthétique.
Dans l'étude que nous abordons, nous adoptons dans ses
traits généraux le plan suivi par Weitzmann tout en nous
-en affranchissant sur un point de détail à l'égard duquel
nous tenons à nous expliquer aussi clairement et aussi briè-
vement que possible.
Tandis que l'auteur allemand que nous avons pris pour
^uide étudie les œuvres de tous les musiciens qui ont écrit
pour le piano, nous laissons dans l'ombre ceux dont les com-
positions sont tombées dans l'oubli pour mettre d'autant
plus en relief les purs génies dont les œuvres portent le
sceau de l'immortalité.
Deux motifs ont déterminé le choix de la méthode que
nous nous proposons de suivre.
D'abord nous ne faisons pas de l'érudition ; notre but est
•essentiellement pratique ; tout ce que nous désirons, c'est de
mettre entre les mains de ceux qui étudient le piano un fil
conducteur qui leur permette d'opérer aisément le départ
entre ce qui est indifférent et ce qui peut être réellement
utile à leur culture musicale. A ce point de vue, il est
avantageux de s'arrêter devant les figures qui dominent
une époque, et il n'y a aucun inconvénient à négliger les
œuvres qui n'ont pas plus de durée que les caprices de la
mode.
- 158 —
En second lieu, Thomme de génie marquant de son estam-
pille personnelle ses œuvres les plus diverses, les plus mo-
destes aussi bien que les plus magistrales, ses compositions
pour piano seul comme ses compositions pour orchestre, il
est nécessaire, pour bien comprendre Tœuvre, de bien con-
naître l'ouvrier. La constitution morale de celui-ci dépen-
dant de rinfluence exercée sur lui par ses ascendants, par le
milieu intellectuel, politique, social, dans lequel il grandit^
par les circonstances heureuses ou malheureuses de son
existence, une notice biographique doit évidemment pré-
céder la détermination du caractère particulier du compo-
siteur ainsi que des compositions qui sont le vivant reflet de
sa personnalité. Obéissant à cette conviction, nous étudie-
rons successivement la vie, le caractère, l'œuvre des maî-
tres qui, ne se contentant pas d'écrire pour le plaisir des
oreilles, ont créé des monuments impérissables et ont ainsi
creusé un sillon dans l'histoire moderne du piano.
JOSEPH HATDN
JOSEPH Haydn est né le 31 mars 1732 à Bohrau, petite ville
de la Basse-Autriche, située près de la frontière hongroise et
cependant pas très éloignée de Vienne, de cette belle capitale
qui était alors un foyer de vie artistique en Allemagne.
Le père de Joseph Haydn, charron de son état, remplissait
en outre, dans sa ville natale, les fonctions de sacristain et
d'organiste ; il jouait de la harpe et souvent, le dimanche, il
faisait danser les villageois du voisinage aux sons de cet
instrument. Sa femme, qui possédait une fort belle voix,
aimait à chanter des mélodies populaires et à bercer son
enfant au rythme simple et gracieux de ses chansons. Dans
ce milieu, Joseph Haydn ne pouvait échapper à des influences
musicales ; elles furent si vives que, dès l'âge le plus tendre,
sa suprême joie était d'écouter de la musique, a Entendre
jouer d'un instrument quelconque était plus agréable pour
lui que courir avec ses petits camarades. Quand, badinant
— 159 -
avec eux dans la place voisine de Saint-Etienne, il entendait
l'orgue, il les quittait bien vite et entrait dans Téglise^ d
Un parent de Haydn, bon musicien, régent à Haimbourg,
proposa de prendre Tenfant chez lui et de pourvoir à son
éducation. Les offres furent acceptées avec gratitude et, chez
son cousin Franck, le jeune Haydn apprit à jouer du violon,
à chanter au lutrin de la paroisse et à comprendre passable-
ment le latin. Jusqu'à la fin de sa vie, Haydn conserva une
sincère reconnaissance pour celui dont il avait, disait-il, reçu
« plus de taloches que de bons morceaux. »
Engagé, en 1741, comme enfant de chœur dans l'église
Saint-Etienne, J. Haydn eut l'occasion de poursuivre d'une
façon régulière ses études musicales ; il se perfectionna dans
le violon, il étudia à fond le chant, le clavecin, les règles du
contrepoint et put bientôt s'essayer lui-même à la compo-
sition.
La mue de sa voix jeta Haydn sur le pavé ; à l'âge de seize
ans, sans ressources et ne pouvant attendre aucun secours
de ses parents, tous pauvres et chargés de famille, le mal-
heureux enfant dut pourvoir à son existence; il le fit en
donnant des leçons, en remplissant les fonctions de choriste
chez les Frères de la miséricorde et puis aussi, dans les mo-
ments critiques, en jouant ou chantant dans les rues avec
quelques camarades. Malgré ces tribulations au contact des-
quelles bien d'autres auraient perdu courage, le jeune musi-
cien ne se plaignait pas de son sort ; au contraire, il décla-
rait que quand il était devant son vieux clavecin rongé des
vers, le bonheur d'un roi ne lui faisait point envie. Les
sonates de Philippe-Emmanuel Bach étaient son pain quo-
tidien. Haydn s'efforça de s'approprier le style de ce maître
pour lequel il professait la plus grande admiration.
Après avoir, durant quelques années, vécu sous le toit
hospitalier du perruquier Keller, dont il devait plus tard
épouser la fille, Joseph Haydn s'installa chez un nommé
1 De Stcndabi, Vies de Haydn, de Mo%arty etc., p. 28.
— 160 -
Martinez, qui avait pour locataire le poète Métastase. Ce
dernier s'intéressa vivement au jeune musicien; il lui fit
faire la connaissance du compositeur et chanteur italien
NicoLO PoRPORA qui le choisit comme accompagnateur pour
ses leçons de chant. La position de Haydn vis-à-vis d'un
maître, qui souvent le traitait comme son domestique, ne
fut point exempte de désagréments, mais elle eut pour lui
l'immense avantage de le familiariser avec Tart du chant et
de la composition, avec la connaissance de la langue italienne
et surtout de le mettre complètement à l'abri de tout souci
matériel.
Haydn profita de cette circonstance pour composer; déjà
les sonates qu'il avait écrites pour ses élèves avaient eu un
certain retentissement ; à ces œuvres de jeunesse d'autres
s'ajoutèrent, un quatuor^ même un opéra comique. La re-
nommée du compositeur lui ouvrit les salons du comte de
Morzin, un riche dilettante qui donnait fréquemment des
soirées de musique. Dans un de ses concerts, en 1759, l'or-
chestre joua la première symphonie de Haydn, en Ré majeur.
Parmi les assistants se trouvait le prince Antoine Esterhazy,
qui, dès l'année suivante, engagea Haydn à son service avec
le titre de maître de chapelle. Antoine Esterhazy mourut
déjà en 1761, mais son fils, Nicolas Esterhazy, plus pas-
sionné encore pour la musique que ne l'avait été son père,
conserva Haydn à la tête de ses musiciens et augmenta son
traitement.
Pendant trente ans, Haydn fit partie de la maison du prince
Esterhazy, habitant avec lui tantôt Vienne, tantôt la résidence
princière d'Eisenstadt. Ce fut une période d'activité paisible,
mais féconde. Violoniste distingué, le prince Esterhazy avait
non seulement son orchestre, mais aussi sa troupe d'opéra,
sa compagnie dramatique, son théâtre de marionnettes, sa
musique de chambre et sa musique d'église. Son instrument
préféré était le baryton. Dans un tel milieu, le maestro rencon-
trait d'innombrables occasions de composer des quatuors,
des symphonies, des fragments de musique religieuse, etc.
— 161 —
Non seulement cela, mais jouissant de la confiance de son
protecteur, il pouvait, ainsi que lui-même le raconte, faire
des expériences avec son orchestre, observer ce qui accentue
ou amoindrit l'impression produite, par conséquent essayer,
retrancher, ajouter, perfectionner. Le compositeur pouvait
d'autant mieux se livrer à des études qui lui étaient chères
que, de fait, séparé du monde, il menait, dans la somptueuse
demeure de son Mécène, une existence très régulière. De
cinq heures du matin à midi, travail personnel; après midi,
concert ; le soir, réception d'amis ou opéra ; ce programme
ne variait guère. Les facilités accordées à Haydn pendant le
long séjour qu'il fit à la cour de Nicolas Esterhazy ne con-
tribuèrent pas seulement à donner une puissante impulsion
à son génie musical et à lui conserver l'inaltérable bonne
humeur dont il semble avoir, de naissance, possédé l'inesti-
mable privilège, elles eurent des conséquences plus géné-
rales; en écrivant pour l'orchestre et en se familiarisant avec
le maniement des forces orchestrales, Haydn a créé la mu-
sique instrumentale, cette manifestation la plus parfaite de
l'art musical.
Le prince Esterhazy mourut en 1790, laissant à son musi-
cien favori une rente annuelle de 1000 florins que son fils
augmenta de 400 florins. Haydn se fixa à Vrenne» mais vers
la fin de la même année, les démarches qui furent faites
auprès de lui par le violoniste anglais Salomon le décidèrent
à partir pour Londres. Apprenant cette décision Mozart dit
à Haydn : — Papa I vous n'êtes pas fait pour le grand monde,
et vous parlez trop peu de langues. — Ma langue, ré-
pondit Haydn, on la comprend dans le monde entier. » Le
départ fut fixé au 15 décembre 1790 ; à l'heure de la sépa-
ration, W, Mozart, les yeux pleins de larmes, s'approcha
de son émule et s'écria: « C'est probablement le dernier
adieu que nous nous adressons sur cette terre, d
Une année ne s'était pas écoulée lorsque Haydn, toujours
à Londres, apprit la mort de son ami, de vingt-quatfe ans
plus jeune que lui: « La postérité, écrivit-il à ce sujet, ne
BIST. DO piàmo 11
— 162 —
connaîtra pas de cent ans un talent pareil, » prédiction qui
se serait réalisée si Beethoven n'était pas venu recueillir en
Tenrichissant Théritage de Haydn et de Mozart.
A Londres, Haydn fut accueilli avec un enthousiasme
indescriptible ; la musique qu'il composa pour les concerts
de Hai/market fut excessivement goûtée. Vainement la société
des musiciens dits professionnalistes tenta de faire concur-
rence aux concerts dirigés par Haydn, elle ne parvint pas à
ébranler sa popularité. Après avoir écrit pour une seconde
série de douze concerts un chiffre égal de symphonies nou-
velles, Haydn revint en Allemagne comblé d'honneurs, por-
tant en poche non seulement une abondante moisson de
livres sterling, mais aussi le titre de docteur de l'Université
d'Oxford.
En 1794, toujours jeune sous sa couronne de cheveux
blancs, Haydn fit un second et dernier voyage à Londres ; il y
retrouva le même succès que deux ans auparavant et en rap-
porta le texte de son oratorio : La création. Ce chef-d'œuvre
fut exécuté pour la première fois en 1799 et l'année suivante,
à l'âge de soixante-huit ans, Haydn écrivait Les saisonsy com-
position pleine de grâce et de fraîcheur.
De retour à Vienne dès le mois d'août 1795, Haydn avait
fait l'acquisition d'une propriété à la campagne; c'est là que
s'écoulèrent les dernières années du compositeur et c'est là
qu'il écrivit sa dernière composition, un quatuor en Si b
majeur, op. 83.
Le 27 mars 1808, on donna la Création chez le prince Lob-
kowitz; cette solennité, à laquelle Haydn assistait, fut parti-
culièrement émouvante; voici le récit qu'en fait De Sten-
dahl:
« On s'arrangea pour donner la Création avec les paroles
italiennes de Garpani.
» Cent soixante musiciens se réunirent chez M. le prince
Lobkowitz.
» Ils étaient secondés par trois belles voix. M™® Frischer, de
Berlin, MM. Weitmùller et Radichi. Il y avait plus de quinze
— 163 —
cents personnes dans la salle. Le pauvre vieillard voulut,
malgré sa faiblesse, revoir encore ce public pour lequel il
avait tant travaillé. On l'apporta sur un fauteuil, dans cette
belle salle, pleine en ce moment de cœurs émus. M™® la
princesse Esterhazy et M™« de Kurzbeck, amie de Haydn,
vont à sa rencontre. Les fanfares de l'orchestre, et plus en-
core, l'attendrissement des assistants annoncent son arrivée.
On le place au milieu de trois rangs de sièges destinés à ses
amis et à tout ce qu'il y avait alors d'illustre à Vienne. Salieri,
qui dirigeait l'orchestre, vient prendre les ordres de Haydn
avant de commencer. Ils s'embrassent ; Salieri le quitte, vole
à sa place, et l'orchestre part au milieu de l'attendrissement
général. On peut juger si cette musique, toute religieuse,
parut sublime à des cœurs pénétrés du spectacle d'un grand
homme quittant la vie. Environné des grands, de ses amis,
des artistes, de femmes charmantes dont tous les yeux étaient
fixés sur lui, écoutant les louanges de Dieu imaginées par
lui-même, Haydn fit un bel adieu au monde et à la vie.
» Le chevalier Capellini, médecin de premier ordre, vint
à s'apercevoir que les jambes de Haydn n'étaient pas assez
couvertes. A peine avait-il dit un mot à ses voisins que les
plus beaux châles abandonnèrent les femmes charmantes
qu'ils couvraient pour venir réchauffer le vieillard chéri.
» Haydn, que tant de gloire et d'amour avaient fait pleurer,
plusieurs fois, se sentit faible à la fin de la première partie.
On enleva son fauteuil ; au moment de sortir de la salle, il
fait arrêter les porteurs, remercie d'abord le public par une
inclination, ensuite, se tournant vers l'orchestre, par une
idée tout à fait allemande, il lève les mains au ciel, et, les
yeux pleins de larmes, il bénit les anciens compagnons de
ses travaux *. »
Sur ces entrefaites, la guerre éclata entre la France et
l'Autriche ; les armées françaises campèrent à une demi-lieue
du jardin de Haydn ; le 11 mai 1809, quinze cents coups de
' De Stendahl, Vies de Haydn, de Mo%art, etc., p. 192.
- 164 —
canon furent tirés à quelques pas de sa demeure. L'inquié-
tude du vieillard fut grande ; le 29 mai, il se fit transporter
à son piano et chanta d'une voix éteinte : « Dieu, sauvez
François I » Ce fut le chant du cygne ; cinq jours plus tard,
le 31 mai, Joseph Haydn terminait sa terrestre carrière; il
avait soixante-dix-huit ans et deux mois.
Si nous essayons maintenant de dégager des renseigne-
ments que nous possédons sur la vie de Haydn, sur ses habi-
tudes, sur le milieu dans lequel il s'est développé, les traits
marquants de sa personnalité morale, nous dirons que la
disposition qui constitue le fond même de son caractère
est une inaltérable sérénité de Tâme, dont la source doit être
cherchée dans les impressions d'enfance et dans la religio-
sité naïve mais sincère du grand compositeur.
Sous le toit paternel, Haydn apprit à se contenter de peu
de chose, tandis que d'autre part des chants joyeux retenti-
rent autour de son berceau. La musique lui apparut dans sa
première jeunesse non sous la forme scholastique des sa-
vantes combinaisons contrapuntiques, mais sous l'aspect
plus riant de chansons populaires. La religion elle-même, il
ne la connut que sous ses dehors les plus aimables ; il ignora
toujours les perplexités de la pensée aux prises avec le doute
et ne comprit jamais Dieu que sous le seul attribut de sa
bonté. Parlant de la composition de son oratorio La création,
Haydn disait : « Chaque jour, je tombais à genoux et je
priais Dieu de m'accorder la force nécessaire à l'heureux
achèvement de cette œuvre,... quand le travail n'avançait
pas, j'allais dans ma chambre avec mon rosaire, je récitais
quelques ave et les idées revenaient. » Cela peut sembler
puéril ; dans la réalité, cela ne l'était point du tout, car, dans
les paroles du maître que nous venons de citer, on ne saurait
voir autre chose que l'expression authentique d'une con-
fiance absolue au Père céleste, sentiment qui explique l'éga-
lité d'humeur, l'invincible optimisme dont Haydn, durant sa
longue carrière, donna le fortifiant exemple. Quand, en tête
de ses partitions, l'illustre musicien inscrivait ces mots :
— 1G5 —
c Soli Deo gloria i» ou « In nomîne Dei, » il ne faisait pas de
la mise en scène, il obéissait à un élan spontané de son
cœur.
On peut donc souscrire au jugement que Schuré a porté
sur Haydn dans les termes que voici: « Haydn était une
nature douce, aimante et aimable, candide et vraiment inno-
cente dans le plus beau sens de ce mot. Il ignora les orages
de la passion, les déchirements du doute, les grandes luttes
de l'âme ; mais, sa joie saine, sa gaîté charmante, vive et
inépuisable aussi bien que son sentiment religieux naïf et
profond sont d'un ravissant et bon enfant. »
Resté toute sa vie « bon enfant, » Haydn est d'un naturel
enjoué ; le badinage ne lui déplaît point. On en a plus d'un
exemple ; les plus connus sont la symphonie pendant laquelle
tous les instruments disparaissent successivement, de façon
qu'à la fin le premier violon joue seul, et la symphonie pour
instruments enfantins tels que petits violons, sifflets, cou-
cous, trompettes de bois, etc.
On se tromperait toutefois si l'on pensait que l'enjouement
de Haydn touchait à la vulgarité ; de nature, il aimait ce qui
est d'une parfaite correction, et les trente années durant les-
quelles il fut en contact journalier avec une société très aris-
tocratique dut accentuer ce goût qui se manifestait jusque
dans les moindres détails de la vie. C'est ainsi qu'au moment
de se mettre au travail, Haydn se faisait coiffer, comme s'il
eût dû sortir et que, pour écrire, il choisissait le papier le
plus fin et le plus blanc possible.
En résumé: âme saine dans un corps sain, disposition
naturellement gaie de l'esprit, sens instinctif de la forme
élégante, correcte, conscience artistique très scrupuleuse,
piété formaliste, si l'on veut, mais cependant bien sincère,
d'une naïveté extrême, mais exempte de toute affectation,
tels sont les traits sous lesquels Haydn se montre dans sa
vie et tels sont les traits sous lesquels il va nous apparaître
dans ses œuvres.
Haydn a composé 118 symphonies, 83 quatuors, 60 sonates.
— 166 —
14 opéras, 5 oratorios, 42 chants et duos, 3 messes, plus un
certain nombre de motets, danses, marches, etc. Nous n'avons
à nous occuper que de ses œuvres pour piano et tout parti-
culièrement des remarquables sonates qu'il a écrites pour
cet instrument.
L'inaltérable bonne humeur^ qui est un trait saillant du
caractère de Haydn, se reflète dans les sonates qu'il a com-
posées. On y rencontre en effet de nombreux passages ayant
toutes les allures d'un badinage musical. Voici quelques
exemples tous empruntés à la collection de dix-huit sonates
choisies éditées et doigtées par J. Moscheles (Hallberger's
Pracht-Ausgabe der Classiker, Stuttgart).
Le premier et le dernier morceau de la sonate N» 1 (pre-
mier cahier) en Ré majeur expriment la joie, le contente-
ment, mais les quelques mesures du final qui sont en Sol
majeur :
C;^-%fh^
^-T-'|itr ri
ScherTutndo
B
m
i
î
î
^
5
ont un caractère tout à fait badin. Il en est de même du
final de la sonate N<> 11 (second cahier) également en Ré
majeur. L'allure badine des premières mesures :
m
Ifi^
N^
5^
ÎS
g^
k
lÔH^ZCgpJ
-jîlj|h I i-^^
^
î^
est d'autant plus accBntuée que le mouvement allegro assai
succède immédiatement à un adagio. Les mesures en Fa
— 167 —
majeur du même morceau laissent aussi sous Timpression
d'un badinage musical :
=!§
^
9^\r^-^
^
S
_• •_
•■ ^ -^
^
tr tr
^
Sous ce rapport et essentiellement au point de vue du con-
traste avec le morceau qui précède, le presto de la sonate
N« 14 (second cahier) en Do majeur:
Presto.
a3^
*
et le presto de la sonate N<> 18 (second cahier) en Fa majeur :
Presto.
— 168
m
^
#=r«-
^^
3
L,
*
sont encore plus caractéristiques. Cela est si vrai que cette
musique alerte, piquante, spirituelle, éveille nécessairement
des images riantes dans Tesprit.
Les contemporains de Haydn avaient bien observé ce carac-
tère badin de ses œuvres et ils le lui reprochaient amère-
ment. A la page 19 d'un manuel de musique, paru en 1782,
on lit ce qui suit : cl Haydn, farceur musical, non à la façon
de Yorick, non pour le pathos, mais pour le haut comique,
ce qui, dans la musique, est désespérant ; Haydn a été cha-
pitré par les Berlinois à cause des incorrections (!) de ses
œuvres, mais ses critiques auraient dû songer que de deux
choses Tune, ou bien il ne faut pas rire du tout ou bien il
faut se moquer des règles de la convenance suivant le flux
ou le reflux de Thumeur. i» Nous sommes moins difficiles
aujourd'hui, et il n'y a pas de pianiste qui ne trouve, à exé-
cuter les badinages du vieux Haydn, une source d'exquises
jouissances.
L'inspiration dominante des sonates est joyeuse, mais
point du tout vulgaire ; les ornements introduits par le com-
positeur dans ses andantes, ses adagios ont un cachet de
distinction facile à constater. On s'en convaincra si l'on com-
pare le thème de Vadagio en Mi majeur de la sonate (N® 5,
premier cahier, en Mi b majeur) sous sa forme première déjà
très artistique avec. les variantes sous lesquelles il reparait.
Voici les deux premières mesures de ce thème dans sa
teneur ipitiale :
— 169 —
Une première variante présente la même phrase déve-
loppée comme suit :
^ta
Dans une seconde variante, le thème ne diffère du texte
original que par l'introduction à la seconde mesure d'un
arpège dont l'efTet est des plus heureux :
y
^^^
3^
^t=jH
S
g4=f=^
é
cretc.
*
■^.
t
Des observations semblables pourraient s'appliquer à d'au-
tres fragments du même adagio ainsi qu'à d'autres morceaux
— 170 —
écrits dans un mouvement analogue ; il serait superflu de les
multiplier; ce qu'il importe seulement de relever, c'est que
la parfaite élégance de la forme n'apparaît pas uniquement
dans les fines arabesques dont le compositeur orne les motifs
les plus simples, mais aussi dans l'expression immédiate,
primesautière de sa pensée. Si Haydn n'a pas les tendres
accents de Mozart, les élans passionnés de Beethoven, il
rachète ces lacunes par un contour mélodique d'une pureté
toute classique. On en jugera par les premières mesures de
Vaddgio en Si h majeur de la sonate N<> 7 (premier cahier) en
Mi b majeur :
Adagio cantabile. — J = ^20.
^ ' '^^ W
m=i=^^
I
te
^rS C-— y^
i^
ainsi que par le début si entraînant de l'allégro de la même
sonate N® 7, en Mi h majeur:
— 171 —
Au reste, on se tromperait si du fait qu'une inspiration
joyeuse pénètre l'œuvre entière du chantre des Saisons^ on
concluait que la traduction musicale des sentiments les plus
nobles, les plus élevés de l'âme humaine fait défaut si non
dans ses compositions pour chœur, orchestre, du moins
dans ses compositions pour piano. Il serait au contraire facile
de glaner dans les sonates de Haydn plus d'un passage où le
sentiment dramatique se laisse deviner, plus d'une page
ayant un cachet de religieuse grandeur. Ainsi le largo en
Ré mineur de la sonate N® 1 (premier cahier) dont les pre-
mières mesures :
J^ = 72.
— 172 —
sont particulièrement impressives, puis aussi le fragment
que voici de Tadagio en Si b majeur de la sonate N® 7 (pre-
mier cahier) en Mi b majeur :
^6^
1
fa^^^
i
SrTT#f?Tf=f^fT7
'^
dans lequel le thème délicatement soutenu par l'accompa-
gnement en arpèges se détache en traits lumineux, sem-
blable à une voix qui s'élève dans l'espace sur les ailes de
l'adoration.
Haydn, qui a introduit le menuet au mouvement moderato
(parfois vif, alerte) dans ses symphonies, l'a également intro-
duit dans ses sonates. On trouve en effet le Tempo di miùuetto
comme dernier morceau de la sonate N® 2 (Do dièze mineur),
de la sonate N® 7 (Mi h majeur) et comme second morceau de
la sonate N« 17 (Sol majeur) de l'édition Hallberger.
Généralement les sonates de Haydn sont conformes au type
classique (un morceau lent entre deux morceaux rapides) ;
toutefois, dans quelques cas, l'ordre est modifié ; en outre,
six sonates n'ont que deux parties.
Le chiffre complet des sonates écrites par Haydn pour le
piano seul est de 34 ; on lui doit en outre la composition de
deux concertos, de deux sonates à quatre mains, de varia-
tions à quatre mains intitulées: Il maestro e lo scolarey de
8 sonates pour piano et violon, de 31 sonates pour piano,
violon, et violoncelle, et enfin de morceaux divers, varia-
— 173 —
tions, caprices, etc. La collection du Panthéon possède un
Air varié de Haydn, en Mi b majeur, qui est une perle musi-
cale et qui suf/it à faire connaître la manière du maître sous
cet aspect particulier.
A Tédition des i8 sonates choisies (Hallberger's Pracht-Aus-
gabe) les publications suivantes doivent être ajoutées : Sonates
choisies et morceaux solo, édités par Lebert avec la collabo-
ration de Faisst et Lachner, 2 volumes (Gotta, Stuttgart) ; So*
notes pour piano/brte, 2 volumes (Breitkopf et Hàrtel) ; Sonates
complètes publiées par Kôhler, 4 volumes (Peters). «Les. 34
sonates » en un volume, collection LitolfiF.
On a dît avec raison que Haydn avait a délié la langue de
Torcbestre. » On peut en effet le considérer comme le père
de la musique instrumentale, selon l'acception moderne de
ce mot. Dans les quatuors, les symphonies, même dans les
oratorios de Haydn, on retrouve les mêmes qualités que dans
ses œuvres pour piano. Les compositions de Haydn portent
toute l'empreinte d'un naturel enjoué, d'une âme que les
orages de la passion n'ont jamais troublée, d'une piété naïve
qui a toujours ignoré les anxiétés de l'esprit, d'une concep-
tion très élevée de l'œuvre d'art en môme temps que par
ticulièrement optimiste des choses divines et humaines.
MOZART
Jean-Chrtsostome-Wolfgang-Amëdëe Mozart est né le
27 janvier 1756 à Salzbourg, ville pittoresque, dans une situa-
tion tout à fait romantique, aux pieds des Alpes italiques.
Son père, Léopold Mozart, vice-maître de chapelle de l'arche-
vêque de Salzbourg, était un homme très cultivé, doublé
d'un excellent musicien. Il avait étudié la jurisprudence,
mais s'était consacré complètement à la pratique de l'art
musical. Auteur d'une méthode de violon estimée des con-
naisseurs, lui-même violoniste distingué, Léopold Mozart a
composé des trios, des concertos, des symphonies, des ora-
— 174 —
torios d'une certaine valeur. Avec cela, observateur rigide
des pratiques religieuses, il avait la conscience vive du de-
voir; formé sous l'influence de Kant, il imprimait à son
christianisme une tendance essentiellement morale et faisait
de l'ordre et de la ponctualité les règles fondamentales de la
vie pour lui-même non moins que pour les autres.
On ne possède pas de renseignements précis sur la mère
de Mozart, mais ce que l'on sait, c'est que le jeune enfant
grandit dans une atmosphère bienfaisante, au sein d'une
famille où régnaient des habitudes de probité scrupuleuse,
de franche et généreuse cordialité s'étendant à la maison
tout entière, sans excepter la servante, les oiseaux et le
chien Bimherl^ trait caractéristique auquel le compositeur
devra sans doute, pour une bonne part, l'extrême sensibilité
dont il a donné de nombreuses preuves et dont ses œuvres
portent la marque indélibile.
Les renseignements concernant la vie de Mozart ne man-
quent pas. Au cours de ses fréquents voyages, il a constam-
ment correspondu avec les membres de sa famille restés au
domicile. Religieusement conservée par la veuve de Mozart,
cette volumineuse correspondance est devenue, par le ma-
riage de celle-ci avec M. de Nissen, la propriété de ce
dernier, qui, grâce à cette circonstance, a pu écrire une
biographie très complète et très fortement documentée de
l'illustre musicien.
La précocité de Mozart fut extraordinaire ; à l'âge de trois
ans, il posait ses doigts sur le clavier et s'essayait à faire des
tierces ; à l'âge de six ans, il avait composé un menuet et un
allegro pour piano. Léopold Mozart, qui se considérait
comme moralement obligé de développer par tous les moyens
possibles le c don de Dieu d départi à son enfant, entreprit
en janvier 4762 un premier voyage artistique avec le petit
Wolfgang et sa sœur, Nanerl (diminutif de Marie-Anna), de
cinq ans plus âgée que lui. Un séjour de trois semaines à
Munich fournit aux jeunes virtuoses une abondante moisson
de brillants succès.
— 175 —
Au mois d'octobre de la même année, Léopold Mozart con-
duisit ses deux enfants à Vienne. L'accueil dans la ville
impériale fut des plus sympathiques. On en jugera par quel-
ques fragments d'une lettre de Léopold Mozart, datée de
Vienne, 14 octobre 1762, et adressée à M. Hagenauer, négo-
ciant à Salzbourg : Je voudrais, Madame, que la langue de la musique fût
celle de la reconnaissance ; je serais moins embarrassé de
parler de l'impression que Vos bienfaits ont faits sur moi.
Nature qui m'a fait musicien, comme elle fait les rossignols,
m'inspirera; le Nom de Victoire restera gravé dans ma mé-
moire avec les traits ineffaçables qu'il porte dans le cœur de
tous les Français.
» Je suis avec le plus profond respect, Madame, Votre très
humble, très obéissant et très petit serviteur,
» J.-G.-WoLFGANG Mozart. »
On suppose que cette dédicace fut rédigée par le célèbre
'Grimm, ami personnel de la famille Mozart, et que les sonates
furent remaniées par Léopold Mozart ; la première se trouve
dans le dix-septième cahier des Œuvres complètes de Mozart
éditées par Breitkopf et Hàrtel.
L'hiver 1764 à 1765 se passa en Angleterre où Mozart fit
jouer sa première symphonie. En mai 1766, il était de retour
à Paris d'où Grimm écrivait : a Nous venons de voir ici les
deux aimables enfants de M. Mozart, maître de chapelle du
prince-archevêque de Salzbourg, qui ont eu un si grand
succès pendant leur séjour à Paris, en 1764.... Partout où
^es enfants ont fait quelque séjour, ils ont réuni tous les
suffrages et causé de l'étonnement aux connaisseurs. M'^e Mo-
zart, âgée maintenant de treize ans, d'ailleurs fort embellie,
.a la plus belle et la plus puissante exécution sur le clavecin ;
il n'y a que son frère qui puisse lui enlever les suffrages. Cet
enfant merveilleux a actuellement neuf ans, il n'a presque pas
grandi, mais il a fait des progrès prodigieux dans la musique.
RIST. DU PIANO 12
— 178 —
Il était déjà compositeur et auteur de sonates, il y a deux
ans; il en a fait graver six depuis ce temps-là à Londres^
pour la reine de la Grande-Bretagne ; il en a publié six autres
pour M"»® la princesse de Nassau-Weilbourg. Il a composé
des symphonies à grand orchestre, qui ont été exécutées et
généralement applaudies ; il a môme écrit plusieurs airs
italiens, et je ne désespère pas qu'avant qu'il n'ait atteint
l'âge de douze ans, il n'ait déjà fait jouer un opéra sur
quelque théâtre d'Italie.... Mais ce qu'il y a de plus incom-
préhensible, c'est cette profonde science de l'harmonie qu'il
possède au suprême degré et qui a fait dire au prince héré-
ditaire de Brunswick, juge très compétent en cette matière
comme en beaucoup d'autres, que des maîtres de chapelle
consommés dans leur art, mouraient sans avoir appris ce que
cet enfant sait à neuf ans.... C'est d'ailleurs une des plus
aimables créatures qu'on puisse voir, mettant à tout ce qu'il
dit et ce qu'il fait de l'esprit et de l'âme avec la grâce et la
gentillesse de son âge. »
A la fin de 1766, Léopold Mozart et ses deux enfants,
rentraient à Salzbourg. Les voyages furent momentané-
ment suspendus et pendant une année W. Mozart perfec-
tionna son mécanisme par l'étude des œuvres des anciens
maîtres du clavecin, de Philippe-Emmanuel Bach en parti-
culier.
De 1767 à 1778 la famille Mozart habita Vienne ; les enfants
jouèrent devant l'empereur Joseph et Wolfgang composa un
opera-buffa, la Finta simplice, qui eut du succès. Une messe
également composée par ce musicien âgé de douze ans fut
exécutée devant toute la cour.
En prévision d'un voyage à faire en Italie, Tannée 1769 fut
consacrée à l'étude de la langue italienne. A la même époque
W. Mozart fut nommé maître des concerts de la cour de
Salzbourg, charge qu'il conserva de 1770 à 1777. La réputa-
tion du jeune musicien était déjà considérable; on ne parlait
que de lui des rives du Danube à celles de la Seine et de la
Tamise. Le séjour qu'il va faire sur la terre classique des.
— 179 —
beaux-arts imprimera une impulsion nouvelle à Tessor de
son génie.
C'est le 12 décembre 1769 que W. Mozart, accompagné de
son père, partit pour Tltalie. Des concerts donnés à Mantoue,
à Milan, eurent un succès extraordinaire ; à Bologne, le jeune
compositeur écrivit un motet sur un sujet donné par le
P. Martini, mais c'est surtout à Rome qu'il accomplit un
véritable tour de force musical en transcrivant de mémoire
le Miserere d'AUegri qu'il avait entendu une seule fois à la
chapelle sixtine. Après une excursion à Naples, le père et le
fils revinrent à Rome, puis à Milan, où l'opéra Mithridate
fut joué au théâtre de la Scala, le 26 décembre 1770. Les deux
Mozart visitèrent ensuite Turin, Venise. Dans cette dernière
ville, leur présence fut l'occasion de fêtes brillantes ; reçu
dans les premières familles de la république vénitienne, Wolf-
gang fut comblé d'honneurs à tel point que des gondoles sei-
gneuriales stationnaient constamment devant sa porte, prêtes
à le conduire où il désirait. Au printemps 1771, la famille
était de nouveau réunie à Salzbourg, mais pour quelques
mois seulement, des engagements rappelant le compositeur à
Milan.
Au reste, durant cette période de sa carrière, Mozart est
tantôt à Vienne, tantôt à Munich, tantôt à Milan; il ne fait
guère que toucher barre dans sa ville natale, ce qui s'explique
d'un côté par le fait que des engagements pris vis-à-vis des
directeurs de théâtre le rappelaient sans cesse dans les
grandes capitales, et d'un autre côté par la situation musi-
cale à Salzbourg qui n'était pas de nature à l'attacher à cette
ville. D'abord l'archevêque Jérôme, ne pouvant tolérer à côté
de lui une grandeur autre que la sienne, tenait Mozart dans
un état de domesticité, parce que le génie du musicien lui
portait ombrage, à quoi s'ajoutait l'injuste mépris qu'il res-
sentait pour les mœurs allemandes en général et pour les
mœurs salzbourgeoises en particulier, ainsi que son peu
intelligent dédain pour les hommes de petite taille. Non seu-
lement l'archevêque fit tout pour empêcher Mozart de réussir.
— 180 —
mais il poussa ses nombreux serviteurs à combattre Tin-
fluence du grand compositeur. En second lieu, à la cour de
ce haut dignitaire, la musique était tenue en médiocre estime;
quand un artiste se faisait entendre, la plupart des assistants
affectaient de ne rien écouter; ils échangeaient des prises de
tabac, d'autres se mouchaient bruyamment et les conversa-
tions allaient leur train. Les musiciens eux-mêmes se mon-
traient d'une impardonnable négligence et ne constituaient
pas une société agréable pour un esprit élevé, sincèrement
épris de Tidéal.
Longtemps Mozart supporta ce régime pour ne point dé-
plaire à son père qui tenait à ce qu'il conservât sa place de
maître de chapelle, mais on conçoit qu'il recherchât les occa-
sions d'échapper à la surveillance jalouse de son tyran et de
se transporter dans des centres mieux en rapport avec ses
goûts.
En 1777, Mozart, désireux de se produire sur un théâtre
proportionné à la renommée dont il jouissait, tourna de nou-
veau ses regards vers Paris. Accompagné cette fois-ci de sa
mère, il se rendit d'abord à Munich, à Augsbourg, où il
admira les pianos de Stein, puis à Mannheim où un incident,
qu'il convient de rappeler parce qu'il ouvrit de nouvelles
sources à son inspiration, le retint assez longtemps.
A Mannheim, M™o Mozart entra en relations intimes avec
une famille Weber qui se disposait à partir pour l'Italie. Le
principal ornement de cette maison hospitalière était la jeune
Aloysia, aimable et gracieuse cantatrice qui inspira à Wolf-
gang une vive passion. Des projets de mariage furent immé-
diatement ébauchés. Une longue correspondance s'engagea
sur ce sujet entre le fils et le père, le premier manifestant le
désir de se marier tout de suite et de suivre ses nouveaux
amis en Italie, le second soulevant des objections, fafsant
entendre la voix de la prudence, de la raison. Léopold Mo-
zart rappelle à son fils ses devoirs envers ses parents, l'obli-
gation de travailler pour son talent et sa réputation ; à cet
effet, il l'engage à partir tout de suite pour Paris. Fidèle à son
— 181 —
axiome : Nach Gott kommt gleich der Papa (après Dieu vient
le père), Wolfgang se soumit et le 23 mars 1778, il arrivait
avec sa mère à Paris.
A cette époque, Léopold Mozart se trouvait dans une situa-
tion difficile ; Wolfgang qui traitait les princes allemands de
c ladres i> espérait qu'à Paris il pourrait facilement réaliser
des bénéfices assez importants pour améliorer la position de
son père. Malheureusement les circonstances n'étaient pas
aussi favorables pour lui qu'elles l'avaient été quelques
années années auparavant; la dispute entre Gluckistes et
Piccinistes passionnait tous les esprits, de telle sorte que le
pauvre Mozart passa à peu près inaperçu. Cependant, il eut
quelques élèves, et sa symphonie en Ré majeur fut jouée aux
concerts spirituels ; il est à présumer que le grand artiste
aurait fini par conquérir la place à laquelle il avait droit
dans le monde musical si un événement inattendu, la mort
de sa mère, ne l'avait point déterminé à quitter une ville
qu'il aimait afin de rejoindre son père à Salzbourg. Une lettre
de Wolfgang, datée de Paris, 9 juillet 1778, met vivement en
lumière l'impressionnabilité en même temps que la religiosité
de .Mozart: a Vous vous imaginerez facilement ce que j'ai
souffert, écrit-il, j'ai beaucoup pleuré, » et il ajoute : « Dans
ces circonstances si pénibles, je me suis résigné, grâce à ma
complète confiance, à mon entier abandon à la volonté divine,
grâce à la pensée de sa mort si facile et si sainte, qui, en peu
d'instants, a dû la rendre heureuse, bien plus heureuse que
nous, au point que j'aurais souhaité avoir fait le voyage avec
elle ; et enfin, de ce pieux désir est née une pensée conso-
lante', à savoir qu'elle n'est pas perdue pour nous à tout
jamais, que nous la reverrons, et que nous serons plus joyeux,
plus heureux dans notre future réunion que sur cette terre.
Seulement nous ignorons le moment, — mais cela ne m'ef-
fraie pas du tout, — quand Dieu voudra, je le voudrai avec
lui. — Donc, la volonté toute sainte de Dieu est accomplie I
— Prions avec ardeur pour son âme, et occupons-nous de
tout ce qui réclame nos soins : chaque chose à son temps. »
— 182 —
Parti de Paris en septembre 1778, Mozart rentrait sous le
toit paternel en janvier 1779. En passant à Munich, il avait
rencontré Aloysia Weber dont les sentiments à son égard
s'étaient singulièrement refroidis. Par contre, la sœur
d' Aloysia, Constance Weber, entoura le malheureux aban-
donné des témoignages d'une sincère affection ; devenue plus
tard la femme de Mozart, elle lui aida à supporter avec pa-
tience les dures épreuves que l'avenir lui tenait en réserve.
Nommé organiste de la cour et de la cathédrale à Salz-
bourg, Mozart eut pendant deux ans une existence passable-
ment sédentaire. Il ne s'éloigna guère de sa ville natale que
pour diriger les répétitions d'un opéra que l'électeur Charles-
Théodore lui avait demandé pour le théâtre de Munich. La
première représentation d'Idoménée eut lieu le 27 janvier
1781 avec un succès indescriptible. Cette date est importante
dans la vie du grand compositeur ; elle marque pour lui
l'heure décisive où l'homme de génie entre en pleine posses-
sion de ses moyens. Ainsi que l'a fait observer Scudo, les
idées, les formes d'accompagnement et les combinaisons
harmoniques qu'on admirera dans Don Juan se trouvent déjà
indiquées dans Idoménée.
Le retentissement que ce chef-d'œuvre eut en Allemagne
augmenta la considération dont Mozart était depuià long-
temps l'objet; aussi, quand, en mars 1781, l'archevêque de
Salzbourg avec sa cour vint à Vienne, voulut-il que le musi-
cien, dont le nom était dans toutes les bouches, fît partie de
*
sa suite. Mozart accepta d'autant plus volontiers que la ville
impériale avait pour lui un attrait exceptionnel et comme
son archevêque persistait à user d'inqualifiables procédés à
son égard, il saisit avec empressement l'occasion de rompre
défmitivemement avec cet insupportable personnage, de se
fixer dans un centre de vie intellectuelle et artistique où il
pouvait se tailler de nouveaux triomphes, d'entrer enfin au
service de l'empereur avec le traitement, bien modeste, il est
vrai, de 800 florins par an.
Désormais libre de ses mouvements, Mozart déploya une
— 183 —
activité extraordinaire ; il donne des leçons, des concerts, il
compose; le 43 juillet 1782, la première représentation de
L'enlèvement du sérail excita un enthousiasme général, non
seulement à Vienne, mais aussi à Prague. En même temps,
les morceaux pour piano se succèdent ainsi que les sympho-
nies ; c'est le temps de la grande productivité.
Trois semaines après la brillante victoire remportée au
théâtre, Mozart, traduisant dans la pratique la situation fic-
tive créée par son librettiste, enlevait Constance Weber, la
mère de celle-ci s*opposant au mariage, qui fut célébré chez
une protectrice de Mozart, la baronne de WaldstEBtten. Voici
en quels termes l'heureux époux raconte la cérémonie à son
père et le remercie d'avoir donné son consentement : « Ma
chère Constance, Dieu merci, est à présent ma femme en
réalité. Elle connaissait ma position et tout ce que j'attendais
de vous bien avant. Mais son amour et son amitié étaient si
grands qu'elle n'a point hésité à me confier son avenir et à
unir son sort au mien avec la plus grande joie. Je ne saurais
vous exprimer toute ma reconnaissance pour votre consen-
tement à cette union. Ma femme vous écrira aussi par le
prochain courrier pour vous remercier de la bénédiction
paternelle que vous nous avez envoyée. Elle écrira en même
temps à sa chère belle-sœur pour la prier de lui continuer
sa tendre amitié. Parmi les assistants à notre mariage, il n'y
avait que la mère et la plus jeune sœur, accompagnées de
leur tuteur et témoin, M. Thorwarth. Mon témoin était
M. Gilowski, celui de la mariée, M. le conseiller provincial
de Zetto. A peine le mariage fini, nous nous sommes mis à
pleurer. Notre émotion fut partagée par tous les assistants .
qui pleurèrent à leur tour. La cérémonie a dû finir par un
souper offert par la baronne de Waldstîetten, qui fut princier,
pendant lequel on me donna une sérénade en exécutant un
morceau de ma composition pour seize instruments à vent.
» Ma chère Constance se réjouit de partir bientôt pour
Salzbourg et je suis sûr que vous serez content de nous voir
si heureux. Car vous savez, cher père, qu'une femme sensée,
— 184 —
vertueuse et agréable peut seule faire le bonheur d'un
homme. »
Ailleurs Mozart adresse à son père ces lignes qui attestent
la délicatesse de son cœur et la sincérité de ses sentiments
religieux : « Nous avons été faire nos dévotions chez les
Théatins, ma femme et moi.... Nous avons les mêmes prin-
cipes et nous pratiquons ensemble, je trouve même que je
prie avec plus de ferveur à côté de ma femme. Nous avons
communié en même temps et nous nous accordons très bien.
Dieu nous a destinés Tun à l'autre et j'espère qu'il sera notre
sauvegarde. Votre bénédiction paternelle nous portera bon-
heur et nous vous en remercions tous deux. «
Le jeune ménage souriait donc à l'existence ; celle-ci ne
lui épargna cependant pas les soucis ; concerts, leçons, pu-
blication d'œuvres nouvelles ne suffisaient pas toujours à
procurer le pain quotidien. Un jour que Mozart et sa femme
partaient pour Salzbourg, un créancier se présenta, au mo-
ment où ils allaient monter en voiture, pour réclamer 30 flo-
rins qui lui étaient dus, déclarant s'opposer au départ de
Mozart, s'il n'était pas payé. Des scènes de ce genre durent
plus d'une fois jeter une note triste dans la joie des deux
époux.
En 1786, les Noces de Figaro eurent du succès, mais rap-
portèrent peu d'argent. A Vienne, les premières représenta-
tions n'attirèrent qu'un nombre restreint de spectateurs. A
Prague, l'enthousiasme provoqué par la musique de Mozart
fut sans exemple ; les mélodies du compositeur retentirent
partout^ dans les jardins publics, dans les cafés; le comte de
Thun, dilettante de réel mérite, invita l'auteur des Noces de
Figaro à descendre chez lui. Mozart accepta avec reconnais-
sance et, dès le mois de février 1787, il s'installa chez son
généreux admirateur. « Le jour de l'arrivée de Mozart à
Prague, raconte un de ses biographes, on donnait les Nozze
di Figaro. Le maître se rendit au théâtre pour jouir du succès
si extraordinaire de son opéra. Lorsque le bruit de sa pré-
sence se répandit dans la salle, Mozart fut acclamé par le
— 185 —
public. Quelques jours après, il donna un concert. La salle
de spectacle fut comble et Ton ne savait ce qu'on devait
admirer le plus, son talent d'exécutant ou son génie de com-
position. A la fin de la soirée, Mozart improvisa sur l'air:
Non più andraiy avec un succès extraordinaire. L'émotion fut
profonde, car on n'avait rien entendu de pareil jusque-là.
Mozart pouvait donc compter ce jour parmi les plus beaux
jours de sa vie. »
La même année lui réservait une cruelle épreuve : le 28 mai
1787, Léopold Mozart mourait subitement à Salzbourg, dans
un état voisin de la misère. Un critique musical a fait son
oraison funèbre en ces mots : « Il quitta la vie heureux devant
Dieu et devant les hommes d'avoir accompli sa mission en
donnant au monde le plus sublime des compositeurs, i»
Plein de reconnaissance pour la sympathie dont on l'en-
vironnait à Prague, Mozart promit aux habitants de cette
ville d'écrire un opéra pour leur théâtre, et il se montra bon
prince à leur égard en composant pour eux son chef-d'œuvre
par excellence, un des chefs-d'œuvre de Tesprit humain,
Don Juany joué pour la première fois, à Prague, le 29 octobre
1787.
Malgré les quelques centaines de florins que Mozart retira
des représentations de Don Juan, à Vienne, le compositeur
était toujours dans une grande pénurie d'argent. « J'aurais
besoin, écrivait-il vers la fin de 1787 au banquier Puchberg,
j'aurais besoin d'un ou de deux milliers de florins pour sortir
de la. gêne. C'est un emprunt que je vais faire pour un ou
deux ans, dont je paierai l'intérêt.... Mes rentrées ne se font
pas régulièrement et j'ai aussi quelques dettes à payer. Mais
si vous pouviez me rendre ce service en me prêtant la somme
nécessaire pour faire aller ma maison quelque temps avec la
plus grande économie, je pourrais travailler tranquillement
et attendre mes recettes ordinaires. »
Comme garantie, Mozart propose son travail ; et, en efTet,
l'auteur de Don Juan travaillait énormément. Sans parler des
compositions pour piano, pour divers instruments, des qua-
- 186 -
tuors, des symphonies, des messes et cantates, etc., la série
des immortels chefs-d'œuvre : Cosi fan tulte^ La flûte en-
chantée^ La clémence de Titris l'atteste suffisamment.
Lorsque Mozart écrivait La flûte enchantéCy il ressentait
déjà les premières atteintes du mal qui devait l'emporter; il
avait le pressentiment de sa fin prochaine. Un jour, un mes-
sager inconnu lui apporta une lettre sans signature qui ren-
fermait la demande suivante: « Mozart voudrait-il entre-
prendre la composition d'un Requiem^ pour quel prix et dans
combien de temps pourrait-il le livrer? » On sut plus tard
qui était l'auteur de la lettre ainsi que les raisons qu'il avait
de ne pas révéler son nom ; mais dans l'état d'esprit où se
trouvait Mozart, la démarche faite auprès de lui frappa vive-
ment son imagination. Le compositeur se mit immédiatement
à l'ouvrage, menant de front la composition de ses derniers
opéras et de sa messe des morts. Malheureusement ses forces
diminuaient rapidement. Sa femme voyait avec inquiétude le
triste état de santé de son mari. Une fois, par une belle
journée d'automne, elle l'emmena au Prater en voiture pour
le distraire. Là, étant assis tous deux, dans un endroit soli-
taire, Mozart commença à parler de la mort, et il disait, les
yeux humides, qu'il était convaincu qu'il écrivait son propre
Requiem.
Le grand artiste ne se trompait pas ; un instant, le succès
remporté le 15 novembre 1791 par sa cantate L'éloge de
Vamitiéy écrite pour les francs-maçons, ranima ses forces.
Puis des accidents graves se produisirent. Cependant, raconte
L. Nohl, il vint encore à l'auberge « zum Silberne Schlange, »
près de la porte de Carinthie, pour y voir quelques-uns de
ses amis. Il était très pâle et avait le frisson. Après y être
resté un moment, il offrit un verre au maître de maison.
Joseph Deiner, en lui disant : « Buvez et venez demain me
voir. Voilà l'hiver, nous avons besoin de bois. » Quand le
lendemain Deiner se présenta chez Mozart, celui-ci avait
passé une fort mauvaise nuit et était d'une extrême faiblesse.
Le 4 décembre, Mozart se fit apporter la partition ina-
— 187 --
<;hevée du Requiem. Sa tristesse était d'autant plus grande
s 7 en Do mineur et
8 en Do majeur^ composés en 1786, et au N® 20, dit Concerto
du couronnement, écrit en 1790 et à propos duquel Mozart
lui-même raconte qu'il fit grand bruit à Vienne.
Les sonates sont au nombre de 31, mais on fera suffisam-
ment connaissance avec le génie de Mozart en étudiant les
18 sonates de l'édition Peters, publiées par Kœhler et Ri-
chard Schmidt avec indication des doigtés. Avec Philippe-
Emmanuel Bach, Jean-Chrétien Bach, Haydn, Mozart con-
serve la disposition générale de la sonate en trois morceaux,
dont le premier comprend un thème principal et un thème
secondaire et dont le mouvement est allegro, dont le second
est un andante ou un adagio et dont le troisième contraste
avec le second par la vivacité de son allure. Cet ordre est
rarement altéré; on peut cependant citer comme exception
à la règle la sonate N® 12 (édition Peters) en La majeur, dont
le premier morceau est un andante varié, le second un me-
nuet et le troisième un allegretto alla turca en La mineur.
Le N*' 18, la Fantaisie-sonate en Do mineur sort également
tout à fait des cadres conventionnels.
Si l'on entre dans quelques détails, on découvrira bientôt
dans les sonates de nombreuses traces de cet accent tendre-
ment ému qui est un caractère marquant de la musique de
Mozart. Cela est visible surtout dans les andantes, les ada^
gios, dont quelques-uns semblent même procéder d'une ins-
piration religieuse. Ainsi le second morceau de la sonate
N® 4 en Si h majeur :
Andante canlabile.
— 192 —
Ainsi encore Tadagio de la sonate N<> 18 en Do mineur :
Adagio.
^Mi-l^-=^
le^^é
Dans la fantaisie qui précède la sonate N<» 18, on remar-
quera le thème en Ré majeur qui est d'une grâce intime,
pénétrante ; il en est de même de Vandante amoroso de la
sonate N<^ 17, en Si b majeur et de Vandante cantahile de la
sonate N® 7 en La mineur, une des plus intéressantes du
recueil. Cet andante, en Fa majeur, dont le thème respire
une parfaite sérénité, présente des développements que Ton
ne rencontre pas chez les prédécesseurs de Mozart et surtout
il renferme des innovations qui, à elles seules, constituent un
trait de génie et ouvrent à la musique des horizons nouveaux.
C'est le cas en particulier des Dissonnances stridentes et pro-
longées du passage que voici :
— 193 —
Le compositeur a introduit dans le même andante des
passages tels que celui-ci :
évidemment destinés à fournir à la virtuosité de l'exécutant
l'occasion de se produire.
La même intention se révèle dans des gammes en tierces
-comme les suivantes :
a) Fantaisie en Do mineur.
BIST. DU PUNO
13
b; Rondu en Fa majeur.
Ce D'est pas seulement dans l'emploi de certains procédés
inconnus ou peu employés avant lui que Mourt s'est montré
novateur, c'est aussi au point de vue des combinaisons har-
moniques. La Fantaisie qui précède la sonate en Dû mineur
[N'o 18 de l'édition Peters), par exemple, contient des suites
d'accords, des modulations que les théoriciens de l'époque
condamnaient sévèrement, mais dont l'emploi par l'auteur
de Don Juan a permis d'élargir les bases de l'enseignement
de l'harmonie.
Les cas dans lesquels Mozart écrit essentiellement en vue
de la virtuosité sont rares; quand des dt/]^ulfé5 apparaissent
dans ses compositions pour piano, c'est qu'elles sont néces-
saires à l'expression de la pensée du compositeur; au reste»
celles qui existent dans quelques compositions ne sont pas-
de nature à effrayer les pianistes de notre temps; avec un-
peu d'attention et d'exercice, on peut aisément s'en rendre-
mai tre.
Si les andante» et les adagios des sonates de Mozart ont
pour caractère la grâce, on dirait volontiers la tendresse,.
Darfois un parfum de religieuse candeur, les allégros et les-
I distinguent par la pureté de style, par la correction,
ne, par une simplicité d'intention qui n'exclut point
é, l'élan ; ainsi le début de la sonate N" 3, en Ri
ïst tout à la fois simple et entraînant :
195
Allegro con spirito.
m • •
Les deux premières mesures de la sonate N<> 8, en Do ma-
jeur y ont de la majesté ; elles sont de franche allure :
Allegro con spirito.
J^ j] p--3i=r=&"-T"*
^
-a 4ir' a '
m
Il serait superflu de multiplier les exemples ; il faut seule-
ment relever la prédilection de Mozart pour certaines for-
mules qui donnent un cachet facilement reconnaissable non
seulement à ses sonates pour piano seul, mais aussi aux
sonates pour piano et violon, ainsi qu'aux trios pour piano,
violon et violoncelle; ce sont en particulier les cadences
finales affectant la forme suivante :
|j> r }$ rf^-jf^
"y-nr-t- r
i
3
~ 196 —
ou bien :
^^^^^^^
m
r, 1 j
f
Tiroir
puis surtout celles qui sont préparées par un trille prolongé
d'un excellent effet :
fy. ^^^^^..^^^
pd
[M-^=^M
4
Ce que Ton peut remarquer encore, c'est l'usage fréquent
que Mozart fait des gammes, des arpèges, des trilles qu'il
exécutait, dit-on, avec une rare perfection.
Les variations de Mozart sont dans le goût de l'époque ;
elles ne dépassent guère le cadre adopté par Haydn ; par
contre dans ses fantaisies et ses rondos, le grand compo-
siteur reparait avec toute son originalité et dans toute la
plénitude de son génie. On trouvera, dans une collection
publiée par Kôhler (Peters, Leipzig), une Fantaisie en Ré
mineur, une Fantaisie en Do mineur avec Fugue et une Fan-
taisie en Do majeur y toutes trois intéressantes à divers égards ;
quant aux trois rondos contenus dans la même collection,
ce sont des œuvres exquises, le second, surtout^ en La mineur^
qui faisait partie des programmes de concerts d'A. Rûbin-
stein. Le contour mélodique du thème principal :
197
Andcmie.
Erjui
a beaucoup de charme et les développements sous lesquels
il se présente ont une haute valeur artistique.
La partie en majeur offre un exemple d'un procédé auquel
Mozart recourt souvent avec bonheur et qui consiste à établir
un contraste entre un passage staccato et un passage legatOy
comme dans la mesure que voici :
Le premier Rondo en Ré majeur est intéressant à étudier
au point de vue de l'art consommé avec lequel Mozart, par
des modulations habilement^ ménagées conduit son thème
principal de la tonalité de Ré majeur à celle de La majeur,
de celle de La majeur à celle de Sol majeur, puis par un
retour de 8 mesures en Ré majeur à la tonalité de Ré mineur,
puis de Ré mineur en Fa majeur pour terminer dans la tona-
lité fondamentale de Ré majeur.
Le troisième Rondo en Fa majeur révèle surtout en Mozart
le virtuose ; le thème en est simple, mais, dans les ornements
qui en accompagnent la répétition, le compositeur a été pro-
digue de gammes et arpèges à la main gauche, de passages
en tierces et de trilles pour la main droite ; au point de vue
de l'art pur, ce rondo est inférieur aux précédents.
Est-il permis de parler d'infériorité à propos du divin Mo-
zart? On peut, sans porter aucunement ombrage à sa gloire,
reconnaître dans son œuvre certaines inégalités qui s'expli-
quent par le fait que plus d'une fois Mozart dut écrire des
morceaux de commande et que souvent aussi, écrivant sous
— 198 —
les coups de fouet de la nécessité, il fut obligé de se prêter à
quelques concessions au goût du public. Deux ou trois
taches dans le soleil n'empêchent pas ses rayons de répandre
la lumière et la chaleur sur la terre ; quelques défaillances
dans le génie merveilleux du compositeur salzbourgeois ne
l'empêchent pas davantage de briller dans le monde musical
comme un astre de première grandeur.
En ce qui concerne spécialement les sonates, celles pour
piano et violon nous paraissent supérieures à celles pour
piano seul ; surtout les andantes pour violon ont un accent
ému que l'on ne trouve pas au même degré dans des com-
positions analogues pour piano. Cette différence résulte de
la tournure d'esprit même du compositeur. L'âme tout entière
de Mozart est dans ses mélodies qui demandent par consé-
quent à être chantées plutôt que jouées. Or, il est évident que
le violon se prête infiniment mieux à la chose que le piano
même le plus perfectionné. Par suite de la facture des ins-
truments, le contact entre les cordes et les extrémités ner-
veuses de l'exécutant étant beaucoup plus immédiat dans le
violon que dans le piano, ce sera toujours au violon que Ton
donnera la préférence quand il s'agira de soupirer les poéti-
ques élans d'un cœur sensible. La sensibilité étant le trait
caractéristique de la personnalité de Mozart, on ne s'étonnera
pas si ses andantes pour violon traduisent ifnieux que ceux
pour piano l'état d'âme qui'lui était habituel.
Comme exécutant, Mozart passait pour un des plus grands
virtuoses de son temps. On raconte de lui qu'il avait un tou-
cher très agréable, qu'il tirait un beau son du piano. Ce qui
ressort en outre du témoignage des contemporains, c'est que
Mozart jouait ses propres œuvres et voulait qu'on les jouât
dans un mouvement pas trop rapide, mais avec un goût fin
et avec beaucoup d'expression. Lui-même restait toujours
dans la mesure; lorsque dans les adagios la main droite
observait un tempo riihato, la marche régulière de la main
gauche n'en était aucunement troublée.
Bien que l'on n'y rencontre pas de traits exceptionnelle-
— 199 —
ment difficiles^ les compositions de Mozart pour piano peu-
vent être étudiées avec fruit par les jeunes pianistes. « Elles
développent chez eux le goût et le sentiment musical. De
plus, elles exigent une tenue gracieuse de la main et un bon
doigté. Les passages de la basse donnent de la souplesse aux
doigts de la main gauche, qui a toujours beaucoup à faire
dans la musique de Mozart. Il faut aussi une exécution nette,
claire et très exacte, pas de roideur dans le bras pour rendre
bien certaines sonates où il y a des idées nobles, profondes
et d'un caractère enjoué. » Ces appréciations d'un biographe
de Mozart nous dispensent de toute autre réflexion sur la
place qui appartient aux œuvres de ce compositeur dans
l'éducation musicale de ceux pour qui la musique est quelque
chose de plus qu'un simple passe-temps.
Aux éditions précédemment mentionnées des compositions de
Mozart pour piano, il faut ajouter: Œuvres complètes^ critique-
ment revisées (Breitkopf et Hôrtel). Sonates choisies et autres
morceaux; édition publiée par S. Lebert avec le concours de
Faisst et Lachner : trois volumes dont le troisième est consacré
aux œuvres à quatre mains. Dans la collection Litol£P, sept con-
certos, Louis Maas a publié une édition des concertos dans laquelle
la partie d'orchesfre est représentée par un second piano.
< Mozart a éclairé tous les genres de son rayonnement, il
a mis sur tout ce qu'il a touché l'empreinte de la divinité. s>
« La mission de Mozart fut d'unir les différentes écoles, de
concentrer en lui-même toutes les tendances, de rassembler
ies matériaux préparés de longue main par ses devanciers et
d'en construire l'édifice de l'art moderne, non plus comme
le musicien de telle ou telle nation, mais comme le musicien
de l'humanité. )>
Ces deux citations, la première d'Antoine Rûbinstein, la
seconde de M. Mârcillac, professeur à Genève, résument
bien l'impression que laisse dans l'esprit l'étude des œuvres
de Mozart et marquent nettement la place qu'il occupe dans
l'histoire, non seulement du piano, mais de la musique en
général.
CHAPITRE III
Contemporains et disciples de
Haydn et de Mozart.
Tandis que Haydn et surtout Mozart écrivaient pour le
piano des œuvres éminemment expressives^ un compositeur
italien, Muzio Clementi, s'attachait plutôt, par ses sonates et
ses études, à perfectionner le mécanisme, à mettre en évi-
dence la virtuosité de l'exécutant, raison pour laquelle se»
compositions constituent un élément important de la péda-
gogie pianistique.
MuziO Clementi est né à Rome en 1752. Grâce à ses talents
précoces, déjà à l'âge de neuf ans il remplissait les fonctions
d'organiste et à l'âge de quatorze ans, par sa manière bril*
lante de jouer du piano, il enchantait un richissime anglais
à tel point que celui-ci emmenait le jeune artiste dans son
pays, s'engageant à pourvoir à tous ses besoins. En Angle-
terre, Clementi étudia les sonates de D. Scarlatti, de Paradies^
les œuvres de Hàssler, Bach. En 1773, il publia ses pre-
mières compositions; les sonates^ op. II, eurent un succès
considérable; Philippe-Emmanuel Bach, lui-même, les ap-
prouva complètement. Attaché pendant quelque temps au
théâtre de l'opéra à Londres comme pianiste, Clementi
entreprit, en 1780, un grand voyage artistique qui fut pour
lui une suite ininterrompue de brillants triomphes. De
retour en 1785 en Angleterre, il y fut bientôt entouré d'une
foule d'élèves. Depuis 1800, associé d'une importante manu-
facture de pianos, Clementi contribua beaucoup par ses con*
seils à améliorer le son et le toucher de ces instruments. Il
racontait un jour à son élève L. Berger qu'au début il avait
recherché par-dessus tout l'habileté technique dans l'exécu-
— 201 —
tion de passages inusités avant lui, mais que plus tard, après
avoir entendu les grsinds chanteurs italiens et aussi après
avoir été influencé par la belle sonorité des pianos à queue
anglais, il s'était efforcé d'atteindre à une certaine noblesse
du style.
En 1802, Clementi se rendit à Paris avec son élève John
FiELD, dont le talent comme pianiste fut fort apprécié. Les
deux artistes ayant visité Pétersbourg, Field s'y fixa défini-
tivement. Clementi continua ses tournées artistiques, tantôt
seul, tantôt avec ses élèves ; en 1805, A. Klengel et L. Ber-
ger l'accompagnèrent à Pétersbourg où ils élurent domicile,
comme Field l'avait fait quelques années plus tôt. Pendant
un séjour à Vienne, Clementi donna quelques leçons à Kalk-
brenner. Rentré en Angleterre en 1810, il y resta jusqu'à la
fin de sa carrière. Clementi mourut à l'âge de quatre-vingts
ans ; quelques jours avant sa mort, il avait encore provoqué
les applaudissements enthousiastes de ses admirateurs au
nombre desquels se trouvaient les pianistes Cramer et
MOSCHELES.
Clementi a laissé plus de 200 sonates pour piano, dont 35
avec accompagnement de violon où de flûte et 48 avec accom-
pagnement de violon ou flûte et violoncelle, un duo pour
deux pianos, six duos à quatre mains, des Caprices, Préludes,
Points d'orgue, à la manière de Haydn et de Mozart, une
Introduction à l'art de toucher du Pianoforte, des Fugues, des
Toccates, des Variations et enfin le Gradus ad Parnassum,
son œuvre la plus achevée et la plus considérable, spéciale-
ment au point de vue de la pédagogie du piano.
Le cadre des sonates de Clementi est habituellement le
même que chez Haydn et Mozart; cependant, il introduit
parfois un quatrième morceau, ainsi dans la sonate en Sol
majeur (S** 2 de la Hallberger's Pracht-Ausgabe), où un canon
est placé entre le second morceau (adagio) et la finale (presto).
Ce € canon » atteste l'habileté avec laquelle le compositeur
italien maniait les formules aussi rigoureuses que pédan-
tesques du contrepoint. Les premières mesures :
A I
— 202 —
montrent que le « canon » est un morceau dans lequel une
partie quelconque imite fidèlement un dessin mélodique
précédemment énoncé, de telle sorte qu'une reprise perpé-
tuelle permette à chaque partie de revenir incessamment de
la fin au commencement. Dans les mesures citées plus haut,
on a un exemple très correct du Canon perpétuel dans lequel
les diverses voix marchent dans la même direction ; la partie
en mineur du même morceau est un exemple non moins
correct du canon perpétuel dans lequel les diverses voix
marchent en sens contraire :
tenvpre legato
con etpreuivo
^
-JTd J|iiJJH=J|>Jj|-'|J|
^s
^
S
m
■t-
ffi p r
:i
ê
dolce
Mais Clementi n'était pas seulement un habile contrepoin-
tiste ; on rencontre dans ses compositions des qualités d'ordre
plus réellement artistique ; il dépasse en particulier ses pré-
décesseurs de l'école italienne par la richesse de ses harmo-
nies ; cela est visible surtout dans les andantes, dont la
mélodie d'un contour élégant est soutenue par d'heureuses
combinaisons harmoniques ; certains passages ont de l'éclat,
de la puissance même ; ainsi les accords plaqués par lesquels
débute le premier morceau de la sonate en Sol majeur:
— 203 —
Allegro molto vivace.
produisent un bel efTeti
Le thème de Vadagio (Mi majeur), simple, gracieux, a un
charme poétique très réel :
Sastenulo e cantabile.
les ornements qui en accompagnent la répétition sont des-
sinés avec goût et on pourrait citer tel passage du même
morceau dans lequel les intentions dramatiques sont évi-
dentes. La dernière partie enfin, très entraînante et très
légère en même temps, suppose de la part de l'exécutant une
dextérité que Ton peut d'autre part développer en l'étudiant
avec soin. Les accents émus ne sont pas étrangers à Cle-
menti ; on les rencontrera en particulier dans celle de ses
sonates qu'il a intitulée : Didone ahbandonata ; toutefois c'est
l'élément didactique qui l'emporte généralement dans ses
compositions.
Plus encore que les sonates l'œuvre qui a pour titre :
Gradus ad Pamassum ou Vart déjouer du piano enseigné au
moyen de cent exemples, a fondé, sur une base solide, durable,
la réputation du musicien italien. Voici le jugement que
— 204 —
Weitzmann porte sur cet ouvrage : « La technique entière
(lu piano y rencontre des Etudes qui lui sont parfaitement
appropriées. Indépendance des doigts les uns vis-à-vis des
autres, leur égalité au point de vue de la force, adaptation
des deux mains aux passages en tierces, en sixtes, en octaves,
aux accords brisés, tout cela a été pris en considération par
le compositeur. Dans la Stravagama (94« exercice), deux
notes sont opposées à une seule et dans la Bizzaria (95»
exercice), c'est la quintole qui joue le rôle principal. Le
canon fournit une bonne occasion d'occuper la main droite
et ia main gauche d'une manière exactement semblable et
la /u^ue rend l'exécutant attentif à la signification des voix
intermédiaires. S'agit-il de l'échange des doigts sur une note
qui se répète, du croisement des mains, de gammes, triolets,,
mordants, trilles, le Gradus ad Parnassum fournit de nom-
breux et intéressants morceaux par l'étude desquels on
apprend à se rendre maître de ces diverses sortes de diffi-
cultés. T> Le pianiste C. Tausig a publié des fragments choisis
du Gradus ad Parnassum avec doigté et observations critiques
capables de rendre de réels services.
Comme exécutant Clementi fut très admiré de ses contem-
porains ; aussi est-on obligé de mettre sur le compte d'une
impardonnable jalousie les lignes suivantes adressées par
Mozart à sa sœur : « Clementi est un Ciarlatano, comme
disent tous les Italiens. Il met en tète d'une sonate presto^
prestissimo, et alla brève et il joue tout le temps allegro et à
quatre temps. Je le sais, car je l'ai entendu. Ce qu'il fait très
bien, ce sont les passages de tierces ; il a sué nuit et jour à
Londres pour y parvenir. Mais hors de cela, il n*y a rien,
absolument rien, ni style, ni goût, ni sentiment. » Dans la
même lettre, Mozart supplie sa sœur a de ne pas gâter sa
main si calme et si ferme en jouant la musique de Clementi. »
L'opinion du compositeur allemand n'a point prévalu ; aussi
longtemps que l'on étudiera le piano, les œuvres du compo-
siteur italien appartiendront à la pédagogie de cet instru-
ment.
— 205 ~
Les principales éditions des compositions de Clementi sont les
suivantes : Breitkopf et Hârtel, 64 sonates. — J. Cotta, sonates
et autres œuvres, 2 volumes. — Collection Litolff, 61 sonates
en 3 volumes et le Gradus ad Parnassum. — Edition Peters ;
quatre volumes de sonates et le Gradus ad Parnassum.
Avant de caractériser l'œuvre des principaux élèves de
Clementi : Cramer, Berger, Klengel et Field, il faut rappeler
les noms de quelques compositeurs allemands qui n'ont, il
est vrai, pas laissé une trace durable de leur passage, mais
qui, grâce à des avantages plus apparents que réels, ont
joui d'une certaine vogue à l'époque où ils ont vécu.
Quelques-uns ont écrit des œuvres estimables mais qui ne
sont plus en circulation; ainsi le poète populaire FRËDÉRIG-
Daniel Sghubart, mort en 1791, auteur de concertos dans le
genre de ceux de Bach ; l'abbé JOSEPH VOGLER (1749-1814),
théoricien célèbre; l'abbé Jeah-FRAHCOIS-ZAVIER Sterkel
{1750-1817), auteur de sonates, de concertos, à qui Mozart
reprochait de jouer beaucoup trop vite ; un troisième abbé,
JOSEPH GELIHEK (1757-1825), qui entretint des relations parti-
culièrement amicales avec Mozart et écrivit des variations
sur des mélodies du grand compositeur; enfin, Jeah-Wilhelm
HASSLER, dont les variations sur une chanson russe et des
sonates pour piano (entre autres une grande sonate à trois
mains) furent très à la mode. En 1789, Hassler et Mozart
s'étant rencontrés à Dresde, ils se livrèrent à une sorte de
tournoi d'où l'auteur de Don Juan sortit naturellement vain-
queur.
D'autres contemporains de Haydn et de Mozart appartien-
nent à la catégorie des parasites. On désigne sous ce nom
des musiciens qui, complètement dépourvus du don d'in-
vention, se bornent à emprunter aux maîtres avec lesquels
ils ont été en contact, certains procédés purement extérieurs.
De tels musiciens ne peuvent exercer qu'une fâcheuse
influence. Il en est de même de ceux qui, considérant la
- 206 —
virtuosité non pas comme un moyen, mais comme le but de
l'art, n'aspirent dans leurs compositions qu'à mettre en évi-
dence le mécanisme de l'exécutant. Si réelle que soit leur
habileté, parasites et virtuoses impriment à l'évolution mu-
sicale une direction aux dangers de laquelle on ne saurait
être trop attentif.
A la première catégorie, celle des parasites, appartient
Daniel STEIBELT, dont les
Un compositeur de l'époque, actuellement encore apprécié
en Danemark et en Allemagne, FRÉDÉRIC KUHLAU est né à
Lûnebourg en 1786. Maître de chapelle à Copenhague, il y
mourut en 1832. Ses compositions ne renferment pas d'idées
neuves, créatrices, mais elles sont bien écrites, dans un style
sérieux et noble; elles ont une valeur essentiellement péda-
gogique et comprennent des sonates, des sonatines, des
rondos, des variations, des duos pour piano et violon ou flûte,
etc. Ces compositions diverses ont été éditées par Breitkopf
et Hàrtel, Peters, Litolff, Hofmeister.
— 214
Clementi, Mozart ne furent pas seulement des composi-
teurs et des exécutants merveilleusement doués, ils furent
aussi des maîtres dans le sens propre du mot, c'est-à-dire
des pédagogues qui formèrent de nombreux élèves dont
quelques-uns se montrèrent gardiens fidèles de la tradi-
tion qu'ils avaient reçue.
Les principaux représentants de Técole de Clementi furent
Cramer, Berger, Klengel et Field.
Né en 1771 à Mannheim, Jean-Baptiste CRAMER vint très
jeune à Londres où il prit des leçons de Clementi de 1783 à
1784. À Vienne et dans d'autres villes d'Allemagne, le jeune
pianiste ne tarda pas à remporter des succès décisifs ; on
admirait surtout la manière tendre et chantante avec laquelle
il jouait les adagios. De 1832 à 1845, Cramer habita Paris,
puis Boulogne-sur-mer où il vécut dans la retraite. Il re-
tourna ensuite à Londres où il mourut en 1848, à l'âge de
quatre-vingt-sept ans, « ayant conservé, comme Clementi,
dans sa verte vieillesse, toutes ses facultés et ses belles qua-
lités d'exécution, b
Cramer a laissé 105 sonates pour piano, 7 concertos^ 3 duos
à quatre mains, un quintette et un quatuor^ des nocturnes
et un nombre assez considérable de compositions insigni-
fiantes, fantaisies, rondos, etc.
L'œuvre capitale de Cramer, c'est la collection de ses
études, recueil à peu près unique en son genre et qui a passé
entre les mains de tous les pianistes. Cet ouvrage, qui a pour
titre : Etude en 42 exercices et Suite de V élude en 42 exer^
cicesy a été édité dans plusieurs villes. Une édition compre-
nant n cinquante études choisies de Cramer )i> a paru chez
Joseph Aibl à Munich. Ces cinquante études disposées en
ordre progressif, accompagnées de remarques très instruc-
tives de H. de Bùlow, sont en usage dans les classes de piano
de l'Ecole royale de musique de Munich. Le pianiste Henselt
— 215 —
a publié quelques études de Cramer avec accompagnement
de second piano, lequel n'ajoute pas grand'chose à la valeur
des pièces originales ; celles-ci sont telles que le compositeur
les a voulues et sous la forme qu'il leur a donnée on peut
dire sans ei^agération qu'elles sont un modèle du genre.
et Marmontel en a parlé dans
les termes que voici : « Dans ces admirables petites pièces
de deux ou quatre pages au plus, la phrase musicale serrée,
correcte, dégagée de tout ornement parasite, condensée dans
un cadre étroit, d'une harmonie pure, souvent ingénieuse et
riche, offre les formules de mécanisme les plus utiles pour
obtenir l'indépendance et l'égalité des doigts, ainsi que des
exemples de goût et de style que nul pianiste désireux d'ac-
quérir un réel talent ne doit négliger. »
Des études moins connues que celles de Cramer et cepen-
dant très dignes d'attention furent composées par un autre
élève de Clementi, LOUIS BERGER, un des professeurs de piano
les plus en vogue de son temps. Né à Berlin le 18 avril 1777,
Louis Berger accompagna Clementi à Saint-Pétersbourg en
1804 et se créa dans cette ville une situation brillante à côté
de Field et de Steibelt. Après avoir visité Stockholm, Lon-
dres, Berger revint en 1815 à Berlin où il eut pour élèves
C.-W. Greulich, h. Dorn, W. Taubert, F. Mendelssohn,
A. LôscHHORN, etc., exécutants ou compositeurs que l'on
retrouvera plus loin.
Berger a écrit une Sonate pathéliquey dédiée à Clementi,
des Préludes et Fugues, trois Pièces caractéristiques, des Va-
riations, une Toccatc, un Concerto, des Bagatelles, etc., œu-
vres tombées dans Toubli. Par contre, les 27 Etudes publiées
chez Breitkopf et Hàrtel, sous la direction de Karl Reinecke,
jouissent actuellement encore d'une réputation légitime.
Comme celles de Cramer, les études de Berger peuvent con-
tribuer à former le goût non moins que le mécanisme du
pianiste. Schumann estimait que quiconque étudie le piano
devrait les savoir par cœur.
— 216 —
Tandis que Cramer et Berger s'inspiraient surtout des
qualités pédagogiques de leur maître, AUGrUSTE-ALEXANDRE
KlengEL s'attacha plutôt à la science contrapontique dont il
connaissait tous les secrets. Né le 29 janvier 1783 à Dresde,
Klengel accompagna Clementi à Petersbourg; après avoir
brillé comme virtuose, il se fixa en 1816 à Dresde où il rem-
plit les fonctions d'organiste de l'église catholique jusqu'en
1852, année de sa mort. Klengel a laissé pour le piano diverses
compositions, concertos, fantai3ies, rondos, mais c'est par
ses Fugues et ses Canons qu'il s'est conquis une place à part
dans la littérature du piano. Un premier recueil intitulé Les
avant-coureurs renferme 24 canons dans tous les tons des-
tinés à servir d'étude préparatoire à un grand recueil de
fugues et canons, en deux suites,^ la rédaction duquel Klengel
consacra les dix dernières années de sa vie et qui ne parut
qu'après sa mort, en 1854. Cet ouvrage, qui a pour titre :
Canons et fugues dans tous les tons majeurs et mineurs pour
le piano, en deux parties, fut publié par les soins de M. Haupt-
mann, un des plus illustres théoriciens des temps modernes-
On jugera de l'étonnante maîtrise avec laquelle Klengel se
jouait des difficultés inhérentes à ce genre de compositions
par les premières mesures de la dix-neuvième fugue du
tome I, en La majeur, sur un thème de Don Juan de Mo-
zart :
217
^ë^m
^
Voici d'autre part les premières mesures du cinquième
canon du tome II, en Ré majeur, dont l'exécution est d'au-
tant plus difficile que le mouvement est indiqué: Allegro
vivace.
De tous les élèves de Clementi, celui qui en s'appropriant
les idées et la technique du maître a le mieux su reproduire
les côtés fins, délicats, gracieux de sa pensée et de son jeu,
c'est l'Irlandais JOHN FlELD, né en 1782 à Dublin. Présenté à
Clementi aux environs de sa vingtième année, Field devint
promptement l'élève préféré du pianiste italien qui le prit
avec lui dans ses tournées artistiques. Quand, en 1805, Cle-
menti quitta Petersbourg, Field se fixa dans la capitale russe
où il fut très apprécié comme professeur et comme virtuose.
Après une courte apparition à Londres en 1831, Field fit, en
1832, un second voyage à Paris, puis au bout de quelques
mois seulement de séjour en France, il visita l'Italie, la Bel-
gique, la Hollande. Contraint par la maladie de s'arrêter à
Naples, réduit à la misère la plus extrême, moralement et
physiquement ruiné par des habitudes d'intempérance depuis
longtemps contractées en Russie, Field excita la pitié d'une
famille slave qui le ramena à Moscou où il mourut en 1837.
Par un contraste frappant, cet homme aux dehors frustes.
— 218 —
à la figure enluminée, aux traits alourdis, à la démarche
lente, mettait dans son jeu et dans ses compositions un
charme poétique d'une délicatesse extrême. Aux qualités
d'exécution qui distinguaient Clementi, la parfaite indépen-
dance des doigts, Tégalité, etc., Field en ajoutait d'autres
qui lui étaient particulières. « Par son toucher expressif et
d'une délicatesse extrême, il obtenait des sonorités d'une
teinte exquise. Sa légèreté dans les traits rapides était incom-
parable; les phrases chantantes prenaient sous ses doigts
un sentiment doux et tendre que bien peu de virtuoses ont
pu retrouver*. »
Field a écrit pour le piano des concertos^ des sonates^ des
exercices^ des romances^ des variations^ mais ce sont ses noc-
turnes qui ont fondé sa célébrité. Les premiers concertos sont
intéressants ; ol les phrases de chant, dit Marmontel, ont de
l'inspiration et de la noblesse; les traits légers, brillants,
offrent une grande élégance ; » le cinquième concerto, en Do
majeur, intitulé : L'incendie par V orage, ne prouve que l'im-
puissance du compositeur à décrire un incendie par les sons
et surtout à établir que le désastre a été occasionné par la
foudre. Les sixième et septième concertos ne sont, de l'avis
de Marmontel, pas supérieurs au cinquième qui, au point
de vue du fond et de la forme, nous paraît être d'une extrême
pauvreté, malgré l'adjonction d'un second piano pour ren-
forcer les effets de tempête.
La plus pure gloire de Field est d'avoir créé le nocturne^
petit poème lyrico-musical dont les allures simples, sans
prétentions, n'excluent aucunement le sentiment poétique.
Le chiffre exact des nocturnes écrits par Field est de dix-huit,
mais deux seulement, celui en Si h majeur et celui en La
majeur jouissent encore d'une popularité universelle. Ces
deux perles musicales sont trop connues pour qu'il soit né-
cessaire d'en signaler les beautés ; rappelons plutôt ici le
jugement enthousiaste formulé par Liszt sur les nocturnes
^ Marmontel, Les pianistes célèbres^ p. 95.
— 219 —
de Field dans la préface d'un recueil publié par Schuberth,
à Leipzig. « Les nocturnes de Field, écrivait le roi des pia-
nistes dans ce style fulgurant, parfois étrange, qui lui est
propre, restent jeunes à côté de tant d'autres choses qui ont
vieilli ; trente ans ont passé depuis leur première apparition
et cependant une fraîcheur balsamique s'en dégage et à leur
audition nous nous sentons pénétrés d'un parfum délicat.
Où trouverions-nous une telle perfection d'une si incompa-
rable naïveté? Nul n'a produit ces vagues harmonies pa-
reilles à celle d'une harpe éolienne, ces soupirs inachevés qui
semblent planer dans les airs, ces plaintes légères qui se
résolvent en une souffrance pleine de douceur. Personne n'a
jamais tenté la chose, surtout personne d'entre ceux qui ont
entendu Field lui-même jouer ses propres œuvres ou qui,
mieux que cela, l'ont entendu rêver des chants dans un de
ces moments où s'abandonnant complètement aux élans
exaltés de son imagination, il s'éloignait de l'esquisse primi-
tive du morceau telle qu'il l'avait conçue dans son esprit et
partait à la découverte de groupes nouveaux qui se succé-
daient sans interruption et qu'il enlaçait de ses mélodies
comme un bouquet de fleurs, qu'il enrichissait d'ornements
toujours renouvelés et qu'il revêtait de telle façon que leur
tressaillement langoureux et leurs gracieux contours n'étaient
point déguisés, mais seulement recouverts d'un voile trans-
parent. » Liszt affirme en outre que Field captivait ses audi-
teurs sans le vouloir et sans le savoir, et il ajoute : a La
tenue presque immobile de ses mains, sa physionomie sans
expression n'éveillaient aucunement la curiosité. Ce dédain
de tout calcul en vue de l'effet nous a valu les premières
tentatives faites avec succès dans le but d'aff'ranchir les com-
positions pour piano de la contrainte qui pesait sur elles.
Autrefois une composition pour piano devait être une sonate,
un rondo ou quelque chose de semblable. Field le premier
introduisit dans la littérature musicale un genre dont l'ori-
gine ne remontait à aucune des formes précédemment exis-
tantes, genre dans lequel la mélodie, délivrée des entraves
— 220 —
consacrées par la routine, règne seule. Il a ainsi ouvert 1»
voie à toutes les œuvres qui ont dès lors paru sous les divers
noms de oc Romances sans paroles, ^ c Impromptus, j> « Bal-
lades, y> de telle sorte que Ton peut faire remonter jusqu'à
lui la source des compositions répandues à notre époque qui
aspirent à exprimer, au moyen des sons, des impressions
intimes et personnelles. »
Les appréciations de Liszt, assurément très flatteuses pour
Field, sembleront exagérées ; on ne saurait oublier que l'au-
teur des « Rhapsodies hongroises » avait pour ses confrères
une indulgence dont de moins grands que lui ne sont point
coutumiers.
Quoique les leçons de Field fussent très recherchées^
Charles Mater (né en 1802, mort en 1862) est seul considéré
comme son disciple dans la vraie acception de ce mot. Com-
positeur fécond, Ch. Mayer se rattachait à l'école de dé-
menti par son jeu correct et brillant; il ne lui appartient pas
par ses compositions qui sont pour la plupart d'une extrême
superlicialité.
Clementi forma d'excellents pianistes ; Mozart eut le privi-
lège de former un virtuose de premier ordre qui fut en même
temps un musicien distingué, JEAN-NËPOMUGËNE HUMMEL,
aussi remarquable comme compositeur que comme exécutant.
Né le 14 novembre 1778 à Presbourg, Hummei fut, dès ses
jeunes années, voué à l'étude de la musique. Son père, chef
d'orchestre au théâtre Schikaneder, à Vienne, le présenta à
Mozart qui fut tellement charmé par l'impeccable correction
de son jeu qu'il le prit chez lui afin de pourvoir complète-
ment à son éducation musicale. Pendant un séjour de deux
années dans la maison de Mozart, il ne se forma pas seule-
ment à l'exécution intelligente des œuvres de son maître,
mais il acquit aussi les qualités précieuses qui fondèrent sa
réputation, la délicatesse du toucher, la rondeur avec
laquelle il exécutait certains passages difficiles, l'art d'impro-
viser et de. mettre de la clarté et de la grâce dans ses com^
positions.
— 221 —
Hummel se produisit pour la première fois en public à
Dresde, en 1787 ; en sa qualité d'élève de Mozart, il joua des
oeuvres de son maître, des variations et le second concerto
en Do majeur. Le succès l'encourageant, il se rendit succes-
sivement à Berlin, où il eut Mozart pour auditeur, à Edim-
bourg, où il publia un cahier de variations (op. I) dédié à la
reine d'Angleterre, et enfin à Londres où il prit des leçons
de Clementi. De retour à Vienne vers 1793, Hummel étudia
la composition av€c Albrechtsberger et Salieri ; une messe
qu'il composa lui valut les suffrages de Haydn, Dès cette
époque, ses œuvres se répandent en Allemagne ; en 1806,
Cherubini fait choix de sa Grande fantaisie en Mi majeur,
op. 18, pour les concours du Conservatoire de Paris et bientôt
tous les pianistes jouent ses compositions pour piano. De
1803 à 1811, engagé au service du prince Esterhazy, de 1816
à 1820, maître de chapelle à Stuttgart et, depuis 1820, égale-
ment maître de chapelle à Weimar, Hummel termina sa bril-
lante carrière dans cette ville le 17 octobre 1837. Pendant ses
vacances, Hummel entreprenait habituellement une longue
tournée artistique pour laquelle il écrivait une composition
nouvelle.
Comme exécutant, Hummel fut peut-être le plus grand
pianiste de son temps ; Marmontel, qui l'entendit en 1829 à
Paris, déclare qu'il se rappelle avec admiration « ce style
noble et simple, cette sonorité onctueuse, cette belle manière
de faire chanter et parler le piano, cette clarté limpide des
traits et ce brio magistral qui laissait l'auditeur émerveillé,
mais toujours tranquille sur les audaces du virtuose*. »
S'étant approprié les qualités de jeu de Mozart et de Clementi,
Hummel jouait ses propres œuvres et les œuvres d'autrui
avec une maîtrise qui n'a guère été dépassée.
Comme compositeur, Hummel est inégal ; ses messes, ses
opéras sont aujourd'hui oubliés ; c'est dans la musique de
chambre et, en particulier, dans la musique de piano qu'il
* Marmontel, Les pianistes célèbres, p. 182.
— 222 —
est le meilleur, mais, là même, on ne saurait lui assigner le
premier rang. Si, dans la plupart de ses sonates, il atteint
des effets de sonorité qui l'emportent sur ceux obtenus par
Dussek et démenti, s'il y déploie généralement une habileté
technique admirable et s'il y a semé en abondance les motifs
originaux et les pensées gracieuses, on est cependant obligé
d'avouer que quelques-unes présentent de réels défauts ; la
phrase est parfois banale, les passages uniquement destinés
à mettre en relief la virtuosité de l'exécutant occupent sou-
vent une place trop exclusive ; dans certains cas aussi, il y
a prodigalité excessive d'ornements, de trilles, d'arpèges, de
traits rapides, qui, pris isolément, ont du charme, mais dont
la répétition finit par produire l'ennui et la satiété. Ainsi,
dans la grande sonate en La majeur (op. 81) dont le début a
de la grandeur, un joli motif est noyé dans un tel déluge de
difficultés (gammes, arpèges, tierces, croisements de mains)
que c'est à peine si on a le loisir d'en goûter la grâce et la
simplicité. Le Largo de la même sonate est d'une belle ins-
piration, mais celle-ci est amoindrie plutôt qu'enrichie par
la surcharge d'ornements que le compositeur a jetés avec trop
de prodigalité sur un thème qui aurait gagné à être traité
plus simplement. La finale renferme des passages qui peu-
vent certainement être étudiés avec profit au point de vue du
mécanisme, mais qui n'en trahissent pas moins de la part
du compositeur la préoccupation trop dominante des effets
de pure virtuosité.
Ces critiques ne sauraient s'appliquer à d'autres composi-
tions de Hummel qui sont restées au répertoire des pianistes
à côté des œuvres pour piano de Haydn et de Mozart, de
démenti et de Dussek, et qui, si elles n'égalent pas celles
de Beethoven dépassent cependant en valeur artistique les
élucubrations musicales d'un grand nombre de musiciens
plus modernes. Au nombre de ces dernières, il faut ranger
la fantaisie avec orchestre intitulée : Le cor enchanté d'Ohé-
ron, le concerto en La mineur dont l'un des principaux
motifs:
— 223 —
m
Js^^g
^- £iJi.sJ^
a quelque chose de si impressif, tandis que le Cantabile en
La majeur :
»0
s^
^^^^F^^
est d'une si parfaite élégance. Parmi les sonates, celle en
Mi b majeur, op. 13, est en entier de la plus belle facture. Le
début du premier morceau :
Allegro con brio.
m r C £££/ Sj^
■l^iA-C
m
s
^
pf.
^^
I
lLLT frfr
— 224 —
a de réclat, de la noblesse et le Cantabile en Si h majeur
(répété à la seconde reprise en Mi 6 majeur) :
Cantabile.
a beaucoup de charme. Les premières mesures de Tadagio :
— 225 —
ont la majesté d'un chant d'Eglise, tandis que le final (allegro
con spirito) :
Allegro con spirito.
it
FFJs:
•^ y ^^ > >
ton.
^^
^^^
^
y|=^
i-
Ces trois sonates sont : la première en Mi b majeur, la
seconde en Fa mineur y la troisième en Ré majeur; dans un
cadre modeste et de tous points conforme à la tradition, elles
révèlent un sens esthétique déjà développé. Suivant Nohl,
les neuf variations en Do mineur font connaître le pianiste,
les trois sonatjBs, le musicien qui a des idées et qui possède
le sens de la forme. Ces trois sonates enfantines, dont la pre-
mière édition est excessivement rare, figurent dans l'édition
des sonates pour piano de G.- F. Peters sous les N<>* 33, 34 et
35. L'exécution en est relativement facile.
L'instruction générale que Beethoven reçut à l'école fut
très élémentaire; n'ayant jamais franchi le seuil d'un gym-
nase, il n'apprit que ce que l'on pouvait apprendre dans une
école primaire à cette époque : la lecture, l'écriture, le calcul ;
plus tard, il s'acquit, par une étude personnelle des classi-
ques, une certaine culture. Mais ce qui contribua davantage
encore à affiner son esprit, à tourner ses pensées vers tout
ce qui est noble, élevé, à lui procurer la conscience claire et
vive de ce qui constitue la dignité de l'homme, ce sont ses
relations avec la famille Breuning.
Veuve depuis 1777, M"»® de Breuning vivait à Bonn avec
ses quatre enfants qui avaient à peu près le même âge que
Beethoven. C'était une famille qui, dans une position opu-
lente, avait conservé des goûts simples et au sein de laquelle
les lettres et les arts étaient cultivés avec amour. Tandis que
la mère veillait avec beaucoup de soin à l'éducation de ses
enfants, ceux-ci répondaient à son dévouement maternel non
seulement par leur amabilité, mais aussi par leur zèle à cul-
tiver la poésie et la musique ; Etienne de Breuning fut un
violoniste distingué et sa sœur Eléonore, une pianiste de réel
mérite.
— 235 —
Introduit par F. Ries dans ce milieu éminemment favorable
à son développement moral et artistique, Beethoven y ren-
contra, dès sa douzième année, un second foyer plein de
charme, des cœurs débordant de sympathie, une atmosphère
chaude et bienfaisante. Traité comme un enfant de la mai-
son, il perdit quelque peu de sa rudesse native; son âme
s'ouvrit à des impressions joyeuses ; ce furent des années
heureuses que celles durant lesquelles lé jeune musicien fut
rhôte et l'ami de la famille de Breuning.
En 1785, Beethoven fut nommé organiste à la cour de
Télecleur Maximilien-François, faveur qu'il dut sans doute à
l'intervention généreuse du comte de Waldstein ; chef de
cabinet à la cour de l'empereur Joseph, le comte de Wald-
stein était un dilettante hors de pair ; dès sa première en-
trevue avec Beethoven, probablement sous le toit hospitalier
des de Breuning, il discerna promptement les aptitudes de
l'enfant et s'intéressa vivement à ses progrès ; il l'assista de
ses conseils, de son argent et, au printemps de 1787, il déter-
mina l'électeur à envoyer Beethoven à Vienne pour y pour-
suivre ses études.
Ce premier, séjour de Beethoven à Vienne fut de courte
durée; il eut cependant son importance, car ce fut la seule
occasion pour le futur auteur de Fidelio d'échanger quelques
paroles avec l'auteur de Don Juan ; au premier abord, l'ac-
cueil de Mozart fut des plus froids, mais quand il eut entendu
le jeune musicien improviser des variations sur un thème
donné, il ne put dissimuler son admiration et, s'adressant à
quelques amis réunis dans la chambre voisine, il leur dit :
« Faites attention à celui-là qui, un jour, fera parler de lui
dans le monde. i>
Beethoven n'était que depuis six semaines à Vienne quand
une grave maladie de sa mère le rappela à Bonn ; après avoir
langui quelques mois encore, celle-ci rendit le dernier soupir
le 17 juillet 1787. Ce fut un rude coup pour Beethoven, d'au-
tant plus sensible que la situation de la famille était lamen-
table et que la santé de Beethoven lui-même était^quelque peu
— 236 —
ébranlée ; on jugera de son état d'âme dans ces moments dou-
loureux par ces quelques lignes d'une lettre adressée en 1787 à
l'avocat Schade à Augsbourg: « Personne ne serait plus heu-
reux que moi si je pouvais encore prononcer le nom de ma
mère et répondre à ses appels. Et maintenant à qui parler ?
à une ombre muette mais vivante que mon imagination
évoque? Depuis mon retour dans la maison paternelle, les
moments de bonheur ont été rares. J'ai été pris par un
asthme qui pourrait dégénérer en phtisie ; en outre, les dis-
positions à la mélancolie où je suis actuellement sont un aussi
grand malheur que la maladie elle-même. »
Devenu l'unique soutien de sa famille, Beethoven fit réso-
lument front à l'adversité et commença à donner des leçons,
malgré l'invincible répugnance que ce genre d'occupation
lui inspirait. Souvent M™» de Breuning l'obligeait à se rendre
chez l'ambassadeur comte de Westphal dont l'habitation était
vis-à-vis de la sienne; Beethoven sortait, puis rentrait au
bout d'un instant en disant: (c Demain je donnerai deux
heures de leçons au lieu d'une ; aujourd'hui, cela m'est
impossible, d C'est ce que la dévouée protectrice du maître
appelait ses « raptus y> ; ils étaient assez fréquents, parait-
il, mais n'empêchaient pas l'enseignement d'être excel-
lent.
Les circonstances pénibles au travers desquelles s'écoula
la jeunesse de Beethoven retardèrent l'éclosion de son génie;
d'un autre côté, elles eurent cet immense avantage d'impri-
mer à sa pensée une direction particulièrement sérieuse en
le mettant de bonne heure aux prises avec les difficultés de
l'existence.
Au reste, la résolution prise en 1788 par l'électeur Maxi-
milien-François d3 fonder à Bonn un théâtre national fut
l'aurore d'un mouvement musical dont le futur compositeur
recueillit les bénéfices ; jouant l'alto à l'orchestre, il eut
l'avantage de participer à l'exécution des chefs-d'œuvre de
Mozart, Gluck, Pœsiello, etc. ; il se créa des relations pré-
cieuses parmi des artistes de distinction tels que les frères
i
— 237 —
Romberg; enfin Toccasion s'offrit à lui de s'essayer à la com-
position.
L'opéra ne fut pas seul à procurer à Beethoven un terrain
favorable à son éducation musicale ; les concerts à la cour
de l'électeur, dans lesquels il jouait d'habitude les concertos
pour piano, contribuèrent aussi et pour une large part à
l'épanouissement de son talent déjà fort remarquable, ainsi
qu'on peut le conclure des jugements portés sur le brillant
virtuose par quelques-uns de ses contemporains. C'est pro-
bablement à cette époque que Beethoven composa les varia-
tions sur « Vieni amore » qui furent éditées plus tard (1792 ou
1794) avec dédicace à M™® de Hatzfeldt. D'autres cahiers de
variations pour piano paraissent appartenir à la même pé-
riode ; ces compositions sont intéressantes en tant qu' a œu-
vres de jeunesse, » mais l'individualité du maître ne s'y
révèle pas encore d'une manière réellement caractéristique.
Les influences spécifiquement musicales ne furent pas
seules à contribuer à la formation de la personnalité morale de
Beethoven. A cet égard, une place essentielle appartient à la
famille déjà mentionnée des Breuning, ainsi qu'aux diverses
personnes qu'il avait l'occasion d'y rencontrer. Les amies
d'Eléonore Breuning, Barbara Koch, Jeannette Honrath,
furent aussi les amies de Beethoven, et les relations, passa-
gères, il est vrai, qu'il entretint avec ces jeunes filles très
cultivées, aimables, sincèrement éprises d'art et de poésie,
ne furent pas sans éveiller dans son âme des impressions
joyeuses et sereines.
Mais, ce qui, plus encore que ces amours éphémères,
exerça une action déterminante sur le caractère du futur
compositeur de la Neuvième symphonie^ ce qui, plus que
toute autre chose, alluma dans son cœur la flamme d'un gé-
néreux enthousiasme, ce fut le grand souffle de fraternité, de
liberté que la révolution française fit passer sur la vieille
Europe. Les événements qui, du 17 juin au 4 août 1789, se
succèdent avec une rapidité foudroyante, retentissent aux
oreilles de Beethoven comme un message d'espérance ; le
- 238 —
mouvement général des idées en Allemagne, la lecture des
ouvrages de Rousseau, des discours de Mirabeau, Tatmo-
sphère intellectuelle et morale qu'il respire et dont il s'enivre,
tout semble se coaliser pour faire de la vie intérieure de
Beethoven une aspiration passionnée vers la liberté. A cette
époque où la souffrance marque la personne du maître de sa
douloureuse empreinte, Beethoven se montre sous les traits
d'un jeune homme qui, se sentant l'âme pleine de nobles sen-
timents avec assez de génie pour les exprimer en un langage
impérissable, considère l'avenir d'un œil serein et le cœur
tout débordant d'un triomphant espoir.
Sous l'empire des sentiments qui bouillonnaient au plus
profond de son être intérieur Beethoven tourna de nouveau
ses regards du côté de Vienne où il espérait recevoir des
leçons de Haydn dont il avait fait la connaissance à Bonn en
décembre 1790. Ce ne fut cependant qu'en 1792 que, grâce
à la faveur de l'électeur Maximilien-François, il put donner
suite à ses intentions. Beethoven arriva dans la capitale de
l'Autriche un mois avant le décès de son père, événement
qui ne modifia pas ses plans, mais qui lui imposa vis-à-vis
de ses frères une charge dont il eut souvent et douloureuse-
ment à souffrir dans le cours de son existence.
Précédé ou accompagné à Vienne par les recommandations
de ses amis de Bonn, en particulier du comte de W^aldstein,
Beethoven fut accueilli avec beaucoup de sympathie ; immé-
diatement lancé dans le mouvement musical, il ne tarda pas
à révéler la puissance de son génie par des compositions
qui, pour se renfermer encore dans le cadre tracé par Haydn
et Mozart, n'en portaient pas moins déjà le sceau de son
individualité.
Lorsque Beethoven arriva à Vienne, le mouvement musical
dans la capitale de l'Autriche présentait une intensité excep-
tionnelle. Le souvenir des opéras de Gluck était toujours
vivant; les échos de Don Juan et des Nozze de Figaro tin-
— 239 —
taient encore aux oreilles des Viennois, et la première repré-
sentation de la Flûte enchantée avait eu lieu Tannée précé-
dente ; le vieux papa Haydn, revenu de Londres avec une
ample moisson de lauriers, écrivait son chef-d'œuvre, La
création. De nombreuses sociétés contribuaient en outre à
entretenir le goût de la musique par l'étude consciencieuse
des compositions des maîtres les plus en vogue.
Dès son arrivée à Vienne, le jeune Beethoven fut introduit
auprès du baron de Swieten, conseiller intime, dilettante
passionné, surtout grand partisan de Haydn. De Swieten,
dont les jugements faisaient autorité dans le monde musical,
accueillit Beethoven avec bienveillance.
L'accueil fut plus cordial encore auprès du prince Charles
Lichnowsky; celui-ci, élève de Mozart, pianiste estimable,
se montra plein de prévenances pour Beethoven à qui il par-
donnait volontiers, à cause de son génie, la rudesse parfois
déconcertante de ses manières. Quant à la princesse Chris-
TiANE, née de Thun, elle eut pour le protégé de la famille
toutes les tendresses d'une mère. Maurice Lichnowsky, frère
du précédent et, comme lui, élève de Mozart, fut pour Bee-
thoven le plus fidèle des amis.
Les relations de Beethoven avec la famille Lichnowsky lui
furent précieuses non seulement en l'introduisant dans la
haute société viennoise, mais aussi et essentiellement en
lui fournissant l'occasion de faire exécuter ses œuvres par
des musiciens distingués. C'est ainsi que le quatuor Schup-
PANZiGH, SiNA, Weiss et Kraft qui se réunissait tous les.
vendredis, jouait les compositions du maître à mesure qu'elles
paraissaient, stimulait son ardeur à produire et augmentait
le nombre de ses admirateurs.
Parmi ces derniers, le comte (plus tard prince) Razu-
MOWSKY fut d'entre les plus enthousiastes. Ancien ambassa-
deur à Naples, puis à Stockholm, dès 1793 fixé à Vienne par
son mariage avec la comtesse de Thun, André Cyrillo-
wiTSCH Razumowsky occupait une position très brillante.
Cavalier accompli, violoniste de mérite, adorant la musique
— 240 —
de chambre, il n'eut pas de peine à surprendre dans les pre-
miers quatuors de Beethoven la* marque indiscutable du
génie.
Successivement élève de Haydn, d'Albrechtsberger, de
Salieri, Beethoven, se développant dans un milieu éminem-
ment artistique, devait nécessairement accomplir de rapides
progrès et en effet les succès qu'il remporta comme virtuose
et comme compositeur attirèrent bientôt sur lui rattention
du monde musical. Grâce à Tintervention de son ami Zmes-
KALL, il fit paraître en 1793, chez Artaria, Douze variations
pour piano et violon dédiées à Eléonore Breuning. Le 3 no-
vembre de la même année, il en envoya un exemplaire à son
ancienne élève en l'accompagnant d'une lettre dans laquelle
se trouvent les curieuses indications que voici: «...Les va-
riations seront un peu difficiles à jouer, en particulier, les
trilles du coda. Mais cela ne doit pas vous effrayer. J'ai
arrangé les choses de manière à ce que vous n'ayez à jouer
que le trille; vous pouvez laisser les autres notes de côté,
parce qu'elles figurent aussi dans la partie de violon. Je n'au-
rais jamais fait un arrangement pareil si je n'avais pas sou-
vent observé que quand j'ai improvisé pendant une soirée, il se
trouve un musicien viennois qui, le lendemain, transcrit un
grand nombre de mes particularités et en tire vanité. Comme
je prévoyais que de telles choses allaient se passer, j'ai tenu
à les prévenir. Une seconde raison a été en outre de mettre
dans l'embarras les professeurs de piano de Vienne ; beau-
coup d'entre eux sont mes ennemis à mort ; j'ai voulu me
venger d'eux sachant d'avance qu'ici ou là on leur présente-
rait mes variations et qu'ils auraient passablement de mal à
les jouer. »
D'autres compositions parurent à la même époque : des
Danses et Menuets pour orchestre, des VariationSy les trois
trios, op. 1, les trois sonates pour piano, op. 2 ; joué pour la
première fois le 29 mars 1795, le premier concerto pour piano
avec orchestre fut édité plus tard. Malgré l'accueil bienveil-
lant réservé à ces diverses productions, Beethoven, qui pen-
— 241 —
sait avoir autant d' « ennemis » qu'il y avait de pianistes à
Vienne, entreprit un long voyage qui, par Prague, Dresde,
Leipzig, le conduisit à Berlin où il arriva au mois de juin 1796.
Dans la capitale de la Prusse, la musique était cultivée
Avec amour. Le roi Frédéric-Guillaume II entourait les
Jbeaux-arts de sa haute protection ; le violoncelliste français
DupoRT avait la surintendance des choses musicales. Bee-
thoven composa pour lui les deux sonates (piano et violon-
celle, op. V) et les deux artistes les jouèrent ensemble à la
<îOur. Frédéric-Guillaume exprima sa satisfaction au musi-
cien viennois par le don d'un coffret rempli de louis d'or ; il
ne semble cependant pas l'avoir apprécié à sa juste valeur.
Il n'en fut pas de même du prince Louis-Ferdinand à
-qui Beethoven dédia, en 1804, son troisième concerto. Né le
18 novembre 1772, le prince de Prusse Louis-Ferdinand,
après avoir parcouru une brillante carrière militaire, s'était,
depuis 1795, complètement abandonné à son goût pour les
beaux-arts et, en particulier, pour la musique. Quand, en
1796, Beethoven arriva à Berlin, ces deux hommes qui avaient
il peu près le même âge éprouvèrent l'un pour l'autre une
affection d'autant plus solide qu'elle reposait sur une com-
munauté profonde d'idées et de sentiments. Le prince Louis-
Ferdinand mourut en héros sur le champ de bataille de Saal-
feld, le 10 octobre 1806. Il a laissé un quatuor pour piano,
violon, alto et violoncelle, qui est l'œuvre d'un compositeur
-de mérite.
Beethoven fit aussi la connaissance de Fasch, fondateur
•et directeur de la Singakademie, de Himmel, l'auteur de Fan-
^hon^ mais il ne paraît pas avoir trouvé une source de satis-
factions réellement artistiques dans ses rapports avec les
représentants de la musique à Berlin. D'une manière géné-
rale les espérances qu'il avait fondées sur son voyage dans
l'Allemagne du nord ne se réalisèrent pas ; aussi, avant la fin
de l'année, était-il de retour à Vienne que désormais il ne
quitta plus que pour quelques excursions de peu de durée
^t dans un rayon très restreint.
HIST. DU PIANO 16
— 242 —
Définitivement installé dans la ville impériale, Beethoven
y retrouva ses anciens amis: les Lichnowsky, Schuppanzigh,.
Zmeskall, auxquels d'autres s'ajoutèrent: J.-A. Streicher,.
facteur de pianos et sa femme, le baron Pasqualati, le comte
russe Browne, le comte Fries, etc. Ces amitiés eurent pour
Beethoven d'autant plus de prix qu'à bien des égards la
situation du maître était des plus lamentables.
Sans parler des soucis d'argent, des circonstances de
famille qui jetèrent un voile sombre sur la destinée du maître,,
il suffit de mentionner les premières atteintes du mal ter«
rible qui devait empoisonner sa vie pour comprendre que la
carrière du grand homme dut être un long et douloureux
martyre. C'est déjà en 1796 qu'ensuite d'un refroidissement
Beethoven s'aperçut que son ouïe baissait sensiblement. Il
consulta plusieurs médecins ; l'un voulut le traiter à l'huile
d'amandes, « mais, écrit le pauvre patient, prosit ! cela ne
servit à rien, j'entendais toujours moins et mes entrailles
m'occasionnaient toujours des douleurs intolérables. » Alors
le docteur a Asinus » lui conseilla des bains froids, tandis
qu'un de ses confrères lui ordonnait des bains chauds. « Cela
fît des miracles, écrit Beethoven, mon ouïe devenait toujours
plus dure. » Au bout de quelques années, il n'y eut plus
d'illusion à se faire : le mal était incurable.
Délivré des inquiétudes d'ordre purement matériel par le
produit de la vente de ses compositions et plus encore par
la générosité du prince Lichnowsky qui lui constitua une pen-
sion annuelle de 600 florins, Beethoven trouva dans le travail^
dans une indomptable énergie de caractère, dans la con-
science vive de la suprême beauté de son art et puis aussi
dans un sentiment religieux qui, pour ne pas se manifester
nécessairement dans les formes traditionnelles n'en est pas
moins visible dans la plupart de ses compositions, la force
nécessaire pour faire front à la souffrance et pour sortir du
combat : « Vainqueur, mais tout meurtri, tout meurtri, mais
vainqueur. »
En 1801, des circonstances d'un tout autre genre vinrent
— 243 —
encore exaspérer le côté tragique de l'existence de Beethoven ;
ces événements dont les compositions de l'époque sont
comme un douloureux écho appartiennent à la seconde pé-
riode de la vie du maître ; avant de les mentionner, nous
devons caractériser brièvement les oeuvres pour piano de la
première période.
Les compositions pour piano de cette période à laquelle
appartiennent en outre la première symphonie en Do majeur,
le septuor, des sonates pour piano et violon, pour piano et
violoncelle, les admirables trios op. 1 et op. 9 comprennent
deux concertos, un rondo, des variations et onze sonates ;
nous nous occuperons essentiellement de ces dernières.
Les Trois sonates, op. 2, dédiées à Haydn sont entièrement
(la première surtout, en Fa mineur) écrites dans le style de
Haydn et de Mozart ; la disposition en est généralement con-
forme au type classique, cependant déjà dans la seconde, en
La majeur, Tindividuaiité de Beethoven se laisse deviner
dans le Largo appassionato dont le premier motif procède
d'une inspiration profondément religieuse. De Lenz compare
cet adagio à un petit oratorio rappelant la « majestueuse
manière de Hândel que Beethoven mettait au-dessus de tous
les compositeurs. » Il faut observer en outre que dans cette
sonate, comme dans la troisième, en Do majeur, Beethoven
a introduit un scherzo entre le mouvement lent et Tallegro
final.
Ces deux sonates se terminent par un rondo. De même que
dans la sonate en La majeur Vadagio est le morceau capital
de la sonate en Do majeur. On remarquera en particulier la
belle phrase en mineur chantée par la main gauche et dis-
crètement accompagnée par les arpèges de la main droite :
— 244 -
Repris fortissimo, le mouvement de la basse produit un
effet grandiose.
La phrase majeure, simple, harmonieuse est également
d*une grande beauté. Dans son ensemble, cet adagio porte
déjà l'estampille d'un génie supérieur.
La même observation s'applique à la sonate op. 7, en Mi b
majeur, dédiée à la comtesse Babette de Klegevics. Quoique
conçue dans le mode classique, cette œuvre importante dé-
passe, dans sa majeure partie, les cadres conventionnels. Si
la grâce est le caractère du rondo à l'exception des quelques
mesures en mineur qui forment une regrettable parenthèse,
si le menuet (en Mi b majeur) est d'inspiration môzartienne,
sauf le trio en Mi b mineur, où l'inspiration beethovenienne
s'annonce d'une façon émouvante, les deux premières parties
s'élèvent à une hauteur que la musique de piano n'avait
jamais encore atteinte ; le largo, en particulier, apparaît à
De Lenz comme « l'avènement d'un ordre de choses nou-
velles dans la musique de chambre. » Plus on étudiera avec
soin cette composition merveilleuse, plus on se convaincra
que ce jugement n'a rien d'exagéré; l'esprit foncièrement
religieux de Beethoven s'y révèle dans toute sa profondeur
en même temps que sous la forme la plus artistique que l'on
puisse concevoir.
Les premières mesures :
de môme que la belle succession d'accords en La bémol ma-
jeur, expriment, dans un cadre dont les lignes sont d'une
pureté idéale, l'état d'une âme qui, paisible et confiante,
s'élève au-dessus de la terre sur les ailes de l'adoration, de
la prière.
— 246 —
Les Trois sonates, op. 10, dédiées à la comtesse de Browne,
sont, au point de vue de la caractéristique du génie de Bee-
thoven, moins intéressantes que l'op. 7, à l'exception toutefois
du Largo de la troisième, en Ré mineur.
La première de la série, en Do mineur^ comprend trois
morceaux : un allegro mollo d'allure très entraînante, un
adagio molto en La bémol et un finale prestissimo. Le N® 2,
en Fa majeur^ comprend un allegro^ un allegretto (Fa mi-
neur) et un presto dont les traits piquants demandent à être
enlevés avec beaucoup de finesse et de légèreté. Enfin le
N® 3, en Ré majeur (Presto, Largo e mesto, Menuetto et
Rondo) appartient à la meilleure manière du maître ; tandis
que le presto et le rondo final sont, le premier, d'une verve
étourdissante, le second, d'une grâce exquise, le Largo mesto
est d'une gravité et d'une ampleur qui en font le pendant de
Vadagio de la sonate en Ut dièze mineur. Une analyse dé-
taillée de cette page remarquable serait nécessaire pour
mettre en lumière les trésors qu'elle renferme; il suffira
pour en faire ressortir les beautés de mentionner : a) le thème
principal qui semble traduire les sentiments d'un être accablé
sous le poids de la douleur :
— 247 —
h) la belle phrase en Fa majeur qui resplendit comme un
rayon de soleil dans les ténèbres :
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Ë
— i4
I h
2 j=Nn i^^i
^^
^
♦•^
abr^^uqu
i=j
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rr
enfin c) le crescendo formidable des arpèges de la main
droite qui, partant du pianissimo :
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6
6
6
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■^^^—0^
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¥
J
s'élève par une gradation à laquelle on ne saurait apporter
trop de ménagement à un forlissimo d'un très grand effet :
ES
a
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ëj~j j ^ ' 'iiam
tr
^
^
Après cette explosion violente d'une souffrance longtemps
contenue, l'apaisement s'opère ; encore quelques soupirs
étouffés :
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'f^ — W^
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— 248 —
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et le morceau se termine par un de ces passages pianissimo
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3EEl3
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Et
ï
dans lesquels Beethoven procure la sensation de la fin, du
néant des choses.
La Sonate, dite pathétique, op. 13, est très connue, peut-
être môme trop, en ce sens que beaucoup d'élèves de piano
en abordent Tétude avant de posséder un développement
artistique suffisant pour en comprendre la haute significa-
tion esthétique. Après cela, il est certain que parmi les
grandes sonates la pathétique est d'entre les plus accessibles
à la moyenne des dilettantes. Quoique l'élément dramatique
soit fortement accentué, les idées sont claires, de telle sorte
que l'exécutant n'a pas à hésiter sur l'interprétation qu'il
convient de donner de la pensée du maître.
Au point de vue éducatif, Vadagio cantabile peut fournir
un excellent exercice dans l'art de faire chanter la note. Ce
« lied » délicieux en La b majeur, dont le caractère intime
et doux ressort d'autant plus qu'il est intercalé entre deux
morceaux en Do mineur d'une allure excessivement pas-
sionnée nlérite d'être étudié avec beaucoup de soin et de-
mande à être joué avec expression.
Dédiée au prince Charles de Lichnowsky, la Sonate pathé-
— 249 —
m
tique est parmi les œuvres de la première période une de
celles où Ton surprend le plus de signes avant-coureurs du
second style de Beethoven.
Les deux sonates dédiées à la baronne de Braun (op. 14)
sont intéressantes,*^ mais n'ajoutent rien aux précédentes
quant à la caractéristique de génie de Beethoven. La pre-
mière comprend un Allegretto en Mi mineur entre un Allegro
en Mi majeur et un Rondo (Allegro comodo) également en
Mi majeur. La seconde, en Sol majeur, commence par un
Allegro et se termine par un Scherzo de vive allure dont
Tagréable badinage contraste avec le ton grave de VAndante
en Do majeur. Ce dernier morceau (thème avec variations) a
été transformé en cantique, mais a plus perdu que gagné à.
cette transformation. Il est cependant plus susceptible d*un
changement de ce genre que le menuet du septuor dont on
a aussi fait un chant religieux. (Voir Recueil de psaumes et
cantiques des Eglises réformées de France, cantique 19.)
La Sonate en Si h majeur, op. 22, dédiée au comte de
Browne, est parmi les plus belles. Le premier morceau
{allegro con brio) présente ce mélange d'énergie virile et de
grâce féminine qui est un caractère de l'idéale beauté. Le
second morceau (adagio con molfespressione) en Mi h majeur
appartient déjà à la seconde manière du maître, soit par
« ses larges proportions, » soit par la « surabondance de ses
incidents. » (De Lenz.) Ces quelques pages, dont l'exécution
au point de vue technique ne présente pas de difficulté, peu-
vent être étudiées avec fruit au point de vue de l'expression^
de l'art d'attaquer la note de façon à faire chanter le piano ;
la phrase si mélodieuse du début:
Adagio con molta espressione.
— 250 —
^==^5 — S^â=^S=iii-^^-Slîî
doit être comme soupirée par une voix douce, moelleuse,
mais en même temps pleine, bien étoffée, observation qui
peut d'ailleurs s'étendre à l'ensemble du morceau. Le Menuet
(Si b majeur) et le Rondo (Si b majeur) ont, avec une plus
grande richesse de développement, quelque chose de la naï-
veté charmante de Haydn et de Mozart.
On peut rattacher à la même période de la vie du maître
le Rondo en Ut majeur (op. 51) et les Tariations à quatre
mains (op. 18) qui furent composées en 1794. Parmi les compo-
sitions pour piano avec autres instruments, il faut citer: les
Trois sonates pour piano et violon, op. 12, dédiées à Salieri,
les Sonates pour piano et violon (op. 23 et 24), toutes deux
dédiées au comte de Fries. Ces sonates sont toutes remar-
quables, mais on doit une mention spéciale au a thème et
aux variations » de la sonate en Ré majeur (9p. 12), à Vadagio
de la sonate en Mi b majeur (op. 12), à Vandante scherzoso de
la sonate en La mineur (op. 23) et surtout au merveilleux
adagio molto espressivo de la sonate en Fa majeur (op. 24);
on ne sait ce qu'il faut le plus admirer de la partie de violon
ou de la partie de piano dans ce duo instrumental d'une
inspiration si parfaitement poétique. Le scherzo de la même
sonate est le plus spirituel badinage que Beethoven ait jamais
écrit.
I
I
— 251 —
Les trios pour piano, violon, violoncelle, dédiés au comte
Charles de Lichnowsky, forment l'op. 4 dans le catalogue
des œuvres de Beethoven. Les deux premiers (N« 1 en Mi b
majeur; N» 2 en Sol majeur) sont écrits dans l'ancien moule
classique bien que Vadagio cantabile du premier et le Largo
con espressione du second en dépassent sensiblement le cadre
étroit, mais le troisième trio (Do mineur) est déjà toute une
révélation du génie beethovenien. Dès la brusque entrée en
matière exécutée à Funisson par les trois instruments, on se
sent transporté en de toutes autres régions que celles où
plane l'esprit de Haydn et de Mozart. Lorsque ce trio fut joué
pour la première fois chez le prince Lichnowsky, J. Haydn,
qui était présent, en dit beaucoup de bien, mais conseilla à
Beethoven de ne pas le publier. Contrairement à ce qu'en
pensait l'auteur de La créatiouy le trio en Ut mineur est un
de ceux qui ont été le plus joués dans les concerts d'un bout
à l'autre de l'Europe.
Le trio pour piano, clarinette (ou violon) et violoncelle, en
Si h majeur (op. 41), dédié à la comtesse de Thun, fut com-
posé en 1799; il est intéressant, mais n'ajoute rien à la gloire
de Beethoven. Sans souscrire au jugement de la Gazette mu-
sicale universelle de 1799, qui reproche à Beethoven ses
« façons maniérées, » on est obligé de reconnaître que le final
du trio en Si h majeur (thème avec variations) ne brille ni
par la beauté de la forme ni par la richesse des idées.
Les deux premiers concertos pour piano et orchestre ont
•été composés, le premier, en Do majeur, en 1795, le second,
«n Si b majeur, en 1798. Ce sont des compositions dans les-
quelles l'esprit novateur de Beethoven se manifeste déjà avec
une grande puissance. A propos du premier concerto, dédié
à la princesse Odescalchi, Ries rapporte un trait qui est un
indice de la virtuosité du maître : à la répétition, le clavecin
se trouvant d'un demi-ton trop bas, Beethoven joua en Ut J|
majeur, tandis que l'orchestre accompagnait en Ut majeur.
Le second concerto, op. 19, est dédié à M. Edlem de Nikels-
berg.
— 252 —
Le septuor et la première symphonie (en Do majeur) com-
plètent la série des principales œuvres appartenant à la pre-
mière période de l'activité de Beethoven. Dans toutes ces
compositions, on surprend l'influence de Haydn et de Mozart^
mais dans toutes aussi, on découvre certains traits révéla-
teurs d'une individualité unique dans l'histoire de la mu-
sique.
Le 16 novembre 1801, à une époque où il souffrait déjà
cruellement des atteintes de la surdité, Beethoven écrivait à
son ami Wegeler la lettre que voici : « Je vis maintenant de
nouveau un peu plus agréablement qu'auparavant parce que
je me mêle davantage à mes semblables. Tu peux à peine
croire jusqu'à quel point j'ai traîné une existence triste et
misérable ; mon ouïe faible m'apparaissait partout comme-
un fantôme et je fuyais les hommes ; je devais sembler un
misanthrope, et pourtant je le suis si peu. Ce changement a
été accompli par une aimable et séduisante jeune fille qui
m'aime et que j'aime ; depuis deux ans, c'est la première fois
que je goûte de nouveau quelques instants de bonheur et
c'est la première fois aussi que je sens que le mariage peut
rendre heureux. Malheureusement, elle n'appartient pas à la
même classe de la société que moi, et, pour le moment, je
ne pourrai évidemment pas l'épouser; avant cela, il me
faudra encore travailler ferme. »
La personne à laquelle Beethoven faisait allusion dans cette
lettre s'appelait Giuletta Giucciardi ; elle appartenait à
une famille noble, mais peu fortunée. Remarquable par ses
talents et sa beauté, la jeune comtesse, âgée de seize ans,
inspira au maître, dont elle était Tintelligente élève, un
amour passionné. Recherchée en mariage par le comte
Wenzel-Robert Gallenberg, compositeur de musique de bal-
lets, âgé de dix-sept ans, Giuletta aima Beethoven, mais
épousa le comte.
C'est dans le cours de Tannée 1802 que Giuletta Giucciardi
— 253 —
rompit définitivement avec Beethoven, probablement sur les
conseils de ses parents. Les motifs de la rupture ne sont
pas exactement connus ; ce qui n'est pas douteux, c'est que
cet événement plongea le maître dans le désespoir le plus
profond ; il chercha un refuge auprès de la comtesse Erdôdy
qui lui prodigua vainement ses soins et ses consolations. Un
matin, Beethoven disparut ; on crut qu'il était reparti pour
Vienne, il n'en était rien ; étendu au pied d'un arbre, dans
la forêt, le pauvre désespéré, résolu à mourir de faim, atten-
dait que la mort vînt le délivrer de ses souffrances.
Ce trait révèle l'intensité des sentiments éprouvés par Bee-
thoven à l'égard de Giuletta Giucciardi, sentiments dont il
reste un monument impérissable, la sonate pour piano en
Ut dièze mineur.
A la même époque, d'autres circonstances : soucis maté-
riels, difficultés avec des éditeurs, surtout surdité croissante
contribuèrent à jeter un voile sombre sur .la destinée de Bee-
thoven ; la sonate en Ré mineur, l'une des plus dramatiques
qui aient jamais été écrites pour le piano et le document
>connu sous le nom de Testament de Heiligenstadt sont les
principaux témoins de ses tristesses.
Cependant Beethoven n'était pas homme à jeter le manche
après la cognée. « Il s'en est peu fallu, écrivait-il dans son
Testament de Heiligenstadt^ que je ne misse fin à mes jours, »
et il ajoutait : « L'art, l'art seul m'a retenu. Il me semblait
impossible de quitter le monde avant d'avoir produit tout ce
dont je me sens capable. » Obéissant à la conscience de sa
mission artistique, Beethoven rentra à Vienne, il se remit
vaillamment au travail et, en l'espace de quelques années, il
créa toute une série d'œuvres immortelles : symphonies,
quatuors, trios, concertos pour piano et orchestre, sonates
pour piano et violon et pour piano seul ; un oratorio : Le
Christ au mont des Oliviers, dont la première audition eut
lieu au concert du 5 avril 1803, en même temps que celle de
la seconde symphonie (Ré majeur) et du troisième concerto
{Do mineur). C'est également au printemps de 1803 que Bee-
— 254 —
thoven composa pour rAméricain Bridgetower, capitaine de
vaisseau et violoniste, la sonate pour piano et violon dédiée
à Kreutzer. La sonate pour piano en Do majeur, op. 53,
(Waldstein-Sonate) est de la même époque.
Les cinq années qui suivirent furent particulièrement
tristes ; à des troubles intérieurs, dont la sonate pour piano
en Fa mineur (appcissionata) est l'émouvant écho, s'ajoutent
des difficultés financières inextricables, l'altération de la
santé, l'insuccès de Fidelio, etc. Malgré ces circonstances
défavorables, les compositions monumentales se succèdent ;
la Symphonie héroïque en 1803, la quatrième symphonie et
le quatrième concerto pour piano en 1806, la Messe en Da
majeur, en 1807, la cinquième symphonie (en Do mineur) et
la sixième (Pastorale) en 1808.
Cependant, dès le printemps de i808, une amélioration
sensible paraît se produire dans la situation extérieure et,,
par contre-coup, dans les dispositions morales du maître ; un
séjour prolongé à Heiligenstadt, en pleine campagne, avait
exercé sur lui une heureuse influence ; la vente des cin-
quième et sixième symphonies aux éditeurs Breitkopf et
Hàrtel avait été fructueuse ; Beethoven pouvait écrire : « Ma
position devient meilleure. » Un événement inattendu allait
la rendre plus avantageuse encore.
Désireux de favoriser l'essor de la musique dans ses Etats,
le roi de Westphalie, Jérôme Napoléon, offrit à Beethoven
les fonctions de maître de chapelle à Cassel, avec un traite-
ment fixe de 600 ducats par an. L'offre était engageante et
Beethoven fut sur le point d'y répondre affirmativement,
mais ses amis, comprenant la perte irréparable qui résulterait
de son départ, surent le retenir en lui assurant une rente
annuelle de 4000 florins sous la seule condition de fixer irré-
vocablement son domicile à Vienne. Beethoven accepta la
rente et la condition avec d'autant plus de plaisir qu'il ado-
rait la capitale de l'Autriche. Désormais sûr du lendemain,
le compositeur put donner libre cours à son génie ; il en usa
pour apporter à son intelligent élève et généreux protecteur
— 255 —
l'archiduc Rodolphe un triple témoignage de reconnaissance
sous la forme de trois œuvres impérissables: le concerto en
Mi b majeur (op. 73), la sonate pour piano en Mi b majeur
(op. 81) et le trio en Si b majeur (op. 97). Ces trois composi-
tions suffiraient à fonder une réputation sur une base solide ;
si l'on y ajoute la septième et la huitième symphonie, on ne
s'étonnera pas que la célébrité de Beethoven allât grandis-
sant; elle suivit en effet une marche ascendante jusqu'au
jour où le maître remporta un triomphe peut-être unique
dans l'histoire de la musique.
C'était en novembre 1814; le Congrès de Vienne avait attiré
dans la capitale autrichienne des souverains, des princes»
des hommes d'Etat tels que Metternich, Nesselrode, Castle-
reagh, Humboldt, Talleyrand, etc. De grandes festivités
furent organisées à cette occasion et de toutes la plus bril-
lante fut le concert du 29 novembre dans lequel Beethoven
dirigea, outre la septième symphonie, deux œuvres de cir-
constance : Le moment glorieux et La victoire de Wellington.
Tous les monarques présents à Vienne, personnellement
invités par Beethoven, assistèrent à cette solennité musicale
et près de 6000 auditeurs se pressèrent dans la salle de la
Redoute. Le succès fut immense ; non seulement le concert
dut être répété, mais dans les salons du prince Rasumowsky
bien des têtes couronnées s'inclinèrent respectueusement
devant le génie du maître, rendant ainsi un émouvant hom-
mage à la souveraineté de l'art.
Beethoven ne pouvait monter plus haut ; la date du 29
novembre 1814 marque l'apogée de sa gloire en même temps
qu'elle clôt la seconde période de son existence.
La Sonate en La & majeur (op. 26) forme la transition entre
les œuvres pour piano appartenant au premier style et celles
appartenant au second style de Beethoven, a Apothéose de
la forme dans sa coïncidence avec l'essor de la pensée, » selon
l'heureuse expression de W. de Lenz, cette sonate, dédiée
— 256 —
»
au prince Lichnowsky, comprend quatres parties étroitement
unies, bien que chacune ait son individualité nettement
accusée.
Le premier morceau, un andante de 35 mesures seulement
suivi de cinq variations (la troisième en mineur), laisse sous
une impression de calme, de sérénité. La phrase mélodique,
qui sert de conclusion à la dernière variation, ne reproduit
pas le thème, mais elle est dans le même courant d'idées et
accentue en les résumant les sensations paisibles qui se dé-
gagent de Tensemble du morceau.
Le scherzo (allegro molto) fait un heureux contraste non
seulement avec la première partie de la sonate, mais aussi
avec la troisième, la Marcia funèbre sulla morte dun Eroe,
ce type achevé de la Marche funèbre que d'autres ont imité,
^ue Chopin seul a égalé.
Rechercher quel est le a héros » à propos duquel Bee-
thoven a écrit cette marche serait chose fastidieuse ; en tous
cas, il ne peut s'agir, comme on Ta cru, du prince Louis-
Ferdinand de Prusse, puisque celui-ci ne mourut que quatre
ans après la composition de la sonate. D'après Ries, a: ce fut
Je dépit éprouvé par Beethoven aux éloges décernés à la
marche funèbre de l'opéra Achille de Paër qui engendra cette
belle conception. »
Conformément à l'indication placée en tête du morceau :
Maëstoso andantey la Marche funèbre de Beethoven a un ca-
ractère essentiellement majestueux qu'il importe de mettre
en pleine lumière et qui différencie l'œuvre du maître de
celle de Chopin. .
Un allegro final très alerte, très brillant, termine la sonate.
Une grande dextérité est nécessaire pour exécuter ce mor-
ceau qui a les allures d'une Etude, de ce que les anciens cla-
-vecinistes appelaient une Toccata. Quelque chose de plus
-que l'habileté technique, un sens musical développé est
indispensable à quiconque veut faire de cette page étincelante
autre chose qu'un exercice de virtuosité, la conclusion logique
de la sonate de Beethoven en La b majeur.
- 257 —
L'op. 27 comprend deux numéros : une sonate qtmsi una
fantana en Mi b majeur dédiée à la princesse de Lîchten-
stein et la sonate également guasi una ^an^oria en Ut dièze
mineur, dédiée à la comtesse Giulietta Giucciardi.
Le voisinage de la seconde a fait tort à la première ; on
joue beaucoup la sonate en Ut | mineur, rarement celle en
Mi h majeur ; la raison de cette préférence est aisée à disoer-
ner; les deux sonates sont intéressantes, mais la première
est sortie du cerveau du maître, la seconde a jailli des plus
intimes profondeurs de son être, la première est une œuvre
d'art, la seconde est une explosion de douleur.
Cela dit, la sonate en Mi b majeur, qui fait partie du réper-
toire de concerts de la célèbre pianiste vénézuélienne Thé-
résa Carreno, mérite d'être étudiée avec soin.
La première partie, à l'exception de Vallegro en Do majeur,
est dans l'ancien style d'Eglise ; on peut s'étonner que Bee-
thoven ait intercalé dans cet andante d'inspiration si profon-
dément religieuse un mouvement d'un tout autre caractère ;
c'est une liberté que les mots c quasi fantasia » suffisent sans
doute à justifier.
La seconde partie, un allegro moUo e vivace en Do mineur
à ^ est entraînant ; on remarquera le trio en La h majeur,
dont la seconde reprise doit être enlevée avec beaucoup de
légèreté.
Un adagio en La b majeur de 26 mesures seulement ramène
à des pensées sérieuses exprimées dans un langage d'une
extrême élévation. Au moyen d'une cadence., l'adagio se relie
directemement au final, allegro vivace, dont le début indique
suffisamment le caractère; on peut appliquer à ce morceau
les observations formulées à propos du final de la sonate en
La bémol majeur; l'habileté technique et le sentiment musi-
cal sont nécessaires à la bonne exécution.
La sonate en Ut dièze mineur est dans la musique de piano
la première révélation complète, intégrale du second style
de Beethoven. La forme en est parfaitement classique, cela
va sans dire, mais le cadre dans lequel Hândel et Bach,
HIST. DO PIAMO 17
— 258 —
Haydn et Mozart renfermaient l'expression musicale de leur
pensée, est élargi, dépassé, renouvelé. Pour traduire dans le
langage des sons les émotions de son âme, le maître s'est
créé un style qui lui est bien personnel, un style absolument
conforme aux règles fondamentales du beau, un style qui
place Beethoven sur jle [même rang que les plus puissants
génies de l'humanité. Dans les limites restreintes d'une com-
position pour piano seul, la sonate en Ut || mineur est une
des pages dans lesquelles l'individualité du compositeur
s'est affirmée de la façon la plus caractéristique.
L'originalité de cette œuvre admirable réside moins dans
la disposition des trois parties que dans la façon géniale dont
chacune est traitée. Le fait de placer le morceau lent au com-
mencement de la sonate au lieu de le placer entre deux mou-
vements rapides n'est pas particulier à Beethoven ; on trouve
un arrangement analogue chez ses deux prédécesseurs immé-
diats, Haydn et Mozart. Les sonates No« 43 et 14 de Haydn
(édit. Hallberger) commencent par un mouvement grave; il
il en est de même des sonates de Mozart, N»* 9 et 12 de Tédi-
tion Peters, qui présentent la disposition suivante :
N» 9, M h majeur: Adagio, deux minuetto, allegro.
N» 12, La majev/r : Andante grazioso, minuetto, allegretto
(alla turca).
Ce qui appartient en propre à Beethoven, c'est l'inspiration
tour à tour mélancolique et passionnée, mais toujours émi-
nemment poétique dont les trois parties de la sonate en Ut |
mineur portent la marque indélébile.
Vadagio sosteiiuto est plus difficile à interpréter qu'à exé-
cuter; « les moyens d'action, écrit Berlioz, sont fort sim-
ples ; la main gauche étale doucement de larges accords d*un
caractère solennellement triste et dont la durée permet aux
vibrations du piano de s'éteindre graduellement sur chacun
d'eux ; au-dessus, les doigts inférieurs de la main droite
arpègent un dessin d'accompagnement obstiné, dont la forme
ne varie presque pas depuis la première mesure jusqu'à la
dernière, pendant que les autres doigts font entendre une
I
— 259 —
sorte de lamentation ; efflorescefice mélodique de cette sombre
harmonie. »
Le chant exécuté par le cinquième dor^ de la main droite
pourrait constituer un excellent exercice dans l'art de faire
chanter la note; il semble toutefois qu'en réduisant à ce rôle
purement mécanique une des conceptions les plus élevées de
Beethoven, on manquerait au respect dû à son génie.
Vallegretto en Ré bémol majeur, « une Heur entre deux
abîmeSy i> doit être joué avec grâce et dans un mouvement
modéré. Inutile de chercher à quel sentiment le musicien-
poète obéissait en composant ce morceau qui, bien compris,
ne rompt pas l'unité entre ce qui le précède et ce qui le
suit.
Le presto agitato de la fin exige de la part de l'exécutant
une certaine habileté technique, de la souplesse et de la
vigueur,, puis surtout un sens musical particulièrement dé-
veloppé. Dans l'exécution de ce morceau passionné que de
Lenz compare à une «[ coulée de lave enflammée y>, la tenta-
tion de faire du bruit est à redouter ; les pianistes de second
ordre n'y résistent guère ; une culture générale de l'esprit
est nécessaire pour maintenir l'expression de la force dans
les limites réellement artistiques et pour conserver une clarté
parfaite aux passages même les plus tumultueux.
Rellstab, un contemporain de Beethoven, ayant comparé
le premier morceau de la sonate en Ut Jf mineur à « une
barque visitant^ par un clair de lune, les sites sauvages du
lac des Quatre-Cantons, » on a donné à l'œuvre entière le
nom de Mondschein Sonate, désignation à laquelle le compo-
siteur n'avait jamais songé, pas plus qu'à celles non moins
absurdes de Raket en- Sonate ou encore de Sonate des tom-
beaux.
Bien que la sonate en Ut jjj mineur ne présente pas de diffi-
cultés exceptionnelles et que sans trop d'efforts on puisse en
tirer des effets saisissants, on ne doit pas en aborder l'étude
avant d'avoir acquis une connaissance suffisante du génie de
Beethoven. En la faisant étudier par de jeunes élèves de force
moyenne et de culture musicale élémentaire, on commet une
faute pédagogique impardonnable.
La Sonate en Ré majeur (op. 28), dédiée k M. Josçph de
Sonnenfels, sans atteindre h la hauteur de la précédente, a
cependant beaucoup de charme ; l'atUgro est gracieux, en-
traînant ; l'andante où le ton de Ré mineur et celui de Ré
majeur altemeut, est d'une gravité tempérée par un sourire;
le scherzo (allegro vivace) passe comme un éclair et le rondo
(allegro ma non troppo) a le caractère d'une délicieuse pas-
torale. A propos de ce morceau, de Lenz a formulé le juge-
ment énigmatique que voici : « Ce rondo est fait pour re-
cueillir dans le giron de la vérité musicale les naufragés du
piano moderne. Il pourrait être joué séparément de la sonate,
Pia dexiderial ne nous faut-il pas la berceuse du jour, la
bonne berceuse, la berceuse qui ne berce personne? •
L'op. 31 comprend trois sonates dont la première, en Sol
majeur, commence par un allegro vivace à ^ d'allure très
vive et surtout très originale. Déjà ce début eac-aferwpto ;
est bien caractéristique ; le thème principal avec les déve-
loppements qui l'accompagnent ne l'est pas moins; seul le
second thème en Si majeur (repris en Mi majeur) est d'une
banalité qui confond chez Beethoven. Les dernières mesures
avec leur fortissimo intercalé entre un piano et un pianis-
mo, produisent beaucoup d'etTet et terminent fort heureu-
lement le morceau entier.
Le second morceau, un adagio graztoto en Do majeur,
^^spire le calme le plus parfait. Le thème, emprunté & la
'■réation de Haydn, est traité avec une finesse A'omementa-
ton absolument remarquable. De Lenz a excellemment carac-
— 261 —
térisé la façon dont ces pages exquises doivent être exécutées
dans les termes que voici : « Il faut savoir maintenir ce mor-
ceau dans un mouvement Calme, égal ; il a besoin de s*écouler
naturel, ingénu comme le chant de l'oiseau qui se place sur
la plus haute futaie pour saluer Taurore. i>
Un rondo en Sol majeur, qui forme la conclusion de
l'œuvre rappelle dans ses traits généraux le rondo de la
sonate précédente.
La seconde sonate de Top. 31, la Sonate en Ré mineur, est
un chef-d'œuvre du maître; elle a sa place marquée à côté de
la sonate en Ut jjj mineur, de VAppasêionata; au point de vue
dramatique, le premier morceau de cette composition géniale
l'emporte peut-être sur toute la musique de Beethoven pour
piano seul; les parties en « récitatif » sont d'une incompa-
rable beauté.
Vmdagio en Si b majeur a un charme poétique qui le rap-
proche de l'adagio, également en Si h majeur, de la sonate
pour piano et violon (op. 24). La phrase mélodique, claire,
limpide est en même temps d'une ineffable tendresse. Les
fines arabesques confiées à la main gauche doivent être exé-
cutées avec une délicatesse et une sûreté égales ; il faut être
virtuose et poète pour interpréter cette page vraiment
éthérée.
Uallegretto final, quoique appartenant au genre a Etude »,
présente un grand intérêt ; l'élément dramatique n'en est pas
absent ; on évitera cependant certains procédés auxquels les
pianistes non musiciens recourent parfois dans l'exécution
de ce morceau qui veut être rendu avec élégance, mais aussi
avec simplicité, sobriété, dans tous les cas avec une correc-
tion impeccable.
La troisième sonate de la série est en Mi bémol majeur ;
elle se compose de quatre morceaux, un allegro très alerte,
un scherzo (allegretto vivace) en La bémol majeur qui, à lui
seul, constitue une œuvre pour piano complète et de haute
valeur, un minuetio (moderato e grazioso) en Mi bémol ma-
jeur, dont la grâce est effectivement le trait caractéristique
— 262 —
et enfin un presto con fuoco dont certains passages, ainsi
celui-ci :
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font penser au presto de la Sonate à Kreutzer, Une extrême
dextérité est indispensable à quiconque veut rendre conve-
nablement ce morceau dont l'exécution, dans le mouvement
voulu, présente de sérieuses difficultés.
Les trois sonates qui forment l'op. 31 sont toutes trois dé-
diées à la comtesse Browne.
Deux sonates cataloguées sous Top. 49 sont des sonatines
qui paraissent appartenir à l'enfance du maître ou que Bee-
thoven peut avoir écrites pour des élèves encore peu expéri-
mentés. La première comprend un andante en Sol mineur et
un rondo en Sol majeur ; la seconde se compose d'un allegro
ma non tro:p'po en Sol majeur et d'un tempo di minuetto,
également en Sol majeur, qui est probablement sous sa forme
primitive, le scherzo bien connu du septuor. Les jeunes pia-
nistes, dont les mains n'ont pas encore toute l'envergure dé-
sirable, étudieront avec un plaisir extrême ces deux petites
sonates qui, malgré leur caractère enfantin, dépassent le
niveau artistique d'une foule de compositions faciles spécia-
lement destinées à la jeunesse.
La Sonate en Ut majeur (op. 53), dédiée au comte de
Waldstein, rentre de nouveau dans la catégorie des chefs-
d'œuvre immortels. Le premier allegro {con brio) se dérobe
à toute analyse ; on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, de
la succession rapide d'accords parfaits en Do majeur qui
remplit les deux premières mesures pour se répéter un peu
plus loin en Si b majeur ou du passage en accords plaqués :
— 263 —
d'un si bel effet, ou du retour au motif initial si admirable-
ment amené par un crescendo formidable, ou enfin de la
péroraison prodigieuse de cet étonnant morceau qu'il faut
avoir entendu interpréter par Antoine Rùbinstein pour en
saisir pleinement la souveraine beauté.
Beethoven avait écrit pour cette sonate un andante en Fa
majeur qu'il remplaça, probablement à cause de sa longueur,
par les quelques mesures (adagio molio) qui servent d'intro-
duction au rondo fmal. De Lenz croit que cet andante eût
fait a ombre i» à la sonate ; nous ne le pensons pas ; cette
œuvre, qui a été publiée à part, est digne du génie de Bee-
thoven; seulement elle eût donné à la sonate des proportions
exagérées.
Quant aux ^ mesures qui préparent le rondo, elles sont
simples mais belles, et quant au rondo en lui-même, il dé-
passe de cent coudées ce que Ton entend habituellement sous
ce nom. A l'exception des deux dernières pages, le mouve-
ment est « allegretto moderato, » par conséquent, quand,
pour faire étalage de virtuosité, on imprime à ce morceau
une allure trop rapide, on altère sensiblement la pensée du
maître. Par contre, on enlèvera le prestissimo de la fin tout
à la fois avec une extrême délicatesse et avec une bravoure
capable de vaincre, sans effort apparent, toutes les difficultés
techniques. Convenablement exécutée, cette conclusion ma-
gistrale de la Wald3tei7i Sonate produit une impression ana-
logue à celle que l'on ressent à l'audition du final de la cin-
quième symphonie, de la seconde ouverture de Léonore,
— 264 —
c'est-à-dire de ce qu'il y a de plus noble et de plus grand
dans le domaine de l'art musical.
De toutes les compositions de Beethoven, la Sonate en Fa
majeur (op. 54) est peut-être la seule dont on puisse dire que
le maître s'y montre décidément inférieur à lui-même. Les
passages en octave du premier morceau (in tempo d'un me-
nuetto) n'ont aucune signification précise, et le second mor-
ceau, un allegretto à 5> est une espèce de Toccate sans grand
intérêt.
Par un frappant contraste, la sonate qui suit égale, si elle
ne les dépasse, les sonates en Ut jj^ mineur (op. 27) et en Ut
majeur (op. 53). Généralement connue sous le nom d'Appas-
sionata, la Sonate en Fa mineur (op. 57) est de la première
à la dernière note un pur chef-d'œuvre. Vallegro (Msai du
conftiencement éveille dans les âmes des impressions tour à
tour poignantes, déchirantes même, mélancoliques, rési-
gnées ; il y a là des cris de révolte et des cris de douleur et
puis aussi des chants tendrement émus:
Au reste, tout dans cet admirable morceau exprime, sous
une forme absolument correcte, les mouvements tumultueux
d'une âme agitée par des passions violentes ; l'habileté tech-
nique, le sens musical ne suffisent pas à rendre ce que ren-
ferment ces pages merveilleuses; une extrême sensibilité est
indispensable à quiconque veut mettre en pleine lumière la
poésie de cette composition musicale.
Uandante en Ré bémol majeur, c'est l'apaisement suc^dant
à la tempête ; le thème est d'inspiration religieuse, intune,
profonde. Les variations qui l'accompagnent sont un heureux
agrandissement; développement habilement ménagé de la
pensée initiale, elles la complètent sans la surcharger. Un
strident accord arpégié, éclatant avec toute la soudaineté
d'un coup de tonnerre, introduit le dernier morceau, un
allegro ma non troppo où le caractère passionné de l'œuvre
reparaît non moins saisissant qu'au début; on remarquera
en particulier ce chant qui semble exprimer les palpitations
d'une âme angoissée :
— 2a5 —
et dont dont la répétition en octaves accentue l'émotion essen-
tiellement pathétique qui s'en dégage. Le presto final avec
ses accords plaqués aux sonorités puissantes, ses passages en
arpèges roulant « fortissimo » comme une charge de cava-
lerie forme une péroraison admirable, singulièrement émou-
vante de l'ouvrage entier que Ton peut, sans exagération ^
mettre au nombre des monuments les plus considérables de
Fart musical au dix-neuvième siècle.
La Sonate en Fa dièse majeur (op. 78), dédiée à la comtesse
Thérèse de Brunswick, débute par une courte introduction
adiiffio cantabile; ces quatre mesures ont beaucoup de
charme.
Vallegro ma non troppo qui suit est intéressant ; toutefois
il ne présente pas la même richesse de développement ni la
même originalité que d'autres compositions de Beethoven.
Dans Vallegro vivace, le mattre paraît môme avoir cherché à
se singulariser par des effets nouveaux plutôt qu'à se distin-
guer par la beauté artistique de la forme mélodique. L'exé-
cution de cette sonate, qui n'a que deux morceaux, suppose
un certain degré d'habileté technique de la part de l'exécu-
tant.
Il n'en est pas de même de la Sonate en Sol majeur (op. 79);
cette sonatine, coulée dans l'ancien moule classique, peut
étr# recommandée à de jeunes élèves désireux de sHnitier à
l'étude de Beethoven. Vandante en Sol mineur a les allures
d'un « Lied » sans paroles tout à la fois simple et mélodieux.
Composée à l'occasion d'un voyage de son élève et prolec-
teur, l'archiduc Rodolphe, la Sonate en mi bémol majeur
(op. 84) est le seul morceau pour piano dans lequel Bee-
thoven ait précisé sa pensée par des notices inscrites en tête
de chaque partie. Précédé d'un poétique adagio dont la me«
sure initiale est écrite sur le mot: Lehewohly le premier
allegro a pour titre: Les adieux. Vandante expressivo en Do
— 266 —
mineur a pour titre : U absence; le troisième et dernier mor-
ceau enfin, indiqué vivacissimente a pour titre: Le retour. Sur
ces trois mots : les adieux, l'absence, le retour, Timagination
féconde de certains critiques allemands s'est donné libre
carrière; pour Marx, la sonate en Mi b majeur est c un épi-
sode en trois phases dans la vie d'un couple amoureux. i»
Dans sa sobriété, le texte original réduit en poussière cette
fantaisie romanesque ; voici en effet ce qu'on lit sur le ma-
nuscrit de Beethoven, avant le premier morceau : « L* adieu y
pour le départ de S. A. I. l'archiduc Rodolphe, le 4 mai
1809, % et avant le finale : « Pour l'arrivée de S. A. I. l'ar-
chiduc Rodolphe, le 30 janvier 1810. » Ainsi se trouvent
fixées l'occasion et l'époque exactes de la composition de
cette œuvre qui, sans avoir l'ampleur de VAppaasionata^
n'en est pas moins une des productions les plus exquises de
la seconde manière du maître.
Les dernières mesures du premier allegro offrent une par-
ticularité qui mérite d'être relevée; évidemment dans le
but de rendre sensible ce qu'il y a de déchirant dans la sépa-
ration, Beethoven forme un seul accord de la tonique et de
la dominante :
P^r-JT-FN^
Cette combinaison étrange produit réellement un effet dé^
chirant que les pianistes s'efforcent d'atténuer par l'emploi
de la pédale ; c'est à tort ; l'effet obtenu est déconcertant,
mais il a été voulu du maître et la volonté du maître doit
être respectée.
Une autre observation à faire, c'est que dans cette sonate,
Beethoven emploie simultanément, pour l'indication des
mouvements, les locutions italiennes consacrées par l'usage
et des locutions allemandes ; c'est ainsi qu'il traduit : c< An-
— 267 -
dante expressivo » par « In gehender Bewegung, doch mil
Ausdruck » et « vivacissimente 7> par « Im lebhaftesten Zeit-
masse. y^
L'archiduc Rodolphe, cardinal d'Olmûtz, à qui la sonate
est dédiée, était un pianiste distingué. De Lenz> qui Fa en-
tendu jouer la sonate op. 106 de Beethoven, dit que c son jeu
était lié, sans nuances, mais sombrement grandiose ; :» il l'ap-
pelle « un athlète sur son piano. » Beethoven avait pour Tar-
chiduc une grande estime, ce dont il a fourni la preuve en
lui dédiant, outre la sonate en Mi b, celle en Si h majeur
(op. 106), son plus beau trio (en Si b majeur), ses ce«<»rtos
en Sol majeur et en Mi bémol majeur, sa messe en Ré ma-
jeur.
La Sonate en Mi mineur (op. 90), dédiée au comte de Lich-
nowsky, est la dernière qui appartienne au second style de
Beethoven. Cette courte sonate, en deux parties, parait être
un écrit de circonstance motivé par les amours du comte
pour une actrice. Le maître lui-même disait que le premier
morceau pourrait s'appeler : Kampf zivischen KopfundHerz
(combat entre la tête et le cœur), et le second : Conversation
mit der Geliebten (conversation avec l'aimée). Malgré son ca-
ractère occasionnel, la sonate en Mi mineur mérite d'être
étudiée avec soin ; la première partie est très vivante, très
animée; le rondo en Mi majeur est une pierre précieuse
ciselée avec un art achevé. L'exécution de ce morceau ne pré-
sente pas de difficultés exceptionnelles sauf dans un court
passage de la première partie où l'accompagnement par la
main gauche :
présente des écarts d'autant plus malaisés à exécuter pro-
prement qu'ils doivent l'être avec autant de prestesse que de
légèreté.
— 268 —
Si dans ]a sonate précédente Beethoven avait adopté la ter-
minologie allemande à côté de la terminologie italienne, dans
celle-ci, il se contente de la première et supprime la seconde.
Le mouvement de Vallegro est indiqué en ces termes : c Mit
Lebhaftigkeit und durchaus mit Empfindung und Âusdruck, »
et celui du rondo dans les termes que voici : « Nicht zii
geschwind und sehr singbar vorgetragen. » La longueur et
le vague de ces indications (d'ailleurs parfaitement énigma-
tiques pour les personnes qui ne comprennent pas Talle-
mand) plaide en faveur de la terminologie habituelle dont la
conservation a, du reste, reçu une consécration solennelle
par un vote du congrès d'histoire de la musique réuni à
Paris du 23 au 28 juillet 1900.
Parmi les autres compositions intéressant la littérature
pianistique qui se rattachent à la même période de l'activité
du maître, il faut mentionner :
A. Pour piano seul :
L'andante en Fa majeur primitivement destiné à la Wald-
stein Sonate (op. 53). Le motif principal respire le calme le
plus auguste et la phrase incidente en Ré bémol est d'une
exquise limpidité. Le génie de Beethoven se révèle encore
dans toute la partie en Si b majeur qui, d'un bout à l'autre,
est remarquablement belle.
Des variations ; plusieurs séries. — Six variations dédiées
à la princesse Odescalchi (op. 34); variations dédiées au
comte de Lichnowsky (op. 35); variations en Ré majeur
(op. 76) ; 33 variations, sur une valse (op. 120) ; un nombre
assez considérable de variations sur des airs d'opéras, ne
portant pas de chiffres d'œuvre. Ces compositions, de valeur
très inégale, sont à peu près complètement tombées dans
l'oubli. Il en est de même des marches et de la musique de
danse de Beethoven.
Les Bagatelles (op. 33), renferment quelques morceaux où
l'on retrouve un reflet du génie du maître.
La Fantaisie (op. 77) et la Polonaise (op. 89) en Do majeur
sont intéressantes à divers égards, mais ne se jouent plus.
- 'm —
•'Il Do majeur et en Sol majeur
; trait ; le second, supérieur au pre-
.X éléments (Phrtérêt.- - ^^
.olon:
r piano et violon (op. 30, 47, 96) sont des
' ; toutefois parmi ces sommets de l'art mu-
djx qui s'élèvent à une altitude exception-
lominent tous les autres de leur majestueuse
e sont :
,nate en Do mineur (N<» 2 de Top. 30) dédiée à Tem*
vlexandre I®»*. La partie de piano, très chargée, ofiFre
leuses difficultés d'exécution. L'œuvre entière, d'un
.it très dramatique, est admirablement belle.
• La Sonate en La mineur (op. 47) dédiée à Kreutzer;
t^st le morceau de prédilection des violonistes virtuoses. La
partie de piano est également intéressante.
Dans le Tnémeirrdre de compositions, il faut encore citerle
superbe adagio de la sonate en La majeur (N<> 1 de l'op. 30),
et le délicieux minuetto de la sonate en Sol majeur (N® 3 de
l'op. 30).
G. Pour piano, violon, violoncelle :
Deux trios dédiés à le comtesse Erdôdy, le premier en Ré
majeur, le second en Mi bémol majeur (op. 70), sont au
nombre des meilleures compositions du maître ; le premier
surtout dont le Largo en Ré mineur est prodigieux.
Le trio en Si bémol majeur (op. 97), dédié à l'archiduc Ro-
dolphe, l'emporte de beaucoup sur tout ce qui a été écrit en
ce genre. De Lenz, qui divague parfois, a jugé sainement
quand il a dit :
Après avoir consigné ces faits navrants, Schindler ajoute :
« Dans tout le cours de mes longs rapports avec Beethoven,
je ne trouve rien qui puisse se comparer à ce jour de no-
— 273 —
vembre ; quelles qu'eussent été jusqu'alors les contrariétés,
les souffrances morales ou physiques qu'il eût éprouvées,
elles ne l'abattaient que temporairement; il se relevait assez
vite, et alors, retrouvant la fermeté de sa démarche, redres-
sant la tête, il rentrait dans la pleine possession de son génie.
Ce dernier coup ne ressemblait pas aux autres, il ne s'en
releva jamais y>
Les déceptions ne furent pas épargnées au puissant lutteur.
Il avait compté sur la mise en souscription de la A/ma solennis
pour lui créer quelques ressources ; huit souscripteurs seu-
lement répondirent à son appel. Plus tard, le résultat finan-
cier du premier concert dans lequel fut exécutée la symphonie
avec chœurs fut pour le maître un cruel désillusionnement ;
on raconte qu'en voyant le compte de la caisse il perdit con-
naissance. Un second concert fut plus désastreux encore, à
tel point que l'administration subit un déficit de 800 florins.
Mais ces épreuves, auxquelles Beethoven était de force à
résister, ne sont pas à comparer à celles dont il fut redevable
à la conduite indigne- de sa belle-sœur et de son neveu,
Louis Beethoven ; sur ce sujet, il faut entrer dans quelques
détails.
En novembre 1815, Beethoven perdait son frère Charles
qui, avant de mourir, lui confia la tutelle de son fils Louis,
alors âgé de huit à neuf ans; prenant ses devoirs au sérieux,
le maître traita son pupille avec une sollicitude toute pater-
nelle. Redoutant l'infiuence de la mère dont la moralité était
plus que discutable, Beethoven prit l'enfant complètement
sous sa direction. La mère fit opposition ; plainte fut portée;
de là procès qui, par suite de complications imprévues, se
prolongea pendant cinq ans. Des juges, < d'une impartialité
douteuse, j> suspendirent Beethoven de ses fonctions de
tuteur, mais celui-ci ayant fourni les preuves de l'inconduite
de sa belle-sœur, la cour, mieux informée, le rétablit dans
ses droits et. interdit à la veuve toute immixtion dans l'édu-
cation de son enfant.
Débarrassé de celle qu'il appelait: o: la reine de la nuit, )>
HIST. DU PIANO 18
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4
— 272 —
« Sur la demande de Beethoven, écrit ^
compagnai à la dernière répétition. L'ouf | ,
(la dernière), marcha parfaitement, cf / ^ i^
des musiciens se comportait comme/ ^
sa coutume, en dépit des hésita^^
Mais, dès le duo entre Marcel*
que Beethoven n'entendait
scène. Il retardait considé'
que l'orchestre restait ' /
l'avant. A l'endroit où .'. *
prison, tout se débr - '
posa un temps d* /
quelques pourp'
Le duo recorr
de nouveai»
désarroi ''
le de
iUcces*
âr avec
ie déses-
1 n'en soit
ndras plus
c tendresse,
eur fidèle de
Beethoven, qui
, 1 taux français pen.
.leisendorf, près Krems, il
.1 le jeune Louis jusqu'à ce qu'on
v^upation en rapport avec ses aptitudes;
jjiee et Beethoven, accompagné de son neveu,
A Gneisendorf où il écrivit la quatrième partie de
^0 ses derniers quatuors, op. 130.
sibilité
évid*^
Ni '^^aéiour du maître à Gneisendorf fut fatal ; l'appartement
^'jl occupait était humide, la nourriture qu'on lui servait
^t$it mal préparée ; en outre, Louis Beethoven se conduisit
^'une façon telle que pour éviter des démêlés avec la justice
il fallut revenir promptementà Vienne, a Le temps était froid
et mauvais, raconte M»* Audley, le fraier Jean refusa de
prêter une voiture fermée, et Beethoven, obligé de faire le
trajet jusqu'à Krems en voiture découverte, y gagna un re-
froidissement d'entrailles qui, dès l'abord, prit un caractère
inquiétant. Ce fut le préliminaire de la maladie à laquelle il
devait succomber. Le retour à Vienne s'effectua dans ces
fâcheuses conditions. Le 2 décembre 1826, il rentra dans son
appartement, au second étage d'une maison située sur le
glacis du faubourg de Wgehring, et connue sous le nom de
Schwartz Spanier-Haus ; il ne devait plus en sortir vivant. >
Atteint d'hydropisie, Beethoven subit une première ponc-
tion le 18 décembre, une seconde le 8 janvier 1827, une troi-
sième le 28 du même mois. Affaibli par ces opérations suc-
— 275 —
se demandant comment, dans le cas où sa maladie
V ^rait, il subviendrait à ses dépenses et à celles de
^-à» -^ethoven s'adressa à la Société philharmonique
i, précédemment, avait offert de donner un
^ ^néfice. Les musiciens anglais furent gêné-
'-. "^ ^nt une somme de cent livres sterling fut
<^- 'r. ^ur faire face aux dépenses occasionnées
> 2g^ ^ "ven se montra très reconnaissant des
«5. . >. -i
^
'.^ ie qui lui venaient d'Angleterre ; il
»5:, '•' ' mus dans une lettre à Moscheles,
^rnière qu'il ait écrite. A partir
o progrès foudroyants ; L. Nohl ra-
V jes péripéties de cette lente et douloureuse
»uus al>régeons son récit.)
* Schindler garda la lettre à Moscheles quelques jours,
parce que d'un instant à l'autre on redoutait une issue fatale.
Les douleurs étaient d'une extrême intensité, surtout depuis
que la blessure s'était ouverte d'elle-même. Cependant, même
dans ces circonstances, Beethoven n'oubliait ni ses amis ni
ses devoirs. Ce même 48 mars, Schindler l'affirme de la ma-
nière la plus précise, la dédicace de l'op. 135 fut décidée en
faveur de Jean Wolfmeyer. »
• . * '
Le 24 mars, Schindler écrit à Moscheles : a II n'y a plus
rien à attendre. Depuis huit jours, Beethoven repose immo-
bile, comme s'il était mort ; de temps en temps, il réunit ses
forces et demande quelque chose. Son état est affreux et exac-
tement tel que nous l'avons lu dernièrement du duc York.
Il est constamment dans un état d'hébétement, la tête pen-
chée sur la poitrine, regardant une tache pendant des heures ;
ils ne reconnaît que rarement même ses meilleures connais-
naissances, à moins qu'on ne lui dise leurs noms. Bref, c'est
horrible à voir et cette situation ne peut pas se prolonger
au delà de quelques jours, car, depuis hier, toutes les fonc-
tions du corps ont cessé, d
Le jour où Schindler adressait à Moscheles les lignes qui
— 276 —
précèdent (24 mars), il se rendit auprès de Beethoven qu'il
trouva dans un tel état de faiblesse qu'il ne put échanger
que deux ou trois paroles avec lui. Le testament ayant été
signé la veille, et que Beethoven dit au
prêtre qui l'avait administré : « Je vous remercie, monsieur
l'ecclésiastique ; vous m'avez consolé. »
Beethoven exprima encore sa reconnaissance pour la So-
ciété philharmonique de Londres; à midi quarante-cinq
minutes, on apporta du vin de Mayence, impatiemment
attendu ; Schindler posa deux bouteilles sur le lit ; Beethoven
les regarda et s'écria : d Dommage, dommage I... Trop tard. >
Ce furent ses dernières paroles; immédiatement il tomba
dans une telle agonie qu'il ne put plus émettre aucun son
quelconque. « Son corps vigoureux, raconte G. de Breuning,
ses poumons livraient un combat de géant contre la mort
qui approchait, foudroyante. Le spectacle était terrifiant.
Bien qu'on sût que le malheureux ne souffrait plus, on ne
pouvait se défendre d'un sentiment d'effroi en constatant que
cette noble nature était devenue irrévocablement la proie des
puissances de destruction, i»
— 277 —
Le terrible combat se prolongea jusqu'au 26 mars ; ce
jour-là, dès le matin, le temps était orageux ; l'organisme du
mourant subissant l'influence d'une atmosphère chargée
d'électricité, les douleurs qu'il ressentait parvinrent à leur
paroxysme.
Vers cinq heures du soir, l'orage éclata ; c'est au milieu
d'une véritable convulsion de la nature, à la lueur des éclairs,
au roulement du tonnerre, au crépitement de la grêle que
Beethoven rendit son àme à Dieu ; c'était le 26 mars 1827, à
cinq heures quarante-cinq du soir. Lorsque Schindler et Breu-
ning entrèrent dans la chambre du défunt, on les accueillit
en ces mots : e: Tout est accompli. > Schindler ajoute : « Nous
bénîmes Dieu pour la fin de ses souffrances. y>
L'acte de décès fut rédigé en ces termes : < Nom du défunt :
Louis van Beethoven ; condition : musicien-compositeur ;
état et âge : célibataire, cinquante-six ans. i> L'héritier étant
absent, les scellés furent posés en présence de de Breuning
et des docteurs Bach, Schindler et Rau. L'autopsie révéla de
graves désordres dans plusieurs organes importants.
Vienne fit à son grand musicien de splendides funérailles ;
plus de 20000 personnes se réunirent devant la maison mor-
tuaire. Huit artistes de l'opéra chantèrent un choral et por-
tèrent le cercueil orné d'innombrables couronnes jusqu'à
l'église voisine de l'Alser. Les cordons du poêle étaient tenus
à droite par Eybler, Hummel, Seyfried, Kreutzer, à gauche
par Weigl, Gyrowetz, Gànsbacher, Wiirfel. Les élèves du
Conservatoire accompagnaient, portant des bouquets de roses
blanches et de lilas. Au nombre des porteurs de cierges, on
remarquait : Bôhm, Czerny, David, Lablache, Grillparzer,
F. Schubert, Schuppanzigh, etc. Le convoi était précédé de
seize chanteurs et de quatre trombonistes exécutant un
Miserere que Beethoven avait composé en 1812 pour le maître
de chapelle Glôggl, à Linz.
A l'église, les seize chanteurs chantèrent un Libéra me de
Seyfried. Le cercueil fut ensuite conduit au cimetière sur un
— 278 —
char de parade attelé de quatre chevaux. Un discours fut
prononcé en dehors du champ du repos, celui-ci étant trop
exigu pour contenir la foule des assistants. Ainsi que, dix-
huit ans plus tard, un orateur put le dire à l'occasion de
Térection d'un premier monument consacré à la mémoire du
maître :
* *
Les œuvres appartenant à la troisième période de la vie de
Beethoven : 5 sonates pour piano, 2 sonates pour piano et
violoncelle, des ouvertures, des quatuors, la Messe en Ré
et la symphonie avec chœurs, ont longtemps passé pour
incompréhensibles et pour à peu près inexécutables. Ren-
dues intelligibles par Texécution éminemment artistique d'in-
terprètes tels que H. de Bûlow, Mortier de Fontaine pour les
sonates de piano, les sociétés de quartettistes auxquelles les
frères MûUer, les violonistes J. Becker, en Allemagne, Mau-
rin, en France, et, de nos jours, le maître par excellence du
violon, Joseph Joachim ont donné leur nom pour les quatuors,
les grands orchestres de Paris et de Berlin pour la symphonie
avec chœurs, elles ont été envisagées comme la manifestation
la plus haute du génie du maître, comme inaugurant une
conception absolument originale de l'art musical, plus que
cela, comme un nouvel évangile de l'humanité.
Ici, de même qu'en bien d'autres domaines, la vérité doit
être cherchée à égale distance des extrêmes ; les œuvres de
la troisième période de Beethoven s'éloignent plus que les
précédentes des formes conventionnelles de l'art, mais elles
ne constituent pas un art nouveau, sans relation avec le
passé; elles sont le fruit d'une évolution, non d'une révolu-
tion de la pensée. Sous l'impulsion irrésistible de son génie
créateur, Beethoven a élargi les anciens cadres, il ne les a
pas brisés ; ses dernières compositions renferment des beautés
jusqu'alors insoupçonnées, mais il faut reconnaître qu'elles
renferment aussi des longueurs, des obscurités et surtout
— 279 —
des pages difficiles à interpréter ; c'est le cas pour les sonates,
pour les quatuors, et dans des proportions exceptionnelles
pour la Symphonie avec chceursy où les voix humaines, assi-
milées aux instruments, sont obligées d'accomplir de véri-
tables tours de force.
La première dBs sonates pour piano appartenant au troi-
sième style de Beethoven, la Sonate en La majeur (op. 101)
est dédiée à la baronne Dorothée Ërtmann, pianiste de très
grand mérite. Vallegretto du début est d'un charme exquis ;
les longs passages syncopés produisent un effet remarquable ;
l'impression dominante est celle du calme, de la sérénité.
Le second morceau, un Vivace alla ma/rcia en Fa majeur,
n'a guère d'une marche que le nom ; il demande à. être exé-
cuté avec beaucoup de décision, ce qui lui donne une allure
triomphante d'autant plus accentuée qu'elle contraste avec
ce qui précède et avec ce qui suit. En effet, les 20 mesures
A'adagio (langsam und sehnsuchtsvoll) ont, avec plus de
gravité, le même caractère de calme et de sérénité que le
premier morceau. Ecrit en La mineur, ce court intermède
conduit par un heureux rappel du thème initial à Vallegro
final, en La majeur, de toutes les parties de la sonate celle
qui porte le plus fortement l'empreinte de la troisième ma-
nière du maître. Comme la marche, ce final doit être joué
avec « résolution » (mit Entschlossenheit, suivant l'indication
du compositeur lui-môme). Une interprétation intelligente
peut seule faire de cette page, en apparence aride, une œuvre
réellement belle.
La Sonate en Si h majeur (op. 106), dédiée à l'archiduc
Rodolphe, est une des compositions les plus caractéristiques
de la troisième manière du maître. Commencée en avril 1818
et achevée dans le courant de l'été de la même année, cette
œuvre appartient à une des époques les plus troublées de la
vie de Beethoven. On y trouve, dans Vadagio surtout, l'écho
de ses souffrances en même temps que de cette confiance
indéracinable, qui, en septembre 1817, lui faisait écrire :
c Dieu entendra bien ma prière et me délivrera encore une
— 280 —
fois d'une si grande adversité; comme dès mon enfance,
plein de confiance en Dieu, je l'ai servi fidèlement, faisant le
bien partout où je le pouvais, maintenant je me confie entiè-
rement en lui seul et j'espère que dans toutes mes angoisses
le Tout-Puissant ne me laissera pas périr. » Le premier
allegro a des accents victorieux qui s'affirment dès l'entrée
par des accords plaqués d'un puissant effet, et d'une manière
plus saisissante encore dans la magnifique péroraison de ce
morceau, en particulier dans le passage en octaves :
^W
f r.l^fe
qui a la fière allure que l'on rencontre souvent dans les
ouvertures et les symphonies de Beethoven.
Le scherzo (assai vivace), en Si b majeur, a tout le pitto-
resque, l'humour qui convient à ce genre de compositions
musicales ; on remarquera sans peine une réminiscence
frappante des premières mesures de ce scherzo dans le début
de Vallegro vivace de la symphonie (op. 407) de Mendelssohn.
Le savant biographe de Beethoven, L. Nohl, définit d'un
seul mot une prière, V adagio sostenuto de la sonate en Si b
majeur (op. 106). Tous les éléments essentiels de la prière
sont effectivement exprimés dans ces pages émues qui, en
— 281 —
dépit de l'effort artistique qu'elles révèlent semblent avoir
jailli spontanément des profondeurs de Tâme. Tandis que
l'accent de la résignation est sensible dans la phrase ini-
tiale :
celui de la supplication ardente, passionnée ne l'est pas
moins dans le passage syncopé que voici :
i y— i
i—lL.^A
^^^^SË^^
crue.
g=^rTg-rH^
con grand' etpreu.
r
S-r--;>*3rP-"N^
tiM^jf I It^^^fefe
t
t
^^=^==^=1
ï
Enfin l'accent de la confiance paisible, sereine apparaît à
plusieurs reprises dans des phrases en majeur d'une suave
beauté.
Introduit par un largo qui se transforme en un allegro,
puis en un presti$$imo, le dernier morceau de la sonate, un
allegro rUoluto, est écrit en style fugué; ce final qui ne
compte pas moins de onze pages est d'une exécution difficile ;
seul un virtuose doublé d'un musicien de tempérament peut
en donner une interprétation satisfaisante.
D'une manière générale, on observera que dans cette sonate
Beethoven s'est montré prodigue de difficultés techniques
qui, pour être vaincues, supposent de la part de l'exécutant
un mécanisme très déTeloppé.
Non seulement la sonate op. 106 n'est à la portée que des
pianistes hors pair, mais on s'exposerait à lui faire tort en la
produisant devant le public mêlé des salles de concert ; pour
l'apprécier à sa véritable valeur une culture musicale dépas-
sant celle de la plupart des dilettantes est nécessaire.
La Sonate en Mi majeur (op. 109), dédiée à M"^ Maximi-
lienne Brentano, commence par un vivace ma non troppo
deux fois interrompu par un 2 de Top. 90 en Mi bémol
majeur, le N» 4 en La h majeur; les quatre impromptus,,
op. 142 et, en particulier, le N® 3, en Si b majeur, un thème
accompagné de variations qui sont des modèles du genre. Le
N« 4, en Fa mineur, est de la musique hongroise authen-
tique. Les m^oments musicals (op. 94) sont également intéres-
sants à étudier.
Une branche de la littérature du piano que Schubert a cul-
tivée avec amour, c'est la musique à quatre mains ; ses mar-
ches héroïques ou miHtaires, très caractéristiques, sont con-
nues de tous les dilettantes ; des sonates^ un diveriissem^it à
la hongroise (op. 54), des rondos, entre autres le rondo en La
majeur, un pur chef-d'œuvre, complètent ce bagage musical
où, à côté de compositions d'importance secondaire, se ren-
contrent des perles de grand prix.
— 303 —
En septembre 1828, le médecin conseilla à Schubert de
quitter le logement qu'il occupait chez son ami Schober, afin
de s'installer dans l'appartement mieux situé de son frère
Ferdinand. Ce changement eut de bons résultats. L'amélio-
ration qui se produisit dans l'état de santé du compositeur
fut même si sensible qu'en octobre il entreprit, avec son
frère et deux amis, une de ces excursions pour lesquelles il
avait toujours eu une extrême prédilection. Malheureusement,
dès son retour, vers la fin du même mois, Schubert fut pris
de vertiges auxquels il ne prit d'abord point garde ; non seu-
lement il continua ses promenades quotidiennes, mais, le
4 novembre, il se rendit auprès de l'organiste de la cour qui
promit de lui donner quelques leçons de fugue. Il ne devait
pas même les commencer. Le 41 novembre, le pauvre artiste,
brûlé par la fièvre, se mettait au lit après avoir écrit à
Schober : « Mon cher Schober ! Je suis malade. Depuis onze
jours, je n'ai rien mangé ni rien bu et je vais en chancelant
de ma chaise à mon lit et retour. Je ne puis supporter aucune
nourriture. Aie donc la bonté de venir à mon secours dans
cette situation perplexe en me procurant de la lecture. De
Cooper, j'ai lu : Le dernier des Mohicans, VEspioriy les Pilotes
et les Colons. Si tu possèdes quelque chose d'autre du même
auteur, je te conjure de le déposer chez M"»« de Bagner, au
café. Mon frère, qui est la conscience même, m'apportera
certainement fut CHARLES CZERNT, né à Vienne le 21 fé-
vrier 1791. Obligé, dès l'âge de quatorze ans, de donner des
leçons, Czerny imprima une direction essentiellement péda-
gogique à son activité. Prompt à discerner le genre d'exer-
cices qui convenait aux aptitudes particulières de ses divers
élèves, Czerny s'acquit rapidement une réputation justifiée
dans le professorat.
Bien que donnant jusqu'à douze heures de leçons par jour,
Czerny déploya une fécondité extraordinaire dans la compo-
sition ; dès 1810, il commença à écrire et jusqu'en 1857,
année de sa mort, il ne composa pas moins de 900 morceaux
de piano grands ou petits, à deux, quatre, huit mains, des
rondos j fantaisies^ variations, des sonates : Grande sonate bril-
— 308 -
lante (op. 10); Sonate militaire .(op. 119); Sonate sentimentale
(op. 120); Sonate pastorale (op. 121); un Presto caracteristico
(op. 24), etc. Il y a dans ces compositions de la finesse, de la
grâce, de Téclat ; elles sont toutefois pour la plupart ignorées
de la génération actuelle. Par contre, les œuvres pédago-
giques, Exercices, Etudes, ont conservé leur popularité. Dans
cette catégorie de compositions où Czerny occupe une place
éminente, sinon unique, il faut mentionner : Cent études pro-
gressives (op. 139) ; V Ecole de la vélocité, en 40 études (op. 229) ;
VEcole des ornements^ en 70 études, (op. 355) ; VEcole de la
inain gauche^ en 10 études (op. 399); VEcole du virtuose
(op. 365) ; y Art de délier les doigts (op. 699) ; des Etudes en
tierces, des Etudes pour la main gauche, etc. Une Ecole
théorique et pratique complète du pianOy en 3 parties (op. 500)
renferme des études intéressantes ; cet ouvrage n'a pas eu de
succès à cause de son extrême uniformité. Les Exercices très
faciles, progressifs et difficiles^ les Exercices journaliers
(op. 337) sont parmi les meilleures publications de l'illustre
pédagogue.
La vie de Czerny fut simple ; peu répandu dans le monde,
Czerny censacrait tout son temps à ses élèves et à ses com-
positions. Ses œuvres, comme celles de VEcole musicale^ dont
il fut rinitiateur, sont remarquables par le brillant de la forme
beaucoup plus que par la richesse des idées. Comme moyen
de développer le mécanisme, elles peuvent être de quelque
utilité.
Au nombre des élèves de Czerny qui fournirent une belle
carrière, il faut mentionner THÉODORE DOEHLER, né à Naples,
le 20 avril 1814. Après avoir terminé ses études à Vienne,
Doëhler entreprit une tournée artistique qui fut des plus
fructueuses. Accueilli avec sympathie à Paris, en 1838, avec
enthousiasme à Londres, en 1839, Doëhler se rendit en 1844
à Saint-Pétersbourg où il passa plusieurs années et où il
épousa une personne de haut rang, la princesse Schermeleff.
Doëhler est mort à Rome, le 21 février 1856, à Tàge de qua-
rante-deux ans.
— 309 —
Les compositions de Doëhler pour piano : Nocturne en Ré
bémol majeur (op. 24); Tarentelle en Sol mineur (oyi. 39);
Etudes de salon (op. 42) ; Romance sans paroles (op. 57), etc.,
ont le cachet de distinction aristocratique de celui qui les
a composées ; cela leur a procuré un moment de gloire ; cela
n'était pas assez pour leur assurer un succès durable.
Un musicien de plus de valeur fut THÉODORE KULLAK,
né le 12 septembre 1818 à Krotoczyn. Il étudia d'abord la
médecine, puis la musique sous la direction de Tâubebt à
Berlin et de Czerny à Vienne. En 1843, il se fixa à Berlin où
il fut nommé pianiste de cour ; en 1850, il fonda un conser-
vatoire en collaboration avec les professeurs Marx et J. Stein,
mais dès 1855, il se retira de cette association pour créer un
nouvel établissement sous le nom de : Nouvelle académie de
musique. Au cours de sa longue carrière, Kullak a beaucoup
composé pour le piano; de la musique de salon, entre autres :
La danse des sylphides (op. 5) ; La gazelle (op. 22) ; Perles
d*écume (op. 37), et quelques œuvres destinées à l'enseigne-
ment: Kinder Leben, petits morceaux (op. 62 et 81); Schehe-
razadCy six petits morceaux (op. 78) ; VEcole des octaves
(op. 48 et 59). Les compositions de Kullak se font remarquer
par la fraîcheur de l'inspiration. Les Etudes en octaves sont
des morceaux de haute virtuosité.
Né à Genève, le 7 janvier 1812, SiGISMOND THALBERG repré-
senta l'école viennoise avec une autorité et un succès excep-
tionnels. Elève de Sechter, Czerny, Hummel, S. Thalberg
débuta en 1828 dans la carrière musicale par des concerts à
Vienne qui eurent un retentissement considérable et par la
publication de son op. 1 : Mélanges sur des thèmes dEu-
ryanthe. Nommé pianiste de cour en 1834, Thalberg com-
mença en 1835 ses tournées artistiques en Europe qui furent
pour l'éminent pianiste un continuel triomphe. Les Etats-
Unis, le Brésil lui firent à leur tour un accueil enthousiaste.
Revenu en 1862 à Paris, le virtuose y retrouva les mêmes
succès qu'en 1835 ; De son côté, Fétis affirme qu'il
y avait quelque rapport entre le génie de Schobert et le génie
de Mozart.
Dans son Essai sur la musique, Laborde parle aussi de
Schobert en termes très louangeux et il ajoute que « ses
œuvres sont encore (4780) entre les mains de tous ceux qui
cultivent le clavecin et le forte-piano, i» jugement qui, pour
être d'entre les plus flatteurs, n'en a pas moins perdu toute
actualité.
Jean-GOTTFRIED EGKARD naquit en 1734 à Augsbourg, de
parents pauvres. Ayant le goût inné de la musique et du tra-
vail, il parvint, sans le secours d'aucun maître, à exécuter les
passages les plus difficiles du Clavecin bien tempéré de
J.-S. Bach. L'organiste et facteur d'instruments Jean-André
Stein, remarquant les aptitudes exceptionnelles du jeune
musicien, l'engagea à l'accompagner à Paris. Eckard accepta
cette invitation et, comme il avait du talent pour le dessin,
il fit des portraits pendant le jour, afin de pourvoir à son
entretien et consacra les heures de la nuit à la poursuite de
ses études musicales. Ce zèle opiniâtre eut sa récompense,
£ckard remporta à Paris de tels succès qu'il se décida à s'y
fixer. Il mourut dans cette capitale en 1809, à l'âge de soi-
xante-quinze ans.
Eckard n'a laissé que deux recueils de sonates ; c sa mu-
sique^ écrit A. Méreaux, est remplie d'intentions et de
nuances indiquées avec soin, seulement elle manque d'élé-
vation ; elle ne brille ni par l'invention mélodique, ni par la
correction du style, ni par la nouveauté de la forme; enfin,
elle n'a pas les qualités de celle de Schobert, mais elle a du
mouvement et un certain développement de mécanisme qui
témoigne un grand talent de virtuose. :»
Schobert et Eckard appartiennent à l'école française par
leur long séjour en France; par leur éducation première, ils
se rattachent plutôt à l'école allemande. Il n'en est pas de
même de NICOLAS HOLLHANDEL qui, né, il est vrai, à Stras-
bourg, comme Schobert, peut cependant être considéré
comme le représentant le plus autorisé de l'école française
de piano dans la seconde moitié du dix-huitième siècle.
Né en 1751, Nicolas-Joseph Hûllmandel arriva à Paris en
1776, après un court voyage en Italie. Son remarquable talent,
la distinction de sa personne lui acquirent avec la considé-
ration générale de très nombreux élèves. Un brillant mariage
interrompit sa carrière artistique, mais il dut la reprendre à
Londres, quand la révolution l'eut chassé de Paris et privé
de ses biens. Plus tard, Hûllmandel obtint de Bonaparte la
restitution de ses biens qui n'avaient pas été vendus; il passa
les dernières années de sa vie dans la retraite, à Londres,
où il mourut en 1809.
Hûllmandel a composé des sonates pour clavecin ou piano
seul, pour piano avec violon, violoncelle, quelques pièces de
moindre importance, a Les œuvres de Hûllmandel, dit Mé-
reaux, sont purement écrites et d'un style distingué. »
Si la révolution française priva la France d'un de ses meil-
leurs musiciens, d'autre part, elle la dota d'un établissement
qui devait devenir une pépinière de grands artistes, le Con-
servatoire de musique et de déclamation^ organisé définitive-
ment par une loi du 6 thermidor an III (7 septembre 1795).
En rappelant cette date, M. Lavoix retrace dans les termes
que voici les premiers pas de cette institution qui n'a pas
— 315 —
cessé d'occuper une place importante dans Thistoire du mou-
vement musical en Europe :
« Etabli en vue de la célébration des fêtes nationales ins-
tituées par la République^ le Conservatoire^ qui avait pris
d'abord le titre d'Institut national de musique^ ne manqua
pas à sa mission, et bientôt on vit les élèves de cette école
former les orchestres qui exécutaient la musique de rHymne
à VEtre suprême de Gossec, le Chant du départ de Méhul,
etc. ; bien plus, des professeurs eux-mêmes, comme Gossec,
Méhul, etc., faisaient répéter-au peuple, dans les rues et^ur
les places publiques, les chants simples et grandioses, comme
l'hymne pour la fête du 14 juillet, de Gossec; l'hymme pour
la Fête de la jeunessey de Gherubini ; le Réveil du peuple de
Gaveaux, et le sublime Chant du départ, écrit pour l'anni-
versaire de la prise de la Bastille, en 1794. On sait que la
Marseillaise, improvisée, en avril 1792, par Rouget de l'Isle,
sous le titre de Chant de guerre pour V armée du Rhin, dédié
au maréchal Lûckner, ne fut entendue pour la première fois
à Paris que lorsque le bataillon des Marseillais vint dans cette
ville ; mais la première exécution publique, pour ainsi dire
officielle, de ce chant admirable eut lieu le 14 octobre 1792,
et le Conservatoire y prit part.
» Le grand mouvement révolutionnaire ayant pris fin, le
Conservatoire revint à une musique moins pompeuse; c'est
alors qu'il donna, pendant l'empire, des sortes d'auditions
que l'on appela exercices, dans lesquels se faisaient entendre
les professeurs et les meilleurs élèves. Vers 1828, sous l'im-
pulsion de Baillot et sous la direction d'Habeneck (1781-1849),
les maîtres se réunirent, rassemblèrent autour d'eux leurs
plus brillants disciples et fondèrent une société qui, sous le
nom de Société des concerts du Conservatoire, eut sur notre
école une influence salutaire et immense qui dure encore. Le
premier programme, de 9 mars 1828, indiquait l'exécution
de la Symphonie héroïque^. »
' Lavoix, La mtisique franfuisCf p. 208.
— 316 —
Un des premiers maîtres de piano du Conservatoire fut
EfAGINTHE JADINy élève de Hullmandel. Né à Versailles en
1769, Jadin appartenait à une famille de musiciens ; son père,
Jean Jadin, avait été professeur de violon et de piano, et son
oncle, Georges Jadin, avait appartenu à la chapelle du roi de
France ; il jouait du basson en virtuose. Auteur de quelques
concertos écrits dans le style d'Ignace Pleyel, Hyacinthe
Jadin mourut déjà en 1802 et eut pour remplaçant au Conser-
vatoire son frère, LOUIS-Emmanuel JADIN, né à Versailles le
28 septembre 1768. Celui-ci mit à la mode les Mélanges ou
Pot'pourris dans lesquels les motifs favoris d'opéras sont
reliés par quelques mesures transitoires destinées à satisfaire
les oreilles peu exigeantes des dilettantes.
Un artiste qui donna une puissante impulsion à l'ensei-
gnement au Conservatoire et qu'à ce titre on pourrait consi-
dérer comme le fondateur de l'école française de piano, fut
Louis Adam, père d'Adolphe Adam, l'aimable et gracieux
auteur du Chalet, du Postillon de Longfumeau. Ce dernier a
publié sur Louis Adam des notes biographiques qui permet-
tent de reconstituer avec une exactitude sufOsante la longue
carrière de cet illustre musicien.
Louis Adam est né le 3 décembre 1758 à Mittersholz (Bas-
Rhin) ; sous la direction d'un de ses parents, puis de l'orga-
niste Hepp, à Strasbourg, il fit de solides études de piano,
s'assimilant les œuvres de J.-S. et de Ph.-Eramanuel Bach,
de Scarlatti, de Schobert. En 1775, il arriva à Paris où il se fa-
miliarisa avec le genre de Mozart et de Clementi ; nommé pro-
fesseur au Conservatoire en 1797, il forma un grand nombre
de pianistes distingués: Kalkbrenner, Chanlieu, Henri Le-
moine, Hérold.
Malheureusement des revers de fortune assombrirent son
existence ; la révolution de 1830 lui enleva sa clientèle ; plus
tard, son fils, Adolphe Adam, engloutit des sommes consi-
dérables dans une entreprise théâtrale. Mais Louis Adam
n'était pas homme à se décourager ; il chercha dans le tra-
vail le moyen de faire face à l'adversité. Il ne prit sa retraite
— 317 —
de professeur au Conservatoire qu'en 1843, à Tâge de quatre-
vingt-cinq ans. Cruellement éprouvé par la révolution de
1848, il c tomba dans une morne taciturnité et s'éteignit sans
maladie et presque sans souffrances, le 8 avril, )d à l'âge de
quatre-vingt-dix ans. « Dans cette vie de travail et de dévôû-
inent, écrit Marmontel, il y a eu des fatigues et des épreuves ;
ni défaillance, ni tache d'aucune espèce. Musicien de haute
valeur, laborieux à l'excès, modeste pour son propre mérite,
bienveillant pour ses émules et ses disciples, ayant l'esprit
ouvert aux progrès de l'art, Louis Adam demeure une des
figures les plus sympathiques et les plus hautes du profes-
sorat de la génération qui nous précède. }»
Louis Adam a composé des variations intéressantes sur
l'air populaire du Roi Dagohert^ mais ses principales publi-
cations appartiennent au domaine de la pédagogie musicale.
En collaboration avec L.-W. Lachnith, il publia une Méthode
ou principe général du doigté pour le forte-piano suivie d'une
collection complète de tous les traits possibles avec le doigté,
et, sous sa seule responsabilité, une Méthode nouvelle pour
le piano à l'usage des élèves du Conservatoire, un ouvrage qui,
de 1802 à 1831, n'eut pas moins de cinq éditions à Paris.
Lorsque Jadin mourut en 1802, il eut pour remplaçant au
Conservatoire LOUIS-BarthëLEMT PRADHER, alors âgé de
vingt et un ans.
Né à Paris le 18 décembre 1781, L.-B. Pradher ou Pradére
étudia la musique successivement avec un chef d'orchestre
de l'Opéra comique, nommé Lefèvre, avec la célèbre pianiste,
M™« MoNTGÉROULT, enfin au Conservatoire. Quand, en 1802,
il concourut avec Cherubini pour la place de professeur,
l'étonnante virtuosité avec laquelle il joua un concerto de
Dussek disposa le jury en sa faveur. Après un professorat de
vingt-cinq ans, il voyagea pendant quelques années, puis
se fixa à Toulouse où il remplit les fonctions de directeur
du Conservatoire. Pradher mourut à Gray en octobre 1843.
Il a composé pour le piano : un concerto, des sonates, des
rondos, des fantaisies, des pot-pourris, un rondo pour deux
— 318 —
pianos, des romances. Au nombre de. ses meilleurs élèves^
on peut citer les frères Henri et Jaques Herz, Dubois, Ro-
sellen, Hûnten.
Un contemporain de Pradher, PIBRRE-JOSEPH-GUILLAUHE
ZlMMERMARll, né à Paris en 1785, fut professeur au Conserva*
toire de 1816 à 1848. « Musicien de grand savoir, d'un goût
délicat, très éclectique, n'ayant aucun parti pris contre les
tendances novatrices, Zimmermann tenait ses élèves au cou-
rant de toutes les œuvres de valeur réelle, sans souci du nom
de Tauteur ni de la provenance d'école ^ » Pianiste de
haute valeur, Zimmermann, dont la vie fut malheureuse-
ment assombrie par diverses épreuves, mourut à Paris en
1853.
Le plus brillant représentant de l'école française durant la
première moitié du dix-neuvième siècle fut un musicien
d'origine allemande, FRÉDÉRIC-GUIUAUME KALURENNER, né
à Cassel en 1784, mais dès 1798 élève de Louis Adam au Con-
servatoire de Paris. Ses progrès furent si rapèdes-citi'en 1800
il remportait un second prix et en 1801 le premier. Envoyé
à Vienne en 1803 pour profiter de l'enseignement de dé-
menti, il revint à Paris en 1806 et, dès son retour, l'éclat
de son jeu le mit au rang des professeurs les plus re-
cherchés.
La présence à Paris de Dussek, qui, de 1808 à 1812, fut
concert meister du prince de Talleyrand, exerça une influence
favorable, non seulement sur Kalkbrenner comme pianiste
et comme compositeur, mais aussi sur l'école française de
piano tout entière.
. De 1814 à 1823, Kalkbrenner habita l'Angleterre, où sa
virtuosité provoqua un enthousiasme extraordinaire et où
ses compositions furent très appréciées. En 1817, il fonda à
Londres, avec S. Webbe et Jean-Bernard Logier (l'inventeur
du chiroplaste ou guide-main), une académie musicale dans
laquelle tous les élèves qui avaient atteint le même degré de
^ Marmontel, Silhouettes et Médaillons^ p. 200.
^ 319 —
culture artistique étaient placés sous la direction d'un seul
et même maître.
De retour à Paris dès 1826, Kalkbrenner s'associa à Ca-
mille Pleyel pour la fabrication des pianos ; par ses conseils
et aussi par les sommes considérables qu'il versa dans la
fabrique, Kalkbrenner contribua pour une large part à la
réputation de la maison Pleyel, dont les produits sont actuel-
lement encore hautement appréciés, mais c'est surtout
comme chef de l'école française de piano que l'illustre artiste
s'est conquis une juste et durable renommée.
Kalkbrenner fut un virtuose dans la meilleure acception
de ce mot. « Sous ses doigts, dit Marmontel, le piano prenait
une sonorité merveilleuse et jamais stridente, car il ne cher-
chait pas les effets de force. Son jeu, lié, soutenu, harmo«
nieux, d'une égalité parfaite, charmait plus encore qu'il
n'étonnait ; enfin, une netteté irréprochable dans les traits les
plus ardus, une main gauche d'une bravoure sans pareille
faisaient de Kalkbrenner un virtuose hors lignée ]»
. Eicelient pédagogue, Kalkbrenner recommandait à ses
élèves d'éviter les mouvements inutiles des bras et de porter
leurs efforts sur le développement égal de chaque doigt des
deux mains ; il faisait exécuter des passages rapides en tierces
et en sixtes par les deux mains, des trilles doubles ou triples ;
il a laissé une grande méthode théorique et pratique à l'aide
du guide-mains, ouvrage dont le succès fut considérable,
grâce aux préceptes de mécanisme qu'il renferme.
Chez Kalkbrenner, le compositeur n'est pas à la hauteur
du virtuose, du pédagogue ; écrites essentiellement au point
de vue de l'effet, ses compositions ont du charme, de l'élé-
gance, du brillant surtout, mais il leur manque des qualités
seules capables d'assurer une longue durée à une œuvre
d'art. Parmi ses morceaux pour piano qui eurent le plus de
retentissement, on peut citer ses 4 concertoz^ un concerto
pour deux pianos (op. 125), des %onaie^^ des études^ caprices^
> Marmontel, Les pianistes célèbreSy p. 100.
— 320 —
fugues et une foule de morceaux de saloii pour piano seul
ou pour piano avec accompagnement d'un ou de plusieurs
instruments.
Kalkbrenner est mort en 1849 à Enghien, près Paris.
Le 6 janvier 1806 naissait à Vienne, en Autriche, HENRI
Herz. Admis dès Tâge de dix ans au Conservatoire de Paris,
lé jeune musicien autrichien qui, deux ans auparavant, s'était
produit avec succès en public à Ck)blentz, devint prompte-
ment l'élève favori de Pradher. Son premier examen faillit
être compromis par une atteinte de la rougeole, mais quatre
jours avant le concours, Herz sortit de son Ht, reprit ses
exercices et, par une superbe interprétation du douzièiiië
concerto de Dussek et d'une étude de Clementi, remporta
tous les suffrages. En 1818, l'enfant-prodige se fit connaître
comme compositeur; un Air tyrolien varié et un Rondeau à
la Cosacca rencontrèrent une faveur générale dans le monde
musical.
Les concerts donnés en 1820 à Paris par Moscheles firent
sur Herz une profonde impression; ce dernier s'efforça
d'égaler la virtuosité du maître allemand et de donner plus
de grâce à ses propres compositions. Celles-ci jouirent pen-
dant une vingtaine d'années d'une vogue extraordinaire.
Ayant organisé des tournées artistiques avec le violoniste
Lafont, Herz écrivit quelques œuvres pour piano et violon
qui ne sont pas sans charme. Par contre, ses compositions
pour piano seul sont pour la plupart d'une extrême banalité ;
il faut cependant excepter les concertos (op. 34, 74 et 87) qui
renferment de belles pages, les études qui présentent ce mé-
lange de force et d'élégance qui caractérise les produits de
l'école française et dont on retrouve le reflet non seulement
dans le Rondo brillant dédié à Moscheles, mais aussi dans
les innombrables Variations composées par Herz sur des
thèmes populaires à son époque. Parmi ces dernières, les
quatrième et septième variations sur un « air » de la Violette
de Carafa (op. 48) ont un cachet de distinction, tandis que
la seconde variation est remarquable par sa finesse, sa légè-
- 321 —
reté, et la cinquième par sa vigueur et son élan. D'autres
compositions pour piano de H. Herz: Souve^iir du Niagara
(op. 213); La Californienne , polka brillante (op. 167); un
Grand galop brillant (op. 188); La caquette, scène de bal
(op. 79), ont fait fureur surtout quand elles étaient jouées par
le compositeur lui-même; depuis longtemps, elles sont tom-
bées dans l'oubli le plus complet.
Non pas que le style de Herz soit vulgaire ou négligé ; il a
des qualités réelles; « toujours correct et brillant, il atteint
sans peine la noblesse et souvent l'élévation, » dit Marmontel ;
seulement la pureté, l'éclat de la forme ne suffisant pas à
sauver de la ruine des œuvres dont le fond est à peu près
nul, les compositions du pianiste français étaient fatalement
condamnées à disparaître après avoir été populaires dans les
deux mondes.
Herz, qui était un virtuose de premier ordre, a parcouru
en triomphateur l'Allemagne, l'Angleterre, l'Ecosse, l'Amé-
rique du Nord et celle du Sud, mais c'est surtout à Paris qu'il
a déployé les ressources d'un esprit cultivé servi par un
merveilleux talent.
Professeur au Conservatoire, Herz a formé d'excellents
élèves. En même temps directeur d'une importante manu-
facture de pianos, il a fourni des instruments remarquables
par leur belle et puissante sonorité.
Littérateur à ses heures, Henri Herz a publié un volume
de souvenirs de son voyage en Amérique ; cet ouvrage se lit
avec intérêt.
Né à Londres en 1798, mort à Meylan (France) en 1876,
Henri Bertini appartient aussi à l'école française, non seu-
lement par la durée de son séjour à Paris, mais aussi par la
nature de son talent. « Son jeu, écrit Marmontel, tenait de
Clementi par la régularité et la clarté dans les traits rapides,
tandis que la qualité du son, la manière de phraser et de
faire chanter l'instrument participaient de l'école de Hummel
et de Moscheles. »
Bertini a beaucoup écrit, des trios, des quatuors, des sex-
HIST. DU PIAIfO 21
— 3ïfâ —
tuors, etc., et pour le piano seul, des /antaisies, des rondos,
des capricesy etc., puis surtout des Etudes qui sont ses meil-
leurs titrer de gloire. Les études progressive9, élémentaires,
de perfectionnement, comprenant les op. 84, 100, 101, 86, 97,
29, 32, 66y 94, disposées graduellement telles qu'elles le sont
dans l'édition Schlesinger (Berlin), constituent un ouvrage
pédagogique de haute valeur. Par contre, les autres compo-
sitions de Berlini pour piano n'ont qu'une importance très
secondaire. Marmontel dépasse les limites de la bienveillance
quand il qualifie d'œuvre magistrale la Fantaisie dramcUique
en Do It mineur (op. 118). Le Rondo à la Polacca (op. 167), mor-
ceau de concours à l'usage des pensionnats déjeunes demoi-
selles, a du brillant, mais manque totalement d'originalité.
Il est rare qu'un simple dilettante parvienne à se créer une
place d'honneur au nombre des professionnels ; ce fut cepen-
dant le cas de Camille Stamatt, qui n'embrassa la carrière
musicale qu'après avoir été employé à la préfecture et qui,
comme pianiste, comme professeur et comme compositeur,
non seulement égala la plupart de ses contemporains, mais,
à une époque où l'on recherchait les succès faciles, où la mu-
sique de salon était à la mode, se distingua par la pureté de
son style et par l'élévation de sa pensée. Les Douze esquisses
(op. 17) sont un recueil de pièces charmantes, sans préten-
tion, mais dont le contour mélodique a beaucoup d'attrait.
Le No 1, Pensée d'amour, en Do majeur, le N'» 7, A Vaube, en
La b majeur, le N® 8, Contemplation, en Fa majeur, fournis-
sent une bonne occasion pour s'exercer dans l'art de faire
chanter la note, d'imprimer au toucher quelque chose de
moelleux, de mettre de la poésie dans son jeu. C'est surtout
dans ses sonates, dans son concerto (op. 2) et peut-être plus
encore dans ses œuvres pédagogiques que Stamaty a révélé
de précieuses qualité. Les Etudes concertantes (op. 46, 47), les
Etudes pittoresques (op. 21), les Etudes caractéristiques sur
Oberon sont intéressantes ; voici comment Marmontel s'ex-
prime sur deux autres ouvrages du même compositeur : « Le
i'ythme des doigts est le traité de mécanisme le plus complet.
— 328 —
le mieux raisonné, le plus logique que n.ous connaissions. La
mesure, l'indépendance des doigts, Taccentuation y sont étu-
diées sous toutes les formes, avec les combinaisons les plus
variées. Les études progressives chant et mécanisme (op. 37,
38, 39), offrent aux élèves des recueils importants de pièces
caractéristiques où l'accentuation, la vélocité, la bravoure
sont traitées progressivement, avec un soin méthodique et
une rare ingéniosité, i»
Né à Rome le 28 mars 1811, Stamaty est mort à Paris le
19 avril 1870. Il avait reçu la croix de la légion d'honneur.
Parmi les pianistes virtuoses qui, subissant l'influence de
Thalberg, cultivèrent la fantaisie sur des motifs d'opéras,
Emile Prudent fut un des plus heureusement doués.
Né à Angoulème le 4 avril 1817, Emile Prudent entra au
Conservatoire de Paris en 1826. Après ses années d'étude,
introduit auprès du public parisien par Thalberg lui-même.
Prudent vit bientôt se former autour de liii un groupe d'ad-
mirateurs enthousiastes et fidèles. Comme compositeur, Pru-
dent ne dépasse pas le niveau des musiciens de salon ; sa
Fantaisie sur Lucie de Lammermoor fut, il est vrai, un des
succès de librairie les plus extraordinaires de l'époque et
cependant, malgré la parfaite élégance avec laquelle le pia-
niste a traité quelques-uns des thèmes du maître italien, ce
morceau appartient à un genre complètement démodé. On
peut en dire autant des compositions originales de Prudent ;
son concerto symphonique en Si b majeur (op. 34), a du bril-
lant. Ses morceaux de salon : Le réveil des féesy étude en Fa
mineur (op. 41), Les naïades, caprice-étude (op. 45), V Etude
de concert, en Mi h majeur (op. 28), ont de la fmesse, ce qui
n'empêche pas que le virtuose qui, de nos jours, mettrait ces
morceaux dans ses programmes de concert semblerait un
revenant d'un autre âge.
Par contre, comme exécutant. Prudent appartient à la caté-
gorie des grands virtuoses ; sur ce point, le témoignage de
ceux qui l'ont entendu est unanime ; son jeu présentait ce
mélange de grâce et de force auquel on reconnaît les vrais
- 324 —
artistes. Prudent est mort à Paris le 5 juin 1863 sans avoir
donné toute sa mesure.
Les œuvres de Prudent ont encore une certaine valeur
artistique ; il n'en est pas de même de celles écrites par quel-
ques compositeurs dont il suffira de rappeler les noms, leurs
compositions^ qui appartiennent complètement au genre
article de fabriqua, n'étant pour rien dans l'évolution musi-
cale du dix-neuvième siècle.
GORIA, Antoine-François (né en 1828 à Paris, mort le
i*"^ juillet 1860) ; auteur de fantaisies^ paraphrases sur des
motifs d'opéra; (\}xe\({\xe& Etudes de lui ont un réel mérite.
HONTEN, François (né le 26 décembre 1793 à Coblentz où il
mourut après avoir passé la plus g'rande partie de sa vie à Paris)
a écrit plus de 260 compositions pour piano, entre autres des Va-
riations militaires à quatre mains.
OSBORNE, George (né en 1806 à Limerick, Irlande, élève de
Kalkbrenner, professeur à Paris). Tout le monde a joué sa Pluie
de perles,
LEFËBURE-WÉLY, Louis (né à Paris le i3 novembre 181 7,
mort dans la même ville en 1869) ; org-aniste de talent; n'a com-
posé pour le piano que des bagatelles sans importcmce parmi les-
quelles Les cloches du monastère ont eu une certaine popu-
larité.
ROSELLEN, Henri (né à Paris en 181 1) ; auteur d'une foule de
compositions totalement oubliées.
Ravina, Jean-Henri (né à Bordeaux le 20 mai 1818) ; pro-
fesseur au Conservatoire de Paris dès Tàge de dix-sept ans ; a
formé de bons élèves et composé des Etudes^ des Fantaisies.
VOSS, Charles (né à Schmarsow, en 181 5, fixé à Paris) ; vir-
tuose et compositeur de morceaux brillants.
Les fabricants de Pot-pourris : F. BEYER, C.-T. BRUNNER,
J.-B. DUVERNOT, Th. ŒSTEN, n'ont écrit que des choses insij^ni-
fiantes à propos desquelles Weitzmann dit avec raison : « L'étude
de compositions aussi dépourvues de sens atrophie chez l'élève le
g'oût pour tout travail sérieux sans développer en aucune façon
son habileté technique ; le professeur consciencieux se g-ardera
donc bien de perdre le temps de ses élèves en leur faisant jouer
des œuvres de ce genre. »
— 325 —
Pour compléter Thistoire de Técole française de piano du-
rant la première moitié du dix-neuvième siècle, il convient
de rappeler les brillants succès remportés comme professeur
au Conservatoire de Paris par M">o J.-L. Farrenc et comme
virtuose par M*"« Marie Pleyel, dont les voyages à travers
l'Europe furent un long et perpétuel triomphe.
En Italie, Tart du chant occupe une place essentielle pour
ne pas dire exclusive dans le mouvement musical ; la mu-
sique instrumentale pure a pour Tltalien moins d'attrait que
Topera. La mélodie simple, caressante, lumineuse et chaude
comme un rayon de soleil, tour à tour spirituelle, exubé-
rante de gatté (Rossini, Le harbier de Séville) ou bien mélan-
colique et tendre (Bellini, Donizetti), naïve (Cimarosa) ou
passionnée (Verdi), exprime mieux que les savantes combi-
naisons harmoniques le génie musical propre aux races
latines. Cependant et malgré cette prédominance de la mu-
sique vocale au pays
Où Foranger rougit sod or dans la sombre verdure,
ritalie a eu, outre ses grands clavecinistes, des instrumen-
tistes distingués, un violoniste unique, Paganini, et des pia-
nistes de réel mérite, au nombre desquels il faut mentionner
en premier lieu un élève de Mozart, Frangesgo-Giuseppe
POLLINI, né en 1763 à Laibach, mort en 1847 à Milan. Com-
positeur fécond, Pollini est connu surtout par son ouvrage
théorique : Metodo per Clavicemhalo (Milan, G. Ricordi).
Réunis en assemblée générale le 16 novembre 1811, les pro-
fesseurs du Conservatoire de Milan déclarèrent que « cette
méthode reposait sur des règles précises, claires et inatta-
quables et qu'elle était digne de servir invariablement de
base à l'enseignement du piano dans toutes les écoles de mu-
sique de ritalie. i>
La première partie est consacrée à la position du corps,
des mains, au doigté de toutes les gammes ; on y trouve des
— 3>6 — -
exercices pour rendre les doigts indépendants les uns des
autres, pour faciliter le passage des deuxième, troisième et
quatrième doigts sous le pouce et du pouce sous les autres
doigts; Fauteur y traite théoriquement et pratiquement du
toucher, de l'échange des doigts dans Tattaque rapfde de la
même note, des passages en tierces, en sixtes brisées, des
accords arpégiés et des différents passages en octaves, tierces,
sixtes. Tous les exercices sont faits d'abord par la main
gauche seule, puis par la main droite seule, ensuite par les
deux mains ensemble, enfin par un mouvement contraire des
deux mains et dans les diverses tonalités. La seconde partie
s'occupe des mordants, grupetti, agréments, trilles, doubles
trilles, trille appliqué à des phrases mélodiques; Fauteur
pose des règles pour le doigté dans le style lié, pour le tou-
cher selon les divers signes d'expression, enfin pour le ma-
niement intelligent des pédales. La troisième partie renferme
des exercices en accords plaqués, des gammes en forme de
séquences dans tous les tons. Comme étude destinée au repos,
PoUini recommande les sonatines de Ferrari, Steibelt, Dus-
sek, les valses et monferrines de lui-même, les valses en
forme de rondos de Clementi.
Durant de longues années, professeur au Conservatoire de
Milan, Pollini a beaucoup écrit, des fantaisies^ des variations,
des rondos, des sonates, etc., mais aucune de ses composi-
sions ne s'est répandue au delà des limites de l'Italie.
Formé selon les principes de Pollini, un pianiste-compo-
siteur italien, ADOLPHE FUMAGALLI (né en 1828 à Inzago, dans
le Milanais, mort à Florence en 1856) a remporté de brillants
succès soit dans son pays, soit à l'étranger par sa prodigieuse
virtuosité, en particulier par l'étonnante dextérité de sa main
gauche.
Les compositions pour piano de Fumagalli sont dans le
goût du temps, mais avec une note bien personnelle. Dans
son caprice fantastique (op. 33), Fumagalli a introduit un
carillon dont l'elTet, à titre de curiosité, est très réussi ; le
thème est fort banal, mais, par la façon dont il est traité, il
— 327 —
produit sur l'oreille une sensation absolument pareille à celle
des instruments connus sous le nom de boite à musique.
Fumagalli s'est aussi montré habile transcripteur ; ses réduc-
tions au piano de la chanson populaire de Gordigiani: 0 san-
tissima vergine et d'une tarentelle de la Tonelli de A. Thomas
sont, la première d'une pénétrante douceur, la seconde d'un
éclat et d'une fougue incomparables. Une transcription de
motifs du Trovatore de Verdi pour deux pianos présente
d'autre part un fâcheux abus de procédés destinés à mettre
en évidence la virtuosité des exécutants et à produire la plus
grande somme de sonorité possible. Une mort prématurée
n'a pas permis à Fumagalli d'atteindre à cette maturité du
talent qui, selon toute apparence, eût fait de lui un des pre-
miers musiciens de l'Italie au dix-neuvième siècle.
Parmi les représentants du style brillant en Allemagne,
une place tout à fait exceptionnelle doit être réservée à trois
musiciens qui, tous trois, virtuoses hors ligne, furent en même
temps des compositeurs d'un réel mérite et dont les compo-
sitions pour piano, en particulier, appartiennent à ce que la
littérature pianistique possède de meilleur; ce sont: C.-M. de
Weber, J. Moscheles et F. Mendelssohn-Bartholdy.
C- H. DE WEBER
Né le 18 décembre 1786 àEutin, dans le Holstein, CHARLES-
Habie de Weber fit ses premières études à Salzbourg, sous
la direction de Michel Haydn. Les fruits de son travail se
manifestèrent dès l'âge de douze ans par la publication de
six fuguettes pour piano auxquelles succédèrent, quelques
temps après, une messe, des trios, des sonates, un opéra, etc.
Présenté en 1803 à l'abbé Vogler, théoricien célèbre, Weber
étudia avec lui non seulement le contrepoint, mais aussi les
œuvres des grands maîtres. Bien que faisant la part aussi
large que possible aux distractions de tous genres que Vienne
offrait à ses habitants, l'élève réalisa des progrès si prompts
et si considérables que déjà en 1804^ à Tâge de dix-huit ans,
il fut nommé chef d'orchestre au théâtre de Breslau.
Les années qui suivirent furent fécondes en dures expé-
riences; la situation politique de rAllemagne, l'opposition
haineuse de certains musiciens jaloux des succès du jeune
compositeur, les intrigues qui se nouèrent autour de sa per-
sonne, tout cela contribua à lui rendre la vie amère. L'invi-
tation adressée à Weber, par le prince Eugène de Wurtem-
berg, dilettante éclairé, de se fixer à Magdebourg avec le titre
d'intendant de la musique, sembla annoncer des jours meil-
leurs; malheureusement, en février 1807, le prince Eugène
fut obligé de renoncer à son théâtre et à sa chapelle. Sans
ressources, Weber tenta une tournée artistique; les résultats
en furent, au point de vue financier, si lamentables que le
grand musicien se trouva dans la nécessité d'accepter la
place de secrétaire du prince Louis, frère du prince Eugène.
Le séjour de Weber à Stuttgart se termina d'une façon inat-
tendue; mêlé malgré lui à des spéculations véreuses, le com-
positeur fut, bien qu'innocent, jeté en prison, puis expulsé
du pays, avec son père. H. Barbedette observe à ce sujet
qu'en éclairant Weber d'une façon douloureuse sur le carac-
tère de certains hommes, cet épisode « changea ses mœurs,
hâta la maturité de son jugement, lui marqua la droite voie,
fit de lui enfin un artiste respectueux de sa propre dignité
et fidèle à sa destinée. »
En quittant Stuttgart, le compositeur se rendit d'abord à
Mannheim, puis à Darmstadt où il retrouva son ancien
maître et ami, l'abbé Vogler. En 1810, il dirigea Sylvana à
Francfort; une tournée artistique le conduisit dans l'Alle-
magne du nord, en Suisse ; de retour dans son pays en 1812,
il habita successivement Berlin, Gotha, Weimar, Leipzig où
il remporta, en janvier 1813, un éclatant triomphe comme
exécutant et comme compositeur. Nommé directeur de l'opéra
à Prague, il remplit ces fonctions jusqu'en 1816. C'est durant
cette période de son activité que, subissant l'influence du
— 329 —
souffle patriotique qui passait sur l'Allemagne, Weber mit
en musique les chants de Kœrner : La chasse sauvage de
Lutzow, le Chant de Vépée^ la Prière avant la hatailley etc.
C'est également à la même époque qu'il écrivit pour piano
et orchestre une de ses œuvres les plus remarquables, le
Concerto en Fa connu sous le nom de Le croisé.
Le 18 janvier 1817, Weber prit la direction de l'opéra na-
tional allemand récemment fondé à Dresde. Les années qu'il
passa dans cette ville furent les plus heureuses de sa carrière.
Son mariage avec Caroline Brandt, l'aimable et gracieuse
artiste dont il avait fait la connaissance deux ans auparavant
à Prague, transforma son existence; en outre, l'accueil ré-
servé à ses œuvres capitales, en mars 1821, à Preciosa^ en juin
de la même année au FreischiUz, en 1823 à Euryanthe, rem-
plirent son cœur de joie; le bonheur qu'il goûta ne fut, à
vrai dire, pas sans mélange ; le perte d'un enfant tendrement
aimé jeta la désolation au foyer domestique ; les partisans
de la musique italienne ne ménagèrent pas les avanies au
créateur de l'opéra romantique national allemand ; après
vingt représentations, Euryanthe disparut du répertoire. Sur-
tout ce bonheur fut de courte durée.
En 1826, Weber s'engagea à écrire un opéra, Oberon, pour
Londres; se sentant malade, il mit en ordre ses affaires a vdnt
de partir pour l'Angleterre. Les artistes de l'opéra de Dresde
lui offrirent une représentation d'adieu, mais quand ils vou-
lurent entonner une cantate en son honneur, leurs voix furent
étouffées par des sanglots.
Le départ eut lieu le 5 février 1826 ; entendant fermer la
voiture qui emmenait son mari, Caroline Weber s'écria :
« C'est sa bière que j'ai entendu refermer sur lui. »
Le compositeur arriva à Londres dans les premiers jours
de mars; les répétitions commencèrent immédiatement; la
première représentation d'Oheron eut lieu le 12 avril à Covent-
Garden, en présence d'un public électrisé.
Le 26 mai, Weber joua pour la dernière fois du piano dans
un grand concert où l'orchestre dirigé par Cramer exécuta
— 330 -
les ouverture du Juhiléy d'Euryante et d'Oheron. Ayant la
conscience de la gravité de son état, le musicien se décida à
repartir pour son pays natal, t Le 4 juin, au soir, raconte
Barbedette, Weber parlait avec bonheur de son retour en
Allemagne; tout à coup sa voix s'altéra; il se retira dans sa
chambre, referma sa porte au verrou et voulut que personne
ne couchât auprès de lui. Ses amis se retirèrent à minuit,
fort efTrayés. Le lendemain matin, de très bonne heure, on
frappa à sa porte.... Le silence était mortel dans la chambre,
et Ton n'entendait que le bruit de la montre posée près du lit.
La porte fut enfoncée; Smart écarta les rideaux ; Weber était
mort depuis cinq heures environ *. »
La réputation de Weber repose essentiellement sur ses
opéras, sur le FreischiHz en particulier ; cependant ses com-
positions pour piano seul ou pour piano avec orchestre sont
remarquables; elles suffiraient à conférer à celui qui les a.
écrites des titres sérieux à la reconnaissance des amateurs de
bonne musique.
Pianiste de premier ordre, joignant aux avantages d'un
mécanisme très exercé celui d'avoir reçu de la nature des
mains admirablement appropriées aux exigences de la vir-
tuosité, Weber a introduit dans ses compositions pour piano
certains procédés nouveaux destinés à les rendre particuliè-
rement brillantes. C'est ainsi que par l'emploi d'accords pla-
qués exigeant une extension considérable des doigts de la
main gauche, il donne à la partie d'accompagnement une
richesse de son peu commune. Des passages tels que celui-ci
(emprunté au dernier morceau du concerto en Fa (op. 79),
dit Le croisé) :
Ètfftttt.P^t-t
ne sont pas rares dans les œuvres pour piano de l'auteur du
Freischûtz.
< Barbedelte, C.-M. de Weber, p. 90.
— 331 —
Dans la sonate en La h majeur (op. 39), on trouve les ac-
cords arpégiés suivants à la main gauche :
vm J j- '
Chez Weber, la main gauche est toujours intéressante,
même quand elle ne fait qu'accompagner. Dès la cinquième
mesure du premier allegro de la sonate en Ut majeur (op. 24),
on remarquera cette phrase de la main gauche :
P^^T^M^^^^M P^ \
qui a beaucoup de charme ; dans le même morceau, les
trilles de la main gauche produisent un excellent effet, sur-
tout si on les considère dans leurs rapports avec les passages
que la main droite exécute.
Au reste, il n'est point rare que Weber n'attribue le chant
à la main gauche et l'accompagnement à la main droite ; cette
interversion de l'ordre normal ne manque pas d'attrait ; le
passage suivant du Rondo brillant en Mi h majeur (op. 62) :
est tout à la fois gracieux et spirituel ; la phrase que, dans le
rondo de la sonate en Ré mineur (op, 49), Weber confie à la
— 332 —
main gauche a un tour ingénieux dont Mendelssohn parait
s*être souvenu dans son Rondo capincioso et quand, un peu
plus loin, la mélodie chantée par la main droite se combine
avec celle de la main gauche, on a, peu s'en faut, Tillusion
d'un duo exécuté par deux voix parfaitement harmonisées.
D*une manière générale, la mélodie, poétique en même
temps que populaire, coule à pleins bords dans les œuvres
de G.- M. de Weber, dans ses compositions pour piano non
moins que dans ses opéras. A côté de cela, la note dominante
est la note chevaleresque ; on la rencontre fortement accusée
dans les polonaises comme dans les rondos, dans les sonates
comme dans les concertos.
Outre les sonates et concertos, compositions magistrales,
Weber a écrit pour le piano des variations dont les plus inté-
ressantes sont celles sur la romance de Joseph de Méhul :
« A peine au sortir de V enfance » (op. 28), un Momento capric-
cioso en Si b majeur (op. 12), une polonaise en Mi b majeur
i^op. 21), une seconde polonaise en Mi majeur (op. 72), composi-
tion orchestrée et paraphrasée par Liszt, dont le crescendo en
Si majeur a les allures d'une charge de cavalerie ; à ce propos,
il convient de noter que la gradation sonore allant du pianis-
simo au fortissimo appartenait aux procédés d'exécution par
lesquels Weber procurait à ses auditeurs de vives émotions.
De toutes les œuvres pour piano seul, les plus connues sont
L'invitation à la valse en Ré h majeur (op. 65) et le Rondo
brillant en Mi b majeur (op. 62) ; elles appartiennent à ce que
la littérature pianistique possède de meilleur. Par contre,
les compositions pour piano à quatre mains sont aujourd'hui
complètement délaissées ; elles sont, au reste, très inférieures
aux pièces à quatre mains écrites par Schubert.
Les Sonates pour piano de Weber figurent rarement sur
les programmes de concerts ; cela est fâcheux, car toutes
sont remarquables à divers titres. La première, en Do ma-
jeur (op. 24), comprend un allegro risoluto d'un caractère
très dramatique, un adagio en Fa majeur d'une inspiration
élevée, avec un épisode extrêmement passionné, un minuetto
— 333 —
en Mi mineur dont le trio en Mi majeur est un joyau d'un
prix inestimable, et enfin un rondo en Do majeur qui, exécuté
presto, est d'un effet étourdissant. Ce morceau étant composé
d'un trait en doubles croches qui n'est pas interrompu de la
première mesure à la dernière, on le désigne habituellement
sous le nom de « mouvement perpétuel. »
Les sonates en La b majeur (op. 39), en Ré mineur (op. 49),
en Mi mineur (op. 70), sont également fort intéressantes ; on
en trouvera une analyse judicieuse dans l'ouvrage de Barbe-
dette précédemment cité : Ch,-M, de Weber (p. 133-136).
Les deux premiers concertos, (op. 11) en Do majeur et
(op. 32) en Mi b majeur renferment des beautés de premier
ordre. « Comme sobriété de développement, énergie de la
pensée, ce sont deux pièces incomparables, » écrit Barbe-
dette. Toutefois, c'est .le troisième concerto {Le croisé), Con-
cert Stûck (op. 79), qui seul a conservé le privilège de rester
au répertoire des pianistes-virtuoses contemporains, ce qui
s'explique non seulement par la valeur intrinsèque de l'œuvre,
mais aussi par le fait qu'elle fournit à l'exécutant de nom-
breuses occasions d'exhiber sa virtuosité.
Au nombre des nouvelles éditions des œuvres de Weber pour
piano, il faut mentionner: Sonates et morceaux de salon,
édités par Liszt, 2 vol., chez J.-G. Gotta. Œuvres pour pianoforte,
éditées par G. Reinecke, Breitkopf et Hârtel. Œuvres complètes,
en 3 vol., Peters ; en i vol., Litolff.
En 1864, le baron Max-Marie de Weber, ing'énieur, dernier
fils survivant du grand compositeur, a publié une biog'raphie de
son père en trois volumes. En lang'ue française, la notice sur
Weber insérée dans le Ménestrel, puis tirée à part, par M. H. Bar-
bedelte, est très documentée.
Le successeur de G.- M. de Weber, dans ses fonctions de maître
de chapelle à Dresde fut CHARLES-GOTTLIEB REISSIGER (1798-
1859), auteur de quelques opéras, d'un oratorio, de symphonies.
— 334 —
ouvertures, de trios et de quelques compositions pour piano qui
ont du charme, mais dans lesquelles il a fait trop de concessions
au g'oût du grand public.
Un contemporain de Weber, LOUIS BOHNER, né en 1787 à
Tôttelstadt, près Gotha, organiste et pianiste-compositeur^ fit de
nombreuses tournées artistiques en Allemagne. Dans les dernières
années de sa vie, Bôhner se retira en Thuringe où* il vécut à peu
près comme un sauvage. Bôhner a publié cinq concertos pour
piano, une sonate^ un cappricioy des danses, œuvres totalement
ignorées de la génération actuelle. Ce singulier musicien, dont le
conteur Ë.-T,- A. Hoffmann a tracé le portrait sous la figure de
Kreisler, prétendcdt que la plupart des motifs du Freischûtz de
Weber étaient des plagiats de ses propres œuvres ; il a été prouvé
que cette prétention ne reposait sur aucun fondement sérieux.
Bôhner est mort près de Gotha le 28 mars z86o, dans le dénue-
ment le plus complet.
HOSCHELES
Tandis que la musique dramatique est la sphère où se
meut le génie de Weber, celle où se déploie le talent de Mos-
cheles est exclusivement la musique de piano et dans ces
limites restreintes, essentiellement les compositions ayant un
caractère pédagogique; Moscheles a beaucoup écrit, mais
seules ses Etudes ont survécu et, à elles seules, elles suffisent
à classer celui qui les a composées parmi les meilleurs mu-
siciens de son époque.
Né le 30 mai 1794 à Prague, IGNACE MOSCHELES commença
dès rage de dix ans Tétude des chefs-d'œuvre de J.-S. Bach^
de Mozart, sous la direction de Dyonisius Weber. En 1808,
le jeune pianiste se fit connaître comme virtuose; encouragé
par les succès qu'il remporta, il se rendit à Vienne afin d'y
étudier la composition avec Albrechtsberger. Les années
d'apprentissage terminées Moscheles inaugura les années de
voyages par une tournée artistique en Allemagne qui fut
triomphale. A Paris, en 1820, puis à Londres, où il se fixa,
Moscheles fit sensation. Accueilli en Angleterre avec beau-
coup de sympathie, l'éminent artiste, qui était en même
— 335 -
temps un homme de bonne compagnie, un noble caractère,
se créapromptement une position extrêmement avantageuse.
Sauf quelques voyages, en Allemagne (1824)» à Bruxelles
(1835), à Paris (1839), au cours desquels il fit entendre son
concerto en Sol mineur, Moscheles resta à Londres jusqu'en
1846, époque à laquelle il fut nommé professeur au Conser-
vatoire de Leipzig, fonctions qu'il remplit jusqu'en 1870,
année de sa mort.
Le catalogue des œuvres de Moscheles comprend 173 com-
positions dont 142 numérotées. Quelques-unes écrites essen-
tiellement au point de vue de l'habileté technique de l'exé-
cutant sont d'importance secondaire ; ainsi les Rondos : Les
charmes de Paris (op. 54), Les charmes de Londres (op. 74), La
petite babillarde (op. 66) ; un Rondoletto : La Tenerezza (op. 52);
des polonaises, des variationSy des divertissements ; ces compo-
sitions ont en outre un parfum vieillot qui n'en favorise pas la
circulation. Les sonates et les concertos ont une valeur artis-
tique plus durable. La sonate mélancolique (op. 49), la grande
sonate à quatre mains (op. 47), le concerto pathétique (op. 93),
le concerto en Sol mineur (op. 58), le concerto en Mi majeur
(op. 56) et pour deux pianos le : Hommage à Hàndel (op. 92)
sont des œuvres estimables dans lesquelles le compositeur,
tout en faisant large là part à l'éclat, au brillant de la forme,
ne néglige pas le fond, seul capable d'assurer à une compo-
sition musicale une place d'honneur dans la littérature du
piano.
C'est toutefois essentiellement sur ses travaux pédagogiques
que repose la réputation de Moscheles. On ne joue plus ses
sonates, ses concertos, on joue toujours ses Etudes et il est à
prévoir qu'on les jouera aussi longtemps que le piano sera
étudié avec ferveur. Peut-être les Etudes de Liszt ont-elles
plus de mouvement; peut-être les Etudes de Chopin ont-elles
plus de poésie; ni les unes ni les autres n'égalent celles de
Moscheles au point de vue de la pédagogie musicale. Riches
en procédés et en effets nouveaux, les Etudes (op. 70) com-
prennent 24 morceaux caractéristiques dans les différentes
— 336 —
tonalités majeures et mineures avec doigté et explications
sur le but de l'étude et la manière de Texécuter. Les Aau-
velles études caractéristiques (op. 95), les Quatre grandes
études de concert (op. 111) ne sont pas moins intéressantes;
elles sont des modèles du genre, c Ces pièces, écrit Mar-
montel, d'un travail excellent au point de vue du mécanisme
et des difficultés spéciales, sont toutes remarquables par le
choix de la pensée musicale, la variété et la contexture des
traits, enfin par les harmonies ingénieuses et piquantes qui
en rehaussent le ton et leur donnent une couleur énergique,
expressive et dramatique*. »
Parlant de Moscheles, exécutant, le même auteur ajoute :
a Virtuose de premier ordre, Moscheles se distinguait par
une exécution magistrale, beaucoup de naturel et de vérité
dans l'expression. Exécutant plein de verve, mais toujours
maître de lui, visant moins à l'effet qu'au bien dire, il com-
mandait l'attention par la noblesse de son style, sa belle
sonorité, sa manière simple et large de phraser. Rien n'était
laissé à l'imprévu, ni dans les grandes lignes, ni dans les
moindres détails de l'interprétation ; la supériorité de l'artiste
était aussi réelle dans les passages brillants que dans les con-
tours légers des ornements *. >
La veuve de Moscheles a publié des fragments du journal
de son mari, en deux volumes de plus de 300 pages chacun.
Commencé le l^^»" avril 1814 et poursuivi jusqu'au 31 décembre
1869, ce Journaly dans lequel Moscheles a consigné ses obser-
vations, ses impressions, avec une absolue sincérité, est une
contribution importante à l'histoire de la musique au dix-
neuvième siècle, il fournit des renseignements précis non
seulement sur Moscheles lui-même, mais aussi sur tous les
musiciens avec lesquels l'éminent artiste a été en relation
intime en Allemagne, en France, en Angleterre. Il n'y a
guère de virtuose contemporain dont le nom ne figure pas
dans cet ouvrage et qui ne soit l'objet de jugements très indé-
^ MarmoDtel, Silfiouettes et médaiUons, p. 191. — ^ Id., p. 192.
— 337 —
pendants, mais généralement empreints d'une extrême bien-
veillance.
* *
£q collaboratioQ avec Fétis, Moscheles a publié chez Schle-
singer, à Berlin, une Méthode des méthodes^ art de jouer du
piano tel qu'il résulte des meilleurs ouvrages théoriques de Bach,
Marpurg, Tûrk, etc. Cette publication a joui naguère d'une répu-
tation méritée.
Un collègue de Moscheles au Conservatoire de Leipzig, le cé-
lèbre théoricien: HORITZ HAUPTMANN (i 792-1868) a laissé six
sonates pour piano et violon.
Moscheles portait à ses élèves un intérêt soutenu ; les plus
connus sont:
Henri LITOLFF, né en 1820 à Londres, pianiste virtuose de
grand talent. LitolfiP a composé surtout de la musique de salon ;
dans ses compositions pour piano, il use fréquemment des arpèges
à la main droite, tandis que la mélodie est confiée à la main
gauche ; le Chant de la Pileuse est le spécimen le plus achevé
des effets que Ton peut obtenir au moyen de ce procédé. Quelques
œuvres du même compositeur ont plus de portée : six Etudes de
concert (op. 18); Tarentelle infernale (op. 79); Grand caprice
de concert (op. 87) ; des concertos symphoniques^ genre créé par
Litolff ; le second, en Si mineur (op. 22), ne manque pas d'in-
térêt.
Robert RADEGKE (né en i83o) s'est fait apprécier à Berlin
comme professeur de piano.
LÉOPOLDINE BLAHETKA (née en 1809) a parcouru une brillante
carrière musicale ; ses compositions n'en sont pas moins de nos
jours totalement ignorées.
HENDELSSOHN-BARTHOLDT
Dernier représentant de recelé classique par le souci cons-
tant de la forme, en même temps précurseur du romantisme
par rinspiration poétique, interprète consciencieux des chefs-
d'œuvre du passé, compositeur de premier ordre, chef d'or-
chestre impeccable, pianiste hors ligne, aussi remarquable
par la distinction de l'esprit que par la noblesse du caractère,
BIST. DU PIANO 22
.'K
— 338 -
FÉLIX MENDELSSOHN-BarTHOLDT mériterait une étude embras-
sant les diverses sphères de son activité. Le cadre que nous
avons adopté nous oblige à nous restreindre à ce qui inté-
resse l'histoire et la littérature du piano, mais comme chez
Mendelssohn la production artistique est en relation intime
avec le cours général de la vie, l'analyse des principales
œuvres du maître doit être précédée, accompagnée de quel-
ques notes biographiques que Ton s'efforcera de rendre aussi
brèves que précises.
JAGOB-LOUIS-FËLIX Mendelssohn est né le 3 février 1809 à
Hambourg, dans un milieu éminemment favorable à son dé-
veloppement artistique. Son père, Abraham Mendelssohn,
aimait la musique, et sa mère, Léa, née Salomon, avait, dit-
on, fait du foyer domestique la demeure « des muses et des
grâces. i>
Les aptitudes musicales se révélèrent de très bonne heure
chez Mendelssohn ; à l'âge de huit ans, il étonnait par la per-
fection précoce de son jeu et à l'âge de douze ans, il compo-
sait une sonate pour piano dont le début :
Allegro,
n'est point banal ; si le troisième morceau, un presto^ ne sort
pas du cliché traditionnel, l'inspiration mendelssohnienne
apparaît déjà en germe dans cette jolie modulation de
l'adagio :
-039 —
Publiée seulement en 1868, cette sonate n'est à coup sûr
pas un chef-d'œuvre ; elle n'en trahit pas moins une matu-
rité d'esprit, une habileté de facture que l'on est étonné de
rencontrer chez un aussi jeune musicien.
En 1814, la famille Mendelssohn s'était fixée à Berlin où
le jeune Félix devait rencontrer divers éléments particuliè-
rement propices à l'épanouissement de son génie. C'était
d'abord le mouvement musical qui présentait à Berlin une
intensité exceptionnelle et qui avait pour principaux centres
l'opéra, la Singakademie et les concerts d'abonnement ; c'était
en second lieu la réunion de maîtres éminents, Zelter pour
l'harmonie, L. Berger et J. Moscheles pour le piano ; c'était
enfin la participation de toutes les notabilités musicales berli-
noises aux séances intimes organisées chaque dimanche dans
la maison Mendelssohn. Subissant l'infiuence de ces différents
courants, le futur grand artiste, sans négliger les études litté-
raires, philosophiques pour lesquelles il avait un goût pro-
noncé, s'engagea cependant avec toujours plus de résolution
dans la carrière artistique que Moscheles et, plus tard, Che-
rubini, en 1825, lui conseillèrent vivement de parcourir.
Immatriculé en 1827 à l'université de Berlin, Mendelssohn
suivit des cours d'histoire et de philosophie, mais il n'en fit
pas moins de la musique la préoccupation dominante de son
esprit ; les compositions vocales, instrumentales, pour piano,
pour orchestre (ouverture du Songe d'une nuit d été) se succè-
dent rapidement. Chef d'orchestre incomparable Mendelssohn
acheva de conquérir la sympathie du monde musical en diri-
geant, le 10 mars 1829, la Passion selon saint Matthieu de
J.-S. Bach. Le succès fut énorme. Cette première audition
d'une œuvre à peu près oubliée en Allemagne marque une
date dans l'histoire de la musique et dans la vie de Mendels-
sohn ; elle clôt les années d'apprentissage auxquelles vont
succéder les années de voyage. Avant d'accompagner le mu-
sicien dans ses pèlerinages à l'étranger, il faut caractériser
brièvement les œuvres pour piano qui appartiennent à la
première période de sa vie.
— 340 —
Outre la Sonate précédemment mentionnée, Mendelssohn
a écrit de 1821 à 1829 deux soncUeSy un capriccio, sept mor-
ceaux caractéristiques et trois fantaisies :
Le capriccio en Fa ^ mineur (op. 5) a de la verve ; joué
prestissimo il produit un certain effet ; ce n'est cependant
pas une œuvre de très grande valeur, surtout si on la com-
pare à d'autres produits du génie mendelssohnien. Ainsi les
sonates op. 6 et op. 106, qui ne sont pas non plus des compo-
sitions de premier ordre, sont beaucoup plus intéressantes,
surtout par les traits, les formes, les procédés particuliers à
Mendelssohn qu'elles renferment.
La Sonate en Mi majeur (op. 6) comprend trois numéros
dont le troisième se subdivise en différentes parties étroite-
ment liées à Tallegro final. Le premier morceau, en Mi ma-
jeur, a pour thème principal une mélodie très expressive :
qui est tout à fait dans le caractère de la musique de Men-
delssohn; ce qui n'appartient pas moins aux procédés spé-
ciaux du compositeur, c'est la répartition soit de la mélodie,
soit de l'accompagnement entre la main droite et la main
gauche, comme dans le passage que voici :
^^^^
— 341 —
-"^
^m-n
^f~r~r
L'effet produit par cette combinaison ingénieuse est des
plus charmants.
Le second morceau (tempo di minuetto), en Fa J| mineur,
est écrit selon le cadre traditionnel ; il est fort loin d'égaler
les compositions du même genre de Beethoven ou de Schu-
bert. Le troisième morceau se compose d'un Recitativo dans
le style des anciens maîtres, d'un andante de neuf mesures en
Fa Jl majeur et d'un allegretto con expressione en Mi majeur.
Ce dernier fragment, qui ne compte que six mesures et dont
on ne saisit pas bien la raison d'être, ramène le récitatif au-
quel succède l'andante, cette fois-ci en Si h majeur, puis
enfin l'allégretto qui, par une modulation de La h majeur et
Mi majeur, introduit le quatrième morceau, un Molto allegro
e vivace qui a beaucoup d'élan, de vigueur en même temps
que de grâce et de légèreté. Ainsi que c'est fréquemment le
cas chez Mendelssohn, l'œuvre entière s'achève par un retour
au thème initial du premier morceau.
La Sonate en Si b majeur (op. 106), achevée à Berlin le
31 mai 1827, mais éditée seulement en 1828, comprend aussi
quatre morceaux dont le second et le troisième portent le plus
fortement l'empreinte de l'individualité musicale du compo-
siteur ; le premier, un allegro vivace en Si h majeur, page
pleine de bravoure, a cela de particulier que la première
reprise se termine en Sol majeur et non pas sur la dominante,
comme c'est le cas habituellement dans les sonates ; le der-
nier, un allegro moderato^ a beaucoup de charme ; il trahit
le pianiste achevé dont le jeu était toujours d'une limpidité
parfaite.
— 342 —
Mais c'est surtout dans le second morceau, un scherzo en
Si b mineur, et dans le troisième^ un andante qiuisi allegretto
en Mi majeur, que Mendelssohn se montre avec les traits
caractéristiques de son génie; le scherzo est un badlnage
plein d'esprit et de finesse, une évocation de gnomes et de
lutins et l'andante est un spécimen du Lied, de cette forme
musicale dans laquelle le musicien-poète devait exceller.
Mendelssohn, exprimant sous une forme correcte, classique,
des impressions musicales puisées à la double source de la
fantaisie et de l'intimité, est tout entier en germe dans ces
deux morceaux.
Les mômes particularités de style sont visibles dans les
Sept pièces caractéristiques publiées en 1827 ou 1828. La pre-
mière, un andanie en Mi mineur, la sixième, également un
andante en Mi mineur ont l'intimité du Lied ; la seconde,
Allegro vivace en Si mineur, la quatrième, Con moto en La
majeur, sont des espèces de toccates de facture franche et
belle, la troisième en Ré majeur et la cinquième en La ma-
jeur sont toutes deux dans le style fugué que Mendelssohn
traitait avec une rare maîtrise. Enfin la septième, un presto^
est un badinage étincelant d'une allure entraînante et d'une
verve intarissable.
Les Trois fantaisies ou caprices (op. 16) appartiennent à la
même période que les pièces caractéristiques ; on y retrouve
aussi les mêmes traits distinctifs; dans la première, un
allegro vivace encadré entre deux andantes en La mineur
(le second répétant la phrase initiale du premier) : cette
phrase gracieuse d'un cachet bien mendelssohnien :
dans la seconde, un Presto en Mi mineur : une verve éton-
nante, de mystérieux gazouillements, des sonneries de trom-
— 343 —
petteSy un coda final qui semble une échappée au pays des
rêves :
8<
^=i^4^
Ped.
et enfin, dans la troisième, un andante en Mi majeur : une
pensée musicale en forme de Lied :
— 344
etprettitfo
dont l'inspiration a beaucoup de poésie et dont les dévelop-
pements sont toujours intéressants. Ces trois morceaux sont
en outre écrits avec cette pureté de la forme qui imprime
un caractère éminemment classique aux compositions de
Mendelssohn.
En avril 1829, Mendelssohn arriva en Angleterre où il fut
accueilli avec une extrême bienveillance non seulement par
la famille Moscheles, mais aussi par le public anglais en
général. La faveur dont le musicien allemand fut immédia-
tement l'objet tenait à plusieurs causes ; d'abord il se pré-
sentait non comme un mercenaire demandant de l'argent
en échange des jouissances artistiques qu'il procurait, mais
comme un artiste étranger uniquement désireux de se créer
une réputation solide par l'interprétation correcte de ses
œuvres ; en outre, son nom jouissait d'un certain prestige,
preuve en soit le soin avec lequel les journaux, annonçant
son premier concert, rappelèrent qu'il était petit-fils du
a célèbre philosophe Moses Mendelssohn ; » enfin Mendels-
sohn, riche, adulé, se présentait dans tout l'éclat de la jeu-
nesse, ayant tout ce qu'il faut pour séduire, si l'on en croit
le portrait que voici : « Deux prunelles d'un bleu sombre
jetaient des lueurs ardentes à travers de longs cils noirs, sur
les lignes pures d'un visage olivâtre, où rayonnait une puis-
sante expression de calme, et le front uni se dégageait sou-
riant sous une masse de boucles soyeuses, sombre et char-
mante parure à laquelle l'imagination, involontairement,
entremêlait des lauriers. Des membres nerveux et souples,
un buste déjeune esthète supportaient cette tête de médaillon
antique, et le rendaient singulièrement apte à tous les exer-
— 345 —
cices du corps. C'est ainsi que, semblable aux beaux jeunes
gens de Platon, il excellait dans la lutte, à la nage, était le
meilleur cavalier, et n'avait pas, dit-on, son égal à la salle
d'arme et au gymnase, d
Le premier séjour de Mendelssohn en Angleterre ne fut
pas de longue durée; la saison d'hiver le ramena sous le toit
paternel, mais dès le printemps 1830, il reprit le bâton de
pèlerin et visita successivement Weimar, où il fut l'hôte de
Gœthe, Munich, Linz, Presbourg, Venise. L'arrivée en Italie
fut pour le musicien allemand une heure d'enchantement:
« Me voici donc en Italie I s'écrie-t-il. Ce qui a été pour moi,
depuis l'âge de raison, le plus beau rêve de la vie, se réalise
enfin et j'en jouis à cette heure. »
Après Venise, Florence ; en novembre le voyageur atteignit
Rome où il passa l'hiver. En 1831, Mendelssohn parcourt la
péninsule en tous sens ; il visite Naples pour revenir à Rome,
passer à Florence, Milan, gagner la Suisse, toucher barre en
Allemagne et débarquer à Paris en novembre de la même
année.
La vie parisienne paraît avoir enchanté Mendelssohn qui
écrivait en date du 21 décembre 1831 : « Je vis comme un
païen ; soir et matin dehors ; aujourd'hui chez Baillot, demain
chez des amis de Bigot, après-demain chez Valentin, lundi
chez Fould, mardi chez Hiller, mercredi chez Gérard, et
toute la semaine dernière, j'ai déjà mené la même vie. » Cer-
tains ridicules excitent sa verve caustique, ainsi Ja manie
des décorations; il ne faut cependant pas juger trop sévère-
ment le ton badin sur lequel il parle des médailles d'or ac-
cordées simultanément à Herz, à Erard et à Pleyel pour leurs
pianos ; ce sont là licences permises à un frère écrivant à sa
sœur dans un langage moitié sérieux, moitié plaisant ; d'un
autre côté, il convient de prendre bonne note des termes
dans lesquels Mendelssohn s'est exprimé sur la supériorité
avec laquelle quelques-unes de ses compositions pour or-
chestre furent jouées au Conservatoire de Paris : a Les artistes,
écrit-il à ce propos, exécutent admirablement bien et d'une
— 346 —
manière si intelligente que c'est un vrai bonheur de les en-
tendre; comme ils prennent eux-mêmes plaisir à ce qu'ils
jouent, ils ne s'épargnent pas la peine ; leur chef est un mu-
sicien accompli et d'une habileté consommée, aussi l'ensemble
est-il parfait. i^ De la part d'un Allemand, un tel jugement
porté sur des artistes français fait un égal honneur à ceux
qui en furent l'objet et à celui qui l'a formulé.
Après une rapide excursion en Angleterre (avril 1832),
Mendelssohn rentra au pays natal dans l'intention de s'y fixer
déHnitivement. Le vieux Zelter venait de mourir, laissant
vacante la place de directeur de la Singakademie à Berlin.
Le grand musicien, qui venait d'être acclamé à Londres et à
Paris, était naturellement désigné pour remplir ces impor-
tantes fonctions. Cédant au vœux de ses parents et de ses
amis, Mendelssohn se présenta; il ne fut pas nommé; on lui
préféra Rundenhagen, un musicien qui n'était pas sans
mérite, mais qui était loin d'être à la hauteur de son concur-
rent. Ce fut pour Mendelssohn une cruelle mortification ;
6 du pre-
mier cahier), Venetianisches Gondelliedy et celle en Fa ^ mi-
neur (dernier numéro du second cahier, N<> 42 de la collec-
tion entière), également désignée sous le nom de VeneHa-
nisches Gondellied. Souvenir du voyage en Italie, ces deux
compositions sont également remarquables, la seconde en
particulier avec ses trois trilles prolongés qui semblent un
long cri venant trois fois de suite troubler le silence de la
nuit.
 la même période de l'activité de Mendelssohn se ratta-
chent trois compositions pour piano et orchestre : le Ca-
priccio brillante (op. 22) dont l'introduction, un andante en
Si majeur, est un Lied très développé ; le Rondo brillant en
Mi bémol majeur (op. 29), œuvre entraînante, mais prolixe
et surtout le premier Concerto en Sol mineur (op. 25), com-
posé en 1832, édité en 1833, un des meilleurs concertos pour
pianos qui existent, ceux de Beethoven exceptés.
Au point de vue de « l'art pour l'art, » le concerto en Sol
mineur de Mendelssohn est une œuvre parfaite ; tous les
éléments essentiels du beau musical s'y rencontrent. La pro-
portion entre les trois parties du concerto ne laisse rien à
désirer, de telle sorte que si Ton considère cette œuvre dans
son ensemble, on éprouve une sensation analogue à celle que
l'on ressent en présence d'un monument architectural entre
les diverses parties duquel règne la plus heureuse symétrie.
Entre les deux allégros, le premier en Sol mineur, le second
en Sol majeur, le morceau central en Mi majeur, est un Lied
chanté par le piano et l'orchestre dans lequel, comme au
— 351 —
reste dans l'œuvre entière, la fusion entre l'orchestre et le
piano est complète. D'un autre côté, le contraste entre le
mineur du premier morceau et le majeur du troisième mor-
ceau, entre l'animation des deux allégros et le mouvement
modéré, calme de Tandante, introduit un élément de variété
dans cette œuvre dont l'unité est fortement maintenue non
seulement par la prédominance de la tonalité principale,
mais aussi par le fait que dans ses modulations le composi-
teur n'emploie que des tons voisins du ton fondamental. On
remarquera en particulier la façon naturelle, simple, par
laquelle Mendelssohn rattache le second morceau en Mi ma*
jeur au premier en Sol mineur en passant par les intermé-
diaires que voici :
Sol mineuvy
Sol majeur.
Mi mineur.
Si majeur,
Mi majeur.
La transition du second morceau, en Mi majeur, au troi-
sième, en Sol majeur, s'opère également sans secousse,- sans
effort, d'une manière absolument satisfaisante pour l'oreille.
Ce que l'on ne saurait enfin trop louer dans ce concerto, c'est
le fait que le compositeur ne sacrifie jamais au pur virtuo-
sisme; môme dans les traits les plus propres à mettre en
lumière la virtuosité de l'exécutant, le souci de la beauté
artistique est toujours dominant; cela est visible dans les
passages en octaves, dans les gammes rapides de la première
et de la troisième partie, surtout dans les fragments de l'an-
dante où le piano a la partie d'accompagnement; rien de
plus léger, de plus gracieux, de plus poétique que les fines
arabesques qui accompagnent la mélodie soupirée par l'or-
chestre.
Les mêmes qualités de finesse et d'élégance en même temps
que de virile énergie se retrouvent dans le troisième morceau.
D'une manière générale, le premier concerto de Mendels-
sohn est une de ces œuvres qu'on ne se lasse pas d'entendre
— 352 —
et dont l'étude peut, sous tous les rapports, être d'un très
grand profit.
La nomination de Mendelssohn aux importantes fonctions
de directeur des concerts du Gewandhaus, à Leipzig, en
1835, eut pour résultat de le fixer définitivement en Alle-
magne. A l'exception de quelques excursions en Angleterre,
l'activité du maître se partagea dès lors essentiellement entre
Leipzig et Berlin.
Les concerts du Gewandhaus jouissaient d'une réputation
européenne ; Mendelssohn leur donna un éclat nouveau soit
par la composition des programmes, soit par une façon gé-
niale de diriger l'orchestre. Les œuvres du maître, en parti-
culier, furent exécutées avec un grand succès.
L'exécution du Lobgesang à l'église de Saint-Thomas, le
25 juin 1840, au Gewandhaus, le 3 décembre de la même
année, attira sur Mendelssohn l'attention de Frédéric-Guil-
laume TV, qui avait l'intention de fonder à Berlin une aca-
démie comprenant quatre classes : peinture, sculpture, archi-
tecture, musique, et qui jugea que nul n'était mieux qualifié
que Mendelssohn pour prendre la direction de la section
musicale. Après de longs pourparlers, Mendelssohn accepta
les offres très honorables qui lui étaient faites, mais non sans
ajouter que son acceptation était la pomme la plus acide dans
laquelle il eût jamais planté les dents.
L'éminent artiste fut cependant accueilli à Berlin avec une
extrême sympathie ; l'oratorio Paulus, la musique d'Antigone
enthousiasmèrent les Berlinois. Malgré la considération dont
il fut l'objet, Mendelssohn se sentit dépaysé dans la capitale
de la Prusse; après un voyage en Suisse et en Angleterre, il
revint à Leipzig en 1842.
Au commencement de 1843, le Conservatoire de Leipzig
fut fondé; le programme des cours parut le 16 janvier; les
premiers maîtres étaient :
Mendelssohn, pour la composition,
Hauptmann, pour le contrepoint,
R. ScHUMANN, pour le piano.
- 353 -
David, pour le violon,
Becker, pour l'orgue.
A ces noms s'ajoutèrent plus tard ceux de Plaidy, Klengel
(violoniste), Moscheles. Avec un personnel de ce genre le
Conservatoire de Leipzig vit bientôt les élèves affluer de
toutes les parties de l'Europe. Par la direction hautement
artistique qu'il imprima à l'éducation musicale, cet établis-
sement rendit à la musique des services inappréciables.
Sur ces entrefaites, de nouvelles négociations furent ten-
tées dans le but d'attirer Mendelssohn à Berlin. Il y répondit
d'abord par un refus formel, puis, séduit par l'espoir de
trouver dans le chœur de la cathédrale (Domchor) un puis-
sant auxiliaire dans ses essais de restauration de la musique
religieuse, il céda. Malheureusement, ce second séjour du
maître sur les rives de la Sprée fut encore plus fécond que
le premier en décevantes expériences. L'opposition du con-
servatisme berlinois et surtout du Consistoire de l'Eglise
luthérienne à toute innovation fut si inintelligente et si tra-
cassière qu'au bout de quelques mois Mendelssohn demanda
à être déchargé des fonctions de directeur des concerts de la
chapelle royale qui lui avaient été confiées, ce qui lui fut
accordé avec les remerciements d'usage pour services rendus.
De 1844 à 4847, le grand artiste est tantôt à Leipzig, tantôt
à Berlin, tantôt en Angleterre, dirigeant ses admirables ora-
torios : Elle, Paulus, Athalie, la musique d'Antigone, la Wal-
purgisnacht, etc., et partout recueillant des témoignages
émuSy enthousiastes de reconnaissance et d'admiration. Cette
longue suite de triomphes fut brusquement interrompue par
un événement aussi douloureux qu'inattendu.
Le 17 mai 1847, Fanny Hensel, sœur aînée de Mendelssohn,
dirigeait la répétition d'un chœur de sa composition que l'on
devait chanter le dimanche suivant dans une réunion de
famille. Elle était assise au piano quand elle se sentit subi-
tement indisposée, ses mains s'affaissèrent inertes sur le
clavier; elle perdit l'usage de la parole et bientôt après
tomba dans une syncope dont les secours médicaux les plus
mST. DU PIANO 23
— 354 —
prompts furent impuissants à triompher. A onze heures de
la nuit, Fanny Hensel mourait d'un épanchement au cerveau,
dans sa quarante-deuxième année.
Revenant d'Angleterre, Mendelssohn apprit la fatale nou-
velle à Francfort; ce fut pour lui un coup terrible ; entre lui
et sa sœur, il y avait une fraternité fondée non seulement
sur les liens de la chair, mais aussi sur une parenté spiri-
tuelle, artistique, d'ordre supérieur. La lettre suivante,
adressée à Hensel en cette triste circonstance, mérite d'être
citée, car elle met en vive lumière cette délicatesse de senti-
ment, cette élévation de pensée dont on rencontre la forte em-
preinte dans les œuvres les plus diverses du compositeur :
« Nous n'avons jusqu'ici connu que le bonheur, écrivait Men-
delssohn, mais voici une nouvelle existence qui commence,
morne et désolée. Tu as rendu ma sœur aussi heureuse
qu'elle méritait de l'être, je t'en remercie et t'en remer-
cierai toute ma vie. Je le fais avec le remords poignant de ne
pas avoir été pour elle ce que j'aurais pu être, de ne pas
l'avoir entourée d'autant d'affection que je l'eusse désiré.
Qu'y a-t-il à faire, hélas I si ce n'est de demander à Dieu
qu'il veuille nous accorder un cœur pur et un esprit nou-
veau, afin de nous rendre dignes de celle qui avait le meil-
leur cœur et l'esprit le plus droit que nous ayons jamais
connu et aimé. Dieu la bénisse et nous indique le chemin à
suivre I Nul de nous ne peut entrevoir ce chemin, et pour-
tant il existe. Dieu qui, nous a frappés au cœur pour le reste
de nos jours, nous le montrera. Qu'il lui plaise aussi de
panser la blessure qu'il a faite I Oh I mon cher frère et ami,
que Dieu soit avec toi et Sébastien, et avec nous, tes frères
et sœurs I »
La famille de Mendelssohn fit tout ce qui est humainement
possible pour mettre un baume à sa blessure ; lui-môme
chercha à se distraire par un voyage en Suisse. A Interlaken,
sentant ses forces revenir, il se remit au travail ; il écrivit
des fragments de Lore^Ley, de l'oratorio Christus. Ce mieux
était illusoire, le choc avait été trop violent. De retour à
Leipzig en septembre, Mendelssohn tombait gravement ma-
lade vers la fin d'octobre et le 4 novembre, à neuf heures
vingt-quatre minutes du soir, il rendait le dernier soupir.
Le deuil fut immense, non seulement à Leipzig et à Berlin,
mais dans l'Allemagne entière. De toutes les parties de l'Eu-
rope des adresses de sympathie furent envoyées à la. veuve,
de réminent compositeur ; elle en reçut de la reine Victoria,
du roi de Saxe, du roi de Prusse. M™« Mendelssohn, née
Jeanrenaud, se retira à Francfort où elle s'occupa de l'édu-
cation de ses enfants et où elle mourut en 1853.
Les œuvres pour piano écrites par Mendelssohn pendant
les douze dernières années de sa carrière sont nombreuses,
mais n'apportent pas de révélation nouvelle touchant le génie
musical du compositeur. Chose remarquable, Mendelssohn
n'a pas seulement ignoré le déclin de la vieillesse, il ne
semble pias avoir davantage connu les tâtonnements de la
jeunesse. Abstraction faite de la sonate composée à l'âge de
douze ans, les premières compositions du maître (l'ouverture
du Songe d'une nuit cTété, par exemple) sont aussi achevées
que les dernières, et les dernières (le huitième cahier des
Lieder ohne Worte, par exemple) n'ont pas moins de spon-
tanéité, de poésie, de fraîcheur que les premières. On peut
donc se contenter d'une brève mention des compositions
pour piano appartenant à la troisième période de la vie du
maître, celles-ci appelant des observations absolument pa-
reilles à celles formulées à propos de leurs devancières.
Outre quelques morceaux isolés, de dimensions modestes,
publiés assez longtemps après la mort du compositeur
(Albumhlatty Perpetuum mobile, Scherzo, etc.), Mendelssohn
a composé de 1835 à 1847 :
Des Kinderstûcke (op. 72), six numéros.
Deux caprices (op. 33, N<> 2 et op. 118).
Deux Etudes (N«« 1 et 3 de Top. 104, second cahier).
Trois séries de Variations (op. 54, 82 et 83).
Des préludes et fugues (op. 35).
Trois préludes (op. 104, premier cahier).
— 356 -
Six cahiers de Lieder ohne Worte (op. 38, 53, 62, 67, 85,
102).
Enfin et pour piano avec orchestre :
Un concerto (op. 40).
Une sérénade (op. 43).
La plupart de ces compositions présentent les mêmes qua-
lités de style que celles qui ont été précédemment analysées.-
Cependant les Variations et les Fugues méritent une mention
spéciale à cause de la maîtrise avec laquelle Mendelssohn a
traité ces deux genres spéciaux de productions musicales.
Les Variations sérieuses (op. 54) en Ré mineur sont autre
chose que des transformations successives et plus ou moins
heureuses d'un thème donné, elles sont autant de manifesta-
tions d'une pensée initiale présentée [sous différents aspects.
Ce n'est pas essentiellement le même contour mélodique qui
reparaît à travers une accumulation croissante de notes, c'est
avant tout l'idée musicale qui, présentée d'abord dans sa
forme la plus simple, s'enrichit progressivement et, tout en
conservant son inspiration première, se montre sous une va-
riété de couleurs qui constitue le principal intérêt de cette
forme musicale. Autant l'air varié dans sa conception vul-
gaire, banale, est Insipide, autant les variations telles que
les ont conçues Mendelssohn, Schumann et, après eux,
Johannes Brahms sont intéressantes, captivantes. Un musi-
cien contemporain justement célèbre, théoricien et compo-
siteur de mérite, Jadassohn, considère les Variations se-
rieuses comme l'œuvre « la plus belle et la plus importante »
que Mendelssohn ait écrite pour le piano.
Fort belles aussi, bien que peut-être moins caractéristiques,
les Variations (op. 82 et 83) seront, pour quiconque les étu-
diera avec soin, une source de vives jouissances artistiques.
Admirateur passionné de J.-S. Bach, dont il fut véritable-
ment le révélateur en Allemagne, Mendelssohn avait hérité
du maître de la fugue l'art de traiter le style fugué avec une
aisance surprenante chez un moderne dont le classicisme
était fortement teinté de romantisme.
— 857 —
Les six fugues dont se compose l'op. 35 sont précédées cha-
cune d'un prélude dont l'analogie avec le Lied est frappante.
Il faut cependant faire exception pour le prélude N» 13, en
Si mineur, qui a plutôt les allures d'une étude. La phrase
initiale a beaucoup d*élan et fournit dès le début le caractère
distinctif, permanent, du morceau dont le mouvement très
accéléré rend l'exécution difficile ; c'est une très bonne étude
de staccato.
Les fugues proprement dites sont traitées selon les règles
classiques; le sujet, la réponse, le contre-sujet se combinent
et se poursuivent d'une manière toujours intéressante ; les
développements sont riches; ils ont de l'ampleur. Malgré son
modernisme, la fugue de Mendelssohn a de la majesté ; elle
s'élève aisément à la hauteur d'une inspiration religieuse;
c'est le cas en particulier de la Fugue N<> 1, en Mi mineur,
qui se termine par l'admirable choral : Nun danket aile Gott
de Kriiger, en Mi majeur.
Les Trois préludes (op. 104, premier cahier), le premier en
Si h majeur, le second en Si mineur, le troisième en Ré mi-
neur, sont tous trois également remarquables ; le premier,
une véritable Etude de bravoure, renferme des passages en
octaves qui demandent à être exécutés avec autant de sou-
plesse que de décision.
Le Concerto en Ré mineur (op. 40), avec orchestre, est écrit
sur le même plan que celui en Sol mineur, qu'il ne dépasse
pas. Vadagio en Si h majeur a beaucoup de charme, mais les
détails n'ont pas la même finesse que dans Vandante de
l'op- 25. Par contre, la première et la troisième partie (celle-
ci en Ré majeur) ne sont pas moins entraînantes que les par-
ties correspondantes du premier concerto. Dans le final du
concerto (op. 40), on remarquera l'emploi très heureux du
procédé qui consiste à partager l'accompagnement de la mé-
lodie entre la main droite et la main gauche, comme dans
les mesures suivantes :
\
— 358 —
j"i j
^^"g
joi
i
*
î
Au moyen de ce partage, on obtient facilement une grande
légèreté unie à une parfaite égalité des notes.
Dans son ensemble, Tœuvre est de belle venue ; il est re-
grettable qu'elle ne figure pas plus souvent dans les pro-
grammes de concerts.
Une sérénade et allegro giojoso (op. 43), pour piano et
orchestre, a été composée en 1838. Un andante en Si mineur
sert d'introduction à un allegro en Ré majeur dont le carac-
tère gai justifie Tépithète de giojoso employée par Mendels-
sohn. C'est une composition estimable, correctement écrite,
mais qui n'ajoute rien à la gloire du compositeur.
De toutes les œuvres de Mendelssohn pour piano seul,
c'est l'admirable collection des Lieder ohne Worte qui porte
le plus l'empreinte de son génie. Deux cahiers de six mor-
ceaux chacun avaient été composés avant 1835 ; dès lors, le
maître ne cessa jamais d'écrire de nouveaux Lieder, de telle
sorte qu'à la fin de sa carrière, il avait ajouté six cahiers aux
deux précédemment parus. Sans tenir compte des pièces en
forme de Lied dispersées dans d'autres compositions pour
piano, pour chant, pour plusieurs instruments, pour or-
chestre complet, cela fait un total de 48 Lieder (chants sans
paroles) parmi lesquels un certain nombre sont de ptirs
— 359 —
chefs-d'œuvre, ainsi les N<»» 4, Mi majeur, 2, La mineur, 13,
Mi 6 majeur, 44, Do mineur, 45, Mi majeur, 47, La mineur,
18, La h majeur (Duetto), 24, Sol mineur, 25, Sol majeur,
27, Mi mineur (Marche funèbre), 30, La majeur (Fruhlings-
lied), 40, Ré majeur, 44, Ré majeur, 48, Do majeur. Ce sont
pour la plupart de petites pièces dont l'inspiration est tour
à tour intime, populaire, patriotique, religieuse et dont la
forme est ciselée avec amour ; elles ne renferment pas de
difficultés techniques, mais pour être convenablement inter-
prétées, elles exigent un sens artistique très développé.
L'étude consciencieuse des Lieder ohne Worte est de nature
à favoriser le développement du goût musical.
Commentant ces paroles d'un poète : « Celui qui n'a pas
mangé de pain trempé de larmes^ celui qui n'a pas connu les
nuits d'insomnie^... "» Rubinstein a écrit ce qui suit: c Men-
delssohn et Meyerbeer appartenaient à de riches familles; ils
ont de suite été entourés d'une société d'élite, cultivant l'art
non pour gagner leur existence, mais pour obéir à des be-
soins intellectuels. Ils n'ont éprouvé les misères de l'exis-
tence que sous la forme de l'ambition déçue ou froissée, au
début de leur carrière musicale ; ils n'ont connu ni la lutte
pour la vie, ni la lutte pour se faire une place au soleil. Tout
ce bonheur se reflète dans leurs œuvres. On ne trouve dans
leur musique ni larmes, ni inquiétude, ni douleur, pas même
une plainte, d
Sous une forme trop absolue, ce jugement de l'illustre pia-
niste russe renferme une grosse part de vérité; surtout il
rend admirablement compte de ce qui constitue le côté faible
de la musique de Mendelssohn: cette musique charme^ mais
n'émeut pas. Au point de vue de l'art pour l'art, les compo-
sitions du maître allemand sont parfaites, au point de vue
de l'art, expression vivante des sentiments les plus profonds
de l'àme humaine, il leur manque l'élément dont la présence
— 360 —
seule confère à Tœuvre d'art le sceau d'une souveraine
beauté.
D'un autre côté, le souci de la forme claire, limpide, lumi-
neuse occupe, dans les compositions de Mendelssohn, une
place tellement prépondérante que Ton ne saurait trop en
recommander l'étude aux pianistes qui aspirent à donner à
leur jeu un cachet de distinction, un caractère foncièrement
artistique. A une époque où les musiciens ont trop souvent
cherché des effets nouveaux dans des sonorités bruyantes, il
ne serait pas hors de propos d'initier la jeunesse aux œuvres
d'un compositeur qui, s'il ne fut pas toujours génial, eut
cependant l'inestimable supériorité de n'être jamais banal.
Le pianiste français Planté est un des meilleurs inter-
prètes de Mendelssohn ; sa façon de jouer le N« 15 des Lieder
ohne Worte est absolument idéale.
. La maison Peters, à Leipzig-, a publié une belle édition en cinq
volumes des œuvres de Mendelssohn pour piano avec doigté noté
par Th. Kullak. Une édition en deux volumes renferme an choix
de ses compositions.
Les lettres de Mendelssohn publiées en deux volumes fournis-
sent de précieux renseig-nements sur la personne et sur la famille
du maître ; on lira en outre avec fruit les biographies ou notes
biographiques consacrées à la mémoire de Mendelssohn par Lobe,
Reissmann, C. Devrient, Hiller. Un catalogue thématique de
toutes ses œuvres a été édité par la maison Breitkopf et Hârtel, à
Leipzig.
En langue française, trois ouvrages sur Mendelssohn sont inté-
ressants à consulter :
G. Selden, La musique en Allemagne, Mendelssohn, —
Paris, Germer Baillère, 1867.
A.- A. Rolland. Lettres inédites de Mendelssohn. — Paris,
J. Hetzel.
E. Sergy. Fanny Mendelssohn, d'après les mémoires de son
Jils. — Paris, Fischbacher, 1888.
— 361 —
Parmi les musiciens, contemporains ou successeurs immé-
diats de Mendelsâohn, qui subirent son influence, s'inspirè-
rent de son esprit, il faut mentionner en premier lieu la sœur
aînée du grand compositeur, Fannt Hensel, auteur de quel-
ques Lieder ohne Worte publiés les uns par Bote et Bock, les
autres par Breitkopf et Hârtel. Née le 14 novembre 1805, k
Hambourg, de quatre ans plus âgée que son frère, Fanny
Mendelssohn occupa toujours vis-à-vis de lui la position
d'une élève vis-à-vis d'un maître aimé et respecté. En 1830,
elle épousa le célèbre peintre Wilhelm Hensel (mort en
1861). C'était une personnerde haute culture chez qui l'élé-
vation de la pensée s'alliait sans efiPort à la noblesse des senti-
ments. Le portrait qui se dégage du livre de E. Sergy, pré-
cédemment cité, est des plus attachants. Outre ses mélodies
et ses Lieder pour piano, Fanny Hensel a laissé un Trio pour
piano, violon, violoncelle, très estimé des connaisseurs.
Le célèbre pianiste FERDINAND HiLLER, né à Francfort le
24 octobre 1811, habita Paris de 1829 à 1836. Compositeur
de mérite, chef d'orchestre apprécié, écrivain fécond, Hiller
a composé des opéras, des oratorios, des symphonies, des
Lieder, et pour le piano, des Etudes, des Concertos, Le clas-
sicisme et le romantisme se confondaient dans les œuvres du
compositeur et dans le jeu du pianiste. Sous le titre de Ans
dem Tonleben unsercr Zeit^ F. Hiller a publié deux volumes
intéressants.
L'Anglais WILLIAM Sterndale-BENNETT, né le 13 avril 1816
à Sheffield, fut élève de Moscheles à Londres. Ayant fait la
connaissance de Mendelssohn, il s'attacha à lui et, pendant
de longues années, demeura son disciple et son ami fidèle.
Fixé à Londres dès 1842, il y fonda une école de piano sous
le titre de : Classical practice for pianoforte students. Ce musi-
cien distingué a écrit pour le piano des concertos, des sonates,
des études, des morceaux de salon. Ses romances (op. 14)
sont complètement dans le style de Mendelssohn. Comblé
/-
seule con*' ^/uieti est mort à Londres en 1875.
beaut .,»///^^^;5entants de Técole néo-classique,
D' . .' y^^^. /e 23 iuin 1824 à Altona, où son père,
nei ^^ "^^^ yïnitia au culte de la musique. Après
f ^^,^ar *^^ ^ ^/ades à Leipzig, en 1846, Reinecke entre-
/"''V/'«"t, Voyages artistiques, puis séjourna successi-
■i je ^'^^p^/ihague (comme pianiste de cour), à Brème, à
j-^/z/^»^^,!!) à Cologne, à Barmen, à Breslau (comme direc-
/^■*' ^^y5ique). Nommé directeur des concerts du Gewand-
te^'^ ^i professeur de piano au Conservatoire de Leipzig,
^^^ecke s'établit dans cette ville en 1860. A Tâge de soixante-
itiz^ ans, le célèbre virtuose a fait, en Allemagne et en
Cfjisse, une tournée fructueuse au cours de laquelle il s'est
p/-oduit comme pianiste et comme chef d'orchestre.
Reinecke a beaucoup composé, soit pour orchestre, soit
pour piano ; parmi les compositions destinées à cet instru-
ment seul, on peut mentionner: les Clavierstûcke (op. 2);
Fantasiastûcke (op. 7 et 17) ; 3 sonatines (op. 47) ; Variations
sur un thème de Bach (op. 52) ; Hausmusik (op. 77) ; le pre-
mier cahier porte le titre significatif de Grossmutter erzàhlt
(grand'mère raconte). La belle Grisélidis, improvisata sur un
chant populaire français du dix-septième siècle (op. 94) dé-
diée à M. et M'»« A. Jaëll, appartient à ce que la littérature
pour deux pianos à quatre mains possède de plus distingué.
Dans le même ordre de compositions, les réductions à deux
pianos d'œuvres pour orchestre transcrites par Reinecke
lui-même sont intéressantes ; ainsi les Variations sur le choral
de Luther (op. 191) ; V improvisata sur une gavotte de Gluck
(op. 125) ; la transcription pour un piano à quatre mains de
Von der Wiege bis zum Grah (op. 202).
La combinaison de deux motifs différents : choral de Lu-
ther et chœur du Messie de Hàndel, dans Top. 191 ; d'une
gavotte de Gluck et d'une Gavotte de Bach dans Top. 125
produit une impression d'étonnement plutôt qu'une impres-
sion réellement artistique ; le procédé est ingénieux ; au
point de vue de l'art, il est d'une valeur douteuse. Cette ré-
-res-
serve faite, on doit reconnaître que la musique de Reinecke
a beaucoup de charme ; si elle n'atteint jamais les sommets,
elle ne descend jamais dans les bas-fonds. Adorateur de
Mozart, Reinecke semble éprouver une répugnance instinc-
tive pour tout ce qui, dans la musique, est affectation, préten-
tion, vulgarité ; les idées, claires et simples, sont exprimées
en un style d'une parfaite correction.
Un compositeur qui, tout en ayant de nombreuses et im-
portantes affinités avec Mendelssohn, s'est brillamment frayé
une voie éminemment personnelle, ADOLPHE Henselt, est né
le 12 mai 1814 à Schwabach, près Nuremberg. Après avoir
été à Munich l'élève de M">« la conseillère intime Flod, il con-
tinua ses études à Weimar avec Hummel et les termina à
Vienne sous la direction de Sechter. Dès 1836, Henselt se
produisit comme virtuose à Dresde, Weimar, Berlin, Leipzig,
provoquant partout un enthousiasme indescriptible par la
virtuosité surprenante avec laquelle il enlevait les difficiles
sonates de Weber.
A l'exception d'un Concerto en Fa mineur (op. 16) et de
deux cahiers d'Etudes de concert (op. 2), d'un cahier de
Douse études de salon (op. 5), Henselt n'a guère écrit pour
le piano que de la musique de salon : romances, impromptus,
variations, etc.
Sans avoir eu le môme retentissement que l'étude intitulée :
Si oiseau fêtais j vers toi je voleraisy toutes les Etudes de Hen-
selt sont remarquables au point de vue artistique non moins
qu'au point de vue pédagogique ; on y rencontre des pro-
cédés nouveaux, d'excellents exercices de virtuosité et avec
cela toujours un sentiment poétique plein de grâce et de
délicatesse.
Quelques musiciens tels que : Carl LûHRS, KARL Wehle,
WiLHELM KrûGER, ont joui naguère d'une certaine réputation,
mais leurs compositions sont tombées dans un oubli d'où il
serait inutile de les sortir. Les deux derniers ont longtemps
habité Paris. Kruger s'est, depuis 1870, retiré à Stuttgart,
sa ville natale.
CHAPITRE Vil
Caractéristique générale du
mouvement musical de Haydn à Mendelssohn.
Coup d'œil rétrospectif. — Les jBprands courants. — Fin de Tàge clas-
sique, l'esprit nouveau.
Quand on jette un regard d'ensemble sur la période qui
va de Haydn à Mendelssohn, on éprouve diverses impressions
qu'il peut être utile de caractériser en peu de mots.
D'abord, on ne peut se défendre de la pensée que Ton se
trouve en présence de Tépoque héroïque du piano. Quels
génies que ces grands musiciens qui s'appelèrent Haydn,
Mozart, Beethoven, Schubert, Rameau, C.-M. de Weber,
Mendelssohn, et à un degré inférieur, mais encore en très bon
rang, Hummel, Clementi, Czerny, Moscheles, Henselt. Les
premiers ont composé pour orchestre, chœur, des pages
immortelles, mais bien que les puissantes masses vocales ou
orchestrales fussent, mieux que le pianoforte, proportionnées
à l'expression de leurs pensées géniales, il n'ont point dé-
daigné ce modeste instrument ; ils ont écrit pour lui une
foule d'œuvres (sonates, fantaisies, concertos, etc.) qui comp-
tent au nombre des plus admirables produits de l'esprit hu-
main. Quoique les pianos construits par Stein ou par Strei-
cher fussent loin de présenter les mêmes ressources que nos
Erard et nos Pleyel, Mozart, Beethoven ont su, dans un cadre
forcément restreint, exprimer les sentiments les plus divers,
les plus intimes comme les plus passionnés, les uns et les
autres sous une forme d'une incomparable beauté.
Si des compositeurs tels que Clementi, Czerny, Moscheles ne
— 365 —
se sont pas élevés à de pareilles hauteurs, ils ont cependant
contribué d'une manière directe et très efficace au dévelop-
pement progressif de Tart pianistique par la publication de
ces recueils d'Etudes qui, à l'heure présente, constituent
encore la base fondamentale de l'éducation technique des
jeunes virtuoses.
On peut dire que, soit au point de vue du perfectionnement
du mécanisme de l'exécutant, soit au point de vue de la cul-
ture de l'esprit, de la formation du goût musical, les œuvres
pour piano écrites de Haydn à Mendelssohn demeurent, pour
les pianistes de tous les temps, un trésor d'un prix inestimable.
Une seconde impression qui se dégage de l'histoire du
piano pendant la première moitié du dix-neuvième siècle,
c'est celle de l'existence, surtout depuis Beethoven, de trois
COURANTS principaux.
Le premier courant, classique pur^ se rattache au premier
style de Beethoven et continue la tradition musicale fondée
par Haydn et Mozart. Dans les œuvres appartenant à ce cou-
rant, le principal souci du compositeur est de revêtir ses
sentiments et ses idées de la forme la plus correcte, la plus
parfaite.
Un second courant est représenté par les compositeurs
qui, déguisant la pauvreté des idées, la banalité des senti-
ments sous l'éclat extérieur de la forme, créèrent ce style
brillant qui, trop longtemps, jouit d'une faveur imméritée
et dont on retrouve l'empreinte dans cette musique de salon,
dont les produits eurent un succès bruyant, mais éphé-
mère.
Le troisième courant a sa source dans les dernières com-
positions de Beethoven et il a pour caractère l'émancipation
croissante de l'esprit vis-à-vis du moule consacré par la tra-
dition. Chez la plupart des compositeurs de l'époque, contenu
dans de prudentes limites, soit par l'empire de la routine,
soit par le respect des règles, le souffle du romantisme mu-
sical se fait sentir chez Schubert, chez C- M. de Weber, et,
chez Mendelssohn, il s'allie à cette merveilleuse pureté du
— 366 —
style qui fait de lui un néo-classique dans l'acception la plus
exacte et la plus heureuse de ce terme.
Enfin et en troisième lieu, on a l'impression, quand on
procède à un retour sur le passé, que la musique évolue et
que cette évolution s'opère dans le sens de l'affranchisse-
ment toujours plus complet de la pensée du compositeur»
non pas vis-à-vis des principes éternels du beau musical
(proportion, mesure, symétrie, harmonie, etc.), mais vis-à-vis
des entraves que le pédantisme oppose à l'expression libre,
spontanée des sentiments individuels. Entre les grandes
étapes de l'histoire de la musique, il n'y a pas solution de
continuité, il y a mouvement ascendant qui, à certains mo-
ments critiques, s'incarne en des personnalités transcen-
dantes. Le passé renferme les semences de l'avenir et l'avenir
pousse dans le passé de profondes racines de telle sorte que
le présent n'a pas la conscience claire du mouvement qui
s'accomplit, dans lequel il est engagé. L'école classique de
piano, dont Mendelssohn est le dernier représentant, con-
tient en germe l'école romantique dont Schumann sera l'a-
pôtre convaincu.
Les grands musiciens se transmettent le flambeau de l'art
qui, au souffle de l'esprit nouveau, ne s'éteint pas, mais, au
contraire, se ranime et jette un plus vif éclat.
TROISIÈME PARTIE
LE MOUVEMENT ROMANTIQUE
LBS CONTBMPORAINS
CHAPITRE PREMIER
Introduction. — Le piano moderne. — Littérature du piano.
La période qui reste à parcourir a ceci de particulier
qu'elle est inachevée de telle sorte que le mouvement musical
correspondant ne saurait être l'objet d'un jugement définitif.
Non seulement nous sommes présentement engagés dans
révolution qui s'opère, mais parmi ceux qui en déterminent
la direction par leur effort artistique, quelques-uns sont
encore en pleine activité. Ces circonstances nous imposent
une extrême réserve dans nos appréciations critiques et nous
réduisent, peu s'en faut, au rôle modeste de simple chroni-
queur.
Nous ne ferons exception que pour les trois grandes per-
sonnalités qui dominent notre époque : Schumann, Chopin,
Liszt. Représentant le mouvement romantique sous ses
divers aspects, ces trois poètes de la musique, qui furent
contemporains, le premier étant né en 1810, le second en
1809, le troisième en 1811 et qui tous trois ont disparu du
nombre des vivants depuis plusieurs années, ont exercé une
influence considérable dont il est possible de fixer les carac-
tères.
— 368 —
Après avoir essayé d'esquisser ces trois physionomies qui
brillent comme des étoiles de première grandeur dans le fir-
mament de l'art musical, après avoir en outre tenté de me-
surer l'importance du sillon qu'ils ont creusé dans l'histoire
du piano, nous nous bornerons & passer rapidement en revue
les principales manifestations de la vie pianistique dans les
différentes contrées de l'Europe.
Un second caractère de la période qui nous occupe, c'est le
degré de perfection auquel on est parvenu dans la construc-
tion du pianoforte. Sans doute la disposition générale soit
des pianos droits, soit des pianos à queue ne saurait subir de
modification sensible ; la forme en paraît définitivement fixée,
aussi bien l'intelligence des constructeurs toujours à l'affût
de perfectionnements nouveaux, ne peut-elle s'appliquer qu'à
des détails de facture. Cette constatation nous dispense de
consacrer un chapitre spécial à l'histoire du piano et nous
permet de nous livrer à ce sujet aux brèves indications que
voici :
L'attention des constructeurs de pianos s'est portée sur le
désaccordage des instruments qu'ils ont réussi à retarder en
insérant dans une plaque de fer les crochets auxquels sont
fixées les extrémités des cordes ; un cadre en fer forçé a avan-
tageusement remplacé la lourde plaque dont la présence
augmentait considérablement le poids de l'instrument.
En outre et grâce à l'emploi de l'acier trempé, les cordes
ont gagné soit en solidité, soit en sonorité. Le croisement
des cordes, système adopté par un grand nombre de facteurs,
a permis de construire des pianos à queue dits d*accompa-
gnement ou de cabinet, dont les dimensions sont plus mo-
destes que celles des grands pianos à queue de concert.
Une pédale de prolongation^ construite par Debain, à Paris,
en 1860, par Montai, à Londres, en 1862, simplifiée et per-
fectionnée par Steinway en 1874, est susceptible de rendre
de réels services. En effet, par la pression du pied sur cette
— 369 —
pédale, un son ou même un accord peuvent être pro-
longés pendant que les mains jouent des gammes, des ar-
pèges, etc.
11 serait superflu d'insister sur certaines inventions qui
ont eu un succès de curiosité plutôt qu'un succès artistique
proprement dit: claviers transpositeurs à l'usage des musi-
<;iens incapables de transposer à première vue, pédale artis-
tiqucy jeu de résonnance pneumatique de Zachariae, piano
éolien (construit par Herz) dans lequel le prolongement du
son était obtenu au moyen d'une soufflerie, pianos sténogra-
phes, mélographeSf pidnographes, instruments permettant de
noter les sons produits sur un cylindre par des points, des
lignes courtes ou longues, pianolas, etc* Par contre, un essai
qui mérite d'être noté parce qu'il intéresse l'histoire de la
musique, c'est la reconstitution d'un clavecin. Cette tentative
faite par la maison Pleyel, dans les dernières années du dix-
neuvième siècle, a fourni à des artistes intelligents la possi-
bilité de rendre les compositions des clavecinistes telles
qu'elles ont été conçues par les compositeurs.
De même, l'invention du piano-double Lyon-Pleyel mérite
d'être mentionnée ; cet instrument, qui peut rendre de pré-
cieux services, comprend deux mécanismes complets, deux
jeux de cordes en partie croisées, mais sur une' seule table
d'harmonie.
De là, des avantages faciles à discerner: égalité parfaite
des divers registres des deux pianos, homogénéité absolue,
fusion complète et indépendance non moins complète des
deux parties ; recul des limites d'intensité par le fait de la
vibration sympathique des cordes ; communication facile
entre les exécutants, etc.
Ajoutant aux qualités de son qui ont toujours distingué
les pianos Pleyel, une sonorité d'une puissance exception-
nelle le piano double se prête admirablement à la réduction
des grandes compositions orchestrales. . ,
HIST. DU PIANO 24
— S70 —
Ce qu'il faut en outre relever, c'est la publication de mo-
nographies fortement documentées soit sur la construction
du piano, soit sur Tart de tirer de cet instrument le meilleur
parti possible. En Allemagne, le D^ Oscar Paul a publié en
1868 une Histoire du piano dès les origines jusqu'aux formes
les plus modernes de cet instrument, et, quelques années
plus tard, le célèbre constructeur Julius BlOthner a fait
paraître en collaboration avec Henri Gretschel, un manuel
très complet de la construction du piano. En un volume de
plus de 200 pages, avec atlas, les auteurs traitent à fond
toutes les questions qui intéressent la facture du piano à
queue et du pianino.
En France, le mécanisme de l'expression musicale a été
étudié scientifiquement par M^^^ Marie Jaèll dans un très
suggestif ouvrage : La musique et la psychophysiologie (P^riSy
F. Alcan, 1896). Appliquant aux choses du piano les mé-
thodes de la science positive, l'auteur a formulé, relative-
ment au toucher, à l'emploi de la pédale, etc., une foule
d'observations sévèrement contrôlées et toutes fort instruc-
tives. Sur le maniement des pédales, on consultera avec fruit
l'ouvrage de Alfred Quidant: Uàme du piano (Paris, 1880).
Enfin, ce qui n'est pas moins caractéristique du mouve-
ment musical à notre époque, c'est l'énorme extension prise
par l'enseignement méthodique et par la littérature du piano.
Pas de centre quelque peu populeux qui n'ait son école de
musique où l'étude du piano occupe la première place, pas
de manifestation pianistique qui échappe à la vigilance des
critiques musicaux !
Depuis une cinquantaine d'années, la littérature musicale
a pris, non seulement en Allemagne, où elle était depuis long-
temps cultivée, mais aussi en France un magnifique essor. Les
belles études 46 musicographes tels que MM. H. Imbert,
Romeu, A. JuUien, A. Soubies, Michel firenet, etc., sont ve-
— 371 —
nues successivement s'ajouter aux Silhouettes et Médaillohsy
si finement gravés par A. Marmontel, un vétéran de l'ensei-
gnement du piano au Conservatoire de Paris. Bien d'autres
noms pourraient être ajoutés à ceux qui précèdent ; si incom-
plète qu'elle soit, cette brève énumération suffit à démontrer
que les sources à consulter ne feront pas défaut à ceux qui,
dans un lointain avenir, entrependront d'écrire l'histoire du
piano au vingtième siècle.
CHAPITRE II
Robert Schumann.
Le véritable initiateur du mouvement romantique musical
en Allemagne, ROBERT SCHUMANN, est né le 8 juin 1810, à
Zwickau. Bien que le goût de la musique se fût éveillé chez
lui de très bonne heure, cédant au vœu de sa mère, il étudia
le droit en 1828 à Leipzig et en 1829 à Heidelberg. Dans cette
dernière ville, il rencontra auprès du savant juriste Thibaut,
non seulement un professeur distingué, mais aussi un ami
fidèle qui, bon musicien lui-même, le poussa dans la car-
rière artistique plutôt que dans la carrière juridique. Après
un voyage en Italie, au cours duquel une audition de Paga-
nini fit sur lui une impression ineffaçable, Schumann revint
à Leipzig avec la ferme intention de poursuivre des études
purement musicales. Elève de Frédéric Wieck (né en 1785),
il y fut le condisciple de celle qui devait, dix ans plus tard,
devenir la compagne de sa vie, Clara Wieck, alors âgée de
onze ans. Menant de front l'étude du piano et celle de la
composition (avec H. Dorn), Schumann se livra à un travail
acharné; dans l'espoir de donner une plus grande extension
à sa main gauche par une opération chirurgicale, il n'hésita
pas à s'y soumettre ; les résultats furent ce que Ton en pou-
vait attendre, une paralysie de l'organe imprudemment mu-
tilé et, par conséquent, Timposibilité d'aspirer au sceptre de
la virtuosité. Fâcheux à certains égards, l'accident eut en
somme d'heureuses conséquences, puisqu'il obligea le jeune
pianiste à diriger ses efforts sur la composition.
En effet, dès 1830, les œuvres pour piano se succédèrent
rapidement, toutes portant la marque d'un génie éminem-
— 373 —
ment original. C'est cependant seulement depuis 1834, époque
à laquelle Schumann, avec quelques amis, fonda la Nouvelle
gazette miisicale que le maître prit pleinement conscience
de son individualité, du but artistique à poursuivre, des
moyens d'y parvenir. L'apparition de la Nouvelle gazette mu-
sicale est une date importante, non seulement dans là vie du
musicien de Zwickau, mais aussi dans l'histoire de la mu-
sique en Allemagne.
Quoique appartenant à une période de préparation, les
œuvres écrites de 1830 à 1834, n'en sont pas moins des plus
intéressantes.
Ce sont:
En i83o : Thèmes et variations sur le nom d'Abegg (op i).
En adoptant la désignation allemande des notes, le nom d'Abeg-g*
donne les notes suivantes : La, Si ^, Mi, Sol, Sol, dont Schumann
a fait le thème que voici :
fc£
^m
^^p
^Ê
à
i
^
En i83i : Les Papillons (op. 2), série de douze petites pièces
dédiées à Thérèse, Rosalie et Emilie (belles-sœurs de Schumann),
et composées de 1829 à i83i. Ces gracieux morceaux dont quel-
ques-uns (N«>s 2, 9) présentent de réelles difficultés d'exécution,
ont beaucoup d'humour en même temps que de finesse, de légèreté.
Allegro (op. 8) dédié à la baronne de Fricken. Cette œuvre
difficile à exécuter suppose déjà un développement artistique peu
commun.
i832 : Albumblâtter (Feuillets d'album, op. 124, N^^ i, 3, 4^
12, i3, i5).
Intermezzi (op. 4)-
Etudes pour pianoforte d'après les caprices de Paganini (op. 3).
i833 : Toccata (op. 7) en Do majeur.
Impromptu sur un thème de Clara Wieck (op. 5).
— 374 —
Etudes de concert, composées d'après les caprices de Paganioi
(op. lo).
i834 : Etudes en forme de variations (op. i3).
Quelques numéros du CarnaYal, œuvre qui ne sera achevée
qu'en i835.
Les Etudes (op. 3 et op. 10) constituent une merveilleuse
adaptation au piano d'œuvres primitivement écrites pour le
violon seul. Elles sont probablement nées de la rencontre de
Schumann avec Paganini en Italie.
Quant aux douze Etudes symphoniques en forme de varia-
tions, dédiées à W. Sterndale-Bennett, c'est un monument
de l'art musical dont les lignes sont de la plus parfaite har-
monie, mais qui n'est accessible qu'à des musiciens associant
à une grande habileté technique une haute culture artis-
tique.
La fondation de la Nouvelle gazette musicale forme la tran-
sition de la première à la seconde période de la vie et de
l'œuvre du maître ; avant de franchir cette étape, il convient
d'expliquer le sens de certaines désignations employées par
Schumann ; ces explications sont nécessaires à la compré-
hension de quelques parties de son œuvre.
Quand Schumann créa la Nouvelle gazette musicale en col-
laboration avec Louis Schunke, Frédéric Wieck et Julius
Knorr, il désigna sous le nom de ce Davidsbundler > le groupe
d'artistes qui défendaient les idées constituant le programme
du journal et sous celui de m Philistins » les écrivains et
musiciens qui personnifiaient les préjugés et la routine. La
marche des Davidsbundler contre les Philistins qui sert de
conclusion au Carnaval (op. 9, N® 20) représente donc l'op-
position faite par Schumann et ses amis aux représentants
du pédantisme musical.
Rédacteur de la Nouvelle gazette de 1834 à 1844, Schumann
signait souvent ses articles sous les pseudonymes tantôt
d'Eusebius, tantôt de Florestan, tantôt enfin de Raro. Les
numéros 5 (Eusebius) et 6 (Florestan) du Carnaval désignent
par conséquent tous deux la personne du compositeur. C'est
- 875 —
également le nom de Schumann qu'il faut lire sous les noms
d'Eusebius et Florestan dans le titre de la Sonate en Fa jjj
mineur (op. 11) dédiée à Clara, c'est-à-dire à Clara Wieck, à la
pianiste géniale qui devait s'appeler un jour Clara Schumann.
D'autres pseudonymes se rencontrent encore, en particu-
lier dans le Carnaval; ce sont ceux de «l Chiarina ]» (N<^ 11
du Carnaval) qui n'est autre chose qu'une altération du nom
de Clara et qui désigne naturellement Clara Wieck.
« Estrella » (N<^ 13 du Carnaval) est le pseudonyme attribué
par Schumann à la jeune baronne Ernestine de Fricken dont
il fut passsionnément épris et à qui il dédia Vallegro (op. 8).
Ernestine de Fricken était originaire de la petite ville
d'Âsch, sur les confins de la Bohême et de la Saxe. Le nom
de cette localité se retrouve dans le titre du N® 10 du Car-
naval: «[ A. S. C. H. — S. C. H. A., » avec le sous-titre de
€ lettres dansantes; b et non seulement le compositeur dé-
couvre dans les lettres A. S. C. H. (La — Mi 6 [Es] — Do —
Si) le nom de l'endroit d'où vient la baronne de Fricken,
mais dans les mêmes lettres autrement disposées, il voit l'os-
sature de son propre nom : S. C. H. um Ann. Les lettres dan-
santes personnifient donc tout à la fois Schumann et son
amie la baronne de Fricken ; les mêmes lettres correspondent
aux notes des « Sphinx » (entre les N<>* 8 et 9 du Carnaval),
Les cinq notes (La, Si h, Mi, Sol, Sol) dont se compose le
thème de l'op. 1 forment le nom d'Abegg qui est celui d'une
jeune personne, W^^ Meta Abegg, dont Schumann avait fait
la connaissance dans un bal à Mannheim.
En fondant un journal de musique, l'intention de Schu-
mann et de ses collaborateurs était de favoriser la réalisation
de progrès artistiques tels que la poésie de l'art soit plus ho-
norée que la virtuosité, — de déclarer la guerre aux produc-
tions vides de sens, inartistiques, et d'encourager les talents
jeunes sérieusement épris de l'idéal. La Nouvelle gazette mu-
sicale demeura fidèle à ce programme, aussi contribua-t-elle
pour une grande part à imprimer au mouvement romantique
une direction saine, très indépendante, cela va sans dire,
— 376 —
très audacieuse même, mais en même temps très respec-
tueuse vis-à-vis de tout ce qui, dans le passé, mérite d'être
admiré et vénéré.
Apôtre convaincu des idées nouvelles, Schumann les dé-
fendit avec une inlassable ardeur par ses écrits et par ses
compositions. Dès 1834, Tactivité du maître est considérable ;
son existence, il est vrai, ne présente pas d'événements mar-
quants ; en 1836, la rupture avec Elisabeth de Fricken, puis
la mort de la mère de Schumann, enfin TalYection grandis-
sante du maître pour Clara Wieck sont les seules circons-
tances qui aient influé sur son développement pendant cette
phase de sa carrière musicale, mais, si la vie extérieure de
Schumann est relativement calme, sa vie intérieure est d'une
intensité extraordinaire ; les compositions pour piano se sui-
vent rapidement, toutes portant là vigoureuse empreinte de
l'individualité du compositeur. De 1835 à 1840, on ne compte
pas moins de vingt-six œuvres, la plupart très étendues et
d'une valeur artistique tout à fait exceptionnelle.
En 1835, Schumann termine le Carnaval, qui n'a pas moins
de vingt numéros, à travei's lesquels on assiste au défilé de
Pierrot, Arlequin, Pantalon, Colombine, etc., du musicien
et de ses amies, ainsi qu'à certains épisodes particuliers, aux
scènes carnavalesques telles qu'on les entend en Allemagne :
danses, promenades, aveu, etc. Sauf l'Intermezzo du N« 16,
intitulé Paganmi, ces petites pièces ne présentent pas de
grandes difficultés d'exécution, mais comme chacune a son
sens nettement déterminé qu'il importe de mettre en évidence^
une intelligence musicale très affinée est nécessaire à leur
interprétation.
. En même temps qu'il achevait le Carnaval, Schumann
composait les N^» 2, 11, 17 des Albumblâtter et travaillait à
la composition de deux œuvres importantes, la Sonate en Fa
mineur (op. 14) et la Sonate en Sol mineur qui, commencée
en 1833, ne sera terminée qu'en 1838.
La Grande sonate (concerto sans orchestre, op. 14), dont le
$cherzo fut composé en 1836, est dédiée à Moscheles. C'est
— 377 —
un monument grandiose de l'art pianistique ; savamment
construite, cette œuvre dont l'exécution et surtout l'inter-
prétation présentent de sérieuses difficultés, est entièrement
pénétrée d'un souffle poétique particulièrement sensible dans-
les développements donnés par le compositeur à un thème
de Clara Wieck. Dans le dernier morceau : prestissimo, on
rencontre déjà ces accentuations particulières à Schumann^
dont l'effet est irrésistible, ainsi aux neuvième et dixième
mesures :
tr^ fir^t^.t^ fe.=
La sonate (op. 14) serait parfaite si, à côté de beautés de
premier ordre elle ne renfermait pas des longueurs, cause
inévitable de lassitude.
La même année, Schumann composa les N»« 5 et 7 des
Albumblàtter, les N»» 1, 2, 3 et 6 des Bunte Blàtter (op. 99)
et encore une œuvre de proportions magistrales, la Fantaisie
dédiée à Liszt (op. 17). Cette composition à laquelle on peut
reprocher des développements excessifs, surtout dans la pre-
mière partie, procède cependant d'une inspiration vraiment
géniale. Le premier morceau est très passionné malgré la
monotonie apparente de cette phrase d'accompagnement
dont le contour demeure obstinément le même pendant qua-
rante-huit mesures :
Pédale.
Après un long épisode en Sol mineur et dans le style de
la légende (Legenden ton) un court rappel du motif initial
ramène au ton fondamental de Do majeur dans lequel se ter-
mine le morceau.
— 378 —
La seconde partie, en Mi h majeur, a un motif principal
d'une grande solennité qui offre ce trait intéressant que
Schumann récrit de deux manières différentes.
Voici la première rédaction :
Voici la seconde :
fff ritard.
^ ^ ^
Pédale.
L'effet est à peu près le même dans les deux cas ; il semble
toutefois que la première version s'adapte mieux au mezza
forte et la seconde au fortissimo voulus par le compositeur.
La troisième partie, en Do majeur, est d'une idéale beauté;
«n outre, elle réunit l'intensité de l'expression lyrique et le
vaporeux de la forme qui sont deux caractères marquants du
romantisme musical.
En 4837, Schumann écrit le N® 8 des Albumblâtter, les Da-
Tidsbûndlersânge (op. 6), série de dix-huit petites pièces pleines
-de grâce et d'humour, et les Fantasiestûcke (op. 12) compre-
nant huit morceaux dont l'inspiration a un caractère émi-
nemment poétique. .On ne saurait concevoir une impression
plus sereine, plus paisible que celle qui se dégage du pre-
mier morceau intitulé: Des Ahends (Le soir). Le second mor-
- 379 -
ceau : Aufschwung (Essor) est d*un irrésistible élan. Les ac-
cords plaqués du début :
Sehr rcuch.
ww
supposent une main droite d'une extension peu commune et
les passages tels que celui-ci :
dans lesquels la mélodie chantée par la main droite est immé-
diatement répétée par la gauche, introduisent dans la musique
de piano des efTets nouveaux d'une piquante originalité.
Le troisième morceau: Wat^m? (Pourquoi?) est un de
ceux où, dans un cadre restreint, le côté tendre et mélanco-
lique, intime surtout, de Tart schumannien se fait le plus
complètement sentir.
Les autres fragments de ce recueil : Grillen (Soucis), In
der Nacht (Pendant la nuit), Fabel (Fable), Traumes Wirren
(Enchevêtrement de rêve) et Ende vom Lied (Fin du chant),
sont autant d'œuvres achevées dans lesquelles le compositeur
se montre sous les différentes faces de son génie ; le coda du
dernier morceau avec ses accords prolongés, murmurés pia-
nissimo, ses modulations qui semblent se fondre les unes
dans les autres, l'impression de mystère, d'infini qui s'en dé-
gage est très caractéristique de la musique de Schumann.
L'année 1838 est marquée par l'achèvement de la Sonate
en Sol mineur (op. 22), dédiée à M™« Henriette Voigt.
Elève de L. Berger, Henriette Voigt était une excellente
— 380 —
musicienne dont la maison hospitalière s'ouvrait largement
à tous ceux qui avaient le culte de l'idéal. « Aucun artiste,
écrivait Schumann, n'avait besoin de faire plus d'une visite
dans cette maison, pour s'y sentir entièrement chez lui....
Une bibliothèque musicale choisie était là, — à portée, —
pour être consultée. Il semblait qu'Apollon était le maître
de la maison, et la musique la divinité qui y présidait ; l'hôte
et l'hôtesse devançaient tout désir qu'un musicien pouvait
former. » Henriette Voigt fut jusqu'à sa mort (1839) une amie
dévouée pour Schumann. Celui-ci la désignait dans la Nou-
velle gazette musicale sous les noms de Léonore^ Aspasie; il
disait qu'elle avait une âme « en La majeur, d
La Sonate (op. 22) que Schumann dédia à Henriette Voigt
fut commencée en 1833 et terminée en 1838. Elle comprend
quatre morceaux: un Allegro dont le mouvement est indiqué
par ces mots : « Aussi vite que possible, > un Aiidantino en
Do majeur, un Sc/icrxo d'allure très vive et un RondOy presto
final, qui demande à être enlevé avec autant de force que de
légèreté.
Un musicographe français, Jean Hubert, a, sous le titre
de: Autour d*une sonate, publié une intéressante analyse de
la sonate de Schumann en Sol mineur. Parmi les observ^a-
tions très judicieuses que lui suggère cette belle composition,
il faut mentionner celles qui ont trait au caractère orchestral
de l'andantino, « le chant principal croissant d'intensité à la
fin de la période, par l'adjonction d'octaves qui donnent la
sensation d'un doublement instrumental, » puis celles qui se
rapportent à la tonalité de ce morceau dont le thème, con-
trairement à l'usage, « non seulement ne commence pas sur
sa tonique, mais encore ne s'achemine qu'après une mesure
sur sa dominante, comme si le poète se surprenait lui-même
en pleine rêverie. t> Relevant l'unité qui règne entre les dif-
férentes parties de la sonate, J. Hubeçrt, s'exprime comme
suit :
« Les quatre parties forment un tout homogène, non seu-
lement par la tonalité qui, pour trois d'entre elles, est la
— 381 —
même, mais encore par le tour romantique de la pensée, par
l'intensité de l'expression, par les alternatives d'un emporte-
ment fiévreux se répandant au dehors comme dans le pre-
mier temps, et de rêve intérieur comme dans l'andante, par
la passion tourmentée qui anime l'œuvre entière, enfin par
la modalité de certains procédés particuliers, non seulement
à Schumann, mais encore au Schumann de cette époque. »
En même temps qu'il achevait sa sonate en Sol mineur,
Schumann composait les Kinderscenen (op. 15), de nouveaux
fragments des Albumblâtter et des Bunte Blâtter (op. 99),
les Novelettes (op. 21) et les Kreisleriana (op. 16).
Inspirées par les pages que le célèbre conteur E.-T.-A. Hoff-
mann avait consacrées à la physionomie étrange, fantastique,
baroque du Kapellmeister Kreisler, les Kreisleriana sont des
petites pièces qui comptent au nombre des plus originales
qui soient sorties de la plume féconde du compositeur de
Zwickau. D'après Reissmann, l'auteur de Kreisleriana aurait
voulu traduire par les sons quelques épisodes de sa propre
vie plutôt que d'évoquer l'image du Kreisler de Hoffmann.
L'année 1839 est particulièrement riche en productions
remarquables pour piano ; ce sont : le N^ 19 des Albumblâtter,
le N» 10 des Bunte Blâtter, puis les œuvres suivantes énumé-
rées suivant l'ordre indiqué par le chiffre qui les accom-
pagne :
(Op. 18) Arabesque, en Do majeur, composition charmante
dont les deux premières mesures :
Leicht und zart. (M. M. é = 132.)
révèlent - suffisamment le caractère, ainsi que les procédés
d'écriture employés par Schumann.
— 382 —
(Op. 19) Blumexifltttck, en Ré bémol majeur; six morceaux
constituant un véritable bouquet d'exquises mélodies.
(Op. 20) Humoreske, œuvre de longue haleine dans les
dilTérentes parties de laquelle le génie schumannien se reflète
sous ses divers aspects.
(Op. 23) Nachtstûcke (nocturnes), quatre morceaux, le pre-
mier en Do majeur, le second en Fa majeur, le troisième en
Ré bémol majeur, le quatrième en Fa majeur, dont Tétude
présente un grand intérêt ; le N® 3, en Ré b majeur, procède
d'une inspiration éminemment poétique.
(Op. 26) Faschingsschwank ans Wien (Carnaval de Vienne),
suite de morceaux d'allures très diverses, mais entre lesquels
règne cependant une unité fondamentale. Entre deux allegro
en Si b majeur se placent : une romance en Sol mineur d'un
caractère intime, un scherzino en Si h majeur, merveille de
grâce et de légèreté, et un Intermezzo en Mi h mineur dont
l'accent passionné forme un saisissant contraste avec les
pièces qui le précèdent et le suivent immédiatement.
(Op. 28) Trois romances, la première en Si b mineur, la
seconde en Fa ^ majeur que l'on pourrait appeler Diu> et dans
laquelle le compositeur, pour plus de clarté, emploie trois
portées, deux à la main droite, une à la main gauche : les
deux premières mesures :
permettent de se rendre compte soit de la nature soit de la
valeur du procédé mis en qgage par Schumann.
— 383 —
La troisième romanccy en Si majeur est écrite dans un styl&
sensiblement différent des deux précédentes et puis aussi du
m
style conventionnel de la romance. Avec ses deux intermezzi,.
le premier en Do || mineur, le second en Mi mineur cette-
composition, très originale, est caractéristique du genre de
Schumann.
Quatre morceaux {scherzo, gigucy romance et fughette,
op. 32) complètent la série des compositions écrites de 1835-
à 1840, année qui marque le début d'une ère nouvelle dans-
la vie et dans l'activité créatrice du grand compositeur.
Dès 1896, un lien d'étroite et tendre affection s'était formé
entre Robert Schumann et Clara Wieck. Malheureusement,.
Frédéric Wieck, trouvant Schumann « de fortune et de no-
toriété trop minces pour obtenir sa fille, » suscita difficultés-
sur difficultés. « L'amour de Robert et de Clara fut contrarié
par l'absence, par des obstacles sans cesse renaissants, » dit
J. Hubert. En février 1840, Schumann ayant obtenu le grade
de docteur en philosophie de l'Université de Jena, le ma-
riage fut décidé, malgré l'opposition persistante de Frédéric
Wieck ; il fut célébré en septembre de la même année.
Schumann trouva dans son union avec Clara Wieck un
bonheur complet, mais de courte durée. Âpres avoir été pro-
fesseur au Conservatoire de Leipzig, directeur de musique à.
Dresde, après avoir fait avec sa femme un voyage triomphal
en Russie (1844), le compositeur s'était fixé en 1850 à Dus-
seldorf. C'est là que l'affection nerveuse, dont il avait déjà,
précédemment souffert, éclata avec une violence telle qu'en
1853 il dut renoncer à ses occupations. Une excursion en
Hollande amena une amélioration dans l'état du pauvre ma-
lade, mais la tentative de suicide qu'il fit en 1854 révéla la
gravité de la situation. Interné dans une maison de santé à.
Ëndenich, Schumann y vécut deux ans, entouré des soins le&
plus affectueux; le 29 juillet 1856, la mort mit fin à ses souf-^
frances. Schumann fut inhumé à Bonn ; au bord de la tombe,
Ferdinand Hiller prononça ces paroles : « Avec un sceptre-
d'or, tu as régné dans le monde supérieur des sons et tu aa
— 384 —
vaillamment et librement travaillé dans ce domaine. Beau-
coup d'entre les meilleurs se sont donnés, consacrés à toi, ils
t'ont enthousiasmé par leur propre enthousiasme, ils t'ont
récompensé par leur profond dévouement. »
Durant la dernière période de sa vie, Schumann composa
moins pour le piano, son activité créatrice s'étant dirigée
essentiellement vers le Lied (surtout en 1840) et vers les
grandes compositions pour orchestre, pour chœur et or-
chestre, symphonies, ouvertures, cantates. {Le paradis et la
péri, Le pèlerinage de la rose, une Messe, un Requiem, etc.)
Cependant il ne négligea pas complètement l'instrument
pour lequel il avait écrit tant de chefs-d'œuvre; de 1841 à
1853, Schumann termina les recueils auxquels il travaillait
depuis bien des années, les Albumhlàtter{op, 124), les Bunte
Blàtter (op. 99) ; il composa en outre pour piano seul : Quatre
iugues, dédiées à Reinecke (op. 72), le délicieux Album fur
die Jugend (op. 68), les Waldscenen, série de nouveaux mor-
ceaux plus exquis les uns que les autres (op. 82), des Mar-
ches (op. 76), Drei Fantasiestûcke (op. 111) et en 1853, au
cours de l'année qui marque le terme de sa carrière artis-
tique: sept Clavierstûcke in Fughettenform (op. 126), trois
Sonates pour la jeunesse (op. 118), et les Geeftnge der Frûhe
(op. 133). A la même époque, soit de 1841 à 1853, le grand
compositeur a écrit pour piano et orchestre son admirable
Concerto en La mineur (op. 54), l'Introduction et Allegro ap-
passionato (op. 92), et enfin le Concert-AUegro mit Introduc-
tion (op. 134).
Dans toutes ces compositions, Robert Schumann se montre
artiste génial dans la signification la plus compréhensive du
mot. Nul n'a mieux que lui (Beethoven mis à part) su expri-
mer par des sons les mouvements les plus intimes aussi bien
que les élans les plus passionnés du cœur humain.
Si un voile de mélancolie semble planer sur l'œuvre en-
tière du maître de Zwickau, cela résulte non d'une disposi-
tion naturelle de son esprit, mais de l'afTection nerveuse dont
il souffrit dès sa jeunesse et qui eut pour conclusion finale
— 385 —
la plus lamentable des catastrophes. Schumann n'était pas
un mélancolique de naissance, il Test devenu sous TinHuence
de la maladie ; c'était une nature saine, accessible à des im*
pressions joyeuses; d'une parfaite sincérité, Schumann alliait
à une intelligence très cultivée des sentiments pleins de
fraîcheur. Toutes ces qualités se retrouvent dans les compo-
sitions du maître, malheureusement atténuées par l'état de
dépression morale djans lequel, trop souvent, la douleur phy-
sique avait pour résultat de le plonger.
Par la tournure de son esprit comme par les circonstances
de sa vie, Schumann était désigné pour traduire dans le lan-
gage des sons les mouvements les plus secrets de l'âme hu-
maine, pour interpréter les aspirations de son époque, pour
être l'écho du souffle romantique qui passa sur la littérature
de 1820 à^lSSO. Protégé par une forte culture intellectuelle
contre de fâcheux écarts de l'imagination, le romantisme de
Schumann, d'une hardiesse extrême vis-à-vis de tout ce qui
avait le caractère de pédantisme musical, se montrait des
plus respectueux vis-à-vis des lois éternelles du beau, raison
pour laquelle ses œuvres, bien que procédant d'une inspira-
tion éminemment romantique, sont cependant très classiques.
Quand, à propos de Schumann, M. Marcillac parle de « renver-
sement de tous les principes traditionnels et de toutes les
règles recommandées pour arriver à l'unité de pensée et de
conception, » le professeur genevois fait preuve d'un fâcheux
parti pris.
Non seulement Schumann témoigne d'une admiration pro-
fonde pour le génie de Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, de
Mendelssohn lui-même, mais il recommande aux jeunes mu-
siciens d'apprendre de bonne heure les lois fondamentales
de l'harmonie, de jouer et rejouer les fugues des bons maî-
tres, de faire leur pain quotidien du Clavecin bien tempéré^
etc.
Les compositeurs que Schumann désignait sous le nom de
Philistins et contre lesquels il dirigeait ses traits l'es plus
acérés étaient uniquement ceux qui personnifiaient les pré-
HIST. DU PIANO 25
— 386 -
jugés et la routine; il luttait contre la critique de c catogan >
(Zopfkritik), contre le mauvais goût du public. D'autre part»
s'il ne ménageait pas les coups de griffe aux représentants du
pédantisme musical, Schumann prodiguait les encourage-
ments à ceux qui se lançaient dans la carrière avec tout Ten-
thousiasme de la jeunesse. « Respectez Tancien, mais inté-
ressez-vous ardemment au nouveau, x> tout le programme
rénovateur de Schumann tient en ces mots.
Le maître de Zwickau occupe une place essentielle dans le
mouvement musical contemporain; si Ton peut formuler
quelques réserves sur ses compositions à grand orchestre,,
on doit reconnaître que dans ses Lieder et dans la plupart
de ses œuvres pour piano, il a atteint les plus hauts sommets
de Tart.
« Schumann demeure un maître unique. Nul musicien n'in-
carna plus et mieux que lui, dans une expression d'art incom-
parable, l'âme mélancolique, agitée, rêveuse, souffrante et
extraordinairement sensible de son siècle, b
Ces lignes de M. Jean Hubert résument l'impression domi-
nante qui se dégage d'une étude de la vie et de l'œuvre de
Robert Schumann.
La plupart des articles insérés par Schumann dans la Nouvelle
gazette musicale ont été réunis en volumes sous le titre de Ge--
sammelte Schriften ûber Musik und Musiker,
Auguste Reissmann a publié en i865 une intéressante biogra-
phie du maître de Zwickau.
CHAPITRE III
Frédéric Chopin.
FrëBËRIC Chopin est né le i^^ mars 1809 à Zelazowa, en
Pologne. Son père, Nicolas Chopin, d'origine Lorraine, né le
17 avril 1773, à Nancy, avait, à l'âge de dix-sept ans, accepté
une place de précepteur chez la staroste Laçzynska. Mis
prompteraent en relations avec des notables polonais, soit
dans la maison de ses élèves, soit dans le village de Czer-
niejow, témoin des mouvements révolutionnaires qui se suc-
cédèrent en Pologne, dès 1806 uni par les liens dii mariage
à une Polonaise, Justine Krzyzanowska, pendant plusieurs
années professeur à Varsovie, capitaine de la garde nationale^
Nicolas Chopin considérait la Pologne comme sa seconde pa-
trie. Deux fois il conçut le projet de rentrer en France ; deux
fois la maladie l'en empêcha. Il vit dans cette circonstance
une indication de la Providence et renonça définitivement à
quitter une terre qui lui avait été hospitalière, à se séparer
d'un peuple dont il partageait très vivement les aspirations
et les souffrances. Nicolas Chopiïi mourut en 1844, laissant
le souvenir d'une existence tout entière dominée par la con-
science claire et vive du devoir. Sa veuve, dont on appréciait
beaucoup le caractère sérieux en môme temps qu'aimable,
lui survécut dix-sept années au cours desquelles, cruelle-
ment-éprouvée par la mort de trois de ses enfants, ses filles
Emilie et Louise et son fils Frédéric, elle donna l'exemple
d'une résignation admirable. La perte d'Emilie fut particu-
lièrement douloureuse; enlevée à l'âge de quatorze ans, cette
jeune fille, remarquablement douée, semblait destinée à jouer
— 388 —
un rôle distingué dans le domaine de la littérature et des
beaux-arts.
Elevé dans un milieu éminemment favorable à son déve-
loppement artistique, en contact journalier avec des artistes,
amis de la maison, Elsner, M"»* de Linde, avec cela, d'une
sensibilité telle que souvent l'audition d'un morceau de mu-
sique faisait couler ses larmes, le jeune Frédéric fit, dans
rétude du piano de si rapides progrès que déjà en 1818, on
sollicitait son concours pour un concert de bienfaisance.
Placé sous la direction d'un maître tel que Elsner qui, tout
en instruisant son élève suivant les principes de Tart, laissait
à son originalité la liberté de se déployer à son aise, Chopin
s'exerça à la composition et écrivit des polonaises, des ma-
zurkas, des valses où Ton surprend déjà l'effort du composi-
teur pour employer des accords brisés jusqu'alors négligés,
pour ouvrir à la littérature du piano des horizons nouveaux.
A cette époque, le futur chantre de la douleur était le plus
gai compagnon que l'on pût imaginer ; non seulement à l'école
il caricaturait ses maîtres, mais dans la société, dans la famille
surtout, il était un véritable boute-en-train, passant aisément
du rôle de comédien à celui d'improvisateur et dans l'un
comme dans l'autre remportant un égal succès.
En 1827, Chopin fit ses examens de licence au lycée de
Varsovie ; sans être mauvais, le résultat ne fut pas brillant ;
dès ce moment, Chopin résolut de se consacrer complètement
à la musique qu'il avait jusqu'alors cultivée en amateur.
Après un séjour assez prolongé à Berlin, Chopin entreprit
plusieurs séries de voyages qui le conduisirent successive-
ment à Vienne, Prague, Teplitz, Dresde, et au cours desquels
il donna plusieurs concerts.
Le premier concert donné par le brillant virtuose à Vienne
eut lieu le 11 août 1829 avec le programme que voici : •
Ouverture de Beethoven.
Variations de Chopin,
Chant de Mi»e Veltheim.
— 389 —
Krakowiack de Chopin.
Ballet.
Le succès fut complet ; dans une lettre à ses parents, le
jeune triomphateur s'exprime en ces termes : « Lorsque j'ap-
parus sur la scène Je fus salué par des bravos; après chaque
variation, le public répéta ce mot si agréable à entendre
avec tant d'enthousiasme que je ne fus pas dans le cas de
percevoir les tutti de l'orchestre. Quand je quittai l'instru-
ment, je fus si chaleureusement rappelé que je dus me pré-
senter deux fois pour remercier le public. »
De retour à Varsovie, Chopin joua le 7 mars 1830 son
concerto en Fa mineur, puis en novembre de la même année,
à la veille de quitter pour toujours la capitale de la Pologne,
il donna un grand concert d'adieu. Le lendemain, ses amis
l'accompagnèrent jusqu'à Wola.
Une manifestation émouvante se produisit. Les élèves du
Conservatoire de Varsovie chantèrent une cantate de cir-
constance composée par Elsner. Au banquet qui suivit, un
assistant offrit à Chopin une coupe en argent et prononça les
paroles suivantes : « Partout où tu iras, où tu habiteras,
puisses-tu ne jamais oublier ta patrie, ne jamais cesser de
l'aimer d'un cœur chaud et fidèle. Souviens-toi de la Po-
logne, souviens-toi de tes amis qui t'appellent avec fierté leur
compatriote, qui attendent de toi de grandes choses, dont
les vœux et les prières t'accompagnent. »
Une dernière étreinte et confiant en sa bonne étoile, Chopin
visita successivement Breslau, Dresde, Prague, Munich où il
séjourna quelque temps et d'où, en 1832, il partit pour
Paris, l'immense métropole où devait se poursuivre la seconde
et dernière période de sa carrière.
Les débuts de Chopin à Paris furent pénibles; les préoc-
cupations étaient tournées vers la politique plutôt que vers
la musique ; un premier concert, le 26 février 1832, ne fut
guère fréquenté que par les membres de la colonie polonaise.
En relation avec les plus grands musiciens de l'époque,
— a90 —
Chopin n'en demeurait pas moins dans une situation des
plus précaires.
En proie au découragement, Chopin songea sérieusement
à tenter la fortune en Amérique, puis, devant l'opposition
de ses parents, à rentrer à Varsovie, quand une soirée passée
chez le baron de Rothschild changea ses plans du tout au tout.
Mis en rapport avec un certain nombre de représentants
de la haute société parisienne charmés par son jeu incompa-
rable, le grand artiste vit bientôt les élèves affluer. Désormais
hors de souci, Chopin resta à Paris.
En relation intime avec les nombreux Polonais en séjour
ou en passage à Paris, Chopin fît en 1836, la connaissance
de la jeune et gracieuse Marie Wodzynska ; il Taima et en
fut aimé. Décidé à s'établir en Pologne, il se préparait à
rejoindre sa fiancée à Varsovie quand il apprit que celle-ci,
préférant un titre nobiliaire à la gloire d'être la femme d'un
homme de génie, venait d'épouser un comte polonais. Cet
événement eut pour Téminent artiste les suites les plus
fatales.
Dès l'automne de 1837, on s'aperçut que la santé de Chopin
s'était gravement altérée. Les médecins conseillèrent un
séjour dans le Midi. Devenu l'ornement des salons parisiens,
Chopin hésita longtemps à prendre une résolution qui l'éloi-
gnait de son piano, de ses amis, de Paris, en un mot ; une
circonstance de nature tout à fait spéciale triompha de ses
résistances.
Quelque temps auparavant, Chopin avait fait la connais-
sance de George Sand, et dès la première rencontre il avait
conçu pour elle une vive affection. Obligée par la maladie de
son fils Maurice à passer l'hiver de 1838 à 1839 à Majorque,
G. Sand engagea Chopin à l'accompagner dans cette station
climatérique. Le pauvre musicien n'osa pas résister aux sol-
licitations de la femme célèbre pour laquelle il professait une
admiration sans réserve.
Le voyage s'opéra sans accident; mais dès son installation
à Majorque, dans une maison humide et crue, l'affection pul-
— 391 —
xnonaire dont Chopin souffrait prit un caractère alarmant ; il
fallut chercher un autre logement, et comme personne ne
voulait avoir un malade dans son voisinage, on dut se con-
tenter du vieux monastère de Waldemora que les moines
■avaient abandonné. C'est là que Chopin passa Thiver de 1838
à 1839 et c'est là qu'il écrivit quelques-unes de ses œuvres
les plus parfaites, les Préludes, dont quelques-uns semblent
'évoquer l'image des moines défunts marchant d'un pas lent
-et solennel sur la dalle glacée du couvent.
De retour à Paris en mars 1839, Chopin continua à passer
les saisons d'été à Nohant, sous ce toit hospitalier où George
Sand réunissait l'élite des artistes parisiens. A cette époque,
il faut le reconnaître à l'honneur de l'auteur d'Indianay
O. Sand entoura le musicien malade de soins véritablement
dévoués ; on a une preuve de la chose dans la lettre qu'elle
adressa en 1844 à Justine Chopin à l'occasion de la mort de
son mari ; après avoir parlé de la douleur que Chopin avait
éprouvée à la nouvelle de la mort de son père, G. Sand écri-
vait : € Je ne peux pas lui ôter cette peine si profonde, si
légitime et si durable ; mais je puis du moins soigner sa
santé et l'entourer d'autant d'aflfection et de précautions que
vous le feriez vous-même. C'est un devoir bien doux que je
me suis imposé avec bonheur et auquel je ne manquerai
jamais. Je vous le promets, madame, et j'espère que vous
avez confiance en mon dévouement pour lui. Je ne dis pas
que votre malheur m'a frappée autant que si j'avais connu
l'homme admirable que vous pleurez. Ma sympathie, quelque
vraie qu'elle soit, ne peut adoucir ce coup terrible, mais en
vous disant que je consacrerai mes jours à son fils, et que je
le regarde comme le mien propre, je sais que je puis vous
donner de ce côté là quelque tranquillité d'esprit. »
Malheureusement, les beaux sentiments exprimés dans ces
lignes ne tardèrent pas à se refroidir. Comme la plupart des
phtisiques, Chopin était souvent capricieux, exigeant ; d'un
autre côté, George Sand n'avait pas encore atteint la période
de sa vie où un grand apaisement se fit dans cette âme ar-
- 392 —
dente et passionnée. Quoi qu'il en soit les relations devinrent
toujours plus tendues jusqu'au moment où, en 1846, la pu-
blication du roman : Lucrèce Floriani détermina une rupture
qui, pour avoir été fort brusque, n'en fut pas moins défini-
tive. Dès l'instant où il comprit qu'il était de trop à Nohant,
Chopin qui, malgré tout, avait conservé l'âme fière, quitta
la maison pour n'en plus jamais franchir le seuil.
Vers la fin d'avril 1848, Chopin, dont la santé s'était
quelque peu affermie, entreprit un voyage en Angleterre, en
Ecosse. Comme pianiste et comme compositeur, il remporta
de brillants succès. De retour à Paris, au commencement de
1849, il espère encore se remettre. C'était une illusion. Dès
le mois d'octobre de la même année, le mal fit de rapides
progrès. Informée de l'état alarmant où se trouvait Chopin,
sa sœur aînée accourut à son chevet où elle demeura jusqu'à
la fin avec deux élèves du maître, le pianiste Gutmann et la
comtesse Delphine Potocka.
Ici, il faut laisser la parole à Liszt qui a retracé avec une
émotion communicative les derniers moments de l'illustre
musicien :
a Dans le salon avoisinant la chambre à coucher de Chopin
se trouvaient constamment réunies quelques personnes qui
venaient tour à tour auprès de lui recueillir son geste et son
regard à défaut de sa parole éteinte I Parmi elles, la plus
assidue fût la pripcesse Marceline Czartoryska, qui, au nom
de toute sa famille, bien plus encore en son propre nom,
comme l'élève préférée du poète, la confidente des secrets de
son art, venait tous les jours passer une couple d'heures près
du mourant.
» Elle ne le quitta à ses derniers moments qu'après avoir
longtemps prié auprès de celui qui venait de fuir ce monde
d'illusions et de douleurs pour entrer dans un monde de
lumière et de félicité 1
» Le dimanche 15 octobre, des crises plus douloureuses en-
core que les précédentes durèrent plusieurs heures de suite.
Il les supportait avec patience et grande force d'âme. La
— 393 -
comtesse Delphine Potoeka, présente à cet instant, était
vivement émue ; ses larmes coulaient. Il l'aperçut debout au
pied de son lit, grande, svelte, vêtue de blanc, ressemblant
aux plus belles figures d'anges qu'imagina jamais le plus
pieux des peintres; il put la prendre pour quelque céleste
apparition. Un moment vint où la crise lui laissa un peu de
repos ; alors il lui demanda de chanter. On crut d'abord qu'il
délirait, mais il répéta sa demande avec insistance. Qui eût
osé s'y opposer? Le piano du salon fut roulé jusqu'à la
porte de sa chambre, la comtesse chanta avec de vrais san-
glots dans la voix.
» Les pleurs ruisselaient le long de ses joues et jamais,
certes, ce beau talent, cette voix admirable n'avaient atteint
une si pathétique expression.
» Chopin sembla moins souffrir pendant qu'il l'écoutait. Elle
chanta le fameux cantique à la Vierge qui, dit-on, avait sauvé
la vie à Stradella. « Que c'est beau 1 mon Dieu, que c'est
» beau I dit-il ; encore. .. encore ! » Quoique accablée par l'émo-
tion, la comtesse eut le noble courage de répondre à ce der-
nier vœu d'un ami et d'un compatriote ; elle se remit au
piano et chanta un psaume de Marcello, Chopin se trouva
plus mal, tout le monde fut saisi d'effroi. Par un mouvement
spontané, tous se jetèrent à genoux. Personne n'osant parler,
l'on n'entendit plus que la voix de la comtesse ; elle plana
comme une céleste mélodie au-dessus des soupirs et des san-
glots qui en formaient le sourd et lugubre accompagnement.
C'était à la tombée de la nuit ; une demi-obscurité prêtait ses
ombres mystérieuses à cette triste scène. La sœur de Chopin^
prosternée près de son lit, pleurait et priait ; elle ne quitta
plus guère cette attitude tant que vécut ce frère si chéri
d'elle I
y> Pendant la nuit, l'état du malade empira; il fut mieux au
matin du lundi. Comme si, par avance, il avait connu l'ins-
tant désigné et propice, il demanda aussitôt à recevoir les
derniers sacrements. En l'absence du prêtre-ami avec lequel
il avait été très lié depuis leur commune expatriation, ce fut
- 394 -
naturellement l'abbé Jelowicki qui arriva. Lorsque le saint
viatique et Textrême-onction lui furent administrés, il les
reçut avec une extrême dévotion, en présence de tous ses
amis. Peu après, il fit approcher de son lit tous ceux qui
étaient présents, un à un, pour leur dire à chacun un der-
nier adieu, appelant la bénédiction de Dieu sur eux, leurs
affections et leurs espérances. Tous les genoux se ployèrent,
les fronts s'inclinèrent, les paupières étaient humides, les
cœurs serrés et élevés.
» Des crises toujours plus pénibles revinrent et continuèrent
le reste du jour. La nuit du lundi au mardi, Chopin ne pro-
nonça plus un mot et semblait ne plus distinguer les per-
sonnes qui l'entouraient ; ce n'est que vers onze heures du
soir qu'une dernière fois il se sentit quelque peu soulagé.
L'abbé Jelowicki ne l'avait plus quitté. A peine Chopin eut-il
recouvré la parole, qu'il désira réciter avec lui les litanies
et les prières des agonisants; il le fit en latin, d'une voix
parfaitement intelligible. A partir de ce moment, il tint sa
tête constamment appuyée sur l'épaule de M. Gutmann qui,
durant tout le cours de cette maladie, lui avait consacré et
ses jours et ses veilles.
» Une convulsive somnolence dura jusqu'au 17 octobre 1849.
Vers deux heures, l'agonie commença ; la sueur froide cou-
lait abondamment de son front ; après un court assoupisse-
ment, il demanda d'une voix à peine audible: a Qui est près
de moi? » Il pencha sa tête pour baiser la main de M. Gut-
mann qui le soutenait, rendant l'âme dans ce dernier témoi-
gnage d'amitié et de reconnaissance. Il expira comme il avait
vécu, en aimant I Lorsque les portes du salon s'ouvrirent, on
se précipita autour de son corps inanimé et longtemps ne
purent cesser les larmes qu'on versa autour de lui. ^
Paris fit au grand artiste polonais de superbes funérailles.
Le Requieyn de Mozart fut chanté à l'église de la Madeleine
avec M™p Viardot-Garcia, Lablache pour solistes. A l'introït,
on joua la marche funèbre de la sonate en Si h mineur or-
— 395 —
chestrée par Reber et à TofiFertoire Lefébure-Wély joua les
préludes de Chopin en Si mineur et en Mi mineur.
Chopin repose au Père Lachaise, entre Beliini et Che-
rubini.
♦
Si admirablement qu'il fût doué, Chopin s'est renfermé à
peu près exclusivement dans la musique de piano, mais dans
ces limites restreintes, il a écrit de purs chefs-d'œuvre. En
musique comme en peinture, la valeur d'une composition
ne dépend pas de ses dimensions; elle dépend uniquement
du degré selon lequel elle éveille l'impression du beau chez
ceux qui l'entendent ou la contemplent; de même qu'un
sonnet peut être aussi parfait qu'un poème, un simple pré-
lude peut être aussi parfait qu'une grandiose symphonie.
Cinq fois seulement Chopin a recouru aux ressources de
l'orchestre dont il usait d'ailleurs avec beaucoup d'aisance;
c'est d'abord pour l'accompagnement de ses deux concertos,
tous deux écrits pendant la première période de sa vie.
Le premier en date est celui en Fa mineur (op. 21), pour
l'adagio duquel le compositeur lui-même avait une préférence
marquée. C'est effectivement une page dont la principale
phrase a beaucoup de largeur. Le finale est « tour à tour
martial et mélancolique, rêveur et passionné. y>
Parlant de l'exécution de cette œuvre remarquable au pre-
mier concert qu'il donna à Varsovie, en mars 1830, Chopin
écrivait à un de ses amis : « Le premier allegro du concerto
en Fa mineur (pas compréhensible pour tout le monde) fut,
il est vrai, récompensé par des bravos, mais je crois que cela
tenait surtout à ce que le public voulait montrer qu'il com-
prend et sait apprécier la musique sérieuse. Dans tous les
pays, il se rencontre des gens qui aiment à se donner l'air
de connaisseurs. L'adagio et le rondo ont produit beaucoup
d'effet; applaudissements et bravos sont partis du cœur. »
Le 15 mai de la même année, dans une lettre au même
— 396 —
correspondant, Chopin parle du concerto en Mi mineur
(op. il), « Le rondo, écrit-il, n'est pas terminé parce que,
jusqu'à présent, la disposition juste, inspirée m'a fait défaut. »
C'est bien ce qui manque à cette composition qui n'a pas la
spontanéité de la plupart des œuvres du compositeur polo-
nais. Par contre, Vadagio est d'une idéale beauté. « Il doit
être joué, dit Chopin, dans une disposition romantique,
calme, quelque peu mélancolique. Il doit produire une im-
pression pareille à celle que l'on éprouve quand le regard
s'arrête sur un paysage aimé qui éveille dans les âmes de
beaux souvenirs, par exemple celui d'une belle nuit de prin-
temps éclairée par les rayons de la lune. »
A son arrivée à Paris, en 1832, Chopin se rendit auprès de
Kalkbrenner à qui il demanda de lui donner quelques
leçons. Kalkbrenner répondit que le jeune pianiste polonais
avait un doigté très défectueux, mais qu'il consentirait à
le remettre dans la bonne voie s'il s'engageait à prendre des
leçons pendant trois ans. Chopin, qui avait conscience de sa
force, refusa, mais pour témoigner de son respect pour la
personne de Kalkbrenner, il lui dédia son concerto en Mi
mineur.
Outre les deux concertos, les seules œuvres dans lesquelles
Chopin ait fait intervenir l'orchestre sont une Fantaisie sur
des airs polonais, une Krakowiack, grand rondo de concert et
une Polonaise précédée d'une introduction très développée.
A l'exception d'une sonate^ d'une polonaise et d'un duo sur
Robert le Diable pour piano et violoncelle, d'un trio pour
piano, violon, violoncelle, rarement joué, et d'un rondo à
deux pianos, œuvre de jeunesse composée en 1828, Chopin
n'a écrit que pour le piano à deux mains, mais c'est dans ce
champ tout à fait spécial de la littérature musicale qu'il a
mis la meilleure part de son génie.
Parmi les œuvres dans lesquelles Chopin se rattache à la
tradition classique, il faut mentionner en premier lieu les
sonates en Ut mineur (op. 4), en Si b mineur (op. 35) et en
Si mineur (op. 58). La plus connue des trois est la seconde.
— 397 —
à cause de la Marche funèbre qui remplace l'adagio conven-
tionnel ; le final n'est pas moins caractéristique ; il demande
à être enlevé avec autant de légèreté que de prestesse ; quand
Rûbinstein jouait cet étrange morceau, les doigts de Tillustre
pianiste semblaient à peine effleurer les touches.
La troisième sonate, Si mineur, est plus régulièrement
construite que la précédente ; l'individualité du compositeur
s'y affirme cependant, d'abord dans cette belle phrase de
premier allegro :
puis dans le thème du Largo en Si majeur :
— 398 —
Le final, un presto très accentué, a beaucoup d'élan ; il ne
peut être convenablement exécuté que par un pianiste con-
naissant à fond la technique du piano.
Sans méconnaître les beautés semées par Chopin dans ses
sonates, on peut toutefois souscrire au jugement de Liszl^
qui voit dans ces productions « plus de volonté que d'inspi-
ration. ))
Des observations analogues peuvent s'appliquer aux rondos
de Chopin. Le plus intéressant est le N^ 4 (op. 16), en Mi b
majeur, dédié à M. Hartmann. L'introduction en Do mineur
a une gravité qui fait un heureux contraste avec le caractère
enjoué du rondo proprement dit.
Deux cahiers d'Etudes (op. 42 et 15) et un cahier de Pré-
ludes (op. 28) sont au nombre des œuvres les plus achevées
du compositeur polonais. Weitzmann appelle les Préludes
de précieux joyaux dans lesquels la nature poétique de
Chopin se révèle sous des nuances les plus diverses.
Les Impromptus de Chopin brillent également d'un lumi-
neux éclat. (( L'impromptu débute par un trait brillant et
développé, qui, au moyen d'une reproduction presque iden-
tique, servira de péroraison. La partie intermédiaire est ré-
servée à l'exposition d'une mélodie large et puissante *. » C'est
sur ce plan que les impromptus de Chopin sont construits.
C'est ainsi que VImpromptu en La b majeur (op. 29) dédié à
M™« LoBAU, commence par le « trait brillant et développé »
que voici :
^
E&p
"^^"l^'iT i^ I "i*K — 7W — r'pk» 1?""' (■fer (* I i*' H^ f* 1
La phrase intermédiaire en Fa mineur
* Barbedette, F. Chopin, p. 39.
— 399 —
est très expressive. Par une transition habilement ménagée^
elle ramène le motif initial qui sert de brillante péroraison
au morceau tout entier.
C'est surtout dans la Fantaisie-Impromptu en Do j| mineur
(œuvre posthume) que Chopin se révèle dans la richesse
poétique, dans l'exubérance de sa nature. Le premier allegro
(agitato) :
^m^^^=4^j^
ê^
X
X
a quelque chose de tout à la fois mystérieux et passionné^
tandis que le moderato cantahile en Ré b majeur, qui est au
centre de la composition :
— 400 —
^^CT^
est un chant d'une incomparable sérénité.
Le professeur Klindvvorth a introduit une variante quand
le trait suivant de la main droite est répété :
^
Bien que H. de Biilow estime que la variante de Klind-
worth :
fi.AK f trts-^-f^
est tout à fait dans l'esprit de Chopin^ on ne doit pas moins
la considérer comme une altération non autorisée de la
pensée du maître. Chopin disait un jour à Liszt : a Si vous
voulez jouer mes compositions, jouez-les telles qu'elles sont
écrites, sinon jouez autre chose. » 11 est regrettable que
MM. Klindworth et de Bûlow ne se soient pas souvenus de
ce mot du compositeur.
Les Nocturnes de Chopin (au nombre de dix-neuf) déve-
loppent la forme créée par Field en lui donnant plus d'am-
pleur, plus de poésie, surtout en lui imprimant ce cachet de
profonde mélancolie qui est caractéristique de l'œuvre du
musicien polonais.
Entre ces dix-neuf pièces de dimension à peu près égale,
il serait difficile de formuler des préférences. Aucune n'est
banale ; la plupart ont un grand charme poétique. On peut
cependant mettre hors de pair le N^ 2 de l'op. 27 en Ré b
- 401 —
majeur, avec son magnique accompagnement en arpèges con-
tinus, sa phrase mélodique d'une limpidité parfaite, la grâce
exquise des ornements, le N« 1 de Top. 48 en Do mineur dont
le passage en accords arpégiés majeurs:
^d^-44il^i
a beaucoup de solennité et dont le retour du motif principal
repris avec des développements nouveaux est préparé par
une série d'octaves doubles d'un saisissant effet, et enfin
parmi les plus connus, les trois nocturnes dont se compose
l'op. 9, trois compositions dans lesquelles se révèle tout ce
qui constitue l'originalité en même temps que la distinction
du style de Chopin.
A propos des deux beaux nocturnes qui forment l'op. 55,
le premier en Fa mineur, le second en Mi h majeur, tous deux
dédiés à M"« Stirling, un trait qui montre l'attraction que
Chopin exerçait sur ses élèves mérite d'être rappelé. Rentrant
d'une soirée avec son ami Szmitkowski, le compositeur l'en-
tretint en plaisantant de sa position précaire, ajoutant que
si une aimable fée déposait vingt mille francs dans son ar-
moire, il en serait dans le ravissement. La nuit suivante, il
rêva que son vœu était réalisé; jusque-là rien d'extraordi-
naire ; voici qui l'est davantage : quelques jours après, ou-
vrant une cachette où il réduisait son argent, Chopin y trouva
les vingt mille francs souhaités. La bonne fée n'était autre
que M"« Stirling à qui Szmitkowski avait raconté les diffi-
cultés sous lesquelles son professeur se débattait. Chopin de-
vait bien deux nocturnes à une élève aussi généreuse; on
assure du reste que, par testament, il remboursa la somme
qui lui avait été spontanément off^erte.
HIST. DU PIANO 26
— 402 —
Quatorze valses de Chopin, dont six œuvres posthumes^
ont été éditées ; à la seule exception de la valse en Si mineur
(op. 69, No 1) où Ton rencontre ce motif décidément banal :
toutes sont écrites en un style tour à tour brillant ou mélan-
colique, toujours distingué. Les valses en Ut J| mineur
(op. 64, N® 2), en La h majeur (op. 34, N« 1 et op. 42) sont
les plus jouées par les pianistes virtuoses ; on se souvient
aussi de la grâce et de la légèreté avec laquelle le pianiste
A. Jaëll jouait la valse en Ré b majeur (op. 64, N» 1). Deux
valses, celle en La mineur (op. 34, N<> 2) et celle en La 6 ma-
jeur (op. 69, No 1), ont un mouvement lent ; aucune ne sau-
rait accompagner le rythme des danseurs ; on les dépoétise-
rait en les réduisant à ce modeste emploi.
Plus ou moins visible dans la plupart des œuvres de Chopin,
le sentiment national Test surtout dans ses mazurkas et dans
ses polonaises.
Très populaire en Pologne, la Hazoure est une danse qui
offre un curieux mélange de grâce et de légèreté en même
temps que de vigueur, de spontanéité ; par ce qu'elle a tout
à la fois a de fier, de tendre, de provoquant, » elle est féconde
en incidents dont le musicien peut s'inspirer. Liszt a admi-
rablement rendu le rôle de la danseuse : « Avançant d'abord
avec une sorte d'hésitation timide, la femme se balance
comme l'oiseau qui va prendre son vol ; glissant longtemps
d'un seul pied, elle rase comme une patineuse la glace du
parquet; puis, comme une enfant, elle prend son élan tout
d'un coup, portée sur les ailes d'un pas de basque allongé.
Alors ses paupières se lèvent et, telle qu'une divinité chasse-
resse, le front haut, le sein gonflé, les bonds élastiques, elle
— 403 —
fend Tair comme la barque fend Tonde et semble se jouer de
l'espace. ^ Tout cela Chopin Ta poétiquement exprimé dans
ses mazurkas, non pas que celles-ci soient de la musique de
danse. Chopin n'a gardé des mazoures proprement dites que
le cadre, c Conservant leur rythme, il en a ennobli la mélodie,
agrandi les proportions ; il y a intercalé des clairs-obscurs
harmoniques aussi nouveaux que les sujets auxquels il les
adaptait, pour peindre dans ces productions, qu'il aimait à
nous entendre appeler des tahleauix de chevalet^ ces innom-
brables émotions d'ordres si divers qui agitent les cœurs pen-
dant que durent et la danse et les longs intervalles' surtout,
où le cavalier a de droit une place à côté de sa dame dont il
ne se sépare point. ^ i»
Les mazurkas de Chopin sont en général vives, gaies, spi-
rituelles ; il en est cependant qui distillent la mélancolie et
la tristesse ; ainsi la mazurka (op. 17, N® 4); les quatre me-
sures que voici :
Lento.
ont un accent tout à fait désolé.
La mazurka (op. 30, N«» 4) a beaucoup d'ampleur; de même
le N<^ 3 de l'op. 50 ; toutefois la plupart de ces compositions
sont de dimensions très restreintes.
Très sensible dans les mazurkas, l'inspiration nationale
ne Test pas moins'dans les Polonaises de Chopin, œuvres ca-
pitales où le compositeur a déployé les ressources les plus
variées de son merveilleux génie musical et traité le piano
avec une maîtrise souveraine.
A la fin du dix-huitième siècle, le comte Oginsky composa
< Lifzi, h. Chopiriy p. 68.
— 404 —
des polonaises dont la plus célèbre, la Polonaise de la morty
est de 1793. L'année suivante parut la Kosciusko-Polonaisey
dont rinfluence fut analogue à celle de la Marseillaise. Le
succès de ces compositions fut si grand qu'en 1820 Oginsky
publia un recueil de polonaises dont la vente au profit d'un
établissement de bienfaisance produisit la belle somme de
dix mille francs.
LiPiNSKY (1790-1861), Mayseder (1789-1863) composèrent
des polonaises d'une valeur artistique réelle, mais après eux,
on publia, sous ce titre, une foule de morceaux n'ayant plus
de la polonaise que le nom.
Faisant de la polonaise un ce dithyrambe, ]> suivant l'heu-
reuse expression de Liszt, C.-M. de Weber lui rendit tout
son éclat. C'est à Chopin cependant qu'il appartenait de
s'emparer du rythme de cette danse nationale pour créer des
œuvres d'art d'une incomparable beauté.
La Polonaise était une sorte de défilé par lequel le maître
de maison ouvrait le bal avec la personne la plus honorée,
souvent la plus âgée des femmes présentes, c Après le maître
de maison, c'étaient d'abord les hommes les plus considé-
rables qui suivaient ses pas, choisissant, les uns avec amitié,
les autres avec diplomatie, ceux-ci leurs préférées, ceux-là
les plus influentes.... L'amphytrion était tenu de faire par-
courir à la troupe alignée qu'ail conduisait mille méandres
capricieux, à travers tous les appartements où se pressait le
reste des invités, plus tardifs à faire partie de sa brillante
suite. On lui savait gré d'atteindre aux galeries les plus éloi-
gnées, aux parterres de jardins confinant à leurs bosquets
illuminés où la musique n'arrivait plus qu'en échos affaiblis.
En revanche, elle accueillait son retour dans la salle princi-
pale avec un redoublement de fanfares.... Ainsi ce n'était
point une promenade banale et dénuée de sens qu'on accom-
plissait, c'était un défilé où, si nous osions dire, la société
entière faisait la roue et se délectait dans sa propre admira-
tion, en se voyant si belle, si fastueuse et si courtoise*. »
* Liszt, F, Chopin.
— 405 —
De ]à, le caractère général des polonaises de Chopin ; en
les écoutant, on croit voir passer un superbe cortège dont la
démarche a quelque chose de pompeux et solennel et dont
les divers groupes éveillent des impressions très variées,
tour à tour chevaleresques ou rêveuses, poétiques ou belli-
queuses. Ces contrastes peuvent se rencontrer dans le même
morceau. Ainsi la polonaise en Do j| mineur (op. 26, N<> 1)
fait succéder un chant d'une ineffable tendresse (en Ré b ma-
jeur) a des accents passionnés et cela tout en conservant
strictement le rythme particulier de la polonaise. Très inté-
ressant également, le N® 2 du même op. avec ses mysté-
rieux accords en Mi h mineur du début et son M&tio mosso
en Si majeur d'une allure si originale. La polonaise (N®!,
de l'op. 40) en La majeur a du commencement jusqu'à la
fin un accent héroïque, triomphant. Le passage en octaves
à la main gauche de l'op. 53 (La b majeur) produit un
effet saisissant quand le crescendo est suffisamment mé-
nagé ; l'œuvre entière esf remarquablement belle. De même,
les polonaises (op. 44), avec intercalalion d'une mazurka et
la Polonaise-Fantaisie (op. 61), avec sa grandiose introduc-
tion, ses motifs d'une grâce exquise, ses développements
d'une puissance extraordinaire, sont des compositions ache-
vées dont l'exécution et surtout l'interprétation ne sont point
aisées, mais qui réservent pour ceux qui sont capables de
les comprendre des jouissances artistiques de premier ordre.
Si aux œuvres qui viennent d'être mentionnées on ajoute
une Berceuse qui n'a pas sa pareille dans la littérature pia-
nistique, des Scherzos dont l'op. 31, en Si h mineur est le
type le plus parfait, une Tarentelle, une BarcaroUe d'inspi-
ration vraiment géniale, des Ballades, des Fantaisies, un
Allegro de concert de franche et noble allure, plus quelques
compositions secondaires de moindre valeur: VariaiionSy
Ecossaises, Boléro^ l'on aura passé en revue tout ce qui
assure à Chopin une place unique parmi les maîtres du
piano.
— 406 —
Plus on étudie Chopin, plus on a Timpression que Ton se
trouve en présence d'une personnalité musicale tout à fait
exceptionnelle. Très novateur, le musicien polonais a cherché
dans le sentiment national une source féconde et puissante
d'inspiration; il a imprimé à son œuvre le cachet d'une su-
prême distinction. Doué d'une extrême sensibilité, il a été,
parmi les modernes et par excellence, le poète du piano.
Liszt a bien mis en lumière les innovations introduites par
Chopin dans la musique écrite pour cet instrument.
C'est d'abord c Vextension des accords^ soit plaqués, soit
en arpèges, soit en batteries. » La onzième étude de l'op. 10,
en Mi b majeur, est un exemple frappant de cette extension
des accords arpégiés pour les deux mains ; voici les deux
premières mesures de cette composition :
Le passage suivant emprunté au Nocturne (op. 48, N<> 1)
n'est pas moins caractéristique :
^^
Ce sont en second lieu les ornements qui présentent chez
Chopin une ténuité en même temps qu'une élégance jamais
— 407 —
égalées. On dirait une gaze légère en apparence négligeam-
ment jetée sur la figure mélodique, mais dont en réalité pas
le moindre pli n'est abandonné au hasard. De très nombreux
exemples pourraient être cités ; en voici deux seulement:
Dans le Nocturne (op. 15, N« 2) en Fa |f majeur, Chopin a
écrit le trait suivant :
Leggiero.
reproduit plus loin modifié comme suit:
D'autre part, le Nocturne (op. 27, N® 2) en Ré h majeur,
d'une inspiration si suave avec son riche accompagnement
en arpèges persistants, renferme le trait suivant d'une extrême
finesse :
« r f. \
^m
Ê^â?.
î
£
cretc.
i
408
\ f" Tr^ Tf^v^^fTp F-^ rh^ ^mÎÎbm^m^mm .
ï-LuL:-XJ^-fe
con for%a ^ ^
fa
Une autre particularité du style de Chopin, c'est l'emploi
fréquent qu'il fait du Tempo rubato. Par cette locution :
tempo rubato (temps dérobé), on désigne la licence accordée
à l'exécutant d'altérer la mesure soit en pressant, soit en
ralentissant le mouvement. Le caractère même de la musique
de Chopin exige le tempo rubato qui permet de traduire par
les sons certaines nuances rythmiques des danses nationales.
Il importe cependant de ne pas dépasser sur ce point la
pensée du compositeur; il ne suffit pas de suspendre ou de
précipiter la mesure pour être un interprète patenté du mu-
sicien polonais. Autant le tempo ruhatOy employé avec une
sage modération, a d'agrément, autant il est détestable quand
on en abuse. On n'oubliera pas que Chopin voulait que la
main gauche, semblable à un <' maître de chapelle, ^ n'eût
aucune indécision; chez lui, la main droi-te seule prenait de
nombreuses libertés vis-à-vis de la mesure.
Plus encore que les innovations d'ordre technique intro-
duites par Chopin dans l'art de jouer du piano, les emprunts
qu'il a faits à l'inspiration nationale constituent un élément
caractéristique de sa physionomie artistique. Surtout dans
les Polonaises, les Mazurkas, les Fantaisies, on sent vibrer
Tcime de la Pologne.
— 409 -
Chantre inspiré des aspirations nationales, Chopin, comme
pianiste et comme compositeur, a toujours soumis Texpres-
sion extérieure de ses sentiments intimes aux exigences de
l'art tel qu'il le concevait. 11 n'était point de ceux qui pen-
sent que l'inspiration du cœur suffit à tout et que quand on
la possède, on peut se passer de toutes les règles et mettre
au rancart toutes les conventions; sans entraver le libre
essor de la fantaisie, le souci de la perfection Ta toujours
protégé contre de dangereuses aberrations et a donné à son
style la pureté, la clarté, qui le distinguent.
Dédaigneux de Veffet, Chopin, virtuose accompli, ne re-
cherchait pas la publicité ; il la fuyait plutôt. Il préférait se
faire entendre devant des auditoires restreints, en présence
d^artistes capables d'apprécier tout ce qu'il savait mettre de
poésie dans son jeu.
^'^^' ar, aV»^^' ^^^ du P»P«^
S^vî^-V^^^^^de son tnat^;^^ ^ V/e^t«a1^ «btet^^ -âge. la
s'était séparée û ^if^^arches, ^^^ou^eau «v» ^-out
était prêt qu3^*'^, Vatican^', P^^»"^ V ^C e»^'*"
de la pri"^^*^ Vvafte. «^^^ ^ «J du «^«^^ , ^«65, 1-'**; faisait
turseoir au tnar^^^^.^^.^eme-^ ^, ^ avr^^ U^t J ^.
«tein se retira de ^t'e'datée du ^^^,^.tvO «^ %,rdi
dans \es «J^^^^^étermi^»^'"^ t^^^^îf-.re je s«^^ •*" a»»» ^*
part de cette ^^^^^^^ à^ns ^évaogèU^^^; ^ine»^" .^.
— rSe de s-«^ ^:::;vat.t ies o^^>, »;;;. ]«
25 avril, f^*-® . ^e e» ^° -.ffueur ^° „« \a fo»*"^ w» d'»»'
?état ecclés-^^1. S. ^«^«ermisBa^^ ^^^ et ^'"^^"'^
^^^^^^.^\u que cet ^cte^^f ,oute simP^^^'
Convaincu q ^çjort, en
Vai accotnp^^ *»
tpntion. »
- 415
Bien que portant la soutane, l'illustre abbé n'en continua
pas moins à faire, durant les dernières années de sa vie, la
part très large aux préoccupatiens artistiques et mondaines.
Nommé directeur du Consei*vatoire de Pesthy Liszt habitait
tantôt Rome, tantôt la capitale de la Hongrie, tantôt Bayreuth.
C'est dans cette cité sainte du wagnérisme qu'il mourut des
suites d'une pneumonie, le 31 juillet 1886.
* «
Considérée dans ses traits les plus extérieurs, la physio-
nomie morale de Liszt n'éveille pas la sympathie. Se plaçant
résolument en dehors de tous les cadres conventionnels, cet
homme extraordinaire semble parfois uniquement soucieux
d'étonner le public, de se créer une réputation bruyante, de
s'entourer d'un cortège d'adoratrices; on pourrait même
croire, à en juger sur certaines apparences, que les accès de
ferveur religieuse, qui ont abouti à son entrée dans les ordres,
n'étaient de sa part que le procédé hardi d'un habile faiseur,
mais quand, à travers la correspondance de l'incomparable
charmeur, on pénètre jusqu'au fond de son être, la première
impression se modifie et l'on a le sentiment très net que l'on
se trouve en présence d'une personnalité remarquable et qui,
si elle a eu ses défaillances, a eu cependant ses grandes qua-
lités morales et artistiques.
Il n'est d'abord pas possible de mettre en suspicion la
sincérité des convictions religieuses dont l'éminent artiste
s'est toujours montré animé. Quand, au mois de septembre
1860, il écrivait : a Malgré les fautes et les égarements dont
je me suis rendu coupable et dont j'éprouve un repentir,
une contrition sincère, la divine lumière de la croix ne m'a
jamais été complètement enlevée; souvent l'éclat de cette
divine lumière a inondé mon âme entière; j'en remercie
Dieu.... D Liszt ne posait pas; il exprimait ce qu'il ressentait.
Mais ce qui surtout met en évidence l'élévation morale de
Franz Liszt, c'est le désintéressement dont il a fourni des
preuves innombrables. Quand les intérêts de l'art ou d'un
^ I
— 416 —
artiste étaient en cause, Liszt s'oubliait lui-même ; son temps,
son merveilleux talent, sa plume, sa bourse étaient à la dis-
position de ses protégés.
En particulier, dans ses rapports avec ses élèves, Liszt était
d'une grande serviabilité. Non seulement il les initiait à sa
méthode et cultivait chez eux l'amour du beau, mais il les
encourageait et se réjouissait de leurs succès. Nul n'a plus
que Liszt contribué à attirer l'attention du monde musical
sur les coryphées de la jeune école russe. Sur ce sujet, on
trouvera de précieuses indications dans la correspondance
de Liszt et dans quelques lettres de Borodine publiées par
Wladimir Stassof.
En résumé, on peut dire qu'abstraction faite de certains
dehors quelque peu déconcertants, ce qui constitue le tré-
fond du caractère de Liszt, c'est la bonté.
Tous les musiciens sont unanimes à proclamer qu'au point
de vue de la virtuosité, Liszt n'a pas eu son pareil ; la môme
unanimité ne subsiste pas quand il s'agit de la valeur artis-
tique de ses compositions, particulièrement de ses œuvres
pour piano.
Evidemment, parmi ces dernières, toutes celles qui appar-
tiennent à la première manière du maître sont démodées. On
ne joue plus ces longues fantaisies sur des motifs d'opéra
(Les Huguenots y Robert le Diable, La Juive, Don Juan y La
somnambule^ Les puritains, etc.) dans lesquelles le compo-
siteur s'est complu à entasser difflcultés sur difficultés. On
comprend aujourd'hui que le pianiste est autre chose qu'un
acrobate et que le temps indispensable à l'étude même pure-
ment mécanique de compositions de ce genre peut être infi-
niment mieux employé.
Les transcriptions appartiennent à la même catégorie de
morceaux en ce sens que Liszt n'y exprime pas de pensées
^ originales, mais elles en diffèrent en cela qu'au lieu de
prendre un thème d'opéra comme point de départ à de véri-
— 417 —
tables divagations musicales, il se contente d'adapter, d'une
manière aussi parfaite que possible, au piano, des fragments
écrits soit pour la voix, soit pour l'orchestre. Le succès rem-
porté par la transcription de quelques pages de Berlioz, en
1828, engagea Liszt à user des mêmes procédés vis-à-vis
d'autres grandes compositions orchestrales : Ouverture de
Guillaume Telly de Rossini; cinquième, sixième, septième,
neuvième symphoniey de Beethoven (la neuvième pour deux
pianos) ; Harold en Italie, de Berlioz ; ouverture de Frei-
schûtz, d'Oberon, du Jubilé, de Weber; des Francs juges et
du Roi Lear, de Berlioz; de Tannhâuser, de Wagner, etc.
Comme réduction au piano d'oeuvres instrumentales, les
transcriptions de Liszt sont admirables; celle du septuor de
Beethoven est d'entre les mieux réussies.
Les transcriptions de mélodies de Schubert, de Mendels-
sohn, de R. Franz sont également intéressantes ; le pianiste
s'est visiblement efforcé de produire, au moyen du piano,
un effet équivalent à celui produit par le chant, et dans la
plupart des cas il a obtenu un résultat vraiment inespéré.
Les transcriptions de Wiâmunçy de Schumann; du Roi des
aulnes, de Schubert, sont de purs chefs-d'œuvre.
Les Valses-Caprices, d'après Schubert, peuvent se rattacher
à la catégorie des transcriptions. Ce sont de charmants mor-
ceaux de piano dans lesquels l'élément purement musical
l'emporte sur la préoccupation technique : Liszt s'y révèle
musicien plutôt que virtuose.
Des oeuvres où le génie de Liszt, tout en s'emparant d'un
motif donné, crée une œuvre originale, puissante, ce sont
les Rhapsodies hongroises qui, plongeant de profondes ra-
cines dans le sentiment national, prêtent à la musique tour
à tour mélancolique et passionnée, parfois sauvage, souvent
étrange des tziganes, une expression éminemment artistique.
Dans un curieux ouvrage : Des Bohémiens et de leur mu-
sique en Hongrie, Liszt a lui-môme exposé la pensée maîtresse
qui l'a inspiré dans la composition de cette épopée musicale.
Malgré sa longueur, ce fragment demande à être cité en en-
HIST. DU PIANO 27
— 418 —
tier parce qu'il donne le sens de cette œuvre unique en son
genre en révélant le travail préliminaire qui a présidé à son
élaboration. Voici le passage in-extenso :
Emu comme nous Tavons été depuis notre enfance par la mu-
sique des Bohémiens, familiarisé dès lors avec ses allures à nulles
autres pareilles, initié petit à petit à ce secret de son sentiment
vivificateur, pénétrant de plus en plus le sens de sa forme et la
nécessité où elle est de garder ses excentricités pour ne pas abdi-
quer son caractère et ne pas perdre son individualité, nous avons
été naturellement porté de très bonne heure à en approprier quel-
ques fragments au piano, qui nous paraissait devoir rendre mieux
encore que notre orchestre ses diverses étrangetés, et mieux tota-
liser la reproduction des passions normales que le Cjgan j a
insufflées. Toutefois, après avoir soumis bon nombre de frag-
ments à ce procédé de transcription, il ne nous semblait jamais
en avoir fini; loin de voir notre intérêt décroître et s'épuiser, nous
nous sentions toujours plus attiré par ce travail, toujours séduit
par le plaisir de traduire sur notre instrument les éloquentes apos-
trophes, les lugubres épanchemenls, les rêveries, les efiPusions,
les exaltations de cette muse farouche ; plus nous avancions, plus
notre tâche s'augmentait indéfiniment; nous finissions par ne plus
y apercevoir de limites. Un monceau de matériaux s'élevait de-
vant nous; il fallut comparer, choisir, éliminer, élucider. Alors
nous acquîmes la conviction que ces morceaux détachés, ces mé-
lodies disjointes et éparses étaient les parties disséminées, émiet^
tées, éparpillées d'un grand tout ; qu'elles se prêtaient parfaite-
ment à la construction d'un tout harmonieux, qui renfermerait la
quintessence de leurs qualités les plus marquantes, le résumé de
leurs beautés les plus frappantes, et pourrait, de par les argu-
ments que nous avons décrits au commencement, être considéré
comme une sorte d'épopée nationale, — épopée bohémienne, —
chantée dans une langue et dans une forme inusitées, comme est
inusité tout ce que fait le peuple qui en est l'auteur. De ce nou-
veau point de vue, nous aperçûmes sans peine que les poésies qui
abondent dans la musique bohémienne et s'y détachent, telles que
des odes, des dithyrambes, des élégies, des ballades, des idylles,
des ghazelles, des distiques, des chants martiaux, funèbres,
amoureux et bachiques, pouvaient se rassembler en un corps ho-
mogène, en une œuvre complète, divisée de sorte que chaque
— 419 —
chant soit à la fois total et partie, susceptible d'être séparé du
reste, jugé à part et indépendemment de Tensemble, tout en de-
meurant lié aux autres par Tidentité du sujet, Tanalog-ie de l'ins-
piration et l'unité de la forme. Les fragments de musique bohé-
mienne, que nous avions déjà fait isolément paraître, subirent un
nouvel examen ; ils furent revisés, refondus, réunis à d'autres
dans l'intention de former un corps d'ouvrage qui, ainsi cimenté,
offre une œuvre correspondante, à peu près, à ce que nous croyons
permis de considérer comme une épopée bohémienne.
L'épopée musicale conçue par Liszt comprend quinze nu-
méros, dont les plus connus, les plus fréquemment joués
par les pianistes appartenant à l'école lisztienne sont : la
Rhapsodie N» 1, en Do j| mineur; la Rhapsodie N<> 2, en Do ^
mineur (Lassan, Friska) ; la Rhapsodie N<> 12, également en
Do H mineur (dédiée à J. Joachim). Ces diverses compositions
préseiitent de sérieuses difficultés d'exécution et aussi d'in-
terprétation ; pour en mettre en évidence le coloris puissant,
le rythme vigoureux et entraînant, le charme poétique, il faut
ajouter à une technique impeccable un sentiment musical
très affiné et tout spécialement cette compréhension du génie
de Liszt qui ne peut être acquise que par une étude appro-
fondie et persévérante de ses œuvres.
Dans une page qui vaut la peine d'être citée, Théophile
Gautier a traduit dans les termes que voici l'impression
produite sur lui par l'audition des rhapsodies de Liszt: a: En
les écoutant, on songe aux Bohémiens, sur la bruyère de
Lessen, si libres, si insouciants, si fantasques, qui rendent,
de leur violon, ces airs vagues comme des chants d'oiseaux
qui donnent la nostalgie de la vie errante. Rien de plus
étrange, de plus capricieux, de plus romantique et de plus
délicieusement fin. Il y a des motifs d'une suavité, d'une
fraîcheur et d'une tendresse adorables, qui semblent les
chants de nourrice du monde enfant et qui se bercent comme
dans un hamac ; d'autres qui fuient brusquement comme des
chevreuils à travers la forêt des trilles, des arpèges et des
- 420 —
appogiatureSy et qu'on voit reparaître par places dans les
interstices des broderies musicales * . »
Les compositions originales du maître de Weimar com-
prennent des Horceaux de salon: Tarentelle de hravourcy
Lyre etépée^ d'après C.-M. de Weber, Cappriccio à la turca^
Ungarischer Sturmmarsch^ Venetia et Napoli, des marches,
deux polonaises^ une valse-impromptu , un galop chromatiquey
les Années de pèlerinage, les Soirées de Rossiniy etc.; des
morceaux d'inspiration plus élevée : Harmonies poétiques et
religieuses dont le pianiste Risler a fait connaître la sereine
beauté ; des Etudes à l'usage des virtuoses accomplis et une
Sonate très belle, mais très difficile à jouer.
Enfin, pour piano et orchestre, Liszt a composé, outre des
arrangements de la Polonaise en Mi majeur de Weber, de la
Fantaisie en Do majeur de Schubert et de fragments des
Ruines d'Athènes de Beethoven, une Fantaisie hongroise et
deux Concertos dont la valeur artistique est très discutée,
mais dont l'effet sur le public est irrésistible. Tandis que
Weitzmann déclare que par la noblesse et l'intérêt du con-
tenu, par la beauté de la forme et par l'impression qu'ils pro-
duisent, les deux concertos appartiennent à ce quMl y a de
plus grandiose et puissant dans la littérature du piano,
d'autres critiques affirment que ces œuvres sont^ au point
de vue des idées, d'une incurable pauvreté. Peut-être la note
juste a-t-elle été donnée par Marmontel dans les lignes sui-
vantes : € Dans ses deux concertos pour piano et orchestre,
Liszt a certainement fait preuve de grand savoir; à travers
l'œuvre, on rencontre de belles pensées qui semblent pré-
luder à l'éclosion d'une réelle inspiration ; mais le parti pris
d'éviter tout ce qui ressemblerait à une phrase suivie et dé-
veloppée de chant rejette le compositeur dans ses agitations
nerveuses, dans ces complications de traits parcourant le
clavier à perte d'haleine, luttant de sonorité avec l'orchestre,
brodant sur des harmonies quelquefois bizarres, où l'on
1 Judith Gautier, Le second rang du coUier, p. 257.
— 421 —
attend vainement une cadence parfaite. Absence de calme et
de simplicité^ steeple-chose à la difficulté, qui ne répond
pas à ce qu'on pouvait attendre d'une intelligence aussi
élevée ; science spéculative qui s'exerce à donner des énigmes
musicales à l'interprète comme à l'auditeur ^ »
Les compositions de Liszt pour orchestre {Poèmes sympho-
niqtAes)y ses oratorios (Christus, sainte Elisabeth) renferment
des beautés de premier ordre.
L'influence exercée par Liszt n'a pas été moins discutée
que le mérite de ses œuvres. Pour les uns, le maître de Wei-
mar est le père de tous les massacreurs de notes qui font de
l'art de jouer du piano un exercice de voltige transcendental
et qui assourdissent les oreilles de leurs auditeurs par des
sonorités bruyantes ; pour d'autres, il est un des plus féconds
initiateurs dans le domaine de l'art musical au dix-neuvième
siècle.
Chacune de ces appréciations contient une part de vérité ;
il est évident que les pianistes qui n'ont retenu des leçons
de Liszt que les procédés techniques à l'aide desquels on
accomplit des tours de force avec une aisance surprenante,
ont suivi une voie absolument destructive de tout sentiment
artistique; mais il est tout aussi évident que ceux qui ne
cherchent dans la force et la souplesse du poignet, dans la
tenue de la main, dominant le clavier, dans l'indépendance
et l'agilité des doigts, d'un mot dans les ressources d'un mé-
canisme porté à son point culminant de perfectionnement
qu'un moyen pour traduire avec une saisissante vérité de
belles et nobles pensées, peuvent, selon la mesure des dons
qu'ils ont reçus, être des prophètes de l'art à notre époque.
Tout dépend de la position prise par le disciple vis-à-vis du
maître. L'influence de Liszt est funeste sur cea\ qui limitent
leurs efforts, à l'imitation, d'ailleurs impossible, des effets de
1 Marmontel, Silhouettes et médaUlons^ p. 302.
- 432 —
sonorité produits jadis par le célèbre virtuose ; elle est émi-
nemment vivifiante sur ceux qui demeurent en contact spi-
rituel avec le novateur dont la superbe intelligence artistique
fit de Rome, Pesth, Weimar autant de foyers de vie musi-
cale.
Agissant sur des âmes d'artistes, l'influence de Liszt a
été bienfaisante ; non seulement le grand pianiste a reculé
les frontières du virtuosisme au delà de tout ce que l'on
peut imaginer, mais il a considérablement augmenté le
fonds d'idées et de sentiments d'où l'inspiration artistique
jaillit en flots abondants et limpides, il a agrandi les ho-
rizons de l'art, il a enseigné à ses nombreux et reconnais-
sants élèves à cultiver la musique avec amour et à consi-
dérer la carrière de l'artiste non comme un métier servile,
mais comme une vocation qui ennoblit celui qui s'y livre
avec un esprit libre de tout préjugé, de tout parti pris, avec
la conscience claire et vive du devoir.
Sous ces divers rapports, Liszt a exercé sur le mouvement
musical une action puissante et salutaire qui le met au pre-
mier rang parmi les artistes créateurs qui ont le plus contribué
à l'évolution de la musique en général et de la musique de
piano en particulier au temps où nous vivons.
CHAPITRE V
Le mouvement musical en Allemagne â la fin
du dix-neuvième siècle.
Il nous reste à présenter une caractéristique générale du
mouvement musical, spécialement au point de vue pianis-
tique, tel qu'il s'offre à nous, non seulement en Allemagne
et en France, mais aussi dans les autres régions de l'Europe,
même dans quelques parties du nouveau monde.
Après avoir rappelé les noms des maîtres qui, contempo-
rains ou successeurs de Liszt sur terre allemande, ont enrichi
la littérature du piano, nous consacrerons quelques pages à
l'école française et nous réunirons dans un septième et der-
nier chapitre tout ce qui a trait à l'Italie, à la Suisse, à la
Belgique, à l'Ecole russe et à l'Ecole Scandinave. Nous ajoute-
rons à chacun de ces aperçus un catalogue succinct et par
ordre alphabétique des pianistes vivants qui jouissent d'une
réputation européenne à l'aurore du vingtième siècle, mais
qui, n'ayant, pour la plupart, pas donné toute la mesure de
leur talent, surtout au point de vue de la composition, n'ap-
partiennent pas encore à l'histoire de la musique.
En Allemagne, une figure, celle de RICHARD WAGNER, plane
sur le milieu et la fin du siècle passé. Cependant et malgré
l'influence que ce génie, le plus grand après Beethoven, ait
exercée, nous n'avons pas à nous arrêter sur la personnalité
de l'auteur de Lohengrin, le piano étant demeuré en dehors
de ses préoccupations. Nous nous bornerons donc à quelques
dates, renvoyant aux publications spéciales les lecteurs dési-
reux de s'instruire de la vie et des œuvres de R. Wagner.
— 424 —
L'ouvrage de M. Lavignac: Le voyage artistique à Bayreuth
leur servira uiilem^it de vade-mecum.
Né le 22 mai 1813 à Leipzig, mort à Venise le 13 février
1883, Richard Wagner eut une existence très agitée jusqu'en
1864, époque à laquelle la protection éclairée du roi Louis II
DE Bavière assura définitivement sa position ; désormais à
Tabri de tout souci matériel, le grand compositeur put donner
libre essor à son génie et réaliser les projets quMl avait conçus
d'un côté par la construction h Bayreuth d'un théâtre appro-
prié à ses idées, d'un autre côté par l'engagement d'artistes
de premier ordre, initiés à sa pensée et, de ce fait, capables
de fournir une interprétation réellement typique de ses chefs-
d'œuvre.
Après la mort de sa première femme, née Minna Planer,
Wagner épousa en 1870 Cosima Liszt, femme divorcée de
Hans de Bùlow. Il en eut un fils, Siegfried, qui jouit actuel-
lement d'une certaine réputation en Allemagne comme chef
d'orchestre et comme compositeur. Depuis la mort de son
mari, M™« Wagner n'a pas cessé de présider à Torganisatioa
des représentations qui ont lieu chaque année au théâtre
de Bayreuth, devenu le sanctuaire du wagnérisme.
Longtemps discuté, parfois avec une âpreté extraordinaire,
l'auteur de Parsifal est aujourd'hui accepté dans le monde
musical tout entier. A Paris même, où la chute du Tann-
haûser au Grand Opéra (mars 1861) eut un grand retentis-
sement, les œuvres du maître de Bayreuth jouissent actuel-
lement de la faveur du public.
Poète, musicien, théoricien, Richard Wagner a exercé une
influence considérable; aucune sphère de l'art musical n'a
échappé à son action, mais c'est essentiellement dans le do-
maine de la musique dramatique que son génie novateur a
porté tous ses fruits.
Parmi les contemporains de Liszt, un musicien dont la
physionomie artistique commande l'admiration et le respect,
— 425 —
Johannes Brahms, a droit à une mention spéciale, un certain
nombre de ses œuvres intéressant directement la littérature
du piano.
Né le 7 mai 1833 à Hambourg, JOHANNES BRAHMS fut élève
de Ck)ssel, Marasen pour Tharroonie et le piano ; ses progrès
sur cet instrument furent si rapides qu'à Tâge de quatorze
ans il remporta de brillants succès. En 1853, ayant accom-
pagné le violoniste Réményi dans une tournée de concerts,
Brahms, se conformant aux directions de Liszt et de Joachim,
joua devant Schumann, à Diisseldorf. On jugera de l'impres-
sion qu'il produisit par les lignes suivantes que Schumann
adressait, en octobre 1855, à un de ses amis: c Nous avons
aussi (avec Joachim) en ce moment, à Dûsseldorf, un jeune
homme de Hambourg, nommé Johannes Brahms, d'un talent
si puissant et si original, qu'il me semble dépasser de beau-
coup tous les jeunes artistes de ce temps-ci. » La même année,
dans un article de la Nouvelle gazette musicale de Leipzig,
Schumann parlait de Brahms dans les termes les plus en-
thousiastes.
Nommé en 1854 maître de chapelle à la cour de Lippe-Det-
mold, Brahms composa des sonates, un scherzo, des Lieder,
des variations, œuvres qui toutes révèlent une nature prime-
sautière, une conception pleine de hardiesse, d'originalité.
Pendant - quelques années, Brahms voyagea, séjournant
successivement à Hambourg, à Vienne, en Suisse, à Baden-
Baden pour se fixer définitivement à Vienne en 1869. Dès
1872, directeur des concerts, il déploya une grande activité
dans la capitale de l'Autriche.
Brahms est mort à Vienne le 3 avril 1897. Membre de l'Aca-
démie des beaux-arts de Berlin, il avait reçu le diplôme de
docteur en philosophie honoris causa et le titre glorieux de
princeps musicx.
*
* *
Brahms est connu surtout par ses grandes compositions
pour orchestre et chœurs, par ses Lieder, par ses sonates
pour piano et violon.
— 4>6 -
Son Requiem allemand (composé en 1868) a été chanté avec
un succès décisif dans la plupart des villes d'Allemagne, en
Angleterre, en Amérique, à Paris (en 1875, sous la direction
de Pasdeloup).
Pour le piano seul, les compositions les plus répandues de
Brahms sont les Danses hongroises (deux cahiers, édition
Peters), quatre Chansons tsiganes (op. 112), les Variations sur
des thèmes de Hândel, de Schumann, de Paganini, sur un
thème hongrois, sur un thème original. Brahms excelle dans
ce genre de compositions; dès la première variation, on a le
sentiment qu'il ne se contente pas d'ajouter au motif donné
des ornements plus ou moins heureusement conçus et com-
binés, mais que, le prenant pour point de départ do son ins-
piration, il le pétrit, pour ainsi dire, à nouveau, de telle
sorte que» chaque fragmenta son caractère particulier et pré-
sente un intérêt spécial.
Brahms a composé en outre pour le piano : une Sonate en
Do majeur (op. 1), une Sonate en Fa|| mineur (op. 2), une
Sonate en Fa mineur (op. 5), un Cioncerto en Ré mineur
(op. 15), un Scherzo (op. 4), des Ballades (op. 10), deux Rhap-
sodies (op. 79), des Clavierstûcke (op. 118, 119), etc. La plu-
part des compositions de Brahms présentent quelques diffi-
cultés d'exécution dont on ne peut triompher que par une
technique très développée.
s
Brahms a-t-il tenu toutes les promesses contenues dans ce
mot de Schumann : a Brahms est le Mozart du dix-neuvième
siècle? » Peut-être est-il trop tôt pour répondre à cette ques-
tion. Sept ans seulement se sont écoulés depuis la mort de
l'illustre Hambourgeois et sa musique n'est pas de celle qui
pénètre promptement les couches populaires. Pour apprécier
les compositions de Brahms, qu'il s'agisse de la musique
pour piano, de la musique de chambre, des symphonies ou
des Lieder, une certaine culture artistique est nécessaire. En
outre et ainsi que l'ajustement fait observer M. H. Deiters,
— 427 -
un critique allemand très autorisé, l'auteur du Requiem aile-
mand a des traits d'analogie avec Beethoven plutôt qu'avec
Mozart. Il faut laisser à l'avenir le soin de fixer exactement
et en pleine connaissance de cause le rôle de Brahms dans le
mouvement musical contemporain ; en attendant ce juge-
ment définitif de la postérité, on peut cependant affirmer
avec M. H. Imbert que Brahms a eu pour la muse des adora-
tions, qui ne se sont point démenties, un respect pour l'art
qui n'a jamais fait dévier sa plume.
Sans s'élever à la même hauteur que Brahms, JOAGHIH
Raff occupe cependant une place honorable dans l'histoire
de la musique en général, du piano en particulier, dans le
courant du dix-neuvième siècle ; pianiste distingué, compo-
siteur fécond, ce musicien s'est essayé dans les genres les
plus divers et dans tous il a créé des œuvres estimables,
sinon géniales; la littérature pianistique lui est redevable
d'un nombre considérable de compositions dont quelques-
unes sont de vraies perles musicales.
On fait parfois à la Suisse l'honneur de compter Raff au
nombre de ses grands artistes ; c'est à tort, Raff ne tient à la
Suisse que par sa naissance qui, ensuite de circonstances
purement accidentelles eut lieu sur le territoire de la répu-
blique helvétique.
JOAGHIM Raff est né le 27 mai 1822, à Lachen, au bord du
lac de Zurich, de parents wurtembergeois. Jusqu'en 1843, il
étudia la philologie,, puis il se consacra entièrement à la mu-
sique. Après avoir habité Weimar où il fut en relations
intimes avec Liszt, Raff se fixa à Wiesbaden, puis à Francfort
où, pendant quelques années, il dirigea l'Ecole supérieure
de musique dont il avait été le fondateur en 1877 et où il
mourut le 24 juin 1882.
Ayant cherché le succès dans la composition plutôt que
dans la virtuosité, Raff a peu voyagé et son existence ne pré-
— 428 —
sente guère d'épisode de nature à éveiiler la curiosité du
public ; ce fut une vie de long et patient labeur.
Rafî a énormément écrit : des symphonies, dont la plus po-
pulaire a pour titre: Im Walde (Dans la forêt), plusieurs
opérasy des ouvertures^ des quatuors, des trioSy des sonates
pour piano et violon, des morceaux de chant^ un oratorio:
Die Offenharung, composé en 1882, Tannée même de sa mort,
et qui renferme de fort belles pages; enfin, pour le piano
seul, une foule de pièces de dimensions et de portée très iné-
gales, mais qui ont cet avantage sur les compositions de Liszt
d'être plus aisément exécutables.
Weitzmann s'exprime comme suit sur les œuvres pour
piano de Raflf et sur leur valeur musicale :
« Parmi les morceaux de Raff qui sont pleins de grâce et
de fraîcheur, il faut citer en premier lieu les Frûhlingsboten
(op. 55), en douze numéros. Le premier morceau, Winter-
ruhe, nous conduit devant la cheminée d'une chambrette
intime où l'on surprend la conversation aimable d'un couple
heureux. Dans le second morceau, Le printemps apparaît avec
ses messagers chanteurs, ses fleurs embaumées ; le cri plu-
sieurs fois répété de : « Ouvrez les fenêtres 1 Les cœurs en
haut I j> retentit. Au N<> 3, on entend un choral sérieux dans
le mode dorique suivi d'une phrase mouvementée où le thème
du souhait se présente sous la forme de Cantus firmus. Le
N" 4, par ses rythmes alertes, comme par ses retardements,
crée une Agitation toujours plus accentuée. Le N<>5 renferme
une mélodie douce et caressante qui pousse au Rapproche-
ment ^ tandis que le N» 6 exprime l'idée d^ Conflit et se ter-
mine par une fugue traitée avec beaucoup de vivacité. La
seconde série de la même œuvre (elle comprend aussi six
numéros) est écrite d'une manière très intéressante et ren-
ferme des tableaux brossés avec beaucoup d'art. On retrouve
le même soin, le même amour du beau dans les collections
suivantes: Album lyrique (op. 17), Schweizeriveisen (op. 60),
— 429 —
chansons populaires suisses paraphrasées avec un goût
exquis ; Douze romances en forme d'Etudes (op. 8), Angelens
letzter Tag im Kloster (op. 27), cycle épique et lyrique de
fragments pour piano.
Des suites composées avec une réelle distinction ont paru
à Winterthur et à Leipzig.
Parmi les compositions d'importance secondaire, on peut men-
tionner : Scherzo (op. 3) ; Quatre galops brillants (op. 5) ; Mor-
ceaux instructifs (fantaisies et variations brillantes, op. 6) ; Im*
promptu (op. g); Capricietto (op. 4o); Romance (op. 4i)î
Douze Clavierstûcke (op. 76) pour les petites mains ; Douze
morceaux à quatre mains (op. 82) ; Trois Sonatinen (op. 99) ;
Deux caprices de concert (op. m); Erinnerung an Venedig
(op. 187); Reisebilder (pp. 160), à quatre mains, dix cahiers;
Vom Rhein (op. i34); Am Giessbach (op. 88) ; La Gitana
(op. no); Polka de la Reine (op. gS) ; Orientale^ en huit
cahiers (op. 176) ; Chacone, pour deux pianos (op. i5o) ; Rhap-
sodie hongroise {op. ii3) ; Cinq églogues (op. io5).
Les morceaux suivants offrent quelques difficultés d'exécution :
Hommage au néoromantisme, grand capriccio (op. 10) ; Sonate
avec fugue (op. i4) ; Capriccio (op. 64) ; Claviersoli (ballade,
scherzo, métamorphoses, dédié à H. de Bulow, op. 74) ; Chant
de rOndine (op. 83).
Si Ton veut se faire une idée assez exacte du genre de RatT
sans passer en revue ses innombrables compositions, il suffira
d'étudier: la Suite en Ré dédiée à M">« Gosima de Bûlow (op. 92) ;
la Polonaise en La mineur (op. 106) ; la Gavotte en La mineur
(op. 125) avec sa délicieuse Musette en La majeur d'une forme si
archaïque :
mm^r^^-^=^^
YImpromptu- Valse en Si b majeur (op. g4) dont le début :
più veloee, Ugato
^
r.appelle de loin Chopin ; la Berceuse en Mi b majeur (op. 126) ;
Abends, douzième numéro de Frahlingsboten (op. 55), un mor-
ceau d'une inspiration très poétique et qui respire véritablement
le calme et la paix du soir.
Excellent pianiste sans avoir été un virtuose dans Taccep-
tion habituelle de ce mot, RafT a de même été un composi-
teur distingué sans jamais créer des œuvres d'une puissante
originalité. Se rapprochant plus que Liszt du moule classique,
il a écrit pour le piano des pages charmantes que Ton jouera
toujours avec plaisir, mais qui ne constituent pas un enri-
chissement positif de la littérature pianistique. Jamais vul-
gaire, parfois anodin, souvent exquis, toujours très correct,
Joachim Raff occupe dans l'histoire de l'évolution musicale
une place honorable ; il n'appartient pas à la catégorie des
génies qui laissent derrière eux un long et lumineux sillage.
Un des meilleurs compositeurs allemands contemporains,
Max Brugh, naquit le 6 janvier 1838 à Cologne, habita suc-
cessivement Coblentz, Sondershausen, Berlin, Bonn. Ce
grand artiste est connu surtout par ses concertos pour violon
et orchestre, ses trios, ses quatuors, ses Lieder, ses cantates
pour chœurs d'hommes et orchestres, ses symphonies, etc.
Pour le piano, il a écrit une Fantaisie à deux pianos (op. 11),
Max Bruch fait actuellement partie du sénat de l'Ecole supé-
rieure royale de musique de Berlin.
La réputation solide de Brahms, Bruch et Raflf repose sur
les compositions symphoniques et sur la musique de chambre
— 431 —
de ces trois grands musiciens plutôt que sur leurs œuvres
pour piano ; il n'en est pas de même de Hans de Bûlow, élève
et gendre de Liszt dont l'activité fut d'ordre exclusivement
pianistique.
Né le 30 janvier 1830 à Dresde, Hans-Guido DE BûLOW ne
manifesta des dispositions musicales que depuis l'âge de
neuf ans, époque à laquelle il reçut des leçons de Frédéric
Wieck, le père de Clara Schumann. Plus tard, il eut presque
journellement, chez ses parents, l'occasion d'entendre le pia-
niste Littolf, qui exerça sur lui une certaine -influence. Cepen-
dant il ne songeait pas à poursuivre la carrière artistique ;
c'est seulement après avoir terminé ses études de droit que,
contre la volonté de son père, il prit la résolution de se con-
sacrer définitivement à la musique ; dans cette intention, il
se rendit en 1851 à Zurich, auprès de Wagner, qu'il avait
connu, puis, en 1851, à Weimar où il ne tarda pas à être un
des élèves les plus brillants de Liszt. Après deux années
d'études, il se produisit comme virtuose à Vienne, à Berlin ;
nommé professeur au Conservatoire de Stern, pianiste de
cour, chevalier de l'ordre de la couronne, docteur en philo-
sophie de l'Université de lena, de Bûlow répondant en 1864
à un appel très honorable du roi de Bavière, Louis II, se fixa
à Munich où il déploya une activité artistique des plus
fécondes.
Les dernières années du grand pianiste furent attristées
par diverses circonstances fâcheuses : des embarras d'argent,
des maux de tête persistants et par-dessus tout un divorce
retentissant ; après une dizaine d'années de vie commune,
Cosima de BOlow abandonna le foyer qu'elle ornait des
dons remarquables de sa riche intelligence pour épouser
R. Wagner.
H. de Biilow est mort le 12 février 1894, au Caire, où il
s'était rendu dans l'espoir de rétablir sa santé gravement
ébranlée.
L'autorité artistique de H. de Bûlow est fondée non pas
— 432 —
sur les quelques compositions pour piano qu'il a publiées^
mais essentiellement sur Tart admirable, la conscience scru-
puleuse avec laquelle, comme chef d'orchestre et comme pia-
niste, il interprétait les œuvres des grands maîtres ainsi que
sur la valeur de ses travaux de pédagogie et de critique mu-
sicale.
Le rôle de Biilow en temps que pianiste a été bien carac-
térisé par Weitzmann dans les lignes suivantes:
« Doué d'une mémoire prodigieuse et d'une étonnante faci-
lité d'assimilation, H. de Bûlow résolut d'établir sa célébrité
sur rinterprétati(Mi vivante des chefs-d'œuvre du passé et du
présent. Il fut le plus merveilleux évocateur du vénérable
J.-S. Bach, l'interprète le plus intelligent des dernières œu-
vres de Beethoven, le plus fougueux traducteur des poèmes
fantastiques de Liszt. Jouant tout par cœur, H. de Bûlow
exécutait les œuvres des maîtres de telle sorte qu'il semblait
les improviser; il reproduisait les préludes, fugues et. suites
de Bach avec toute leur puissance, faisant ressortir nette-
ment les différentes voix dont elles se composent ; il donnait
à Emmanuel Bach et à Mozart leur grâce et leur fraîcheur ;
il révélait la profondeur et la sublimité de Beethoven ; il
captivait en jouant les poèmes pleins d'âme de Chopin, les
mélodies ravissantes de Schubert.... En 1878, dans un con-
cert qu'il organisa à Berlin, H. de Bûlow joua les trente-trois
variations (op. 120) et les sonates (op. 101, 106, 109, 110,
111) de Beethoven; l'assemblée entière suivit avec un intérêt
croissant l'exécution de ces compositions éminemment dra-
matiques. »
Dans la composition comme dans l'exécution de ses pro-
grammes, H. de Bûlow s'est toujours assigné un noble
but, celui, non de faire étalage de virtuosité, mais d'ins-
truire les foules, de travailler à la culture du goût musical,
de donner des chefs-d'œuvre de la littérature du piano une
interprétation aussi conforme que possible de la pensée des
maîtres.
La même préoccupation était au fond de l'activité de H. de
— 433 —
Bùlow comme chef d'orchestre ; c'est à ce souci constant de
la perfection dans l'expression du génie particulier de chaque
compositeur qu'il faut attribuer les succès extraordinaires
remportés naguère par la chapelle ducale de Saxe-Meiningen
sous la direction de l'illustre pianiste.
La place occupée par H. de BûIow dans le champ spécial
de la pédagogie pianistique n'est pas moins considérable. En
s'arrêtant aux menus détails, on peut formuler des réserves,
contester certains doigtés, désavouer certaines variantes,
discuter certaines assertions (par exemple : c Aucune néces-
sité esthétique ou formelle ne rend obligatoire la reprise de
la première partie... d'une sonate, d'un quatuor, d'une sym-
phonie. j>) Mais si l'on considère la tendance dominante dans
l'œuvre pédagogique de Bûlow, on est obligé de reconnaître
que jamais la cause de l'art musical, dans sa conception la
plus élevée n'a été défendue avec plus de savoir, de convic-
tion et de talent.
Parmi les compositions de H. de Bulow pour piano, on peut
citer: Marche hongroise (op. 3); Rêverie fantastique (op. 7);
Ballade (op. 11); Au sortir du bal (op. 24) ; Carnavale di Mi-
lano (op. 21); Elfenjagd ; Aq& transcriptions dans lesquelles
les efiFets d'orchestre sont reproduits avec beaucoup de coloris. Au
point de vue pédag-og^ique, le principal ouvrage de H. de Bûlow
est le commentaire de l'œuvre pour piano de Beethoven qui lui
fut demandé par l'éditeur Colta. Commencée en 1868, cette impor-
tante publication fut achevée en 1871.
A côté des grands noms qui précèdent, il faut mentionner
ceux de :
FlOGEL, Gustave, né en 1812 à Neuwied, dont les compo-
sitions pour piano sont remplies de pensées poétiques. On
peut citer : Quatre Fantasiestûcke (op. 17) ; Taglalter (op. 14) ;
Nachtfalter (op. 18) ; Mondscheinbilder (op. 40) ; des Sonates
éditées par Breitkopf et Hârtel.
ROSENHAIN, JaGOB, né en 1813, à Mannheim. Virtuose et
HIST. DU PUNO 28
— 434 —
compositeur, Roseahain se fixa dès 1837 à Paris où il rem-
porta de brillants succès ; il a écrit pour le piano : Un Con-
oerto, une Sonate, des Etudes, des Variations sur le Carnaval
de Venise, des Romances sans paroles, etc. Rosenhain dont
les œuvres sont aujourd'hui complètement délaissées, est
mort à Baden en mars 1894.
VouMANN, Frédéric-Robert, né le 6 avril 1815 à Lom-
matzsch, en Saxe, s'est acquis une juste réputation comme
exécutant et plus encore comme compositeur. Elève de son
père, il put, dès Tâge de douze ans, le suppléer dans ses
fonctions d'organiste. En 1839, il débuta dans la composition
par six morceaux pour piano intitulés : Phantasiebilder.
Volkmann, qui habita successivement Prague, Vienne,
Pesth, a beaucoup écrit : des symphonies, des concertos pour
piano, violoncelle, des quatuors, des trios, des chants à une
ou plusieurs voix et pour le piano seul (à deux ou à quatre
mains), une foule d'œuvres de valeur inégale. Quelques-unes
renferment des traits de génie; ainsi le Buch der Lieder
(op. 17), en trois cahiers ; les poèmes musicals (op. 21) ; les
Ungarische Skizzen (op. 24) et surtout Dos nitisikalische Bil-
derbuch (op. 11) en deux cahiers.
Disciple convaincu deSchumann, le compositeur allemand
Théodore Kirghner (né en 1824 à Neunkirchen, prés Chem-
nitz) a beaucoup écrit pour le piano. Quelques-unes de ses
compositions ne sont pas exemptes de préciosité; dans le
passage suivant des Grûsse an meine Freunde (op. 5) :
ite^é^fe
récriture a des complications inutiles, tandis que dans celui-
ci, emprunté à la môme œuvre :
— 435 —
la pensée manque de clarté.
Dans d'autres compositions, les Miniaturen (op. 6^), par
exemple, Kirchner a de la grâce, de la simplicité, de Thu*
mour. Quand il obéit à son inspiration spontanée et quand
il ne se bat pas les flancs à la recherche de combinaisons
nouvelles, ce musicien, qui fut longtemps organiste en Suisse,
à Winterthour et à Zurich, peut écrire des choses exquises
au nombre desquelles on étudiera avec plaisir et profit : les
Préludes (op. 9) ; les Lieder ohne Worte (op. 13) : les Fantasie-
stûcke (op. 4) ; les Idéale (op. 33) ; Albam (op. 26) ; Caprices
(op. 28) ; Noctames (op. 29) ; Studien und Stûcke (op. 31) ; des
Valses pour deux pianos ; une très belle adaptation au piano
de Frauenliebe de R. Schumann, etc. Les Lieder de Kirchner
sont très appréciés en Allemagne.
Th. Kirchner est mort à Hambourg en septembre 1903.
BargIEL, Waldemar, né en 1828, professeur de composi-
tion, successivement à Berlin, Cologne, Rotterdam, a com-
posé une Fantaisie pour piano dédiée à Clara Schumann.
RHEINBER6ER, JOSEPH, né le 17 mars 1839 à Baduz (princi-
pauté de Lichtenstein), mort à Mufiich en novembre 1901,
auteur de symphonies, opéras, chœurs, d'un requiem, .a
composé quelques œuvres intéressantes pour le piano.
Né en 1841, à Varsovie, mort le 17 juillet 1871 à Leipzig,
Charles Tausig n'a pu donner sa mesure ni comme compo-
siteur ni comme pianiste. Ses t nouvelles soirées de Vienne, »
d'après des valses de Strauss, ont du charme : <3c Avec une hu-
meur pleine d'abandon, elles suivent les valses de Strauss
qui sont à leur base et elles les ornent des plus gracieux
— 436 —
badinages, des passages les plus piquants, des harmonies les
plus frappantes. » (Weitzmann.)
Elève d*abord de son père, Aloïs Tausig, musicien de
grand mérite, puis de Liszt dès 1866, pianiste de cour à
Berlin, Charles Tausig fut un brillant virtuose; Liszt disait
de lui : « Voilà un artiste qui me fera oublier. t> Une mort
prématurée n*a pas laissé à Tausig le temps nécessaire pour
réaliser cette prophétie.
JADASSOHN, Salohon, né en 1831 à Breslau, mort le l*"' fé-
vrier 1902, à Leipzig, a écrit plusieurs ouvrages de théorie
et d'esthétique dont quelques-uns ont été traduits en fran-
çais. Parmi ses compositions pour piano, on peut citer:
Morceaux caractéristiques (op. 12) ; Barcarolle et Romance
(op. 15); Sérénade (op. 35), etc. Outre cela, Jadassohn a com-
posé des symphonies, des ouvertures, des Lieder.
SghaRW£NKA, Xavier, né en 1850, s'est acquis une juste
réputation par son Concerto en Si bémol mineur (op. 32) et
par un grand nombre de pièces diverses pour piano : danses
polonaises, novelettes, divertissements, etc. PHILIPPE SCHAR-
WENKA, frère dii précédent (né en 1847), a également par-
couru une brillante carrière musicale. Aux noms qui précè-
dent, on peut ajouter les suivants :
De BRONSART, élève de Liszt, né en 1828 à Kœnigsberg ;
son trio pour piano, violon et violoncelle porte la marque
d'un musicien cultivé.
Bendel, FRANTZ, auteur de compositions gracieuses
{Schivcizer-Bilder, Ballade) et de drôleries musicales (Deu-
tsche Màrchenhilder) dahs lesquelles le compositeur prétend
irpiter l'aboiement du chien, le miaulement du chat, le braie-
ment de l'âne, le chant du coq, etc.
KROLL, FRANTZ, dont les compositions pour piano ont beau-
coup d'attrait. Ce musicien s'est fait avantageusement con-
naître par la publication d'éditions revisées de musique an-
cienne et moderne.
— 437 -
Le compositeur actuellement le plus en vue en Allemagne,
c'est incontestablement : RICHARD STRAUSS. Jeune encore bien
que son bagage artistique soit déjà considérable, Richard
Strauss n'appartient pas encore à l'histoire.
Il en est de même de Peter Cornélius, de A. BrCckner,
de Hugo WoLF dont la célébrité repose essentiellement sur
la composition de symphonies, opéras, Lieder devenus
promptement populaires au delà du Rhin.
On peut toutefois affirmer dès maintenant que les œuvres
de Strauss marquent dans l'évolution musicale à l'aurore du
vingtième siècle.
On peut rattacher au chapitre sur l'Allemagne les trois
grands compositeurs tchèques dont le dernier survivant,
Antoine Dvorak, vient de mourir à Prague.
Né le 2 mars 1824 à Leitomischl, mort à Prague le 12 mai
4884, SmeTANA eut en commun avec Beethoven la perte com-
plète de l'ouïe. Smetana a écrit de la musique de chambre,
des poèmes symphoniques et quelques morceaux pour piano.
Zdenko FibiGH, né le 21 décembre 1850 à Seborschitz est
connu surtout par ses poèmes symphoniques (Othello, Zaboj
et Slavoj, Toman et la Nymphe); on lui doit aussi quelques
pièces pour piano. Fibich est mort à Prague en 1900.
Le représentant le plus autorisé de la musique tchèque au
dix-neuvième siècle, AUTOINE DvORAK (prononcer: Dvors-
chak) est né le 8 septembre 1841 à Mulhausen près Kralup
(cercle de Prague) ; fils d'un aubergiste de village, destiné
par ses parents au métier de boucher, Dvorak étudia de
bonne heure la musique ; en 1857, il se rendit à Prague où
il fut engagé comme violoniste dans un théâtre. L'exécution
d'une de ses œuvres en 1873 attira sur lui l'attention du
monde musical. De 1892 à 1895, directeur du Conservatoire
— 438 —
national de New- York, le compositeur tchèque se fixa dès
lors à Prague où il mourut subitement d'une attaque d'apo-
plexie le dimanche i*"" mai 1904.
Dvorak a composé des Lieder, de la musique de chambre,
des chœurs, des symphonies, des opéras, des danses slaves
et pour piano seul des transcriptions de ses œuvres pour
orchestre.
Nous terminons cette énumération des principaux repré-
sentants de l'Ecole allemande et bohème à notre époque par
un catalogue alphabétique (forcément incomplet) de musi-
ciens appartenant exclusivement à la littérature pianistique
et dont la plupart sont actuellement vivants.
Albert (Eugène D*), pianiste-compositeur, né le 10 avril i864
à Glasgow, élève de Pauer, lauréat du prix Mendelssohn en iSSi,
causa une grande sensation à Berlin quand il s'y produisit
pour la première fois en i883. D* Albert, qui a parcouru l'Europe
en tous sens, passe pour un des plus brillants virtuoses et pour
un des meilleurs interprètes des maîtres à notre époque. Ses com-
positions pour piano (Suite en Ré mineur, Concertos, Cla¥ier-
stûcke) sont intéressantes.
ANSORGE (Conrad), né en 1862, fixé à Berlin, a remporté de
grands succès comme pianiste-virtuose en Allemagne et en Amé-
rique.
BARTH (Henri), professeur à l'Ecole supérieure royale de mu-
sique à Berlin. Né en 1847, Barth fut élève de H. de Bûlow et de
Bronsart.
BAUER (HAROLD), virtuose, a remporté de nombreux succès
dans ses tournées artistiques en Allemagne, en France, en Bel-
gique, etc.
Berger (WILHELH), auteur de douze Clavierstûcke introduits
au Conservatoire de Raff, à Francfort.
BlEHL (Albert), compositeur fécond. Son op. 189, Poelische
Studien, renferme de jolis morceaux.
BiSCHOFF (D' H.), professeur de piano à l'Ecole fondée et di-
rigée à Berlin par Théodore KuUak.
BrOLL (Ignace), compositeur, virtuose et professeur à Vienne.
— 439 —
Ses concertos ^eo Fa majeur (op. lo) et en Do majeur (op. 24)
sont très estimés.
BûRGEL (C), auteur de Sonates, de Nocturnes, de Valses-ca-
prices, etc.
DORN (A.), virtuose et compositeur de mérite, mort en décembre
1901 à Berlin, où il était professeur à TËcole supérieure de mu-
sique.
EHLERT (Louis), compositeur et musicographe ; ses composi-
tions pour piano: Clavierstûcke à quatre mains, Lieder und
Stndien sont intéressantes. Feuilletoniste spirituel, il a publié
des Essais aus der Tonwelt. Ëhlert est né en 1826 à Kœnigsbergp ;
il est mort le 4 janvier 1884 à Wiesbaden.
EHRLICH (Henri), virtuose, compositeur, professeur disting'ué,
écrivain de mérite, auteur d'un concerto hongrois pour piano,
très orig'inal.
EiSNER (Bruno), jeune pianiste, élève de Fischhoff à Vienne,
a produit, il y a trois ans, une g^rande sensation lors des concours
de fin d'année. Talent exceptionnel.
FAISST (Emmanuel), né le i3 octobre 1823 à Essling^en, fut
longtemps directeur du Conservatoire de Stuttgart qu'il avait
fondé en 1857.
Fischhoff (Joseph), né en 1804, mort en 1857 à Baden, près
Vienne, compositeur de mérite ; on lui doit en outre un Essai sur
la construction du piano. Un musicien du même nom est actuel-
lement un des professeurs les plus estimés du Conservatoire de
Vienne. Ses Variations et fugue sur un thème original pour
deux pianos sont une œuvre de haute valeur.
FŒRSTER (Charles), pianiste-virtuose, a remporté de brillants
succès à Paris en jouant des compositions de Beethoven, Schubert,
Mendelssohn, Schumann, Brahms, Liszt, etc.
GERNSHEIM (Frédéric), né en 1889 ^ Worms, élève de Haupt-
mann, Moscheles, à Leipzig*, est tout à la fois virtuose, composi-
teur, pédagcog^ue. Après avoir habité successivement Paris, Saar^
brûck, Colog^ne, Gernsheim s*est dès 1890 fixé à Berlin. Ses
compositions sont très appréciées.
GURLITT (CORNELIUS) a beaucoup composé, entre autres des
oeuvres à tendance pédag'og'ique. Ses « Morceaux mélodieux, » duos
progressifs pour deux pianos, à quatre mains (op. 174)» sont à
recommander. Gurlitt est mort en 1901 à Hambourg, à Tâge de
quatre-vingt-un ans.
HERING (C), pianiste-compositeur, à Berlin. On cite de lui:
— 440 —
une sérénade zigane à quatre mains, une sonate pour piano, etc.
HiRSGH (Théodore), auteur de morceaux faciles^ à l'usage des
commençants (op. 4^, 47 > tô)-
HOLLÂNDER (Alexis), né le a5 février i84o à Ratîbor, a fondé
une Ecole de musique à Berlin après avoir enseigné le piano au
Conservatoire de Th. Kullak. Connu surtout par ses Lieder, Hol-
lânder a cependant écrit quelques morceaux pour piano. Ne pas
le confondre avec GUSTAVE HOLLÂNDER, violoniste et directeur du
Conservatoire de Stern, à Berlin.
HOPFE (J.), pianiste berlinois de talent, auteur de quelques
œuvres intéressantes pour piano seul et pour piano avec instru*
ments à cordes.
JAËLL (Alfred), né en 1882, àTrieste, mort le 27 février 1882
à Paris, virtuose dont on admirait le jeu d'une finesse et d'une
pureté merveilleuses. Jaëll, qui fut un interprète distingué de
Chopin, a laissé quelques compositions pour piano, entre autres
des valses à quatre mains éditées par sa veuve.
JENSEN (Adolphe), né en 1837 à Kœnigsberg, mort le 23 jan-
vier 1879 ^ Baden-Baden, s'était fixé dans cette petite ville, à
proximité de la Forêt-Noire, après avoir habité successivement
Saint-Pétersbourg, Copenhague, Berlin, Leipzig .et Dresde. Ses
nombreuses compositions pour piano révèlent un tempérament
éminemment poétique. Jensen cherche à charmer plus qu'à étonner.
On peut citer : Sonate en Fa ^ mineur (op. 20) ; Innere Stim-
men (op. 2) ; Fantasiestûcke (op. 7) ; Romantische Studien
(op. 8) ; Drei Clavierstûcke à quatre mains (op. 18) ; Jagdscenen
(op. i5) ; Valses-Caprices (op. 3o) ; Lieder und Tânze (op. 33) ;
des Stades, des Idylles, des Nocturnes, etc.
KLINDWORTH (Charles), né en ]83o à Hanovre, fut un des
meilleurs élèves de Liszt. Professeur à Londres pendant vingt
ans, puis à Moscou, Klindw^orth se fixa à Berlin où il fonda une
école de piano qui, depuis 1893, a fusionné avec le Conservatoire
de Scharwenka. Ce musicien est connu surtout comme virtuose
et pédagogue du piano.
KREBS (Marie), virtuose dont les concerts en Angleterre, en
France, en Amérique ont été couronnés de succès. Marie Krebs
est morte à Dresde en 1900.
Kullak (Franz), fils et collaborateur de Théodore Kullak, à
Berlin.
Lange (Gustave), compositeur; musique de salon, fantaisies.
LEONHARD (J.-E.), pianiste et compositeur, à Dresde.
— 441 — .
LESGHETITZKI (Th.), né en i84o, à Vienne, fut professeur au
Conservatoire de Sa înt- Péter sbourg- dès i864. Leschetitzki, qui a
composé pour le piano des œuvres intéressantes (Romance, op. i4 ;
Six méditations, op. 19 ; Perpetuum mobile, op. 20 ; une Etude
pour la main gauche), est maintenant attaché au Conservatoire
de Vienne, dont il constitue un des principaux ornements. Parmi
les élèves de Leschetitzki, on peut citer : M™® A. Essipoff, en
Russie, M^^ Blomfield-Zeisler, en Autriche.
LESSMAKN (Otto), pianiste berlinois, est surtout connu comme
critique musical.
HARX-GOLDSGHMIDT (M"*^), une des plus grandes pianistes
contemporaines ; elle a remporté d'étourdissants succès dans ses
voyages artistiques avec Sarasate.
HEHLICr (Anna), de Stuttgart, pianiste de talent.
HENTER-POPPER (Sophie), de Munich, a brillé au premier rang
des pianistes allemandes dans la seconde moitié du dix-neuvième
siècle. Cette grande artiste, dont le nom reparaît fréquemment
dans la correspondance de Liszt, a longtemps habité le château
de Itter, au Tyrol. Ses tournées artistiques ont été pour elle au-
tant de glorieux triomphes.
HETER (LËOPOLD DE), né à Vienne en i84o, fit fureur en Amé-
rique. Ses compositions sont tombées dans l'oubli.
Mortier (de Fontaine), né en 1816 à Wisniewiec, en Wo-
Ihynie, mort le 10 mai i883 à Londres, virtuose érudit, donna
des concerts historiques dans lesquels il esquissait Thistoire du
piano en commençant par les Bergeries de Couperin et en ter-
minant par la Cascade de Pauer. Cet artiste consciencieux fut
un des premiers qui eut assez de hardiesse pour jouer en public
les dernières sonates de Beethoven.
NEITZEL (O.), pianiste et théoricien ; professeur à Cologne.
NiCODÉ (J.-L.), compositeur de beaucoup de mérite. Sa Suite
pour orchestre renferme des beautés de premier ordre. Ses Fanta-
siestûcke pour piano sont apprécies des amateurs ; il en est de
même de ses Etudes de concert. Né le 12 août i853 à Jerezitz,
Nicodé fut élève de TAcadémie musicale de KuUak.
PAPPERITZ (R.-C), professeur au Conservatoire de Leipzig.
Paul (Oscar), pianiste-compositeur^ a écrit une Histoire du
piano et un Dictionnaire de la musique en deux volumes.
(Leipzig, 1878).
PRUGKNER (Dents) ; ce pianiste, remarquable par la correc-
— U2 —
tion et la pureté de son jeu, a contribué pour une bonne part à la
réputation du Conservatoire de Stuttgart.
RAIF (Oscar), né le 3i juillet 1847 ^ ^ Haye, est professeur
de piano à TAcadémie de musique de Berlin depuis 1876 ; Oscar
Raif jouit d'une réputation égale comme virtuose et comme péda-
gogue du piano.
REISENAUER (Alfred), né en i863 à Kœnigsberg, pianiste de
premier ordre, fut élève de Kôhler et subit fortement Tinfluence
de Liszt qu'il connut à Rome. Reisenauer enseigna pendant un
an le piano au Conservatoire de Sondershausen.
REISSMANN (Auguste), compositeur et musicographe, né le
i4 novembre 1826 à Frankenstein (Silésie), mort à Berlin en dé-
cembre 1903. Reissmann a beaucoup composé pour le piano,
mais c'est plus encore par ses intéressantes publications (biogra-
phies de Mendelssohn, Schubert, Schumann, etc.) qu'il s'est acquis
une juste réputation.
REMMERT (HARTHA), née en i854, élève de Liszt, a été très
goiltée en Allemagne et dans les différentes parties de l'Europe.
RIEHANN (Hugo), né le 18 juillet 1849, mena de front l'étude
de la musique, du droit, de la philosophie, de l'histoire. Riemano
est attaché à l'Université de Leipzig commie privat-docent ; ses
ouvrages sur la musique {Dictionnaire, Traité dCharmonie,
Traité de contrepoint y Traité de Cart de phraser^ etc.) sont
très répandus; quelques-uns ont été traduits en français par
M. G. Humbert, professeur à Lausanne.
ROSENTHAL (HORITZ), pianiste viennois d'une virtuosité extra-
ordinaire, mais d'un goût musical douteux. Rosenthal, dont les
succès x)nt été considérables, est né à Lemberg en 1862.
RUOORFF (Ernest), né le 18 janvier i84o, élève de Bargiel,
Moscheles, Reineckc, est, depuis 1869, premier maître de piano à
l'Académie royale de musique de Berlin. C'est un musicien très
cultivé.
ROHLMANN (J.), professeur à Dresde, a écrit quelques ouvrages
sur l'histoire de la musique.
SAUER (Emile), né le 8 octobre 1862 à Hambourg, habite
Dresde depuis 1887 ' ^^ pianiste distingué poursuit avec éclat la
carrière de virtuose.
SGHAFFER (Jules), né en 1828, étudia la théologie et la philo-
sophie, puis se consacra à la musique sous l'influence de R. Franz,
Mendelssohn, Schumann. Schàffer a écrit pour le piano des com-
— 443 —
positions (Fantasiestûcke, Fantasie-Variationen, Polonaise, etc.)
remarquables par le seotiment poétique qui les caractérise.
SCHOLTZ (Bernard), né en i835 à Majence, fut professeur à
Munich jusqu'en 1876, époque à laquelle, pour raison de santé,
il se fixa à Dresde ; Scholtz a écrit pour le piano des œuvres parti-
culièrement intéressantes: Sonate en Sol mineur; Geistertanz
(op. 21); Traumbilder (op. 22); Humoreske (op. 28), etc.
SGHUMANR (George), né en 1866, pianiste, directeur et com-
positeur de musique, habite actuellement la ville de Brème ; ses
compositions révèlent une nature éminemment artistique.
SGHOTT (Edouard), né le 22 octobre 1866 à Saint-Pétershourg,
étudia la musique d'abord dans sa ville natale, puis au Conserva-
toire de Leipzig^. Son Concerto en Sol mineur pour piano a eu un
très grand retentissement. Ses autres compositions pour le même
instrument sont de valeur inégale; on peut citer les Poésies
(op. 55), la Valse-Caprice (op. 82), les Scènes de bal (op. 17),
les Préludes (op. 35). Schutt habite Vienne, en Autriche.
SPINDLER (Fritz), professeur de musique à Dresde, a composé
pour le piano de jolis morceaux de salon ; le Wellenspiel fut na-
guère très à la mode.
STARK (Louis),- pianiste de valeur, professeur au Conservatoire
de Stuttgart fondé en i856 par S. Lebert avec le concours de
quelques amis des beaux-arts. La méthode de piano Lebert-Stark
est estimée.
STAYENHA6EN (BERNHARD), né le 24 novembre 1862, élève de
Rudorf à Berlin, de Liszt à Weimar, a composé deux Concertos
pour le piano ; c'est un pianiste distingué dont le jeu est remar-
quable par le sentiment intime non moins que par la perfection
technique.
WENZEL (E.-F.), pianiste et musicographe, a été attaché au
Conservatoire de Leipzig.
WlEGK (Marie), pianiste de concert, a remporté de grands
succès.
WiLSING, compositeur apprécié, auteur de quatre grandes
Sonates, d'une Fantaisie en Fa ^ mineur et d'une Humoresque
en forme de canon.
WÛLLNER (Franz) a dirigé le Conservatoire de Pudor à Dresde
avec une grande autorité. Né le 28 janvier 1882 à Munster, il a
succédé à Perd. Hiller (mort en i885) dans la direction du Con-
servatoire de Cologne et a donné une puissante impulsion artis-
— 444 —
tique à cet établissement. F. Wûllner est mort eu septembre 1902
à Cologne.
D'autres noms mériteraient d'être cités pour Téclat dont ils
brillent dans le monde musical, mais, ni par leurs composi-
tions, ni par leur activité, ni par la nature spéciale de leur
talent, ils n'appartiennent à l'histoire du piano.
CHAPITRE VI
Le mouvement musical en France à la fin
du dix-neuvième siècle.
Pendant le cours du siècle dernier, l'Ecole française a pro-
duit une belle et riche floraison de grands musiciens. La plu-
part ayant limité leur force de production à la musique dra-
matique ou symphonique: Ad. Adam, Auber, Bizet, Boïel-
dieu, F. David, Delibes, Halévy, Hérold, A. Thomas, E. Reyer;
et parmi les contemporains: A. Bruneau, Charpentier, Chau-
met. A, Coquard, Erlanger, G. Hue, Lekeu, X. Leroux, Mes-
sager, H. Maréchal; ces musiciens, si grande et légitime que
soit l'autorité dont ils jouissent, ne rentrent pas dans le cadre
de nos études. Nous devons faire cependant exception pour
quelques compositeurs qui, sans avoir enrichi la littérature
du piano, ont exercé une influence à laquelle ceux qui écri-
vent spécialement pour cet instrument n'ont pu échapper ;
ce sont, pour ne parler que des maîtres qui, depuis plus ou
moins longtemps, ont disparu de la scène de ce monde : Ber-
lioz, Gounod, G. Franck. Après avoir brièvement esquissé leur
physionomie artistique, nous consacrerons quelques lignes
aux compositeurs récents qui, tout en conquérant la faveur
du public par des œuvres capitales (opéras, symphonies, mu-
sique de chambre, cantates, messes, oratorios), n'ont pas dé-
daigné d'écrire des choses charmantes pour le piano, et nous
terminerons ce chapitre, comme le précédent, par une liste
alphabétique des pianistes français les plus en vogue à notre
époque.
— 446 —
L'école romantique en France a eu pour chef incontesté
Hector Berlioz. Ce musicien extraordinaire, n'ayant, de par
la volonté paternelle, jamais appris à jouer du piano, n'a rien
écrit pour cet instrument, mais ce fut un si puissant initia-
teur que nous devons au moins quelques lignes à ce génie
qui, trop longtemps méconnu, est aujourd'hui l'objet d'un
véritable culte dans son pays.
Né le 11 décembre 1803 à la Côte- Saint- André (Isère),
Hector Berlioz vint à Paris en 1822 pour étudier la méde-
cine, mais avec le secret espoir de se consacrer à la musique.
Les années d'études furent excessivement pénibles, la famille
de Berlioz ne croyant pas à sa vocation musicale et le lais-
sant dans un abandon à peu près complet. Donnant des
leçons à un franc le cachet, remplissant les fonctions de cho-
riste dans un théâtre de second ordre, l'infortuné musicien
vécut certains jours de légumes secs.
Après six années de luttes, Berlioz fut autorisé à concourir
pour le prix de Rome, mais le jury déclara sa musique inexé-
cutable, objection à laquelle il répondit victorieusement en
faisant jouer à la salle du Conservatoire la musique d*Orphée
déchiré par les Bacchantes^ ainsi que les ouvertures des
Francs-Juges et de Wawerley.
Prix de Rome en 1830, Berlioz habita deux ans la ville éter-
nelle, mais sans aucun profit pour son dévelopf^ement artis-
tique. On trouvera dans la correspondance de Mendelssohn
de curieux détails sur la physionomie de Berlioz en Italie.
De retour à Paris en 1832, Berlioz dirigea sa Symphonie
fantastique^ puis, en 1834, Harold en Italie, symphonie avec
solis d'alto, en 1837, un Requienty en 1839, Roméo et JuliéLtey
en 1840, la Symphonie funèbre et triomphale et l'ouverture
du Carnaval romain.
Irrité de l'échec infligé par le public parisien à l'opéra
Benvenuto Cellini (septembre 1838), le compositeur CQtreprit
— 447 —
dès 1840 de longs voyages à Tétranger, dont il a consigné les
principaux épisodes dans ses « Mémoires, b Au cours de ce
pèlerinage, Berlioz visita successivement et à diverses re-
prises la Belgique, rÂliemagne du nord, la Hongrie, la Bo-
hême, l'Autriche, etc.
Un second échec, celui de la Damnation de Fausty oeuvre
considérable exécutée pour la première fois à l'Opéra comique
le 6 décembre 1846, détermina le départ du maître pour la
Russie où il rencontra de vives sympathies ; les triomphes
remportés au bord de la Neva le consolèrent quelque peu
des déceptions ressenties à Paris.
Cependant le pauvre découragé put croire un instant que
l'heure de la revanche allait sonner ; en décembre 1854, VEn-
fance du Christ obtenait un succès décisif à la salle Herz,
et le 21 juin 1856, Hector Berlioz était nommé membre de
l'Institut de France; malheureusement, l'espoir fut de courte
durée; le 4 novembre 1863, les Troyens firent une chute
dont ils ne se relevèrent jamais. Après ce douloureux événe-
ment, Berlioz vécut dans la retraite ; deux fois seulement il
consentit à quitter Paris, d'abord pour diriger la Damnation
de Fausty puis, pour répondre à une invitation de la duchesse
Hélène. Au moment de partir pour Pétersbourg, une dernière
épreuve, plus déchirante que toutes les précédentes, la mort
d'un âls tendrement aimé, acheva de briser ses forces. De
retour de Russie, Berlioz' chercha vainement un dérivatif à
sa douleur sur les bords de la Méditerranée, puis à Grenoble,
au milieu de ses compatriotes ; le lundi 8 mars 1869, à Paris,
la mort vint mettre un terme à une agonie qui durait depuis
six ans et préparer l'apothéose d'un génie méconnu.
C'est en effet au lendemain de sa mort que Berlioz s'est
imposé à l'admiration de ses compatriotes. « A peine le grand
artiste eut-il disparu, que l'indifférence s'évanouit. Le blâme
lit place à la louange ; le public revint sur son premier juge-
ment, et, emportée par ce retour subit, la presse elle-même
— 448 —
rendit pleine justice au compositeur qu'elle avait, vivant,
abreuvé de douleurs et de déboires*. »
L'œuvre de réparation qui s'est accomplie vis-à-vis de Ber-
lioz a eu pour principaux agents MM. Deldevez, au Conser-
vatoire de Paris, Pasdeloup aux concerts populaires et Co-
lonne au Châtelet. Aujourd'hui, l'efîort destiné à replacer
l'illustre compositeur au rang qui lui appartient est achevé
et si quelques réserves sont encore formulées sur telle ou
telle composition du maître, le génie de Berlioz n'en est pas
moins reconnu à sa véritable valeur partout où l'art musical
est en honneur.
Ecrivain de mérite, sous les coups de fouet de la nécessité
obligé de faire de la critique musicale pour vivre, Berlioz a
écrit un nombre considérable d'articles plus tard réunis en
volumes sous les titres significatifs de Soirées d orchestre^ — A
travers chants, — Les grotesques de la miAsique. C'est dans le se-
cond de ces ouvrages que se trouve une admirable analyse
des neuf symphonies de Beethoven. Dans sa critique, Berlioz
était souvent d'une âpreté extrême, mais on y découvre aussi
de véritables perles littéraires. La même observation s'ap-
plique aux « Mémoires j> de Berlioz, autobiographie du com-
positeur écrite en un style violent, passionné, parfois aussi
spirituel, humoristique, presque toujours déconcertant. Si
l'on veut se faire une idée juste de la vie de Berlioz, il faut
compléter la lecture des Mémoires par celle des « Lettres »
que le maître adressait à ses amis, correspondance intime
publiée en deux volumes par C. Gounod et Daniel Bernard.
De tous les ouvrages composés par Berlioz, le traité d'ins-
trumentation est le plus important.
La physionomie morale de Berlioz a été dépeinte avec une
rare pénétration dans les lignes suivantes de Théophile Gau-
tier: « Personne n'eut à l'art un dévouement plus absolu et
^ Ad. JuUien, Hector Berlioi^ p. 45.
— 449 —
ne lui sacrifia plus entièrement sa vie. En ce temps d'incer-
titude, de scepticisme, de concessions aux autres, d'abandon
de soi-même, de recherche du succès par des moyens op-
posés, Hector Berlioz n'écouta pas un seul instant ce lâche
tentateur qui se penche, aux heures mauvaises, sur le fau-
teuil de l'artiste et lui souffle à l'oreille des conseils prudents.
Sa foi ne reçut aucune atteinte et, même aux plus tristes
jours, malgré l'indifférence, malgré la raillerie, malgré la
pauvreté, jamais l'idée ne lui vint d'acheter la vogue par une
mélodie vulgaire, par un pont-neuf rythmé comme une
€ontre-danse. En dépit de tout, il resta fidèle à sa conception
du beau; s'il fut un grand génie, on peut le discuter encore,
- le monde est livré aux controverses, — mais nul ne pen-
serait à nier qu'il fût un grand caractère. »
Ce jugement de l'auteur de Mademoiselle Mawpin a reçu
la sanction de la postérité.
Bien qu'il ait écrit quelques morceaux de piano, Gounod,
pas plus que Berlioz, n'appartient à l'histoire de cet instru-
ment ; mais, comme Berlioz, il occupe, dans le mouvement
musical en France, une place si exceptionnelle, il a exercé
sur ses contemporains et sur ses successeurs immédiats une
influence si décisive que son nom a droit à une place d'hon-
neur même dans une publication traitant exclusivement de
littérature pianistique.
Charles Gounod est né le 17 juin 1818 à Paris. Dans son
enfance, la représentation de Don Juan de Mozart, à laquelle
sa mère le fit assister, exerça sur son imagination une im-
pression ineffaçable. Elève de Halévy, Lesueur et Paër, Gounod
remporta en 1839 le prix de Rome. Le séjour en Italie eut
pour le futur auteur de Faust beaucoup plus d'attrait que
pour Berlioz. Son tempérament enclin au mysticisme trou-
vait un aliment dans les solennités de la chapelle sixtine et,
plus encore, dans les prédications de Lacordaire, tandis que
la présence à Rome de Fanny Hensel (la sœur de Mendels-
BIST. DO PIANO 29
— 450 -
sohn) favorisait Téclosion, répanouissement de ses goûts ar-
tistiques. La correspondance de Fanny Mendelssohn abonde
en traits charmants concernant les réunions musicales qui
faisaient la joie des pensionnaires de la Villa Médicis, de Gou-
nod en particulier. Foncièrement artiste, avec cela aimable^
enjouée, Fanny Mendelssohn jouait de la musique de Bach,
de Beethoven, ce qui rendait Gounod, écrit-elle, t fou d'en-
thousiasme. ]E» D'autre part, elle regrette son absence lors
d'une excursion à la Wolckousky parce que « peu de per-
sonnes savent plus sincèrement et plus follement s'amuser
que lui. :»
En quittant Rome, Gounod se rendit à Vienne où il fit exé-
cuter une messe et un requiem de sa composition. Nommé
organiste à l'église des missions étrangères, à Paris, le jeune
et déjà brillant artiste eut un retour de cette ferveur reli-
gieuse qui avait fait de lui un membre de l'association dite
de Jean VEvangélxBte et qui, cette fois, faillit déterminer son
entrée définitive dans les ordres. Cette crise de dévotion ne
fut pas de longue durée; en 1851, le candidat à la prêtrise
se présentait à l'Opéra avec un opéra en trois actes, Sapho,
dont la protection de M">« Viardot, qui chanta le principal
rôle, ne réussit pas à assurer le succès.
Cependant la gloire ne devait pas tarder à couronner les
efforts du compositeur; en 1859, la première représentation
de Faust fut un triomphe et, dès ce moment, le nom de Gou-
nod jouit d'ute popularité que l'on peut qualifier d'univer-
selle. Joué sur toutes les scènes quelque peu importantes du
monde entier, Faust a classé le compositeur au premier rang
parmi les chefs incontestés de l'Ecole française dans la se-
conde moitié du dix-neuvième siècle.
Nommé membre de l'Académie des beaux-arts en 1866^
Gounod, pendant l'année terrible, chercha un refuge à Lon-
dres ; ce fut une vraie e idylle pendant le siège, > mais une
idylle qui finit assez piteusement par un procès. De retour à
Paris, l'illustre musicien continua d'écrire pour l'église et le
théâtre (deux puissances entre lesquelles il a toujours oscillé
— 451 —
et qu'il a souvent confondues) jusqu'à l'heure où, en 1893, la
mort l'a brusquement terrassé en présence de sa famille et de
quelques amis réunis à son domicile pour entendre un re-
quiem de sa composition.
Outre ses opéras : Sapho^ La nonne sanglante. Le médecin
malgré lui, Faust, La colombe, Philém,oti et Baucis^ La reine
de Sàba, Mireille, Roméo et Juliette, Polyeucte, Cinq-Mars,
Jeanne d'Arc, Gounod a laissé : des messes, des symphonies,
des recueils de mélodies, des oratorios (Tobie, Mors et Vita),
un Requiem et quelques morceaux de piano inconnus de la
génération présente.
Dans ces œuvres très diverses, le compositeur révèle les
mêmes qualités de style : la pureté, la limpidité en même
temps que l'extrême délicatesse du contour mélodique, la
simplicité des combinaisons harmoniques, la sobriété des
moyens d'expression, qualités essentiellement françaises qui
n'excluent pas certains apports d'au delà du Rhin, la note
tendre, émue, les effusions mystiques dont on rencontre des
exemples dans la musique profane aussi bien que dans la
musique sacrée du maître. Au reste, Gounod parait avoir été
en possession d'une faculté d'assimilation tout à fait remar-
quable ; c il demanda à Bach le secret de ses harmonies sim-
ples et majestueuses, à Hândel sa pompe et sa grandeur écla-
tante, à Schumann ses mélodies rêveuses et enivrantes, à
Berlioz ses incantations fantastiques et démoniaques ^ » Si de
ce jugement peut être un peu absolu, on concluait qu'il n'y
a rien de personnel dans la musique de Gounod, on s'abuse-
rait complètement ; l'auteur de Mireille n'a jamais été un
vulgaire imitateur et si ses compositions portent des traces
d'influences étrangères, elles n'en possèdent pas moins cette
saveur particulière qui est toujours le signe d'une forte indi-
vidualité.
^ Àd. JnUieo, Muitdens d'm^'ourd'hui, p. 130.
— 4Ô-2 —
Gounod n'a pas eu les audaces de Berlioz ; il n'en a pas
non plus les incorrections. Faciles à comprendre, ses œuvres
écrites dans un style d'une limpidité merveilleuse ont promp-
tement conquis la faveur du public.
L'intluence de Gounod a été considérable, c: Ce grand génie,
doublé d'un philosophe et d'un érudit, conservera la place
qu'il a vaillamment conquise dans l'histoire de la musique
française à laquelle il a fait franchir un grand pas et dont il
restera une des gloires impérissables. Sa nature à la fois
mystique et passionnée a ouvert à l'art des voies nouvelles,
inexplorées et fécondes, largement exploitées de nos jours ^ i»
Evidemment le piano ne pouvait demeurer en dehors de
l'influence générale que Gounod a exercée sur la musique au
dix-neuvième siècle.
Bien que se rattachant à la Belgique par sa naissance,
César Franck appartient à la France par le fait que sa car-
rière artistique s'est à peu près entièrement écoulée à Paris
où il a laissé le souvenir d'une personnalité artistique égale-
ment remarquable dans le triple domaine de la composition,
de l'exécution et du professorat.
Né en 1822 à Liège, CÉSAR FRANCK vint dès sa quinzième
année à Paris où il suivit avec distinction les classes du Con-
servatoire. Professeur d'orgue dès 1872, il se renferma dans
son enseignement ; aussi à sa mort (3 novembre 1890) n'était-
il guère connu que de ses élèves.
Possédant toutes les qualités d'un chef d'école, César Franck
a écrit des œuvres impérissables parmi lesquelles ses orato-
rios : Les Béatitudes, Rédemptiorty Ruth, Rébecca sont d'entre
les meilleures ; les compositions pour orchestre, pour mu-
sique de chambre, pour chant sont aussi très appréciées.
< Lavigoac, La mu$ique et les musiciens, p. 5.
— 453 —
Pour le piano seul, C. Franck a écrit quelques pièces datant
de sa jeunesse : Ballade, Eglogue, Caprice, plus trois mor-
ceaux de plus grande envergure : Prélude, Choral et Fugue,
Prélude, Aria et Finale, Aria, et, pour deux pianos, des Va-
riations symphoniques, autant d'œuvres qui, dans un cadre
restreint, attestent Télévation de pensée et la conscience
artistiques de celui qui les a conçues.
M. A. Bruneau, l'auteur de VAttaque du moulin, a porté
sur C. Franck le jugement que voici : ce Au résumé, il aborda
tous les genres, à la façon des grands ancêtres, et il s'y mon-
tra également supérieur. On a dit de lui qu'il était le Jean-
Sébastien Bach de notre époque. Par la beauté de l'expres-
sion, par la fermeté de la conception, par la hardiesse pro-
digieuse, par l'éloquence jamais interrompue, par la volonté,
par la dignité, par le caractère, par le génie, en un mot,
il ressemble un peu, en effet, au Cantor de Leipzig. Son
influence a été énorme sur la génération actuelle. On ne l'a
point imité, car il est inimitable, mais on a suivi ses exem-
ples, ses préceptes et on a eu raison de le vénérer. »
C'est sous sa direction que se formèrent des musiciens de
la valeur de Chabrier, Fauré, C. Benoît, Goquard, Chausson,
Vincent d'Indy, Bruneau. La renommée de l'éminent compo-
siteur qui avait fait de la France sa seconde patrie grandit de
jour en jour; à Londres, à Berlin, comme à Paris, le nom de
César Franck est aujourd'hui l'objet d'une respectueuse et
unanime vénération.
Avant de passer en revue les principaux compositeurs qui,
dans les dernières années du dix-neuvième siècle, ont com-
posé pour piano seul ou pour piano avec orchestre des œu-
vres d'une certaine importance, il faut rappeler les noms de
trois pianistes jadis illustres, Alkan, Stephen Heller, La-
combe.
Le premier, CHARLES- Valentin Alkan, né à Paris en 1813,
fut élève de Zimmermann. On lui doit une série de composi-
— 454 —
lions pour piano dont l'originalité et la richesse d'invention
sont égalées par la hardiesse des combinaisons harmoniques
et des modulations ; les plus intéressantes sont: vingt-cinq
Préludes (op. 31), douze Etudes (op. 17), des Etudes de con-
cert, etc. Marmontel reconnaît en C.-V. Alkan un « tempé-
rament d'artiste formé par la lecture et la méditation aux
grandes traditions, mais ne relevant que de lui-même et fai-
sant école à part. y>
Le second, Stephen HELLER, est né à Pesth le 15 mai 1814,
mais un séjour d'un demi-siècle en France permet de le
classer parmi les pianistes français. En effet, fixé à Paris
dès 1838, Stephen Heller y demeura jusqu'en 1888, année de
sa mort. Compositeur délicat, ce musicien distingué a publié
un nombre considérable de morceaux admirablement adaptés
au piano et qui, presque tous, ont été accueillis avec beau-
coup de faveur dans le monde musical. Quoiqu'il n'ait guère
écrit que de la musique de salon, ce frère de Chopin, en
poésie, a marqué ses compositions d'un caractère éminem-
ment classique. Si l'inspiration est très personnelle, la forme
mélodique est d'une limpidité parfaite ; Heller unit la clarté
à la sobriété, le charme poétique à l'éclat du style. « Les pro-
menades dun solitaire^ Dans les bois, ses Nuits blanches j son
Voyage autour de ma chambre sont de véritables poèmes
exquis et sobres, où l'inspiration musicale, d'une incompa-
rable élévation, rivalise avec la poésie et la peinture de genre.
Plusieurs de ces pièces sont de petits chefs-d'œuvre de sen-
timents variés et de caractères différents. Vibrations sonores,
où toutes les cordes de l'âme donnent leur note tendre, mé-
lancolique, émue; décor profond où passe le' monde fantas-
tique des esprits. Grâce, énergie, tendresse, douleur, calme,
désespoir, toutes les fièvres du cœur, toutes les antithèses
de la passion, tous les tons qui constituent la gamme im-
mense de nos sensations, trouvent leur écho rapide ou pro-
longé dans ces œuvres saisissantes, dont l'inspiration ne
ne s'égare jamais et se domine elle-même, tout en planant à
d'incomparables hauteurs. »
- 455 -
Il n'y a rien à reprendre à ce jugement de Marmontel qui
peut s'appliquer à la plupart des compositions de Stephen
Heller. Au nombre des plus intéressantes, il faut citer : les
Etudes préparatoires à Vart de phraser (op. 45), l'Art de
phraseTy en deux cahiers (op. 16). Ces études, qui portent
chacune un titre particulier: prélude, impromptu, canzo-
netta, romance, lied, esquisse, nocturne, scherzo, caprice,
allemande, feuillet d'album, intermezzo, etc., constituent
autant de petits tableaux d'un charme exquis. On doit
mentionner en outre les Etudes pour former au sentiment du
rythme et à Vexpression (op. 47), les Etudes progressives
(op. 46), les Préludes (op. 81), chez Lemoine et fils, éditeurs
à Paris et Bruxelles, les Scènes d*enfants, les Arabesques, les
transcriptions de Lieder de Schubert, Mendelssohn.
Comme pianiste, Stephen Heller se distinguait par la déli-
catesse, la finesse de son jeu. Marmontel dit de lui : a II serre
de près le clavier ; la sonorité douce, harmonieuse ne vise
jamais aux effets de force, aux exagérations, mais intéresse,
captive, attache par des qualités plus intimes, d
Les qualités maîtresses de Heller comme exécutant et
comme compositeur lui assurent une place d'honneur dans
le domaine de la pédagogie pianistique.
Un représentant distingué de l'école française du piano,
Louis LaCOMBE, né en 1818, a écrit, pour son instrument
préféré des choses remarquables au nombre desquelles on
peut citer : Etudes en octaves (op. 40), Choral, étude de
concert (op. 45), les Harmonies de la nature, deux Nocturnes
(op. 56), etc.
Parmi les compositeurs marquants de la fin du dix-neu-
vième siècle, quelques-uns ont utilement contribué à aug-
menter le trésor des pianistes; les uns sont morts à une
époque plus ou moins récente, les autres sont encore en
pleine activité. Nous les indiquons dans l'ordre alphabétique.
Né le 25 septembre 1862 à Einsisheim (Haut-Rhin), mort
— 456 —
à Paris en octobre 1897, LÉON BOËLLHAHN a composé pour le
piano seul une vingtaine de morceaux qui portent tous la
marque d'un esprit supérieur; on peut citer entre autres une
valse en Si 6 majeur (op. 8), une seconde valse également en
Si b majeur (op. 14), un Nocturne (op. 36), une Ronde fran-
çaise (op. 37), composition alerte, gracieuse, originale qui a
cela de particulier qu'écrite en La mineur elle ne comporte
aucune note diézée. La cadence :
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1 — ' ^
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au premier abord déconcertante ne manque cependant ni de
charme ni d'originalité.
Le prélude et fugue en fa jj^ mineur, dédiés à U^^ Gigout et
les trois pièces dédiées à M™« Montigny-Rémaury sont des
compositions révélatrices d'un talent exceptionnel.
BOISDEFFRE, RENÉ (DE) né le 3 avril 1838 à Vesoul. En 1864^
Boisdeffre publia des recueils de romances sans paroles pour
piano qui attirèrent sur lui l'attention du monde musical. Il
a écrit en outre pour le même instrument : deux pièces pour
piano (op. 7), Scherzo-sérénade pour deux pianos (op. 9),
douze morceaiuc de genre (op. 38), des pièces symphoniques
pour piano à quatre mains (op. 44), etc.
En 1883 l'Académie des beaux-arts a décerné à R. de Bois-
deffre le prix Chartier fondé en faveur des meilleures œuvres
de musique de chambre.
Né à Chartres, le 13 décembre 1838, mort en mars 1873, à
Paris, Alexis Castillon a beaucoup écrit pour le piano.
Malheureusement ses compositions, très discutées du vi-
vant de l'auteur, sont aujourd'hui presque totalement né-
gligées.
— 457 —
Voici les titres des principales œuvres de Castillon pour
piano:
Fugue dans le style libre (op. 2).
Première Suite pour piano (op. 5).
Cinq pièces dans le stylé ancien (op. 9).
Deuxième suite pour piano (op. 10).
Six valses humoristiqiies (op. 11).
Concerto avec orchestre (op. 12).
Trois pièces dans le style ancien.
Douze pensées fugitives.
Lors de la première exécution du concerto de Castillon,
par Saint-Saëns, le 10 mars 1872, quelques coups de sifflet
se firent entendre. Exaspéré, Saint-Saëns quitta la salle au
milieu du finale, après avoir écrasé le clavier de deux formi-
dables coups de poing.
EMMANUEL Chabrier, né à Ambert en 1842, mort à Paris
en 1894. Artiste modeste, Chabrier souffrit cruellement des
retards apportés à la représentation de son opéra Gwendoline.
« Un voile noir descendit sur sa raison et le chagrin le priva
définitivement du bonheur de travailler;... il subit le mar-
tyre affreux et cruel d'assister pendant de longs mois au lent
naufrage de son intelligence. y>
Chabrier a composé pour le piano : des Pièces pittoresques^
des Valses romantiques pour deux pianos à quatre mains,
une Bourrée fantasque^ etc., compositions point banales
auxquelles on peut appliquer les appréciations formulées par
Kufferath sur l'ensemble de son œuvre : « Ce fut, au total,
écrivait le directeur du Guide musical au lendemain de la
mort de Chabrier, une personnalité, un cerveau original,
allant par tempérament vers l'outrance, mais aussi très sub-
til; ce qui fait qu'en son œuvre, d'ailleurs assez inégale, des
pages d'un caractère excessif, hautes en couleur, étonnantes
par la verve des rythmes et la violence des tons, se rencon-
trent à côté de pages d'un sentiment tendre et délicat et du
faire le plus fin. »
Ernest Chausson, décédé accidentellement, a écrit pour
— 458 —
piano une douzaine de pièces qui présentent les mêmes qua-
lités de style que les grandes compositions symphoniques du
même compositeur.
Dubois, Théodore, né à Rosnay le 24 août 1837, a parcouru
une brillante carrière ; organiste à la Madeleine, il fut pro-
fesseur d'harmonie, de composition au Ck)nservatoire de
Paris dont il est actuellement le directeur. Théodore Dubois
a composé pour Téglise : des morceaux d*orgue, des motets,
une messe des morts, des messes brèves, etc. ; pour le théâtre :
des opéras, un ballet, La FarandoUy dont le succès fut con-
sidérable ; pour orchestre : des ouvertures, des suites, une
fantaisie triomphale pour orgue et orchestre ; pour chant :
des chœurs, des cantates, des mélodies, et enfin pour le piano
seul: une série d'œuvres charmantes parmi lesquelles on
peut citer :
Suite de valses à quatre mains (op. 3).
Scherzo et choral (op. 7).
. Allegro de bravoure (op. 18).
Divertissement (op. 19).
Intermezzo (op. 20).
Douze 'pièces en deux suites (op. 34).
Concert'CapricciosOy avec orchestre (op. 37).
Vingt pièces (op. 54).
La musique de Dubois possède à un haut degré la clarté et
la sobriété, ces deux qualités caractéristiques de l'école fran-
çaise dans ses manifestations les meilleures.
Faurë, Gabriel, né le 13 mai 1845, à Pamiers (Ariège),
élève de Técole de musique religieuse dirigée par Nieder-
meyer, à Paris, organiste à Rennes, organiste à Saint-Honoré
d'Eylau, à la Madeleine, à Paris, puis maître de chapelle à la
Madeleine, a composé de la musique de chambre, de la mu-
sique symphonique, de la musique de chant, et pour le
piano seul des Impromptus, des Barcarolles, des NoctumeSy
des Valses-Caprices, œuvres qui ne sont pas exemptes d'une
certaine préciosité et dont l'exécution présente de sérieuses
difficultés.
La destinée de BENJAMIN GODARD (né en 1849, mort en
— 459 —
1895, à Paris) fut d'entre les plus lamentables. Obligé, sous
les coups de fouet de la nécessité, de se livrer à un travail
acharné, Godard a énormément produit, mais le temps lui
a manqué pour donner à son œuvre ce cachet de perfection
qui seul assure le succès durable d'une composition artis-
tique. € Rempli d'espérance au début de sa carrière, Benja-
min Godard a su l'amertume horrible des rêves irréalisés, le
secret chagrin des projets écroulés*, d Ce sont les déceptions
dont l'âme sensible de cet éminent artiste fut abreuvée qui
l'ont prématurément conduit à la tombe.
Benjamin Godard a composé des opéras : Le Tasse (1878),
Pedro de Zamaléa (1883), Jocelyn (1884), Dantey Jeanne d'Arc^
Les guelfeSy La vivandière ; la première représentation de ce
dernier opéra eut lieu peu de temps après la mort du com-
positeur, en 1895. Dans le domaine de la musique sympho-
nique, il a publié une série d'œuvres intéressantes. Enfin,
pour le chant, Godard a composé des mélodies qui ont du
charme et, pour le piano, une foule de morceaux de valeur
inégale, mais dont quelques-uns appartiennent à ce qu'il y
a de mieux dans la littérature pianistique contemporaine.
Les œuvres de Godard pour piano seul les plus connues sont
les suivantes :
Duo symphonique pour deux pianos.
Sonate fantastique (op. 63).
Scènes italiennes (op. 126).
Mazurkas (op. 54).
Marche hérotque (op. 122).
Lanterne magique (op. 5o).
Danses anciennes et modernes (op. io3).
Impressions de campagne (op. 128).
Nocturne en Fa majeur (op. 68).
Barcarolle en Si b majeur (op. io5).
Scènes poétiques à quatre mains (op. 46).
Valses (valse chromatique).
L'ouvrage le plus achevé de Godard pour le piano est un
recueil en deux livres (op. 42 et 407) de vingt-quatre études
* A. BruDeaa, La musique française, p. 112.
— 4(Î0 —
artistiques. Plus aisément exécutables que les études de
Liszt, Chopin, Rûbinstein, les études de Godard se distin-
guent par un heureux mélange de force et de légèreté, de
grâce et d'humour, de mélancolie rêveuse et d'enjouement;
elles sont éminemment propres à développer le sentiment
poétique chez l'exécutant. En outre, Godard a des mouve-
ments rythmiques, des combinaisons harmoniques, des mo-
dulations dont l'originalité frappe agréablement l'oreille.
C'est ainsi que dans le N« 18, L'attente^ le compositeur
adopte le rythme que voici :
Con moto e molta fantasia.
Le N« 16, Avant le départ, d'une sonorité particulièrement
riche, renferme des accords qui, pris isolément, sont désa-
gréables :
Ex.
^
îs
S^FCT^
t
mais qui, à leur place,
^=^
l
JM-
3
^à^M
Si
E3:
£
[tîTS?
v^
font un excellent effet.
— 4G1 —
Rien de plus gracieux que les traits en arpèges du N<> 10,
Fantaisie:
Andantino.
Les No' 8, Lied en La mineur, et H, Romance en La h ma*
jeur, sont proche parents des Lieder ohne Worte de Mendels-
sohn. Le N^ d, Cavalier fantastique^ est un allegro de bra-
voure très entraînant, tandis que le N» 22, Des ailes, dédié à
M™»* Clotilde Kleeberg, est une poétique composition dans
laquelle l'auteur semble avoir voulu symboliser le frémisse-
ment de Tâme prenant son essor vers des régions éthérées.
Il n'est pas possible de tout citer; ce que l'on peut dire
d'une manière générale, c'est que les études de Godard con-
tribueront à affiner le sens musical des pianistes qui les étu-
dieront avec le soin et la conscience artistique dont elles sont
dignes.
L'auteur de la charmante cantate Le priyiteinps, THÉODORE
<îOUVT, né le 22 juillet 1822, à GatTontaine près Saarbrûck, a
écrit quelques morceaux pour piano, mais il est connu sur-
tout pour sa musique de chambre, ses symphonies, son re-
quiem et son stabat. Gouvy est un compositeur estimable
dans l'œuvre de qui l'on surprend aisément l'influence de
Mendelssohn. Son opéra Le Cid, composé en 1863, n'a jamais
affronté les feux de la rampe.
Holmes, AugUSTA, d'origine irlandaise, mais née à Paris
€t naturalisée française (en iSld), est une des apparitions les
plus lumineuses dans le ciel artistique de notre époque. Pia-
niste, cantatrice, poète, compositeur, Augusta Holmes est
connue surtout par ses compositions pour grand orchestre,
— 462 —
pour orchestre avec chœur, Lutèce^ les ArgonauteSy Irlaiide,
Pologne^ Héro et LéandrCy Ludua pro patria^ Ode triomphale^
Hymne à la paixy etc. H. Imbert a dépeint la physionomie
morale de cette excellente musicienne dans les termes que
voici : « Le talent d'Augusta Holmes est absolument viril ; on
ne rencontre dans aucune de ses œuvres les mièvreries qui^
le plus souvent, sont le défaut de tout talent féminin. Chez
elle, la hauteur de la pensée et la noblesse du sentiment
viennent en première ligne. Elle a le culte du beau et sa
muse n'a jamais chanté que des sujets dignes de Tètre; elle
possède l'imperturbable volonté, cette faculté maîtresse que
dénotent bien les lignes très arrêtées de son visage. ^
Connue aussi sous le pseudonyme de Hermann Zenta, la
grande musicienne que fut Augusta Holmes est morte à Paris
le 28 janvier 1903.
Vincent DINDT, né le 27 mars 1852 à Paris, commença
l'étude du piano à l'âge de neuf ans ; de 1862 à 1865 élève
de L. Diémer, il lit de grands et rapides progrès. L'œuvre
capitale de ce jeune compositeur est sa Trilogie de WaHeti-
stein. Vincent d'Indy a écrit pour le piano : quatre pièces^
(op. 16), trois valses (op. 17)^ un nocturne en Sol bémol.
Hugues Imbert fait observer que le € charme » est ce qui
manque le plus aux œuvres de Vincent d'Indy qui semble
' ' croire que m IcCbeauté ne peut exister qu'à la condition d'être
rude et énigmatique. »
L'auteur du Roi d'Ysy EDOUARD LALO, a peu écrit pour le
piano ; cependant son Concerto joué par L. Diémer a eu un
grand succès. D'autre part, les morceaux pour piano et violon,
piano et violoncelle sont intéressants, c Chez Lalo, dit
M. A. Bruneau, tout est distinction, mesure, tact,, ordre et
précision. » Né en 1830 à Lille, Ed. Lalo est mort à Paris en
1892.
Un musicien trop peu connu, CHARLES Lefebvre, né le
19 juin 1843 à Paris, est l'auteur de compositions pour piano
qui sont « gracieuses d plutôt que ce puissantes, i On a com-
paré la musique de Lefebvre à un joli pastel. La compa-
— 463 —
raison parait s'appliquer à ses œuvres pour orchestre aussi
bien qu'à celles pour piano.
Massenet, Jules-Emile-Fr£déRI(; né le 12 mai 184S, à
Montaud (Loire), est l'un des compositeurs les plus féconds
et en même temps les plus délicats, les plus enivrants de
notre époque, mais, sauf erreur, il n'a rien écrit spécialement
pour le piano. C'est dans l'opéra et dans le drame religieux
que Mtfssenet excelle, apportant les mêmes tendresses dans
l'expression de l'amour profane que dans l'expression de
l'amour divin. Manon, Werther, TViats, Marie^Magdeleiney
EvCy La vierge ont tour à tour et à titre égal consacré sa
gloire. On a spirituellement caractérisé le génie de l'auteur
d*Hérodiade en ces mots charmants : c Massenet, c'est un fleu*
riste ; il a de jolies roses chez lui ; il sait bien faire les bou-
quets. 1»
Né le 9 octobre 1835, à Paris, CAMILLE Sairt-SaËNS est
actuellement le représentant le plus autorisé de VEcole fran-
çaise; il en est le chef. Le moment n'est pas encore venu
d'écrire la biographie de ce grand musicien qui s'est essayé
dans tous les genres et qui, dans tous, a produit des oeuvres
distinguées; il est cependant bon de rappeler quelques
dates.
Saint-Saëns commença l'étude du piano à l'âge de trois
ans et, à sept ans, il était élève de Stamaty et de Maleden.
Organiste à Saint-Merry dès 1852, à la Madeleine dès 1858,
Saint-Saêns fut en 1861 nommé professeur de piano à l'Ecole
Niedermeyer.
£n 1867, sa cantate : Les noces de Prométhée^ écrite pour
l'inauguration de l'exposition universelle, fut accueillie avec
un enthousiasme général.
Après la guerre franco-allemande, le jeune et déjà célèbre
musicien-compositeur fit de nombreuses tournées artistiques
qui popularisèrent son nom d'une extrémité de l'Europe à
l'autre. G. Saint-Saêns est le premier organiste et l'un des
premiers pianistes de notre époque.
Actuellement fixé à Paris, l'éminent artiste consacre le
pouroron*»-' ^^"^^mposition et, en dépit des
Po^Q'^ /ry^'/'^/irres les plus récentes ne portent
"^^^ r'~;^'r'^''fr»/«P*^^°^®^» ^^^ poèmes symphoniques
^^ jl-'^^'^^fH*/^^ ^/Omphale, La danse macabre)^ de la mu-
^î/^^-^^'S/*» ^®^ oratorios, des cantates, des Lieder
[ ^^ d^ ^.g (Quelques ouvrages de critique musicale assu-
„//'*''^i,f-Saëns le premier rang parmi les musiciens
re^^ ^ Irauvore du vingtième siècle.
fr^^ ie piAQO, Saint-Saëns a composé des concertos dont
\lonà, ^^ ^^^ mineur, est promptement devenu classique,
des
la SC^
^^^^orkas, une polonaise (op. 77), un scherzo (op. 87), un
pj^'ce arabe (op. 96), ces trois morceaux pour deux pianos,
les Cloches du soir, un Album pour piano (op. 72) et surtout
d'admirables transcriptions d'oeuvres de Bach ainsi que de ses
propres compositions pour grand orchestre.
Dans une étude où la critique a des sévérités excessives,
M. H. Imbert convient que t Saint-Saëns aura été un des
éducateurs de la génération qui vient. » Nous pensons que
Tavenir confirmera ce pronostic.
Voici maintenant une simple nomenclature également par
ordre alphabétique, des principaux maîtres français du piano
à la fin du dix-neuvième et au commencement du vingtième
siècle.
AUBERT, Louis, a composé une Suite pour deux pianos ; trois
Esquisses pour piano, à deux mains ; compositions orig'lnales et
intéressantes.
BAILET, ADELINE (Miie)^ jeune artiste de grand talent, s*est
produite à Paris et à Berlin avec beaucoup de succès.
BËRIOT, Charles (de), pianiste-compositeur, auteur d*une
intéressante sonate à deux pianos.
Bernard, Edouard, jeune pianiste dont le jeu se distingue
par la grâce et la souplesse.
BLANGARD, Jane (Mii<^), premier pri^ du Conservatoire de
l^aris en 1899, ^ ^'^^ ^^ quatorze ans. Cette excellente pianiste
'— 4G5 —
a remporté de brillants succès à Bruxelles par une interprétation
très personnelle des œuvres de Schumann, Chopin, Pugno, Rach-.
maninoff, Moszkowsky ; en mars 1901, elle a provoqué un en-
thousiasme gfénéral en exécutant le Conceristûck de Weber au
concert Colonne, à Paris. A la même époque, M^'® Blancard s'est
fait entendre sur le piano double avec M^^« Magdeleine Boucherit.
Dès lors la réputation de cette artiste a suivi une marche cons-
tamment ascendante.
Bonheur, Marguerite (>!<"«), pianiste dont on loue la vir-
tuosité, le charme et la délicatesse.
Boucherit, HAGDELEINE (M^i^), pianiste dont le jeu est remar-
quable de netteté, de précision, de finesse.
Le frère de cette artiste, M. Jules Boucherit, joue du violon,
tandis que sa belle-sœur. M"® Boucherit, née Larronde, joue du
violoncelle.
Bourgeois, Emile, compose de la musique de salon. A noter :
Feu-follet^ Caprice (op. 20), Valse-caprice (op. 22).
BOUTET DE MONVAL (M™^), musicienne de valeur connue sur-
tout par les qualités robustes de son talent.
BREITNER h., pianiste remarquablement doué, créateur de
la société philharmonique à Paris.
CHAIGNEAU, Thérèse et ses sœurs Suzanne et Marguerite cons-
tituent un trio artistique tout à fait distingué. Filles d*un peintre
de talent, ces trois musiciennes (pianiste, violoniste, violoncel-
liste) interprètent avec une égale supériorité les œuvres des maî-
tres anciens et modernes.
CHAMINADE, Cécile, compositeur d*une rare fécondité et de
certaine envergure. M™® Chsuninade a écrit des œuvres sympho-
niques pour grand orchestre, de la musique de chambre, des
Lieder et, pour le piano seul, une foule de compositions de valeur
inégale au nombre desquelles on peut citer :
Sérénade en Ré majeur (op. 29).
Lolita^ caprice espagnol (op. 54).
Mazurka suédoise en La mineur.
La Moresca, caprice espagnol (op. 87).
Valse'caprice en Ré bémol majeur (op. 33).
Des transcriptions pour deux pianos (à quatre mains) de frag-
ments pour orchestre (Pas des cymbales^ Callirhoè', etc).
Un intermezzo à deux pianos, en Si h majeur, concentre heu-
reusement les diverses qualités de style qui distinguent M™e Cha-
minade, cette aimable artiste qui, à défaut de génie, possède un
HIST. DU PIANO 30
— 466 —
merveilleux talent. Bien qu'elle ait parfois de hautes visées, Cé-
cile Chaminade excelle surtout dans la musique de salon.
CORTOT, Alfred, pianiste ; ses concerts en France, en Bel^que
ont eu un réel succès ; on parle avec éloges de la technique de ce
jeune virtuose.
Couché, WiLHELMINE, s'est fait une spécialité dans l'interpré-
tation de pièces anciennes (de Rameau, Scarlatti, Daquin, Cou-
perin, Bach) qu'elle joue sur un clavecin reconstitué par la maison
Erard.
DAMGKE, B., compositeur peu connu ; quelques-unes de ses
œuvres pour piano mériteraient cependant d'échapper à l'oubli.
Debussy, Claude, l'auteur très fêté de Pelléas et Mélisandey
a publié pour piano seul et sous le titre g'énéral : Estampes, un
recueil de trois morceaux (Pagodes, La soirée dans Grenade^
Jardins sous la plaie) ; c'est l'œuvre d'un ciseleur qui, pour
peindre avec les sons, trouve des formules nouvelles, ingénieuses.
Ainsi qu'on l'a fait observer, Debussy réussit à exprimer des
nuances de plus en plus fines de la vie.
DELABORDE, E.-M. Cet excellent pianiste a composé des mor-
ceaux à tendance pédagogique ; ses petits préludes destinés à
servir d'études pour la lecture musicale sont très estimés.
DELAFOSSE, brillant virtuose ; ses tournées artistiques ont été
fructueuses, mais ses essais de composition n'ont eu qu'un succès
d'estime.
DELAHAfE, L., jeune compositeur dont les œuvres se sont
promptement répandues dans le monde musical.
DELIOUZ, pianiste-compositeur de mérite, connu surtout par
ses intelligentes transcriptions de fragments des grands maîtres.
DESESTRE (M'««). Virtuose de grand talent et musicienne de
tempérament, M™® Desestre porte à un haut point l'art de faire
chanter le piano.
DlËMER, Louis, né à Paris le i4 février i843, professeur au
Conservatoire de Paris depuis 1887, a formé un nombre considé-
rable de pianistes distingués. « C'est, dit M. H. Imbert, un vir-
tuose de race, un admirable lecteur, un styliste hors pair ;... la
sûreté, l'égalité du trait, le respect des traditions classiques ont
fait de lui le merveilleux interprète des pages des vieux maîtres. )^
Diémer a composé de la musique de chambre, des mélodies,
deux concertos pour piano avec orchestre et pour piano seul une
trentaine de compositions où se révèle l'artiste intelligent et coo-
— 467 —
sciencîeux. Une édition des pièces de clavecin de François Couperin
revisées par Diémer est en voie de publication.
DUGAS, Paul, un des hommes d'avenir de la France musicale.
Sa sonate en Mi bémol mineur, dédiée à M. Saint-Saëns, indique
un tempérament artistique très développé. Difficile à exécuter,
cette œuvre, à laquelle on pourrait reprocher sa prolixité (elle n*a
pas moins de cinquante-cinq pa^es) ainsi que certaine recherche
dans les combinaisons harmoniques constitue cependant un vaillant
et sérieux effort. Plus récemment, P. Ducas a composé des Varia-
tions sur un thème de Rameau. Son opéra, L'apprenti sorcier ^
Ta classé parmi les meilleurs compositeurs de notre temps.
Durand, Auguste, compose de la musique de salon. Sa pre-
mière valse en Mi bémol majeur, sans prétention, ne manque pas
de charme.
DUVERN07, J.-B., a publié une Ecole du mécanisme en quinze
Etudes, Son homonyme, Antoine Duvernoy est également un bon
représentant de TEcole française contemporaine de piano.
E66ERH0NT, HENRIETTE (MUe), pianiste dont on vante le jeu
souple et viril, la technique impeccable, l'interprétation intelli-
g'ente des chefs-d'œuvre des grands compositeurs.
ETMTEU, Henri, auteur d*Etudes et Biographies musicales,
a composé un andante avec variations pour deux pianos (op. 4^)*
FISSOT, Henri-Alexis, né le 24 octobre 1843 à Airaines
(Somme), mort le 29 janvier 1896 à Paris, fut, pendant plusieurs
années, professeur au Conservatoire de Paris. Ses douze Etudes
(op. 3) sont remarquables.
FULGRAN, Clémence (Mi°«), musicienne et virtuose de haute
valeur ; on a en particulier relevé Tin tell ig'eoce avec laquelle cette
pianiste interprétait la musique de Beethoven.
6ÉDALGE, André, auteur d'un concerto pour piano et orchestre
dont Bruneau dit que c'est un ouvrage « sérieusement, solidement
bâti et des plus curieux. »
6ODEFROID, FÉLIX, a écrit de la musique de salon ; le Réoeil
des fées (op. 38) a eu nag'uère une certaine vogue.
JAELL, Marie (M^^, née Trautmann), originaire de Wissem-
bourg (Alsace), fit une première tournée artistique à l'âge de
douze ans. Après avoir terminé ses études à Paris, sous la direc-
tion de Herz, elle visita de nouveau la France, la Suisse, l'Alle-
magne, conquérant le public par la vigueur de son talent. Depuis
son mariage avec Alf. Jaëll, Téminente pianiste a toujours habité
Paris où elle a donné des concerts dans lesquels elle jouait toutes
— 468 -
les œuvres pour piano des maîtres anciens et modernes (Beetho-
ven, Liszt).
Maniant aisément la plume, M"^^ Jaëll a publié trois volumes
de pédafico^ie pianistique sous le titre g'énéral de : Le toucher y et
un ouvrag-e rempli d'idées sugg^estives sur La musique et la
psychophysiologie, (Paris, Alcan, 1896.)
JAUDOIN, Gabriel, brillant élève de L. Diémer. Ses débuts à
la salle Ërard ont été couronnés de succès. On parle avec éloges
de sa technique impeccable, de la parfaite égalité de son toucher,
de la sonorité puissante de son jeu.
KETTERER, Eugène, pianiste-compositeur; sa musique de
salon {Valse de concert , op. 78) ne manque pas d'attrait.
KLEEBERG, CLOTILDE. De nombreuses tournées artistiques ont
conféré une popularité de bon aloi au nom de cette aimable artiste
qui traduit avec la même conscience, la môme autorité, le même
talent, la pensée des maîtres les plus divers, depuis Bach jusqu'à
Saint-Saëns. M"»« Kleeberg, qui est née le 27 juin 1866 à Paris, a
épousé M. Samuel, un artiste belge qui jouit d'une solide répu-
tation auprès de ses compatriotes. Le critique musical H. Imbert
a caractérisé le talent de Téminente pianiste dans les termes que
voici : « Tous les dons qui constituent une virtuose et une musi-
cienne remarquable. M"»® Glotilde Kleeberg les possède ; méca-
nisme parfait, pureté dans le style, grâce, finesse, fraîcheur dans
l'expression, facilité prodigieuse dans l'exécution des traits les
plus ardus, mémoire extraordinaire, verve endiablée. D'une intel-
ligence rare, elle a surtout à son actif une qualité précieuse, celle
d'interpréter chaque maître avec le style qui convient à son œuvre.
Vojez-la inclinée légèrement sur le clavier avec un laisser-aller
charmant; elle suit la pensée de l'auteur; elle cause pour ainsi
dire avec lui. Et ce sont des nuances exquises, passant an forte
le plus énergique au piano le plus discret, des sous-entendus dé-
licieux, qui font venir en pleine lumière les compositions des
maîtres^. »
LAGK, THËODORE, auteur d'une foule d'œuvrettes pour piano :
Chanson napolitaine (op. iio), Sorrentina (op. 96), Ariette-
Valse (op. 187), Caprice-Tarentelle (op. 190), etc.
LAGOMBE, Paul, né le h juillet i838à Carcassone. Cet artiste
hors ligne est peu connu, ce qui tient essentiellement au fait qu'il
habite la province et qu'il n'a jamais recherché les bruyants
* H. Imbert, Médaillons contemporains, p. 324.
— 469 —
triomphes. Compositeur sérieux, P. Lacombe a écrit pour
orchestre des ouvertures, des suites, des symphonies ; pour le chant
des Lieder; pour le piano une centaine de morceaux à deux ou à
quatre mains parmi lesquels on peut citer : Cinq morceaux ca-
ractéristiques (op. 7), Première suite pour piano (op. i5).
Arabesques (op. 16), Etudes en forme de variations (op. 18),
Esquisses et souvenirs (op. 28), Nocturne et valse lente (op. 36),
Aubade printanière (op. 87), Promenade sous bois (op. 54),
Toccatina (op. 85) et à quatre mains : Quatre pièces (op. 9),
valses (op. 25). et autres morceaux écrits primitivement à deux
mains. En outre quelques-unes des œuvres pour piano existent
aussi pour orchestre.
LAUNAT (6. DE), élève de Diémer, a joué supérieurement le
cinquième concerto de Saint-Saëns dans ses concerts à Paris.
LAVIGNAG, Albert, professeur d'harmonie au Conservatoire de
Paris, a écrit pour le piano quelques compositions intéressantes :
sonatines, transcriptions. A. Lavig*nac, qui est très bien informé
de tout ce qui appartient au domaine de la musique, a publié deux
précieux volumes : La musique et les musiciens et Le voyage
artistique à Bayreuth, Ornés de nombreuses illustrations, ces
deux ouvrag'es sont une mine inépuisable de renseignements pour
les amateurs de musique, en particulier pour les pèlerins désireux
de visiter la cité sainte du wa^'nérisme. Un traité sur Y Education
musicale du même auteur a paru récemment.
Le Beau, Alfred, s'est fait connaître avantag-eusement par
des transcriptions et par des compositions orig^inales d'un réel
mérite.
LEGODPPET, Félix, pianiste théoricien dont les ouvrages ont
une valeur inappréciable au point de vue de la pédagogie musi-
cale. Outre un traité sur V Enseignement du piano (Paris, Ha-
chette), Lecouppey a publié, sous le titre de L'art du piano, un
recueil de cinquante morceaux d'étude empruntés aux meilleurs
maîtres. U Introduction à l'art du piano comprend trente mor-
ceaux avec commentaire explicatif. Les Matinées musicales enfin
renferment douze morceaux de salon également empruntés aux
œuvres des maîtres.
LENEPVEU, C.-F., excellent musicien ; a composé de la musique
de chaïnbre dont il a transcrit des fragments pour piano.
LÉV7, Lazare, élève de Diémer ; bien qu'il soit jeune encore,
on reconnaît chez lui une fine et puissante nature d'artiste.
— 470 —
HALAN-GuÉROULT, compositeur peu répandu ; ses deux mor-
ceaux à deux pianos (op. i6) sont cependant aj^ables à jouer.
HARMORTEL, ANTOINE-FRAHÇOIS, né en 1816, à Paris, pro-
fesseur au Conservatoire de Paris dés 1844) chevalier de la lég'ion
d'honneur, officier d'académie, etc., est le père spirituel de Tim-
mense majorité des g-rands pianistes français contemporains. On
pourrait presque dire que sa postérité artistique, comme celle
d'Abraham, le père des croyants, est aussi nombreuse que le sable
de la mer. Nul n'a plus contribué que Marmontel à conserver les
traditions classiques d'un jeu pur, parfaitement correct, en même
temps qu'élégant et coloré.
Marmontel a publié quelques ouvrages bien pensés et bien
écrits: Eléments d'esthétique musicale,. Histoire du piano.
Les pianistes célèbres. Silhouettes et médaillons. Ces divers
ouvrages constituent autant de contributions très utiles à l'histoire
de l'art; on ne les lira jamais sans profit.
Marmontel, ANTONIN, fils du précédent, marche d'un pas
ferme dans la voie royale où son vénéré père l'a précédé.
Martin, Joséphine, cette gracieuse pianiste, qui jouait avec
une extrême délicatesse et qui écrivait des choses charmantes, ne
saurait être laissée dans l'ombre. Elle a été dépassée mais n'en a
pas moins, en son temps, brillé d'un vif éclat. Joséphine Martin
est morte à Paris en septembre 1902, à l'âge de quatre-vingts ans.
MASSART, AGLAË (M'n^, née Masson), femme du violoniste
Lambert Massart, enseigna le piano avec éclat au Conservatoire
de Paris, de 1876 à 1887.
HONTIGNT-RËMAURT (M">o), pianiste distinguée, a remporté de
grands succès, en particulier dans ses concerts avec le violoniste
Léonard.
NUX (DE LA), pianiste-compositeur, a joui naguère d'une cer-
taine célébrité. Eschmann cite de lui : Trois pièces et un Air de
ballet.
PANTHËS, Marie (M™»), une des plus brillantes pianistes con-
temporaines ; ses concerts font sensation.
PESSARD, Emile, compositeur de mérite ; à noter parmi ses
œuvres pour piano : Les noces d'or, scène villageoise (op. i5),
vingt-cinq pièces dont Gounod parle en termes élogieux.
PHILIPP, Isidore, organiste et pianiste-virtuose, a remporté de
grands succès par une interprétation géniale d'un concerto de
Rimsky-Korsakoff, d'une suite de P. Lacombe et de composi-
tions da Widor. Né à Pesth en i863, naturalisé français, I. Phi-
— 471 —
lipp a publié quelques ouvrag'es d'enseignement, des transcrip-
tions et un petit nombre de compositions orig^inales pour piano.
PlERNË, G., un des compositeurs les plus en vog-ue à notre
époque ; il a abordé des ij^enres très divers et dans tous il a écrit
des œuvres qui, si elles manquent de profondeur, ont au moins
l'avantag'e de chatouiller ag'réablement les oreilles de Tauditeur.
Pierné a adapté au piano quelques-unes de ses compositions pour
orchestre : ainsi la Tarentelle de la Suite en Ré mineur (op. i).
Plante, Francis, un des plus g^rands pianistes de TEcole
française. Né en 1889, F. Planté fut élève de Marmontel père.
Après de brillantes et fructueuses tournées, Planté^ qui joint à une
technique étonnante l'exubérance d'un tempérament méridional,
vécut pendant près de vingt ans dans une retraite à peu près com-
plète. Ce prodigieux charmeur, qui commente lui-même les œuvres
qu'il interprète, a reparu en 1902 sur le théâtre de ses anciens
triomphes et a retrouvé les mêmes succès qu'au temps de sa jeu-
nesse.
PUGNO, Raoul, d'origine italienne, mais élevé à Paris, où il
est né le 28 juin 1862.
Après avoir fait de brillantes études à l'école Niedermeyer, puis
au Conservatoire, ce pianiste, le plus grand peut-être de notre
époque, partagea son temps entre l'enseignement, la composition
et les tournées artistiques. Les triomphes de cet incomparable
artiste dans l'ancien et dans le nouveau monde ne se comptent
plus ; à Paris, ses séances avec Ysaïe ont produit une sensation
considérable. Chez Pugno, « la sonorité est onctueuse ; le charme,
dans les thèmes de douceur, d'expression intense, est enveloppant;
la puissance dans les passages de force, atteint l'apogée ^ . »
R. Pugno n'est pas seulement un virtuose accompli, c'est aussi
un musicien de haute culture qui a composé un oratorio {La ré-
surrection de Lazare)^ des opéras-bouffes, de la musique de
ballet, des mélodies et, pour le piano, un concerto avec orchestre,
plus une trentaine de morceaux parmi lesquels une Grande sonate^
des Mazurkas^ des Valses^ un Impromptu^ etc.
Redon, Ernest, compositeur ditingué ; ses pièces pour piano :
Gigue américaine en Ré majeur. Chanson des blés en Sol ma-
jeur (op. 24), Chants créoles (op. 35), Hommage à Schumann
ont beaucoup de grâce et de finesse.
^ H. Imbert, Médaillons contemporains, p. 362.
— 472 —
Renaud de VILBÂG, pianiste-compositeur qui fit naguère les
délices des pensionnats de jeunes filles par ses transcriptions d'opé-
ras pour piano à quatre mains.
RET-GAUFR£S (M"«), pianiste très consciencieuse. Cette artiste
sait donner à chacune des œuvres qu'elle interprète le style qui
lui convient. On vante sa technique toujours parfaite, son phrasé
toujours délicat.
SELVA, BLAHGHE (M^i^); très jeune encore, cette excellente pia*
niste a déjà fourni une fort belle carrière ; son interprétation des
œuvres de Bach pour clavecin à la Schola cantoruniy a été parti-
culièrement remarquée.
RISLER, Edouard, émule de Pugno et de Planté, pianiste
d'orig'ine alsacienne, né en 1873, mais formé à Paris sousTintel-
lig-ente direction de Diémer. Disposant d'une technique impec-
cable, Risler interprète avec beaucoup d'autorité les œuvres des
maîtres du piano. Risler est le premier pianiste qui ait joué à
Paris la Sonate en Mi b mineur de Ducas.
RITTER, Théodore, fut en son temps un excellent pianiste; il
a composé quelques morceaux pour piano qui ont joui d'une juste
réputation.
ROGER-VIGLOS, MARIE (M»»), née le i^^ mai 1860, à Toulouse,
fit ses premières études dans sa ville natale. Admise au Conser-
vatoire de Paris en 1874, elle débuta dans la carrière artistique
par l'exécution d'up concerto de Godard. Ses succès aux concerts
Lamoureux, Colonne furent très g'rands. Depuis la mort de son
mari, en 1887, M™*' Roger-Miclos s'est essentiellement consacrée
au professorat.
Bien qu'elle soit née à Prag-ue (i834) et qu'elle ait épousé un
Polonais, M™e SZAWARDY-CLAUSS, WILHELMINE, a si longtemps
habité Paris qu'on peut la considérer comme se rattachant à
l'école française. Cette artiste distinguée a publié quelques mor-
ceaux estimés pour le piano.
THOMË, FRANGIS, compositeur dont l'inspiration est souvent
très élevée, a écrit pour le piano un certain nombre de composi-
tions charmantes parmi lesquelles on peut citer :
Trois valses (op. 2).
Trois valses (op. 36).
Pizzicato (op. 39).
Mandoline, sérénade espagnole (op. 65).
Les noces d'Arlequin (op. 73). Ballet-pantomime transcrit pour
deux pianos.
— 473 —
Chanson de mai (op. 88) pour deux pianos.
Andalouse, pièce caractéristique (op. 117).
WlDOR, C.-H., organiste à Saint-Sulpice, Paris, fit ses études
à Bruxelles. Ce musicien remarquablement doué a composé des
opéras, des œuvres symphoniques, de la musique de chambre,
des recueils de mélodies et, pour le piano, un chiffre respectable
de morceaux estimés : Suite polonaise^ Valses caractéristiques y
Airs de ballet. Pages intimes^ Marche américaine^ Feuillets
d'album, etc.
Jouée par I. Philipp à la salle Erard, au concert Colonne et au
Conservatoire, la Fantaisie de Widor pour piano et orchestre a
eu un immense et lég'itime succès.
WURHSER, Lucien, un des maîtres du piano au temps pré-
sent. D'après, le Guide musical (1908, N^ 6), ce musicien,
doué d'une force de volonté remarquable, a traversé vaillamment
toutes les étapes par lesquelles doit passer le virtuose avant de
parvenir au plus haut but. Le même journal déclare que : la
puissance sans dureté, la douceur sans afféterie, clarté, précision,
un legato d'une étonnante souplesse, un staccato des plus bril-
lants, la g-randeur et la noblesse du style, constituent la caracté-
ristique de son talent.
A ces noms, bien d'autres, plus ou moins connus, pour-
raient s'ajouter et cela sans compter l'immense armée des
anonymes, dilettantes modestes qui, s'ils ne se produisent
pas au grand soleil de la publicité, n'en cultivent pas moins
la musique avec passion et avec succès. Chaque année le
Conservatoire de Paris donne essor à toute une € volée » de
pianistes des deux sexes dont le jeu sobre, précis, avec cela
pittoresque, coloré, d'une noblesse toute classique atteste
l'excellence des enseignements qu'ils ont reçus. L'Ecole fran-
çaise du piano occupe à l'heure actuelle une place d'honneur
dans le monde musical.
CHAPITRE VII
Le mouvement musical dans les autres pays de
l'Europe et dans le nouveau monde.
Belgique. Suisse.
Deux pays limitrophes de la France et de rAllemagne, la
Belgique et la Suisse, ont, tout en conservant plus ou moins
leur caractère national, subi l'influence de l'école française
et de l'école allemande.
L'Ecole belge a toujours joué un rôle prépondérant dans
l'évolution musicale ; on sait, pour ne pas remonter plus haut
que le dix-neuvième siècle, l'éclat dont a brillé le Conserva-
toire de Bruxelles sous la direction de l'éminent historio-
graphe de la musique, F.-J. Fétis.
Né en 1784, mort en 1871, FRANÇOIS-JOSEPH FÉTIS a joué
un rôle très important, non seulement par son professorat,
mais aussi par la publication d'ouvrages qui, en dépit de
certaines imperfections n'en sont pas moins des monuments
de la science musicale au dix-neuvième siècle. La musiqve
mise à la portée de tout le monde (Paris, 1830), le Traité
d'harmonie^ la Biographie universelle des musiciens^ en huit
volumes, V Histoire générale de la m^usiquey en cinq volumes
(ouvrage malheureusement inachevé) constituent une mine
inépuisable de renseignements ; lisseront toujours consultés
avec fruit.
Le célèbre compositeur et théoricien, François- Auguste
Gevaèrt remplaça Fétis à la tête du Conservatoire de
Bruxelles et contribua à maintenir cette institution au pre-
mier rang parmi les écoles de musique en Europe.
— 475 —
En outre, deux pianistes distingués, Auguste Dupont et
Louis Brassin concouraient par leur enseignement solide
au même résultat.
Né en 1828, AUGUSTE DUPONT a composé de brillantes
Etudes, entre autres la Pluie de mai (op. 2), le Staccato per-
pétuel (op. 31), des morceaux caractéristiques, Contes du
foyer (op. 12), etc.
Louis Brassin, né en 1840, mort en 1884, tout à la fois vir-
tuose, professeur, compositeur, a écrit pour le piano de
beaux morceaux de concert : Grand galop fantastique (op. 5),
Valse-caprice (op. 6), Grandes études de concert (op. 12), des
adaptations au piano de fragments de R. Wagner, etc.
Une des illustrations du Conservatoire fut M"« MARIE
Pletel, née Mocke, originaire de Gand ; élève de Herz, cette
admirable artiste parcourut l'Europe en tous sens, étonnant
le monde par son goût artistique et par son admirable vir-
tuosité.
Le pianiste-compositeur D. Hagnus a écrit quelques mor-
ceaux intéressants : Cappricioso, grande valse brillante
(op. 172), Chanson mauresque (op. 312).
Actuellement la Belgique possède une pléiade de musi-
ciens, compositeurs et virtuoses de premier ordre ; pour ne
parler que des pianistes, il suffit de rappeler les noms d'Ar-
thur DE Greef, Sydney van Tijn, Charles Delgouffre, pia-
niste-conférencier dont les substantiels Avant-dire sont très
goûtés, Emile Bosquet, lauréat du prix Riibinstein, M. Jean
Sauvage, M"es Louise Desmaisons et E. Hofmann, toutes
deux premier prix du Conservatoire de Bruxelles.
En Suisse, autre pays voisin soit de la France, soit de
l'Allemagne, l'activité musicale s'est longtemps renfermée
dans les limites du chant religieux et du chant patriotique.
On sait le rôle que l'antique abbaye de Saint-Gall a joué dans
l'histoire de la musique sacrée en Europe et l'on ne saurait
oublier que si les auteurs du psautier huguenot sont tous
français, c'est cependant à Genève que ce recueil a été éla-
boré et imprimé.
— 476 —
Une étude générale de la musiqne en Suisse devrait en
outre réserver une place importante aux sociétés vocales et
instrumentales qui, depuis longtemps, travaillent à déve-
lopper le goût musical des bords du Léman à ceux du lac
de Constance, ainsi qu'aux écrivains qui ont publié des ou-
vrages plus ou moins importants de théorie ou d'esthétique
musicale. On trouvera sur ces divers sujets des renseigne-
ments suffisamment complets dans le petit ouvrage de
M. Soubies, sur La musique en Suisse (Paris, librairie des
bibliophiles, 1899).
Il faut arriver jusqu'au dix-neuvième siècle pour rencon-
trer des musiciens suisses se vouant à la pratique du piano
et écrivant des compositions spécialement destinées à cet
instrument.
Dans la Suisse romande, on peut citer: C. BOVT-Ltsberg,
qui fut un élève distingué de Chopin. Né à Genève le !«»■ mars
1821, mort dans la même ville le 15 février 1873, ce pianiste
délicat a composé pour le piano une foule de pièces char-
mantes, mais dans lesquelles on ne trouve pas cette inspira-
tion supérieure qui seule assure la durée des œuvres d'art.
Dans la Suisse allemande, un compositeur qui promettait
beaucoup, GUSTAVE WEBER, né en 1845, mort prématurément
à l'âge de quarante-deux ans, a écrit pour le piano une inté-
ressante sonate qui fut jouée avec succès à la réunion des
musiciens suisses à Genève, par le pianiste zurichois Robert
Freund.
Parmi les musiciens qui travaillent actuellement à l'enri-
chissement de la littérature pianistique, nous mentionne-
rons:
Dans la Suisse orientale: Hans Huber, professeur et direc-
teur de musique à Bâle; compositeur fécond, Huber a écrit
pour le piano des Scènes de carnaval très intéressantes, un
concerto, une sonate à deux pianos^ etc. Dans la même ville,
le pianiste OTTO Hegner est fort apprécié ; sa sœur, Anna
Hegner, est une violoniste de mérite. A Zurich, ROBERT
Freund s'est acquis une juste réputation. Le compositeur
— 477 —
Joseph LAUBER a composé un concerto pour piano et orchestre.
Actuellement fixé à Genève Torganiste Barblan, originaire du
canton des Grisons, a écrit quelques pièces pour le piano. Des
musiciens tels que ÂNDREJE, VOLKHAR, de Berne, KlOSE, de
Thoune (canton de Berne), mais né à Carlsruhe, MUNZINGER,
Edgar, de Balsthal près Olten, professeur à Bâle, NIGGLI,
PRITZ, né à Aarbourg, SCHWEITZER, RICHARD, de Zurich,
SCHULZ» Oscar, né à Berlin, professeur à Genève, pianiste de
^rand talent, Hegar, F., à Zurich, ont tous composé des
œuvres vocales ou instrumentales fort estimables, mais qui
n'ont cependant pas exercé une action directe sur la littéra-
ture pianistique. Par contre, le pianiste J. CARL EscHHANN,
à Zurich, a écrit pour le piano des œuvres intéressantes ;
son Album pour pianoforte (op. 17) contient douze morceaux
composés avec soin; les compositions de J.-G, Eschmann,
spécialement destinées à la jeunesse, présentent un intérêt
exceptionnel.
M"e LangENHAHN, née Hirzel, originaire de Zurich, a rem-
porté de grands succès en Allemagne et à Paris par l'inter-
prétation très intelligente d'œuvres importantes pour piano;
de même et spécialement dans l'exécution éminemment artis-
tique des compositions de Liszt, la jeune pianiste AMÉLIE
Slose a fait preuve d'une belle virtuosité.
Dans la Suisse romande, la musique est cultivée avec un
intérêt croissant dans les cantons de Genève, Neuchâtel, Fri-
bourg. Valais et Vaud. Partout des sociétés chorales ou mixtes
se vouent à l'étude de compositions pour chant populaire ou
pour chant artistique, profane ou religieux, tandis que des
associations d'artistes et amateurs font de la musique sym-
phonique ou de la musique de chambre, le principal objet
de leur activité. Toutefois dans le faisceau romand, les deux
villes de Genève et de Lausanne sont à la tête du mouvement
musical.
Genève possède deux institutions pour l'enseignement de
toutes les branches de la musique, le Conservatoire, où les
classes supérieures de piano sont placées sous la direction
— 478 —
de M. WiLLT Rehberg, un talentueux pianiste d'origine alle-
mande, mais né à Morges, petite ville du canton de Vaud, et
une Académie de musique dirigée par M. Richter, un mu-
sicien de haute valeur et où les leçons de piano sont données
par M. Richter lui-môme et par M. Decrey, un pianiste gene-
vois très qualifié, avec l'assistance de M"»«« Ed. Bonny,
Cartier et E. Wittmer, Torganiste fort appréciée du temple
de Plainpalais.
C'est également à Genève qu'habite M. Jaques-Dalgroze,
compositeur d'une fécondité extraordinaire, dont les rondes
enfantines ont eu beaucoup de succès. Ecrivain, conférencier,
chanteur, pianiste, chef d'orchestre, M. Jaques-Dalcroze, ori-
ginaire de Sainte-Croix (Vaud), né à Vienne en Autriche le
6 juillet 1865, s'est essayé dans des genres très divers; il a
écrit pour le piano quelques morceaux qui ne manquent ni
de charme, ni d'originalité, entre autres une valse dédiée à
M. Eschmann-Dumur, trois recueils (op. 44, 45, 46) compre-
nant une Ballade, un Capriccio appa^sionatOy une Aria, une
Eglogue, une Humoresque^ un Nocturne ^ une Arabesque j une
Romance^ un Impromptu-capriccio.
Deux élèves de Leschetizky, M"e» Jane Perrottet et Mar-
celle Charrey soutiennent avec éclat la réputation de Técole
genevoise de piano. L'une et l'autre ont remporté des succès
décisifs soit dans leur pays natal, soit à l'étranger.
Fondé il y a près d'un demi-siècle, l'Institut de musique
de Lausanne (directeur G. -A. Koêlla) jouit d'une considéra-
tion solidement établie, grâce surtout à la valeur pédago-
gique de l'enseignement du piano donné depuis la fondation
de cet établissement par M. le professeur ESCHHANN-DUHUR.
Auteur d'un recueil d'Exercices techniques pour piano
disposés méthodiquement et accompagnés de nombreuses
notes explicatives, d'un Guide du jeune pianiste renfermant
outre une classification méthodique et graduée d'œuvres
diverses pour piano, de précieuses directions à l'usage des
maîtres et des élèveis, C. Eschmann-Dumur a, au cours d'un
professorat de plus d'une quarantaine d'années, formé des
— 479 —
milliers d'élèves de toute nationalité qui, après avoir appris
à son école à aimer la bonne musique, à jouer intelligem-
ment, correctement et à cultiver leur goût musical, ont fait
connaître au loin Texcellence de sa méthode. M"»» Eschmann,
née Dumur, n'a pas cessé d'être l'intelligente et dévouée
collaboratrice de son mari dans la mission artistique qu'il
accomplit vis-à-vis de la jeunesse éprise d'idéal.
L'Institut de musique de Lausanne a fait récemment une
précieuse acquisition en la personne d'un de ses anciens
élèves, le pianiste Jules Nicati. Cet excellent professeur, qui
s'est produit, il y a quelques années, avec succès, à Paris, a
toutes les qualités qui font le bon virtuose et le bon péda-
gogue ; son jeu a beaucoup de clarté, de précision, de finesse
et l'interprétation qu'il donne des maîtres du piano est d'au-
tant plus vivante que Jules Nicati n'a visiblement d'autre
souci que de rendre sincèrement la pensée du compositeur.
En dehors de l'Institut de musique, l'enseignement du
piano est donné par des maîtres bien qualifiés tels que
M. Eugène Gayrhos, auteur de morceaux de salon composés
avec goût, Robert Gayrhos, fils du précédent, exécutant de
réel mérite, John Légeret dont l'éducation musicale s'est
terminée à Leipzig, et par des maîtresses de musique trop
nombreuses pour qu'il soit possible d'en dresser le catalogue,
mais dont la plupart sont heureusement douées.
Quelques musiciens contemporains occupent, à Lausanne,
une place à part, soit au point de vue de la composition, soit
au point de vue de l'exécution ; ce sont, dans l'ordre alpha-
bétique :
BiSGHOFF, Justin, né en 1843 à Lausanne, a écrit pour
orchestre des ouverturesy des fragments symphoniqiies, pour
chœur et orchestre une Messe et pour piano des morceaux
de difficulté moyenne qui ont beaucoup de charme : Chanson
du printemps, Prom.enade matinale, etc. J. BischoflF a aussi
composé de la musique de chambre, des mélodies ; ses com-
positions se distinguent par une pureté de style tout à fait
classique.
— 480 —
BLANGHET, Emile, pianiste-compositeur de premier ordre.
Né à Lausanne le 17 juillet 1877, Emile Blanchet lit ses études
de piano et de composition sous la direction de son père,
Charles Blanchet, ancien élève de Moscheles, Hauptmann, à
Leipzig, professeur de musique et organiste à Lausanne, puis
après avoir remporté de nombreux et francs succès, il se
rendit auprès de Busoni dont les conseils agirent simultané-
ment sur le virtuose et sur le musicien. En possession d'une
technique merveilleuse et d'un tempérament très musical,
Emile Blanchet, dont le talent a été fort apprécié à Londres,
en Allemagne, peut être classé parmi les meilleurs artistes
de notre temps.
COMBE, Edouard, né le 23 septembre 1866 à Aigle (canton
de Vaud), étudia la musique dans sa ville natale, puis au
Conservatoire de Genève, enfin à Paris, où il fut élève de
Guilmant. Depuis son retour en Suisse, Ed. Combe a ensei-
gné l'instrumentation au Conservatoire de Genève; ses com-
positions pour orchestre révèlent une grande maîtrise dans
le maniement des forces orchestrales et dans la combinaison
des divers groupes d'instruments. Actuellement attaché
comme critique musical à la Gazette de Lausanne^ Ed. Combe
dont la plume est très alerte, juge de la valeur des œuvres
exécutées dans les concerts et de la valeur des exécutants
avec une complète indépendance. Esprit éminemment pri-
mesautier, ce musicien très cultivé apporte dans l'ex-
pression de ses sentiments une sincérité qui lui vaut quel-
ques colères, mais aussi de nombreuses et cordiales sym-
pathies.
DÉNÉRÉAZ, Alexandre, né en 1875 à Lausanne, s'est fait
connaître avantageusement par un certain nombre d'œuvres
importantes : symphonies^ ouverture symphonique^ cantates
pour chœur d'hommes avec soli, orchestre (La chasse mau-
dite)^ un concerto pour piano, etc., où l'on surprend à côté
de tendances quelque peu wagnériennes une note bien per-
sonnelle ; M. Dénéréaz, qui a étudié à Dresde, est un orga-
niste distingué, il a succédé à M. Charles Blanchet, aux
— 481 —
orgues de Saint-François à Lausanne qu'il tient avec une
grande autorité.
H0MBERT, Georges, pianiste, organiste, professeur, confé-
rencier, mais surtout musicographe, a fait de solides études
à la Hochschule de Berlin. Traducteur patenté de Riemann,
Georges Humbert publie en ce moment des Notes sur Vhistoire
de la musique qui, si Ton en juge par le premier fascicule, com-
bleront une lacune de la musicographie française. Très sobre,
le style de M. Humbert est en même temps clair et élégant.
Deux jeunes musiciennes ont droit à une mention spéciale :
Mii« Marthe LangIE, élève de M. Eschmann-Dumur à Lau-
sanne et de Fritz Blumer à Strasbourg, actuellement profes-
seur à rinstitut de musique, est aussi remarquable par la
correction que par l'intelligence et la conscience avec les-
quelles elle interprète les œuvres des compositeurs. Fonda-
trice d'une Société de musique de chambre^ M}^^ Langie a fait
preuve d'un rare éclectisme dans la composition de ses pro-
grammes et au cours des concerts donnés par cette intéres-
sante association, on a pu constater la souplesse avec laquelle
la pianiste lausannoise sait adapter son jeu au style particu-
lier des maîtres anciens et modernes.
Emule de M^^» Langie, M^^ Else DE 6ERZABEGK possède,
elle aussi, de grandes qualités pianistiques ; tout à la fois
professeur de piano et de chant, directrice d'un chœur de
dames, cette brillante musicienne a hérité de son aïeul Jean-
Bernard Kaupert, l'organisateur du chant national à Lau-
sanne et Genève de 1832 à 1833, des aptitudes très variées et
très caractéristiques pour la musique. Une séance de sonates
modernes donnée avec le concours du violoniste H. Gerber,
plusieurs concerts, où elle s'est produite comme accompa-
gnatrice ou comme soliste, ont permis d'apprécier les mérites
d'une pianiste qui joue avec feu et conviction.
A ces noms, il faut ajouter ceux de HENRI Plumhof, com-
positeur et professeur de piano, à Vevey, REHBER6, père, à
Morges, VEUVE, élève de Leschetizky, à Neuchâtel, etc.
Quelques musiciens suisses contemporains se sont acquis
HIST. DU PIANO 31
— 482 —
une juste notoriété hors des frontières de leur pays natal ;
•ainsi le pianiste glaronnais FRITZ Bluher, professeur à Stras-
bourg; le compositeur GUSTAVE DORET, à Paris ; le pianiste-
compositeur R. 6anz, à Chicago ; le savant musicographe et
théoricien Hathis LUSSf , de Stanz, qui professa pendant de
longues année dans un des grands pensionnats de Paris.
Italie.
Ce pays offre peu de matière à la chronique pianistique.
Sans doute l'Italie a toujours ses compositeurs parmi les-
quels Mascagni, Leoncavallo, Boïto et, dans le domaine de
la musique sacrée, Tabbé Pérosi, occupent une place en '-ue,
mais en ce qui concerne l'histoire spéciale du piano, on ne
peut guère citer que le nom de S6AHBATI, Téminent musi-
cien pour lequel Liszt eut une sympathie toute particulière
et qui est actuellement directeur d'une quintette à la cour
de Rome. Né en 1848 à Rome, Sgambati a écrit pour le piano
des choses exquises : un concerto^ des Fogli volanti (op. 12),
un Prélude et fugue en Mi b mineur (op. 6), un Vecchio mi-
nuetto en Ré b majeur (op. 18), autant d'oeuvres qui portent
le cachet de la plus grande distinction.
Le compositeur MartuGGI a écrit pour piano et orchestre
un concerto qui a été joué avec succès dans les principales
capitales de l'Europe par le pianiste CONSOLO, un brillant
virtuose italien actuellement à Lugano, en Suisse.
Bien qu'il soit depuis longtemps établi en Allemagne où
il exerce une sorte de royauté artistique, Ferrugio Busoni
doit être considéré comme appartenant à l'Italie. Né le
-jcr avril 1866, à Empoli, près Florence, Busoni fit ses études
à Gratz et à Vienne. Lauréat du prix Rubinstein, Busoni,
après un séjour assez prolongé à Helsingfors, exerça le pro-
fessorat successivement à Moscou et à Boston. Pianiste hoi-s
ligne, il est en même temps un excellent musicien, un artiste
dans le sens le plus compréhensif et le plus élevé de ce mot.
Ses adaptations au piano de compositions pour orgue de
J.-S. Bach sont très appréciées des connaisseurs.
— 483 —
Russie. Pologne.
La littérature russe, représentée par les noms illustres de
Tolstoï, Dostoïewski, Gorki, a pris de nos jours une place
dominante dans le mouvement littéraire, il en a été de même
au point de vue musical ; Técole russe s'impose en ce mo-
ment à l'attention de l'Europe entière. Musicalement comme
littérairement, les Slaves semblent destinés à jouer un rôle-
prépondérant dans l'évolution intellectuelle, artistique au-
vingtième siècle.
Le fondateur de l'école russe, MICHEL IVANOYITGH GlineA,
est né à Novospasskoïé (gouvernement de Smolensk) le 20 mai
1804. Son action sur les progrès du piano étant très indirecte,
il suffira de rappeler ici que son opéra: La vie pour le czar
est la première œuvre portant un caractère national propre-
ment dit. Glinka, qui a composé, outre un autre opéra:
Rousslan et Ludmilie, des morceaux de musique sympho-
nique: La Karatninskaïa, une Tarentelle pour orchestre,
quelques pièces pour piano, des chœurs pour voix de femmes,
etc., termina sa carrière en 1857. « Ses œuvres, dit M. Lavi-
gnac, sont riches d'harmonie, habilement orchestrées pour
l'époque et l'emploi fréquent et systématique des motifs po-
pulaires accentue heureusement la couleur locale et le carac-
tère essentiellement national » de ces compositions.
L'héritier immédiat du génie de Glinka fut Alexandre-
SerguiéVITGH DargoHIJSKT, né en 1813 dans un village du
gouvernement de Toula, mort à Saint-Pétersboug le 17 jan-
vier 1868. Son opéra, La Roussalka, renferme des scènes très
dramatiques. Dargomijsky a composé quelques morceaux de
piano.
Deux cootemporains de Dargomijsky se sont illustrés : le
premier, ALEXANDRE SËROFF, né en 1820, mort en 1871, par
des travaux de critique musicale et par une pièce de théâtre,
Judith; le second, A. -T. LVOFF, par la composition de l'hymne
national russe: Bojé^ Tsariakhrani (Dieu protège le tsar).
Violoniste, compositeur, le général Lvoff, né le 25 mai 1799
— 484 —
à Réval, est mort le 28 décembre 1870 dans son domaine du
gouvernement de Kowno.
Deux grands noms appartiennent non seulement a l'his-
toire de la musique russe en général, mais spécialement à la
littérature du piano, ce sont ceux d'Antoine Rûbinstein et
de Pierre Tschaïkowsky.
Né le 16/28 novembre 1829 à Wechwotynez, en Bessarabie,
Antoine Rûbinstein, a publié des ouvrages importants, des
opéras : Le démon, Néroiiy Les Macchabées, six symphonies^
parmi lesquelles L'océan a des développements considérables,
des pièces diverses pour orchestre, de la musique de chambre,
des concertos, des sonates et, pour le piano seul, une foule
de compositions dont quelques-unes auraient pu sans incon-
vénient rester en portefeuille, mais dont la plupart ont une
haute valeur artistique. Parmi ces dernières, il faut citer :
Cinq concertos, une fantaisie en Do majeur (avec orchestre),
une fantaisie pour deux pianos, une sonate à quatre mains,
trois sonates à deux mains, des études, une valse-caprice, des
m^élodies, des danses polonaises, des caprices, des sérénades,
etc.
Ri'ibinstein est surtout connu comme pianiste ; au point
de vue de la virtuosité, Liszt seul peut lui être comparé ; il
y avait de la génialîté dans la façon dont Rûbinstein inter-
prétait les œuvres des maîtres et ses propres compositions.
Antoine Rûbinstein est mort le 20 novembre 1894 ; son frère
Nicolas fut aussi un musicien et un pianiste de grand mérite.
Quant à PlERRE-IUITSGH TSGHAÎKOWSKT, né le 25 avril 1840
à Vobinsk, mort à Saint-Pétersboug le 13 novembre 1893, il
a été un compositeur d'une fécondité extraordinaire; toutes
ses œuvres (onze opéras, six symphonies, quatre suites d'or-
chestre, cinq ouvertures de concert, des poèmes symphoniques,
de la musique de cham^bre, de la musique religieuse, etc.) ne
sont pas de valeur égale ; quelques-unes pèchent par la pro-
lixité, mais il en est un grand nombre qui procèdent d'une
inspiration très élevée et qui portent la marque indélébile
d'un génie supérieur.
— 485 —
Parmi les compositions de Tschaïkowsky pour piano, il en
est de charmantes au nombre desquelles il faut citer en
première ligne: Les saisons, série de douze morceaux de
dimensions restreintes et qui sont pénétrés d'un souffle réel-
lement poétique. Le professeur Riemann a publié un recueil
de vingt-sept compositions pour piano de Tschaïkowsky, dont
l'étude suffit pour se faire une idée générale du genre de cet
éminent compositeur.
Les principaux représentants de la Jeune école russe
sont:
CÉSAR Cui, d'origine française, mais né à Wilna le 18 janvier
1835. Major-général et professeur de fortifications dans trois
académies militaires de Saint-Pétersbourg, César Cui est un
non-professionnel de l'art musical ; c'est toutefois en ce do-
maine qu'il a conquis une célébrité durable soit par ses com-
positions, soit par sa critique malheureusement point exempte
de parti pris. Pour le piano. César Cui a composé une Suite
dédiée à Liszt, quatre morceaux dédiés à Leschetitzky ; trois
valses dédiées à Sophie Meuter; deux polonaises dédiées
à A. Rûbinstein ; trois impromptus dédiés à H. de Bulow,
dix-huit miniatures dédiées à M'»® Annette Essipoff, etc.
MIL7-ALEXEIEWITSGH Balaeirew, né à Nijni-Novgorod le
2 janvier 1837. Pianiste distingué, il fonda en 1862 à Saint-
Pétersbourg une école gratuite de musique qui a rendu de
précieux services. Balakirew a peu composé ; le pianiste fran-
çais G. de Mérindol a fait connaître en France sa fantaisie
orientale Islamey, œuvre très originale mais dont l'exécution
présente des difficultés exceptionnelles.
Alexandre PorphtriëWITGH BORODINE, né à Saint-Péters-
bourg le 12 novembre 1834, est mort dans la même ville le
27 février 1887. Borodine, qui pratiqua la médecine, mais
qu'un penchant inné poussait vers la musique, a composé
un opéra : Le prince Igor, une symphonie : Daiis les steppes,
de la musique de chambre, des morceaux de chant, une
suite pour piano. H. Imbert a caractérisé le talent de Boro-
dine dans les termes que voici : qui, avec des poses afîectées, écorche une œu-
vrette quelconque d'un compositeur en vogue.
Les pianistes qui, sans avoir le privilège d'une sensibilité
exceptionnelle, ont un mécanisme rompu à toutes les diffi-
cultés, d'une correction impeccable, alliant la légèreté à la
force, la grâce à l'énergie, la délicatesse du toucher à la ro-
bustesse du poignet, occupent un rang supérieur ; ils sont
capables non seulement de flatter l'oreille des auditeurs, mais
aussi de satisfaire leur intelligence, de provoquer leur admi-
ration.
Seuls les musiciens qui associent à la perfection technique
la compréhension approfondie des œuvres qu'ils interprètent,
une âme capable de vibrer à l'unisson avec celle du maître
et de communiquer les émotions qu'elle ressent, représentent
le point culminant de l'art pianistique. Considérant la vir-
tuosité non comme un but, mais comme un moyen, ils met-
tent leur habileté technique au service des sentiments qu'ils
expriment, des mouvements intimes qu'ils traduisent, et
parce qu'ils sont émus, ils émeuvent ceux qui les écoutent.
C'est là le comble de l'art, c'est le sublime idéal à la réali-
— 495 —
sation de plus en plus complète duquel tend l'évolution de
la musique dans ses manifestations les plus diverses et c'est
dans ce sens que doit s'accomplir Torientation de renseigne-
ment du piano à notre époque.
Le côté technique occupera évidemment une place essen-
tielle dans la pédagogie pianistique, car elle est une condi-
tion primordiale de toute interprétation consciencieuse de
l'œuvre d'art. Pour être féconde, l'étude technique doit re-
poser sur une base scientifique; l'arbitraire doit en être
absolument banni ; il faut tenir compte des conditions phy-
siologiques et anatomiques de l'être humain pour obtenir
une bonne exécution soit au point de vue de l'égalité des
doigts, de la souplesse du poignet, soit au point de vue du
toucher, qui doit être clair et velouté.
Aussitôt que l'élève est maître de ses dix doigts, il importe
d'accorder toujours plus de place à la culture du goût, ce qui
se fait par l'étude attentive des chefs-d'œuvres de la musique
classique.
Enfin, quand le professeur surprendra chez ses élèves
l'étincelle divine, il s'efforcera par son influence personnelle
de développer chez eux le sentiment poétique et de les initier
à l'interprétation vivante des compositions des grands ro-
mantiques depuis Beethoven (dans quelques-unes de ses so-
nates) jusqu'à nos jours.
Il est évident qu'un tel enseignement suppose Vétude his-
torique des principales phases de l'évolution musicale, ainsi
que l'analyse de quelques œuvres-types au point de vue de
l'esthétique.
Toute pédagogie pianistique digne de ce nom est une lutte
contre le mauvais goût ; elle est un effort opiniâtre vers le
beau favorisé par l'utilisation de toutes le^ ressources théo-
riques et pratiques, historiques et artistiques dont il est
permis au futur musicien de disposer.
-«••*
NOTES ET ADDITIONS
Pendant Timpression du présent volume, M™« M. Jaëll a
publié un nouveau livre sous le titre de: Uintelligence et Le
rythme dans les mouvements artistiques. (Paris, Félix Alcan,
1904.) Appliquant les méthodes scientifiques à Tart de jouer
du piano, l'auteur traite successivement de « l'éducation de
la pensée et du mouvement volontaire, » du « toucher mu-
sical, * du « toucher sphérique et du toucher contraire. » La
lecture de cet intéressant ouvrage est à recommander à toutes
les personnes qui s'occupent de littérature pianistique.
Le pianiste Emile Blanchet (page 480) a été nommé profes-
seur pour les classes supérieures de piano à l'Institut de
musique de Lausanne. La pianiste française Marie Panthès
(p. 470) a été appelée aux mêmes fonctions au conservatoire
de Genève.
Les répertoires de pianistes et compositeurs doivent être
complétés par la mention des noms que voici :
ALLEMAGNE
GrONFELD, Alfred, né à Prague en 1852.
ZIMMERMANN, AGNÈS, née en 1847 à Cologne, pianiste de
grand talent, a composé pour piano seul une sonate, une
mazurka, un presto, etc.
— 497 —
POLOGNE
WlENIAWSKI, Joseph, frère du violoniste Henri Wieniawski.
HiGULI, Karl, né en 1821 à Czernowitz ; ce musicien est
connu surtout par la publication des œuvres de Chopin avec
corrections et variantes indiquées par le compositeur lui-
même.
ANGLETERRE
Davies, FANN7, née de parents anglais à Guernesey ; élève
de Reinecke, Fanny Davies a remporté de brillants succès
dans rinterprétation des œuvres de Schumann.
SUISSE
MUNZINGER, Karl, frère d'Edgar Munzinger (page 477).
LAUBER, Emile, frère de Joseph Lauber (page 477).
Laufer, a., professeur de piano à l'Institut de musique de
Lausanne.
Troton-BLJESI, M"*". Cette musicienne distinguée, connue
surtout comme cantatrice, est en même temps une pianiste
de grand mérite. Lectrice incomparable, M™« Troyon met
beaucoup d'expression dans son jeu.
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